to fall is to learn ☾ Symond/Kina

La Bruni tourna et se retourna longtemps dans les draps de Symond, un manège qu'elle continua un certain temps avant de se résigner à ouvrir les yeux. Éblouis par les rayons du soleil, elle tendit son bras à la recherche du corps de son amant, mais elle ne rencontra que son oreiller et le vide laissé par son absence. Elle émit alors un grognement enroué, se forçant à s'asseoir sur le bord du lit. Tout en se frottant les yeux, elle pestait ouvertement contre les bruits environnants qui l'avaient empêché de retrouver son sommeil. Sans le moindre effort, elle entendait tout ce qui se passait derrière la porte. Les pas pressés des domestiques qui s'éloignaient, quelque chose de lourd qui tombait à grand fracas sur le sol, les ordres vociférés par une voix forte et rauque. Les sons étaient si fort qu'elle n'aurait pas été étonné si le lit avait été transporté et abandonné sur le port.

La pièce était baignée par la clarté du jour, malmenant les iris sombres de Kina dont les yeux papillonnaient avec force, luttant pour s'acclimater à cette nouvelle luminosité. Rien n'avait changé dans cette chambre, la baignoire était encore là, pleine de cette eau devenue glacée, ses affaires étaient éparpillés un peu partout, abandonnées par terre après son escapade nocturne, mais lui n'était pas là. Rien des plus étonnants en le connaissant, mais la jeune femme était toujours celles qui se levaient aux aurores pour bénéficier du calme de la plage. Tout lui semblait si bruyant à présent. Il y avait quelques heures à peine, l'île était encore plongée dans les ténèbres de la nuit et la Bruni avait pu profiter de ce bref instant de silence. Un moment agréable où elle avait fait plus ample connaissance avec la femme au tatouage.

En ramassant son pantalon, elle repensa aux oiseaux qui avaient pris leurs envols et au sentiment de fierté qu'elle avait alors ressentie. Des tels animaux ne devraient jamais vivre dans des cages, avait-elle dit à Norunn, car ils étaient faits pour se fondre dans le ciel, ils étaient faits pour être libres. Une idée de la captivité qui semblait toucher la jeune femme, car alors elle lui était venu en aide, tout en soulignant la possibilité qu'ils meurent. Mais peu importait pour la Ka, car elle leur offrait une chance et c'était tout ce qui comptait à ses yeux. Lorsqu'elle avait achevé sa mission, Symond dormait toujours dans la baignoire, sans le réveiller, évitant ainsi toute explication sur son départ, elle s'était allongée tout du long sur le lit et s'endormit immédiatement, le sourire aux lèvres.

Une fois ses cheveux démêlés, tressés, elle enfila ses bottes et quitta la chambre de Symond pour se mêler aux vacarmes des hommes fer. D'un mouvement de la tête, elle salua le peu de personne qui lui souriait. Elle avait toujours le droit à quelques regards en coin ou à des railleries dont elle ne comprenait pas toujours le sens, mais Kina se moquait bien de leur avis ou de leurs pensées. Comme une bonne invitée aux bonnes manières, elle s'acheta de quoi manger, évitant les trocs, mais en donnant des morceaux d'argents aux dessins étranges. Ce n'est que lorsqu'elle récupéra ses achats qu'elle le vit. Symond riait aux éclats avec d'autres hommes fer, mais Kina n'alla pas le rejoindre, bien qu'elle sentait son regard sur elle, la jeune femme alla s'asseoir un peu plus loin et commença à picorer dans ce... Elle ne savait pas vraiment ce que c'était, mais c'était assez bon.

Il n’avait pas réussi à tenir bien longtemps en la regardant dormir. Havre de paix depuis les ébats de la nuit, le fer-né s’était pris à admirer la Bruni avec un regard différent que celui qu’il lui portait habituellement. Beaucoup plus attendri, enclin à vouloir le meilleur pour elle et pas seulement dans un sens qui ne porterait que sur le physique. Le sourire se dessinait même sur le coin de ses lèvres alors que ses doigts effleuraient doucement la peau douce de son épaule. Pour quelques heures de plus, Symond aurait pu la réveiller à sa manière, mais il s’en ravisait, préférant plutôt la laisser se reposer. La jolie petite brune en avait besoin, et lui… Il s’extirpait doucement de la couche pour récupérer les affaires éparpillées partout dans la pièce afin de se vêtir. Avec délicatesse, il parvint à sortir de la chambre et s’en alla l’air penaud en direction de la grand-salle pour se restaurer. L’aube pointait à peine mais déjà les quelques serviteurs s’affairaient pour remplir les panses de leurs maîtres. Le fer-né s’extirpa de cette mascarade qu’il n’avait jamais apprécié, non sans prendre au passage de quoi sustenter sa faim.

Sa marche débuta par ce chemin habituel qui le menait depuis les passages empruntés vers les plus étroits jusqu’à retrouver la Mer. Fidèle à ses origines, le blond l’admirait toujours, profitant de son calme matinal pour oser se projeter vers son passé, son présent mais sans oser aborder son futur. Parce qu’il n’était pas le seul à en décider, le Dieu Noyé l’avait déjà fait pour lui. Mais en attendant, il repensait à ce qu’il avait vécu et naturellement ses pensées se tournaient vers Kina qui dormait toujours à point fermé dans sa couche. Autant l’avouer, le fer-né n’avait rien anticipé sur leur relation, mais elle était omniprésente maintenant. Et vivre au jour le jour lui convenait assez bien. Une chose qu’il avait connu avec Nahra par le passé. Nahra. Un grognement rauque l’arracha de ses pensées en songeant à la mère de ses fils et il finit par lancer un cailloux vers l’écume avant de tourner les talons pour se rendre à la taverne. Mieux valait s’arrêter ici pour aujourd’hui.

Durant sa route, le fer-né retrouvait des visages connus, il les saluait sans vergogne à sa manière, discutait avec qui voulait bien lancer une conversation. Jusqu’à trouver l’un de ses pairs avec qui il s’était longuement entretenu il y avait de cela plusieurs jours sur des montures. La Bruni lui avait fait part de ses intentions de savoir monter à cheval et Symond s’était donné pour but de satisfaire son envie. Pourquoi ? Pour lui prouver une fois de plus qu’elle n’était pas une prisonnière pour lui mais bien un être humain qui avait droit autant que n’importe qui à agir comme bon lui semblait. Bon d’accord, il ne l’aurait pas totalement laissé partir si jamais l’idée lui prenait, il ne voulait pas risquer les foudres d’Asha. Mais il n’en restait pas moins, qu’il voulait lui faire ce plaisir-là. Probablement avaient-t-ils discuté pendant de longues minutes avant qu’il ne reconnaisse la silhouette de la femme avec qui il passait des nuits. Sourire taquin sur les lèvres, il la dévisageait de dos avant de finalement reporter son attention sur l’homme avec qui il s’entretenait. Tape sur l’épaule plus tard, ils venaient de convenir d’un marché tous les deux.

Rejoignant la petite brune à peine installée sur un banc en train de picorer, le fer-né se mit à soupirer tout en lançant un regard vers l’horizon urbain. « T’as bon appétit. » lâchait-t-il amusé avant de lancer un regard en coin vers le visage fin de la jeune fille. Il ne put se retenir de rire, espérant que la complicité qu’ils avaient eu la veille puisse perdurer encore ce matin. « Reposée ? P’rce qu’on a d’quoi faire aujourd’hui. » Sans attendre plus longuement, le fer-né rapprocha sa main à ses risques et périls vers les victuailles de la Bruni pour en piquer un morceau et le déguster à son tour. « ça risqu’ d’te plaire en plus. » Il haussait ses épaules, amusé par la situation. Il espérait juste que la barrière de la langue ne freinerait rien, mais en vue de ce qu’ils avaient effectué la veille, Symond admettait que non.

La Ka était si centrée sur elle-même qu'elle n'avait pas remarquée que ses yeux n'étaient plus fixés sur les navires qui tanguaient doucement sur les eaux profondes. Non, à la place, ses sombres iris se perdaient dans cette marée humaine qui s'étendait tout autour de Symond. Elle observait les hommes fer sans réellement les voir, son regard habituellement pétillant passait de visage en visage, mais aucun n'attirait réellement son attention, ce n'était que des formes en mouvement. Il y avait de la vie tout autour d'elle, mais Kina n'était pas d'humeur pour s'y engouffrer totalement. Elle voulait rester encore quelques minutes dans cet état de vieille, absorbée par cette solitude apaisante, à manger et à respirer l'air iodée de cette île. Elle désirait être loin de toutes ces festivités habituelles. Son corps était bien présent sur ce banc, mais son esprit était juste ailleurs, vidé de toute pensée, abreuvé par le silence agréable, jusqu'à ce qu'un visiteur surprise vint à s'asseoir à ses côtés et le remplisse de nouveau.

Tout autre personne que lui l'aurait profondément frustré, mais Kina ne ressentait rien d'autre hormis une douce chaleur qui paralysait les racines de ses pensées. Instinctivement, un large sourire envahit ses lèvres à l'évocation d'une journée chargée. Même si elle aurait largement préféré se prélasser quelques heures encore dans ses draps ou dans sa baignoire, elle restait ouverte à toute autre aventure. Sauf celle où elle perdait quelques morceaux de ce pain étrange, « Si là clan d'Huan toi perdant main. Ma chance être homme fer, toi garder main », dit-elle simplement, évitant tout sourire pour gâcher son effet dramatique, « si toi refaire, yé mordre toi ». Elle le défiait de recommencer, prêtre à mordre tout ce qui se rapprocherait de SA nourriture.

Lentement, Kina suivait ses pas, appréciant ce moment de calme, mais sans qu'elle puisse réellement en expliquer les raisons, elle se sentit fébrile. Elle avait l'impression de sentir une pointe descendre brusquement dans le creux de son estomac. Elle connaissait ce chemin pour l'avoir déjà emprunté. Sans en prendre vraiment conscience, elle se mit à ralentir, craintive. Inquiète à l'idée de se retrouver une nouvelle fois devant les écuries. Elle tentait de se rationaliser, il n'allait pas s'arrêter devant cet endroit tant redouté, non, il allait continuer ou prendre la bifurcation pour descendre sur la plage, mais son espoir s'évapora d'un coup sec lorsqu'il s'immobilisa devant les chevaux. Ce n'est pas qu'elle ne les aimaient pas, mais depuis sa chute, elle avait pris peur et redoutait le moment où elle devrait reprendre une autre leçon. Finalement, elle n'était pas prête pour toutes les aventures qu'il lui proposerait et aurait aimer se prélasser dans les eaux chaudes d'un bon bain.

La bruni inspira profondément, contrôlant les mimiques de son visage pour paraître détendue et profitant que Symond est le dos tourner pour se rapprocher d'un morceau de bois. Elle arrivait à parler ce langage, mais elle n'arrivait toujours pas à le lire. Ses doigts suivaient les lignes qui se rejoignaient, elle sentait chaque strie du bois sous la pulpe de son index, ce mot ne trouvait pas sens dans son esprit, mais elle aimait le dessin qu'il formait. Quelques jours plutôt, après sa chute, elle avait entendu que ce mot était le prénom du cheval, « bonyour Myrtille », dit-elle doucement.

Attaché à la Bruni, Symond cherchait le moyen de retrouver le sourire qu’il avait pu lui voir la veille. Ce dernier ne tardait pas à fendre les lèvres fines de la petite brune malgré les quelques remontrances qu’elle pouvait lui donner. Il savait ce qu’il risquait. Tout comme il percevait à quel point les moindres détails étaient en mesure de lui rappeler ce foyer qu’elle avait eu à abandonner. Heureusement, Kina avait trouvé Asha. Même si elle était captive et dans une situation inconfortable, il n’en restait pas moins qu’elle avait droit à énormément de passe-droit et de liberté. La seule contrainte dont elle avait à faire face n’était que celle d’une présence auprès de la fer-née. Ainsi, rire leur permettait à tous les deux de pouvoir songer à autre chose que ce poids constant qui leur pesait. Ils pouvaient s’offrir le luxe de n’être qu’eux dans la manière la plus banale. Sans artifice lié à la tradition, aux mœurs, même la barrière de la langue ne leur était plus un frein. Au contraire, le blond profitait de cette menace pour macher doucement le morceau le de pain dans sa bouche, tout en reposant son vol avant de lever les mains vers le ciel. L’air penaud et quelque peu faussement innocent, il en profitait pour alimenter cet amusement. « Très bien m’dame la guerrière, j’touche plus à ton r’pas. » L’œil toujours aussi réjoui, le grand gaillard ne tarda pas à inviter la jeune femme à la suivre dans ce but de lui offrir une nouvelle occasion de rattraper son défaut de la dernière fois.

La confiance qui existait entre eux était bien réelle. Dans la mesure où Symond mettait tout en œuvre pour faire comprendre à Kina qu’il ne lui voulait aucun mal, et qu’il désirait plus que tout lui apporter cette occasion de se dévoiler aux yeux de tous. Courageuse, téméraire, il appréciait ces traits de caractère qu’il avait pu reconnaître dès le départ, et avait encore plus adoré ceux qu’il avait pu apprendre à connaître par la suite. La Bruni était un leader malgré elle. Il n’était pas nécessaire d’être savant pour s’en apercevoir et le fer-né désirait qu’elle ouvre les yeux sur ce point-là. Il n’y avait pas que ses capacités de guerrière, ou encore sa tendance à vouloir en retordre qui avaient attisé l’œil d’Asha Greyjoy. Non. Il y avait tellement plus. Loyauté, curiosité, entreprise, voilà ce qui embellissaient davantage les traits finement sculptés de la jeune femme. Et même si elle se dévoilait un peu plus à chaque fois, Symond avait conscience de la force que Kina avait en elle. Abrupte et tranchante comme celle des hauts rochers des falaises qui lui paraissaient insurmontables et indestructibles. Alors l’aider à affronter ses craintes, à aller de l’avant pour justement la pousser vers le haut, était devenu une mission qu’il se plaisait à remplir et qu’il continuerait à faire jusqu’à ce qu’elle ne l’estime plus.

Voilà qu’ils pénétraient ensemble vers l’écurie. Il n’avait pas fallu plus longtemps au jeune homme pour prendre connaissance du regard de la jeune femme et y reconnaître une mine apeurée. Il concevait cette peur, lui-même n’étant pas des plus fiers sur ces bêtes. Mais comme toute épreuve effrayante, mieux valait affronter au plus proche de la chute pour oser aller de l’avant et s’en servir d’expérience plutôt que de handicap. « T’inquiète pas, c’te fois, on f’ra qu’du pas. » voulait-t-il la rassurer alors qu’elle caressait de ses doigts doux les inscriptions sur la porte de la monture qu’ils allaient préparer. Il s’en recula de quelques pas, lui offrant ainsi l’occasion de pouvoir retrouver cette dite Myrtille, le temps nécessaire pour lui de récupérer les effets de la monte. Licol, mord, tapis, selle, collier de chasse, rien ne manquait à la bonne mise en préparation de la jument. « Y a qu’les gens des contrées vertes pour app’ler un bestiaux comm’ ça. » riait-t-il aussi bien pour dédramatiser la situation que pour essayer de changer de sujet et rapporter ainsi un peu de soulagement à Kina. Mais il se doutait bien que ce serait une peine perdue. « Y disent qu’si on passe d’temps avec, ç’permet de mieux l’apprivoiser. » Son sourire se fit plus rieur. « Peu comm’ nous quoi ! » Il allait se prendre un coup, il en avait pleinement conscience, mais il avait envie de la voir sous cet aspect-là. D’ailleurs, il n'hésita pas à se rapprocher d’elle pour la rapprocher de son torse afin de profiter un peu de cette intimité qu’ils gagnaient dans cet espace. « T’as bien réussi à l’faire une fois. » Oui, il l’encourageait. Oui il cherchait à lui prouver qu’elle en était capable comme elle était capable de tout. Et pour mieux l’aider, Symond n’hésita pas à rapprocher ses lèvres des siennes pour lui dérober un baiser aussi vif que joueur. Il ne désirait qu’une chose, lui donner cette confiance qu’elle méritait afin de lui rappeler qu’elle était bien plus importante à ses yeux que ce qu’elle n’aurait pu le croire.