Before he left - ft. Melior

Ce n’était pas que Melior n’appréciait pas son état. Elle ne pouvait cependant pas nier qu’elle le trouvait quelque peu handicapant. Les nuits étaient de plus en plus courtes, alors que les lunes s’écoulaient, s’égrainaient. La Vouivre peinait de plus en plus à trouver le sommeil. Ou tout du moins, une position qui lui permettait de se reposer sans être gênée de trop. Et dire qu’à ses côtés, Aladore dormait du sommeil du juste. La Vouyvère aurait presque pu lui en vouloir, si elle n’avait pas l’expérience de d’autres grossesses derrière elle. A défaut de dormir, d’autres activités lui occupaient l’esprit. De part son rang, il y avait toujours un inventaire à étudier, un document à vérifier ou une décision à prendre. Dans ce dernier cas, Melior préférait cependant les remettre au lever du soleil. Ou plus tardivement dans la journée.


D’un autre côté, les récentes nouvelles auraient empêché bien des personnes de trouver le sommeil. Il en allait de même pour Melior. Enceinte ou non, ses pensées n’auraient pu que divaguer sur le sujet, se perdant en conjoncture. Le prince déchu était pleinement de retour. Et avec lui, de bien funestes conséquences. Si Mestre Abelar tentait de l’aider à trouver le sommeil, pour son bien autant que pour celui de son enfant à naître, il arrivait à Melior de ne point consommer ses décoctions. De temps à autre, elle trouvait dans le tumulte de ses pensées quelque chose de rassurant, d’apaisant. Du fait que, quelque part, il y avait une échappatoire. Une échappatoire qu’elle saurait découvrir, peut-être.


« Hélas, je ne dors que peu. Ou du moins, il peut se passer du temps avant que je ne retrouve le sommeil. Melior esquissa un fin sourire. En cela, je ne peux que me plaindre à votre enfant. Je crains qu’il ne commence à se sentir à l’étroit et qu’il me fasse souvent part de son mécontentement à ce sujet. »


Melior n’en était pas à sa première grossesse, loin de là. Si la première avait pu lui causer quelques sueurs froides, pour des raisons évidentes, celle qu’elle vivait actuellement avait une toute autre saveur. En mettant de côté la chape de plomb qui semblait être tombée sur les différentes Couronnes, la Vouivre devait avouer qu’elle voyait dans les différents événements qu’elle vivait une plus grande douceur. Sans doute avec davantage de philosophie également. Il était vrai que tout s’était passé pour le mieux, bien au-delà de ses espérances. Beaucoup de femmes n’avaient pas une telle chance, il est vrai.


« Le seul avantage que j’ai pu trouver à cette situation est le fait que j’ai achevé l’inventaire de nos premières récoltes. A la lueur d’une bougie, certes, mais la chose est désormais faite. Il me faudra la vérifier et demander son avis à notre bon Mestre sur certains sujets mais je suis confiante pour les lunes à venir. Les Sept soient loués pour avoir accordé tant de bienfaits au Bief. »


Les plantes tinctoriales les plus anciennes et désormais prêtes à l’emploi pourraient bientôt être écoulées comme il se devait auprès de leurs partenaires commerciaux habituels, afin d’être remplacées d’ici quelques lunes par des fleurs et des tiges fraîches. Melior avait grand hâte de revoir les champs entourant sa demeure de plantes et de fleurs colorées. Les environs de Darkdell étaient en cela bien différents du reste de leur région. Si les champs de céréales étaient nombreux, ils étaient souvent clairsemés, parfois séparés par des tâches tantôt rouges, tantôt bleues, tantôt d’un jaune différent. Si Bertram avait sans doute quelques souvenirs ténus d’un tel paysage, il n’en allait pas de même pour Rhea et Melessa. Leurs filles étaient encore trop jeunes, durant la dernière chanson clémente, pour cela. La Vouivre se réjouissant intérieurement de savoir que leur enfant à naître connaîtrait une telle chose depuis ses premiers jours de vie.


« Je gage que vous profiterez d’un bien joli paysage, lorsque vous me reviendriez de Villevieille. Je suis certaine que votre sœur appréciera les étoffes que nous allons lui offrir. Il aura fallu du temps pour que nos récoltes soient suffisantes pour nous permettre une telle chose, mais ce n’est pas tous les jours que nous marions une sœur. »


Melior appréciait ses belle-sœurs. Pour la majorité d’entre elles, la Vouivre les connaissaient depuis l’enfance. Ses quelques bizarreries étaient passées inaperçues, les filles Costayne s’étant rapidement habituées à ces dernières. Pour ce qui était des épouses de ses beaux-frères, les choses avaient été plus complexes, mais s’étaient apaisées au fil du temps. Il en fallait bien plus pour désarçonner une Vouivre. Son nouveau statut y avait aussi été pour beaucoup, sans aucun doute. Si certaines railleries avaient pour fond son rang d’épouse de troisième fils, elles en devenaient caduques une fois élevée au titre de Lord, si tout du moins elle avait été un homme. Quant à Helicent Costayne, jamais Melior n’avait trouvé quelque chose à redire à son comportement. Dans les faits, elle ne lui souhaitait qu’une chose, trouver son bonheur dans son union qui s’annonçait.

Se ménager. Melior avait essayé, loin s’en faut. Aladore n’était pas le premier à lui faire cette remarque. Mestre Abelar n’avait pas manqué de lui faire une telle recommandation. Sa mère s’était montrée cependant bien plus franche que lui, de part leurs liens de sang. Hélas, son rang l’empêchait de prendre ce repos qu’elle savait pourtant nécessaire. Lors de ses précédentes grossesses, elle avait fait quelques folies. Il ne s’agissait-là que d’orgueil, la preuve du sang de Vouivre qui coulait dans ses veines. Il n’y avait guère que les vouivres de pierres qui paraient leurs murailles qui savaient se tenir tranquilles. Celles de chairs et de sang devaient être fidèles à leur devise, toujours vigilantes, toujours prêtes à assurer la protection de ceux et celles qui la requerraient.


« Je ne le sais que trop bien, mon cher ami. Ce n’est guère la première fois que vous prononcez ces mots et je crains que d’ici votre départ vous ne les prononciez à nouveau. Un sourire pâle étira les lèvres de la Vouyvère. Hélas, le retour du printemps a accéléré bien des choses. Les récoltes se doivent d’être prévues, préparées pour que nous ayons tous et toutes de quoi nous nourrir. Les teintures doivent aussi être préparées, les plantes séchées. Si vous m’êtes d’un grand secours, de même que ma mère, Mestre Abelar ou mon oncle, il y a des choses qu’un Seigneur se doit de faire seul. Et ce, même si les Sept ont décidé de la gratifier d’une nouvelle vie sur laquelle veiller. »


Doucement, Melior posa sa main sur la joue de son époux, la caressant doucement. Alors, son sourire s’étira légèrement. Ils avaient déjà eu cette conversation maintes et maintes fois depuis qu’il avait été question de la célébration du mariage d’Helicent. Les Vouyvère ne pouvaient manquer un tel événement. La Dame de Darkdell n’aurait pas manqué de s’y rendre, si les circonstances avaient été différentes. Plus encore au vu des temps actuels. Il leur fallait montrer qu’ils étaient capables de s’entendre et de se réunir en conséquence. Qui plus est, Helicient était l’une de ses belle-sœurs. Elle aussi méritait d’être entourée de sa famille pour un jour aussi important que celui-ci.


« Aladore, mon amour… Le ton de Melior s’était teinté d’une profonde douceur. Ma réponse n’a pas changée depuis la dernière fois où vous m’avez posée cette question. Helicent serait fort attristée de ne pas vous voir à son mariage, vous le savez aussi bien que moi. Qui plus est, Mestre Abelar est confiant pour ce qui est de notre enfant. Rien ne laisse entendre que mon état, ou le sien, s’aggravera en votre absence, au contraire. Qui plus est, vous ne serez qu’à quelques jours de Darkdell. Vous serez vite de retour, je n’en doute pas. »


Jusqu’au moment de son départ, Aladore douterait. Melior avait parfaitement conscience de cela. La Vouivre en était touchée, c’était là un fait qu’elle ne pouvait nier et qu’elle ne cachait pas. Il lui fallait pourtant prendre une décision. Une décision qui le mènerait loin d’elle et de Darkdell pour quelques temps. Une décision pourtant nécessaire et pour laquelle son épouse se devait de plaider. Bien sûr, la Vouyvère craignait la solitude, là n’était pas la question. Rares avaient été les moments où les deux époux avaient été séparés sur de longues durées. Ce mariage était cependant d’une grande importance et leur maison se devait d’y être représentée.


« Si je vous promettais de me ménager dès à présent ? Ma mère y veillera pour vous, vous la connaissez aussi bien que moi. proposa finalement Melior. Cela vous conforterait-il dans votre décision de rejoindre les vôtres pour le mariage de votre sœur ? »


Bien des personnes avaient jugé leur couple mal assorti, pour bien des raisons. On disait son propre caractère bien trop fort, trop brusque, tenant davantage du chevalier que de la noble dame. On disait Aladore trop maladroit, trop doux. Ils s’équilibraient cependant parfaitement et c’était là toute leur force. Une force qu’il leur fallait séparer pour cette fois.

Aladore hésitait malgré ses mots. Melior ne pouvait que s’en rendre compte. Et pourtant, elle se devait d’insister. Encore et encore. Encore et toujours. Si sa propre absence serait aisément comprise et pardonnée, il n’en irait pas de même pour Aladore. Au-delà d’être à la fois un représentant des Vouyvère et des Costayne, il était également l’un des frères de la future mariée. Et la jeune Helicent serait sans doute quelque peu attristée de ne pas le voir à ses côtés pour un évènement aussi important. Si la Vouivre nourrissait quelques inquiétudes, bien qu’apaisées par le fait qu’elle avait déjà vécu une pareille épreuve plusieurs fois déjà, elle ne pouvait se montrer égoïste en retenant son époux à ses côtés.


« Je ne le sais que trop bien, mon cher époux. La voix de Melior était teintée d’une réelle douceur. Hélas, il y a des choses qui recommandent que nous soyons éloignés pour quelques temps. Vous serez cependant vite de retour, j’en ai la certitude. Un voyage jusqu’à Villevieille n’est en rien comparable à la distance qui nous sépare de Hautjardin, après tout. Vous n’aurez même pas le temps de vous rendre compte de mon absence. »


En cela, le tumulte de la fête ne pourrait qu’aider. La Vouivre de Darkdell ne doutait pas que Costayne et Hightower avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir à ce sujet. Malgré les temps troubles qu’ils vivaient, cette union se devait d’être célébrée. Melior ne saurait dire si cela suffirait à Aladore pour calmer ses propres pensées. Ou même pour apaiser les siennes. Si ses responsabilités à Darkdell ne pourraient qu’occuper son esprit, de même que leurs filles ou leur enfant à venir, l’absence de son époux ne manquerait pas de se rappeler à elle dès que son âme se risquerait à vagabonder.


« Et je vous aime en retour. Depuis bien avant notre mariage, sans doute. Le sourire de la Vouyvère se fit plus amusé. Mais il s’agit-là d’un de nos secrets, vous en conviendrez. N’oubliez pas de m’écrire, lorsque vous serez parvenu à destination. Cela vous apaisera et m’apaisera par la même occasion. Melior se tut quelques instants. Qui plus est, je doute que vous puissiez vous débarrasser de moi aussi facilement. Il y aura d’autres mariages, d’autres bals, d’autres fêtes. Pour ce mariage, voyez cela comme partie remise. »


Voyons cela comme partie remise, se retint d’ajouter Melior. Le Bief était une terre de fastes à bien des égards. Jardins, terres, champs, vergers, demeures, vêtements et parures, cet état de fait se retrouvait en chaque chose qu’ils pouvaient façonner de leurs mains. Les troubles ne dureraient pas. Ils ne pouvaient durer de trop, que cela soit par la volonté des Sept ou des Hommes. Alors qu’Aladore lui signifiait qu’il partirait bel et bien, la Vouivre se contenta de hocher la tête. Son époux avait pris la bonne décision. Quant à elle, malgré sa promesse, elle aurait fort à faire durant son absence. Ni Dame sa mère, ni Mestre Abelar ne pouvaient la seconder en toutes choses. Cela lui permettrait de patienter. Et ce, tout en faisant en sorte de respecter sa promesse. Sa mère y veillerait personnellement, la Vouivre ne se faisait que peu d’illusions à ce sujet.


« Vous avez toute ma confiance, Aladore. assura à nouveau Melior. Je sais que vous saurez faire preuve de prudence, que cela soit durant votre voyage ou à Villevieille. Vous n’êtes pas qu’un Costayne. A votre manière, vous êtes également un Vouyvère. Puis-je vous demander de transmettre mes vœux à votre sœur, en cette qualité ? De représenter, en plus des vôtres, ce foyer que nous avons crée ? »


Aladore avait longtemps été l’émissaire des Costayne. Dans les faits, il l’était encore, à bien des égards. Les liens du sang pouvaient être distendus, ils ne pouvaient être brisés pour autant. Et pourtant, pour cet évènement si particulier, Melior avait besoin que son époux soit également une vouivre, ne pouvant l’être par elle-même. Son oncle était déjà dans les alentours de la ville, afin de s’assurer que leurs troupes seraient prêtes en cas de troubles. Aussi était-il grandement occupé et que sa nièce ne pouvait prétendre sa présence sûre, bien que le Vouyvère ferait de son mieux à ce sujet.