Leaving to come back better ☾ Kina Ka [solo]

Il y avait des murmures presque inaudibles, des lamentations étouffées par les tumultes du vent dont chaque passage faisait danser les branches du vieux saule. Les bourrasques s’infiltraient entre ses lianes et apportaient avec elles le froid humide d’une nuit approchante. Seules les petites brindilles rassemblées en plusieurs tas distinct, brûlant ici et là autour du tronc, réchauffaient légèrement les insulaires réunis. Elles apportaient de la lumière et une certaine sérénité, mais malgré l’ambiance chaleureuse, rien ne semblait adoucir la peine des jeunes parents. Tous les regards étaient fixés sur eux, sur ce couple qui sculptait dans la pierre le nom de cet enfant qui n’avait pu voir le jour et la déposa au pied de cet arbre majestueux. Il rejoignit les nombreux prénoms qui survivront aux ravages du temps, leurs corps avaient disparu, mais dans cet endroit, une partie de cette vie partagée persistait. À chaque perte, cette tribu se rendait sous cet arbre et y déposait une pierre des eaux, une tradition qui demeurait depuis des années et qui était scrupuleusement respectée. Un cadeau pour que l'esprit des disparus renaît dans la terre, reprenne vie dans les airs et se réincarne sur les îles nocturnes.

La sentinelle fit courir ses doigts sur l’arbre, à son contact, elle sentit avec délectation toutes les stries de l'écorce. Elle tourna autour de lui, comme lorsqu'elle était enfant, marchant délicatement sur toutes ses pierres ensevelis par la terre et la mousse. Elle continua son manège jusqu'à qu'une main chaud se pose sur son épaule, l'arrêtant dans sa lancée. Nooma avait le regard dur, les traits de son visage étaient contractés dans une grimace de colère, mais elle ne dit aucun mot, elle se contenta de l'attirer vers elle et de l'éloigner de la foule. Elle lui tira le bras suffisamment fort pour que Kina comprenne qu'elle était furieuse, alors elle se mua également dans le silence, attendant patiemment que son amie cesse de lui arracher le bras et qu'elle s'explique enfin. Mais ce temps ne vint pas, elle l'attira vers la plage, loin de leurs villages. D'ici, elles pouvaient observer les contours de la terre des larmes, mais également la fumée des feu qui brûlaient dans la tribu des hommes fer.

« Ton oncle vient de m'apprendre que tu retournais chez eux », sa voix était dure, emplit de colère. Elle pointait du doigt la terre des larmes, contractées comme si elle venait d'être mordue par un serpent. « Je l'ai décidé il y a peu de temps, j'allais te pré... », Kina ne put finir sa phrase tant la douleur pulsait dans son estomac. D'un mouvement sec et rapide, Nooma avait lancé un bâton dans les bras la sentinelle, mais elle n'avait pas anticiper son inattention. « Mais tu ne l'as pas fait », pas d'excuse, seulement un reproche et une colère qui ne semblait pas s'atténuer. « Très bien », dit-elle simplement, prenant lentement conscience que quoi qu'elle dise, Nooma n'arriverait pas à se calmer aussi facilement « je sais que tu ne les aimes pas, tu n'as pas confiance en ce peuple, mais ...», elle fit une nouvelle fois interrompue. Nooma lança une autre attaque, mais que cette fois, la sentinelle put empêcher en tournant sur elle-même. Elle avait toujours été douée dans les esquives, mais Nooma était une combattante redoutable, élever dans un clan féroce. « C'est elle qui t'aveugle », elle s'élança de nouveau, mais rencontra le sable, « toi tu es aveuglé par ta méfiance et ta peur ». Une phrase qui sembla l'atteindre, car alors elle arrêta son bras, « pourquoi es-tu réellement en colère Nooma ? ». Lentement, la sentinelle se frotta l'estomac et attendit les raisons de ses états de fureur.

Les sentinelles étaient restées ainsi durant un long moment, l'une en face de l'autre, un bâton dans les paumes de leurs mains. Immobiles. Silencieuses. Les deux jeunes femmes s'étaient observées avec attention, elles avaient examiné leurs mines sérieuses, cherchant désespérément les traces de cette personne qu'elles connaissaient si bien. Puis Nooma était partie. Sans un mot, sans un regard en arrière. Elle avait laissé la Ka derrière elle, seule. Une Kina qui se sentait dépassée par la situation et qui se questionnait sur la raison d'un tel comportement. Elle la connaissait depuis leur plus tendre enfance, elle aurait pu anticiper le moindre de ses besoins, décrypter ses émotions d'un seul regard. Elle n'était pas de son sang, mais elle était comme une sœur. Pourtant, à cet instant précis, l'insulaire n'arrivait pas à comprendre cette réaction.

Face à sa cible transpercée de flèches, Kina repensait à cette altercation, à la colère de Nooma. Cela faisait des jours qu'elle ne l'avait pas recroisée, des jours qu'elle attendait un signe de sa part, mais elle n'était confronté qu'à son absence. Elle avait pu se confier auprès de ses proches, mais elle n'avait été confrontée qu'à des haussements d'épaules ou à des silences. Personne ne voulait prendre part à cette histoire. Cela avait toujours été ainsi. « Je crois qu'il est mort », Kina n'avait pas sursauté, elle s'était seulement contenté d'émettre un grognement rauque. Son oncle donna un coup de pied contre l'objet inanimé et se mit à sourire « prête ? ». Et sans attendre le moindre signe de sa part, il lança en l'air une pomme. Dans la seconde d'après, alors que l'archère venait à peine de décocher une nouvelle flèche, le fruit se retrouva au sol, transpercé. « Je n'étais pas prête », son visage était plus lumineux. Kina était victorieuse.

« Laisse-lui le temps », il ne l'avait même pas regardé, il s'était juste contenté de croquer dans cette pomme trouée « je pars ce soir ». Son oncle laissa un hum glisser entre ses dents, comprenant lentement dans quelle situation Kina se retrouvait. Elle détestait l'idée de partir sans avoir cette discussion et s'il le fallait, elle décalerait son voyage. « Elle est en colère parce qu'elle ne veut pas que tu partes », il haussa les épaules et lança en l'air cette pomme à demi mangée. D'un geste rapide, sans même prendre le temps d'avaler sa bouchée, il décocha sa flèche. Et tout comme sa nièce, il arriva à toucher sa cible. « Elle ne t'a jamais caché ses sentiments. Elle n'apprécie pas les hommes fer, elle n'a pas confiance en eux et toi, tu décides de partir une nouvelle fois les retrouver », Nooma avait été la première à s'élever contre l'accord conclut entre les Autres et les tributs de cette île. Pourtant, elle avait plié devant l'injonction du grand conseil, acceptant leur décision, mais sans véritablement abandonner ses craintes et son envie de protéger les siens.