Avant la tempête (ft. Celia)

The Shadow Lady

Célia Van n’était pas l’aînée de sa fratrie ni même la benjamine. Elle n’avait pu être celle qu’on marie à un héritier ou bien que l’on place au service d’une princesse ou d’une reine. Si autrefois, elle aurait pu être jalouse, aussi jalouse qu’elle l’avait été de Mariya, sa défunte sœur, première de la fratrie, aujourd’hui, il n’en était plus rien. Elle s’était faite à son image de dame de l’ombre. Veuve depuis plus de quinze ans maintenant, Célia était bien sûr revenue à Bois-de-Saule. De toute façon, son fils ne pourrait hériter. Encore quelque chose qu’elle avait longtemps espéré, voyant son beau-frère peiner à faire des enfants. Finalement, le destin s’est de nouveau joué d’elle. Elle ne serait que Célia Van, veuve du frère d’un seigneur, fille de seigneur, sœur de futur seigneur et un jour tante de seigneur. Aussi ambitieuse que sa mère, elle finissait malgré tout par se faire à l’idée. Cela ne l’empêchait pas de profiter de la vie, de suivre les traces de sa mère, de montrer le chemin à ses filles et son fils, de travailler d’arrache-pied pour que le nom des Ryger perdure et prospère. Au fil des années, Célia était devenue une femme parfaite pour tout ce qui avait un rapport de près ou de loin avec la mondanité. Elle présentait bien, soignait toujours son apparence de ses chaussures jusqu’à sa coiffure, mettant en valeur sa blondeur qu’elle tenait de sa mère. Les banquets, les mariages, les tournois, elle était présente dès que l’occasion se présentait, toujours dans l’ombre de Melantha Ryger. Elle était comme une extension de la matriarche mais tout le monde s’accordait à dire que la fille du Vieux Saule était bien plus accessible que sa mère. Célia le savait et ne pouvait qu’en jouer, se créant des relations amicales par-delà les régions voisines ou plus lointaines. Chaque événement était l’occasion pour elle de surgir de l’ombre pour briller, le temps de quelques instants, dans la lumière.

Le convoi Ryger était parti assez tôt ce jour-là. La route de Bois-de-Saule jusqu’à Corneilla se faisait en moins d’une semaine mais comme ils étaient nombreux, l’événement l’obligeait, il mettrait bien une semaine à parcourir la distance entre les deux fiefs. En aucun cas la famille ne pouvait louper le mariage d’un des fils du Suzerain, quand bien même la mariée était une nordienne. Melantha elle-même n’avait pas fait de commentaire sur ce fait, la jeune Sansa étant la fille de Catelyn Stark, née Tully. Toute la famille savait les penchants de la matriarche pour la famille quasi-éteinte qui autrefois dirigeait leur belle région. Pour Célia, qui ne partageait pas toutes les pensées et la vision des choses de sa mère, c’était une nouvelle occasion de se créer des liens. Elle avait une approche bien différente de sa mère et cela lui avait valu bien des avantages par le passé. À Bois-de-Saule, si Perwyn est le seigneur, Melantha gère également quelques affaires dont les mariages et alliances avec les autres familles. Si Célia n’avait pas été là, peut-être que l’alliance Ryger-Pryor ou bien Ryger-Florent se serait déroulé autrement. Melantha reconnaissait bien là l’utilité de sa fille adorée. Après un voyage fatigant – Melantha et Célia avaient en horreur les voyages mais elles devaient bien s’en accommoder, elles qui détestaient également rester enfermer à Bois-de-Saule sans rien avoir à faire – le convoi arriva à Corneilla quelques jours avant le jour du mariage. Melantha, comme à son habitude, ne faisait que commenter chaque faits et gestes, chaque mouvement de servantes, chaque recoin du château. Tout. Célia, elle, s’imaginait déjà le soir du banquet, parmi la foule de convives, discutant de choses et d’autres, retrouvant d’anciennes connaissances, découvrant de nouvelles têtes. Un mariage dans des familles suzeraines amenait toujours son lot de nouvelles têtes.

- Célia, je compte sur toi. Il serait bien que Kirth se trouve une épouse rapidement…

Célia retint un soupir. Si le fils de Richard n’était toujours pas marié, c’était bien parce que Melantha était exigeante, non pas que Kirth était de mauvaise volonté. Elle voulait le meilleur pour son petit-fils adoré qui était second dans l’ordre de succession des Ryger et donc, amené à devenir un jour le seigneur de Bois-de-Saule. Depuis quelques années maintenant, Melantha s’occupait de marier la nouvelle génération de Ryger, aussi nombreuse soit-elle. Sarya et Morya, nièce et fille de Célia, avaient toutes deux été rapidement mariées. Si Alyn et Tyta se destinaient à une carrière autre que celle que leur grand-mère avait souhaité pour eux, la matriarche pouvait se consoler avec tous ces autres petits-enfants. Il restait encore Kirth mais également Cleos, le fils de Célia, les enfants de Lanner et ceux de Hollis. De quoi faire le plein de nouvelles alliances. Célia se montrerait donc attentive à la moindre jeune fille de bonne famille susceptible de chercher, elle aussi, un bon parti. L’avantage étant que Kirth était un beau jeune homme, à l’image de ses ascendants, Richard et Perwyn. Laissant sa famille vaquer à leurs occupations, Célia se mélangea à la foule, chose qu’elle appréciait faire lors de ce genre de festivité. Le banquet n’était pas encore commencé et chacun, autour d’un verre de vin, faisait connaissance, se remémorait la cérémonie magnifique qui s’était déroulée quelques minutes plutôt. Elle arriva alors au niveau d’une jeune femme brune dont le visage ne lui disait absolument rien et pourtant quelque chose en elle était familier. Cela arrivait souvent. Quoiqu’il en soit, c’était là le premier visage qu’elle ne connaissait pas. Elle regardait au loin Melantha accompagnée de la jeune Liliyana et lui demanda alors si c’était sa fille. Célia fut amusée de cette question et tandis que la jeune femme excusait sa curiosité, elle lui répondit dans un même sourire.

- Du tout, très chère. Il s’agit de ma nièce, Liliyana aux côtés de ma mère. Il est vrai que notre blondeur a tendance à toutes nous relier dans la famille mais il s’avère que cette enfant la tient de son regretté père.

Célia finit sa gorgée, ayant une pensée pour Lanner, son frère mort durant la bataille des Cloches vingt ans plus tôt. Son souvenir restait toujours quelque part un peu douloureux. Célia disait toujours que Lanner était le plus gentil des Ryger et que s’il y avait bien quelqu’un qui ne méritait pas de mourir, c’était lui. Reportant son attention sur la jeune femme, il était sans doute temps de faire les présentations en bonne et due forme.

- Pardonnez mon ignorance mais, bien que votre visage semble m’être familier, il ne me semble pas que nous nous soyons déjà rencontrées, n’est-ce pas ? Je suis Célia Van, fille de Melantha Ryger.

Célia lui indiqua à nouveau la vieille dame qui se trouvait au loin. Elle voyait d’ici son regard « radar » analysant, observant, scrutant tout autour d’elle. Elle jugeait. Elle qui ne cachait pas sa non-sympathie pour les Nerbosc, quelque peu contrôlée par Perwyn lui-même, elle devait sûrement maugréer et trouver quelque chose à critiquer. De son côté, la fille du Saule ne trouvait rien à dire. L’accueil des Nerbosc avait été cordial et agréable, la cérémonie de mariage magnifique. Il était beau de voir la nouvelle génération grandir, s’unir, assurer un futur pour leur famille. C’est en cela que Célia se différenciait de sa mère. Elle savait faire preuve de tendresse mais qui sait si elle sera toujours le faire dans vingt ans, si elle atteint l’âge bien avancé de sa mère.

The Storm Lady

Les mariages, quelle belle occasion pour Célia, veuve, mère de trois enfants quasiment adultes, que de sortir de son train-train habituel à Bois-de-Saule. Elle aimait sa vie, elle aimait ce fief qui l’avait vu grandir mais sortir lui faisait tout aussi du bien. Elle se souvenait de tous les événements qui lui permettaient de sortir un peu de ce confort que lui prodiguait Bois-de-Saule, les rencontres qu’elle faisait lors des cérémonies, des banquets et même le temps du séjour lorsque la destination était lointaine. Alors que les convives s’engouffraient dans la salle de banquet qui allait débuter sous peu sans doute, Célia s’éloignait du cocon familial pour aller saluer quelques connaissances, faire le tour de la salle, prendre une bouffée d’air frais lorsqu’elle en aurait marre, observer, analyse, écouter, sourire. Elle était alors arrivée au niveau d’une jeune femme qu’elle semblait reconnaitre. Son visage lui disait vaguement quelque chose mais elle n’arrivait pas à remettre son identité. Voilà quelque chose qui l’étonnait. Pourtant, elle n’avait pas encore bu tant de verres de vin que cela. Elle cherchait encore et encore mais fut interpelée par sa question. Cela l’amusa qu’on lui prête Liliyana pour fille. Il faut dire que la ressemblance était de mise. La plupart des Ryger était effectivement blond, surtout les femmes, en dehors de Mariya qui était brune ainsi que Ryella. Elle rétablit ainsi la vérité sur son lien avec lady Melantha et surtout son lien avec Liliyana. Après quoi, elle joua la carte de la sincérité et de la maladresse, ne reconnaissant réellement pas la jeune dame qui, en entendant son prénom et son nom, semblait la connaître. Célia demeura alors interrogative et en apprenant qu’il s’agissait de Randa Rykker, la sœur du seigneur de Sombreval et par conséquent la belle-sœur de Leana, sa propre sœur, elle eut la même réaction que la jeune brune.

- Lady Randa ! Mais oui ! Que je suis sotte… Pardonnez-moi !

Mais ce n’était pas tout. Célia se sentit bête en ne reconnaissant pas sa belle-sœur par alliance. Il faut dire que le mariage de Leana remontait à quelques années maintenant. Le couple de Sombreval avait même deux enfants maintenant. C’est dire si les années filent à une vitesse. Elle s’amusa de la situation tandis que la jeune couronnienne précisait ne plus porter son nom de naissance, sans doute s’était-elle mariée depuis le mariage de son frère. C’est alors que Célia en fit presque tomber son verre en entendant Accalmie. Elle rosit immédiatement se rappelant les mots de ses sœurs. Leana lui avait appris la nouvelle ainsi que Ryella, épouse Trant, des vassaux des Baratheon. Elle venait de commettre sans aucun doute un impair devant la suzeraine de l’Orage. Elle se sentit deux fois plus bête et ne savait plus où se mettre.

- Lady Baratheon.

Célia effectua une révérence et relevant son regard vers la jeune femme lui présenta à nouveaux ses excuses, des excuses bien plus solennelles.

- Je suis doublement confuse… J’ose espérer ne pas vous avoir offensé. Je crois que le vin me tourne déjà la tête. Ne pas vous avoir reconnu. Mais quelle idiote.

Puis comme pour s’amuser de la situation et surtout se détendre elle-même, elle rajouta à demi-mot.

- Surtout, ne le répétez pas à ma mère. Elle me tuerait sur place et de vous à moi, une mort à un mariage, ça ne fait pas très festif.

Elle ne croyait pas si bien dire. Célia demeurait là, devant lady Randa Baratheon, espérant que celle-ci ne lui en tienne pas rigueur. Tout un tas de mots lui vint à l’esprit, se fustigeant pour cette méprise de ne pas l’avoir reconnu. Sa mère était encore occupée avec Liliyana et d’autres nobles. Elle n’avait sans doute pas vu la scène et c’était tant mieux. Melantha avait en horreur de passer pour une idiote et surtout que ses enfants et petits-enfants passaient pour des idiots. Ils représentaient le nom des Ryger et c’est en ce nom qu’ils passaient pour des idiots. Voilà une occasion pour Célia de se faire toute petite. En tout cas, cela ne l’empêcha pas de reprendre un verre de vin, le sien s’étant rapidement vidé après ce petit épisode malencontreux.

The Lord Crow – Part 1

Ainsi, le mariage du jeune Hoster Nerbosc et de la douce Sansa Stark avait permis à Célia de faire à nouveau la rencontre de la belle-sœur de Leana. Maintenant que les visages retrouvaient un nom, la Conflanaise repensa au mariage de sa sœur quelques années plus tôt. Effectivement, elle se souvenait petit à petit de cette charmante, à l’époque, lady Rykker. Tant de choses s’étaient passées depuis cette année-là. Randa était désormais l’épouse d’un suzerain et était ici en cette qualité. Cela intimidait quelque peu la quinquagénaire qui ne voulait pas faire de faux pas face à une telle figure importante de Westeros. Sa mère ne lui pardonnerait pas aussi facilement que la jeune femme. Un verre à la main, les deux comparses poursuivirent la discussion, teintée d’ironie et de souvenirs ressurgissant de leur mémoire. Ce jour était radieux et, comme venait de lui dire Randa, il ne faudrait pas leur porter malheur par quelques petites réflexions peu convenues. Le vin. Célia accusait entièrement le vin mais cela ne l’empêchait pas de reprendre un verre. Elle regarda alors le jeune couple de mariés qui se tenait au loin. Elle eut un sourire voyant en Sansa ses sœurs et en Hoster ses frères. Eux-mêmes étaient passés par là. Des mariages entre régions. Mais pas pour elle, ni pour Mariya ou pour Richard. Melantha avait ouvert ses horizons après le mariage de Célia avec Ronel. La Conflanaise eut alors une pensée émue – le vin encore ! – pour son défunt époux, mort vingt ans plus tôt. Par moment, il lui manquait. Bien qu’elle trouvait du réconfort dans les bras d’un autre homme depuis quelques années, Ronel Van lui manquait. Elle voyait beaucoup de son époux en son fils, Cleos. Il lui ressemblait de plus en plus. Elle jeta alors un regard en sa direction, le jeune garçon se trouvant aux côtés de ses cousins à la table où une multitude de Ryger se trouvait. Reportant son attention vers Randa, Célia rétorqua dans un sourire.

- Vous avez raison. Ils sont si jeunes et si innocents encore. Ils semblent déjà heureux, vous ne trouvez pas ?

Par son expérience, Célia était bien placée pour dire que tous les mariages étaient différents et tous n’étaient pas heureux. Les mariages d’amour étaient une denrée rare en ce monde. L’amour, quand il s’immisçait dans un mariage, n’était que du surplus. Ce n’était pas une donnée obligatoire pour faire un bon mariage, lady Melantha et lord Perwyn en étaient la preuve. Il n’était pas possible de dire qu’il y avait de l’amour entre eux, même au bout de cinquante ans. Il y avait de l’affection, sans doute, mais ses parents ne s’aimaient pas profondément. Richard, l’héritier, avait suivi ce modèle, d’autant que la Terrique qu’il épousa était loin d’être au niveau de leur mère. Voilà que le vin la rend juge désormais. Célia ferait mieux d’arrêter ce breuvage, ô combien délicieux. C’est alors que les conversations s’achevèrent, le brouhaha de la salle se tut, les convives convergèrent dans la même direction. Célia tourna alors se regard et vit lord Tytos Nerbosc s’avancer. L’heure n’était plus aux bavardages, aux rigolades et aux distractions. Le banquet allait bientôt débuter et le seigneur des lieux, également suzerain, souhaitait prendre la parole. À ce moment très précis, il était possible de lire sur les visages des gens, la joie, le bonheur d’être présents pour une telle union. Il fallait avouer que sur certains, la joie et le bonheur les avaient esquivés. C’était le cas de Melantha qui ne laissait jamais rien transparaître. Pas une émotion. Pas un sourire. Depuis longtemps, la dame de Bois-de-Saule était une ombre autoritaire qu’il valait mieux avoir dans la poche.

- Merci à tous de vous être joints à nous pour une telle célébration de paix mes amis. Hoster, Lady Sansa, puisse votre union être aussi heureuse que celle que j’ai pu connaître avec Lady Arwyn. Qu’elle vous apporte bonheur, tendresse, et beaucoup d’enfants ! Peut-être aurez-vous une bonne nouvelle à nous annoncer lorsque nous célébrerons à nouveau cette paix à Vivesaigues. Longue vie aux mariés.

Le discours de Tytos fit décrocher un sourire à Célia. Il faut dire qu’elle était moins butée que sa mère. Il était rapidement venu à l’esprit de la Conflanaise que sa mère appréciait peu les Nerbosc depuis la fin de la rébellion. Dame de compagnie d’une Tully et proche de l’ancienne famille suzeraine du Conflans, elle n’avait, semble-t-il, jamais supporté leur arrivée au pouvoir mais cela datait de bien avant la naissance même de Célia. Elle connut très peu ses grands-parents mais d’après les récits de Mariya ou de Richard qui les connurent un peu plus, ils n’étaient pas très commodes, qu’il s’agisse des Ryger comme des Lychester. C’était là une époque bien différente qui remontait aux années 240-250. Westeros avait profondément changé depuis. Alors que le discours du seigneur recevait acclamations et congratulations, Célia se tourna à nouveau vers Randa.

- Je ne sais pas vous mais j’ai toujours aimé les discours lors des mariages. Je ne saurai l’expliquer d’ailleurs.

Elle afficha un large sourire puis reprit sur tout autre chose voyant alors une jeune fille au visage marqué plus loin. Contrairement à Randa il y a quelques minutes, Célia reconnut aisément la jeune Shôren Baratheon. Elle ne l’avait jamais rencontré mais avait entendu des choses sur elle. Sa maladie se voyait encore sur son visage si doux, si fragile et il était rare de ne pas la reconnaître.

- Oh, lady Shôren est venue avec vous. Je note néanmoins que votre ép...

Célia fut interrompue dans sa phrase par de l’agitation à l’endroit même où lord Tytos venait de faire son discours. Que se passait-il pour que le bonheur fasse place à l’horreur sur le visage des convives ?