FB - Death is upon us (Helman)

Le froid du Nord morda rapidement sa chair, tandis qu’à l’horizon se dessinait déjà l’imposante bâtisse des Stark. Winterfell dans toute sa splendeur leur faisait face à eux, venant du Sud et dont le voyage n’avait que trop duré au goût du seigneur. Andar aurait préféré se rendre ici dans d’autres circonstances. Presque funeste, son visage ne montrait aucune joie, mais il tenait à ne pas faillir, tâchant d’être optimiste, encourageant pour ses hommes dont le moral dépendait du sien. Ils furent accueillis, profitant d’un repas chaud et d’un confort assez limité au vu de l’affluence d’autres combattants. Tout Westeros convergeait en ces murs, presque à en donner le tournis à l’aîné des Royce. Il maudissait le climat rude de ces terres, et évidemment ce qui les attendait d’ici quelques heures. Les Marcheurs Blancs menaçaient le royaume des Hommes, la vie tout entière même. Winterfell était le dernier rempart pour éviter le pire. L’échec n’était pas permis, quitte à y perdre la vie.

Ce n’était pas la première bataille du valois, loin de là même. Mais la première où il allait combattre des créatures oscillant entre la vie et la mort, dénuées d’honneur. Leur existence, longtemps songée comme mythique, ne faisait que renforcer sa peur. Un conte pour enfants devenu réalité, quelle ironie. Les visages de tous étaient fermés, certains plus que d’autres, notamment chez les plus jeunes qui n’avaient pas encore connu de guerres. Andar les jugea rapidement et fut navré, ces soldats n’étaient que des enfants à peine sortis du ventre de leur mère. Beaucoup ne reviendrait pas. Des mères, des veuves, tant de vies brisées. Des dégâts collatéraux qu’Andar ne connaissait que trop bien pour en avoir été le triste spectateur. A cette pensée, son cœur se serrait et la panique manqua de l’étreindre, le forçant à cesser son admiration du feu et à s’en éloigner, le laissant en compagnie de son frère cadet. Il ressentait le besoin de s’isoler un peu, de souffler loin du tumulte frénétique où les guerriers semblaient attendre la mort.

Ses pas le menaient jusqu’au Bois Sacré, seul lieu paisible, épargné par l’arrivée de tous ces intrus. Il ne saurait dire ce que cela lui inspirait, les Royce avaient longtemps prié les Anciens avant de s’en détourner pour les Sept. Malgré tout, il demeurait une certaine affection et une curiosité pour les Anciens. Une tradition précieuse qui n’avait pas totalement été balayée par les années. Délicatement, il s’agenouillait au pied de l’arbre dont il toucha le bois, ses doigts rougis par le froid, il les retira bien vite en entendant des bruits de pas derrière lui. Il se tourna vers l’arrivant, un homme à la carrure imposante, au vu de sa tenue, ce dernier était natif du Nord. Il l’avisa d’un signe de tête respectueux. “Il ne nous reste qu’à prier.” Souffla-t-il d’un ton inquiet, presque désabusé, songeant à l’impensable demain, à cette bataille future qui changerait à jamais leur vie.

 Les armées du Sud arrivaient depuis quelques jours comme un flot incessant. Des blasons de toutes les couleurs, toutes les bêtes, tous les symboles étaient représentés. Un serpent d’hommes, de chevaux et d’armures qui remontent la route royale vers Winterfell. La forteresse attendait encore du monde et les troupes Reed étaient stationnées depuis quelques jours déjà. L’attente avait un goût particulier, chaque batailles qu’Helman avait faites lui avait donné un sentiment étrange avant, ce moment de flottement lorsque les hommes se regardaient de loin, lorsque les tentes ennemis étaient plantées d’un bout à l’autre d’une plaine. Cette fois-ci ce sentiment était pire, bien pire.

Les hommes étaient moroses, il n’y avait pas de cœur à l’ouvrage, il n’y avait pas besoin d’encouragement pour entraîner les soldats. Chaque hommes, chaque femmes savait qu’il y avait cette fois une question de devoir. Même le plus idiot des combattants n’avait pas besoin de cris de guerres, d’hurlement, de parades. C’était la mort l’ennemie. Helman partageait ses soirées avec les paludiers, ils buvaient tranquillement le soir en voyant défiler le flot incessant de nouveaux arrivants, de seigneurs du sud qui se donnaient une bonne allure sur les grands chevaux et avec leurs armures ouvragées, leurs capes de toutes les couleurs. C’était la fin des temps et eux, ils continuaient de parader. Helman finissait d’entraîner à l’arc Jojen puis rappelait dans un exercice les ordres des archers, il rappelait les places. Tout le monde était tendu mais différemment, l’ambiance était unique. Beaucoup étaient certains qu’ils ne reviendraient pas, peut-être même que le genre humain ne reviendrait pas. Peut-être qu’ils n’étaient que la première bataille d’une longue guerre pour la vie. Peut-être que l’hiver ne tomberait pas dans cette forteresse malgré tout, peut-être que les marcheurs blancs iraient jusqu’à Lys ou Braavos. Peut-être que c’est à Lancehélion que tout finirait, que le Nord finirais oublié, vidé de toutes vies, sans mémoire pour dire qui avait vécu sur ses terres, qui étaient les dieux de ce peuple, quelles étaient ses coutumes et ses traditions.

C’était la pensée d’une mort commune, globale qui était installée dans les esprits. Il faudrait tenir coûte que coûte. Helman ne préférait pas trop y penser, il ferait son devoir. C’est tout. Il irait jusqu’au bout.

Sa grande cape verte rongée par la moisissure des marais qui claquait contre l’air frais, Helman marchait dans Winterfell en se mordant l’intérieur de la bouche, le barbe hirsute, il avait ordonné à ses hommes du repos jusqu’à la bataille. Les plaques de son armure s'entrechoquaient ;  il faisait attention à l’enfiler chaque jour depuis son arrivée chez les Stark. Sa broche de lion-lézard frappait les plaques de fer en rythme. Helman avançait, passait devant le bois sacré. Ah ! Dans la fine couche de neige, une seule trace traversait le blanc immaculé pour s’enfoncer dans la boue sombre. Il marquait une pause quelques instants, se grattant la barbe il hésitait un moment. Son frère et son neveu étaient habitués à de long recueillement devant les barrals. Les prières d’Helman étaient plus brève, il n’aimait pas être surpris dans un bois sacré.

Helman finit par suivre la piste qui remontait jusqu’à un homme. L’homme, visiblement du sud, retira brusquement sa main du barral, comme surpris dans un interdit. C’était un seigneur, sûrement un riche seigneur au vu de son accoutrement. Certainement l’une des grandes familles du sud. L’homme très brun lui faisait un signe de tête. “Il ne nous reste qu’à prier.” Oui, c’est ce que beaucoup faisaient ici, on n’avait jamais vu autant de piété qu’à l’heure de la bataille finale, puisse les Dieux être avec nous ! Même ceux des autres. Helman se rapprochait tranquillement pour s’asseoir sur l’une des grosses pierres à côté du barral. “Il ne nous reste rien en vrai. C’est pour ça que tout le monde se met à prier, mais ce n’est pas grave, on fait notre devoir. Alors que ça finisse ici ou non, ça ne change rien, c’est une mort qui a du sens, c’est une vraie destinée, ça. Il y a des gens qui crèvent comme des bêtes, nous ce sera pour la plus belle cause qu’on ait jamais vu. On va mourir pour la vie. Drôle d’idée, hein ? Vous êtes venu du Sud pour la vie. Moi je pense que je vais y passer, je serais prêt à le parier… Mon frère et son fils survivront mais moi je vais crever ici.”

Helman reniflait bruyamment avant de cracher un graillon épais sur le sol enneigé. Il se mouchait dans sa manche puis marquait enfin une pause pour regarder le visage sculpté du barral. Oui, il crèverait contre les marcheurs blancs, après tout, sa vie devait bien avoir un sens ? Il n’avait ni titres, ni rôle, ni utilité, alors autant rester à la postérité comme le prix que les Reed auront versé lors de cette terrible guerre à venir.
Il portait son attention sur le seigneur, d’où est-ce qu’il pouvait venir ? Il avait des éperons, un cavalier. Peut-être le Val ?

Ce n'était pas sa première bataille et ne sera pas la dernière. Andar ne connaissait que trop bien l'incertitude qui habitait les hommes la veille d'un conflit. Les visages inquiets, nerveux, soucieux, les regards effrayés de ceux qui songeaient ne pas revenir en vie. Le seigneur de Roches-aux-Runes l'ignorait, il avait le coeur lourd, se serrant à l'idée de ne plus pouvoir serrer sa femme et ses enfants contre lui une dernière fois. Qu'allait devenir sa famille s'il ne revenait pas ? Si Robar aussi ? Le doute était permis, et face à l'arbre imposant du Bois Sacré, il semblait encore plus pressant. Des années plus tôt, les Royce priaient les Anciens, tout comme les Stark. Mais avec le temps, ils s'étaient tournés vers les Sept. Pour se plier aux croyances répandues, certainement. A dire vrai, le concerné s'en moquait bien. Il n'était pas des plus assidus et se tournait vers eux seulement lorsqu'il n'avait pas le choix, comme ce soir. A la veille de sa mort, il ressentait le besoin de prier. Stupide ou pas, cela l'apaisait un peu, le temps de quelques minutes du moins. A défaut de l'alcool, il préférait se réfugier auprès des dieux.

Sa main toucha le bois de cet arbre avant de se raviser lorsqu'il fut rejoint par un inconnu. Sûrement un Nordien. Au vu de sa grande cape pleine de moisissure. Il ne pouvait néanmoins dire la famille à laquelle il appartenait, le Nord restait encore très mystérieux pour un sudiste tel que lui. Le climat était bien trop inhospitalier, et pourtant le Val n'avait pas des températures clémentes, mais loin de ce froid si mordant. Epuisé par ce si long voyage, il allait devoir se battre d'ici quelques heures. Une bataille décisive qui scellerait l'avenir du Royaume. La vie allait-elle l'emporter sur l'ombre de la Mort ? Ces Marcheurs Blancs allaient déferler sur tout Westeros s'ils échouaient. Ennemis d'hier devenaient alliés d'un jour. Des circonstances graves qui rendaient n'importe qui pessimiste. Ses opales sombres se posaient sur l'homme à l'épaisse barbe. Ses mots était implacables. Sur un point, il avait raison, s'ils mourraient, ce serait pour une cause qui les dépassait. Ce serait un sacrifice nécessaire, il espérait néanmoins ne pas sombrer ici, si loin de chez lui. Il paraissait quasiment sûr d'y laisser sa vie. "Qu'est-ce-qui vous fait dire que vous allez périr ?" Un sourcil s'arquait, sa curiosité piquée à vif. Andar n'était guère plus optimiste, mais il se battrait pour que Robar n'ait pas à rentrer seul. "Nul ne sait ce que nous allons affronter demain, alors autant se battre jusqu'au bout." Tous ceux qui pensaient trépasser échappaient parfois de funeste destin. "Je préférais mourir si cela permettait à mon frère de rentrer sain et sauf." Voilà qu'il se confiait à un parfait inconnu sur ses états d'âmes, mais en ces temps si incertains, l'étiquette n'importait plus. Une vérité. Lui était âgé et fatigué parfois, si Robar survivait, la Maison ne serait pas perdu, il aiderait Alys à gérer le fief tout en attendant la majorité de son fils aîné. Andar refusait de perdre son cadet. Non, il voulait être confiant. Débuter une bataille avec un mental d'acier était salvateur parfois. Et voilà qu'il en oubliait même les bonnes manières. "Andar Royce. Et vous êtes ?"