Ressac | Solo

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Ressac


An 303, lune 9, semaine 1



Solo

La côte découpée de Lamarck accueillait la mer et le ciel, tous les deux d’un bleu céruléen, formant ensemble l’union d’une beauté éternelle. Les vagues, dans une valse incessante, embrassaient les rochers, amoureuses et riantes tandis qu’elles épousaient parfaitement chacune des courbes sèches des falaises. Le soleil, déjà haut dans le ciel matinal, laissait pleuvoir sur la surface plane l’averse de ses rayons, habillant la mer de parures d’or et d’argent.
Un vent né au large charriait avec lui les senteurs des embruns. Un parfum que Vaelle avait appris à associer à la peau et aux cheveux de son mari. Un parfum qu’elle adorait par-dessus tout.

En contrebas des marches de pierres, Aurane l’observait, ses yeux verts amusés par la démarche clopinante de son amie.

« Oui, oui, je sais, » le coupa-t-elle avant qu’il ne commence. « Quelle idée j’ai eue de m’habiller comme ça. C’est que, je n’avais rien d’autre à me mettre ! »

Un mensonge éhonté. Des robes et des toilettes, elle en avait des dizaines et des dizaines. Plus que la plupart des nobles dames de Westeros. Elle les accumulait avec la même ferveur que son grand-père accumulait les bibelots et les trésors ramenés d’expéditions. Au détail près que Valle ne le conservait pas jalousement dans une pièce dédiée, bien à l’abri des regards. Au contraire, elle les étalait avec coquetterie en soulignant que telle pièce de dentelle venait de Myr, que telle fourrure venait du Nord, la plupart du temps sans que personne ne lui demande rien. Elle pouvait paraître vaine, superficielle, même, mais cela ne la troublait pas plus que cela. Du moins, c’est ce qu’elle se plaisait à penser. Car en réalité, elle avait tant à coeur de plaire et d’être aimée qu’elle croyait - à tort - que le luxe de ses parures attirerait l’admiration et, peut-être, la sympathie.

Une douleur derrière le talon la fit grimacer. Elle claudiqua sans élégance jusqu’au début des escaliers, engoncée dans sa robe de grossesse, son gros ventre l’empêchant de se baisser pour réajuster sa chaussure.

« Tu vas te faire mal, » soupira Aurane qui était apparu en haut des marches avec la discrétion d’un fantôme.

La valyrienne sursauta, main droite sur le coeur.

« Oh, arrête d’apparaître comme ça sans un bruit ! Un jour je t’assure, tu me tueras ! »

Le sourire du bâtard de Lamarck dévoila ses dents blanches.

« Allez, cesse de geindre et prends mon bras, je vais t’aider. »

Il lui présenta son coude pour qu’elle y glisse le sien. L’espace d’un instant, en pur élan puérile, elle fut tentée de lever le nez, toute pleine de fierté et de descendre les marches seules. Puis, elle se rappela qu’elle était très enceinte et qu’elle avait aussi très mal aux pieds.

« Je crois que j’ai une ampoule… » soupira-t-elle, boudeuse en acceptant son invitation.

« Tu ferais mieux d’enlever tes chaussures, alors, » lui conseilla-t-il.

« Et avoir du sable entre les orteils ? » s’alarma-t-elle. « Ou pire, sur mon ampoule ! »

La seule idée d’imaginer sa cloque couverte de grains lui fit remonter un frisson jusque dans la nuque, hérissant au passage ses cheveux argentés.

« Bon, très bien, » lâcha Aurane en rendant les armes. « Allons nous asseoir au kiosque. »

Il y avait longtemps qu’ils ne s’étaient pas installés tous les deux sur les bancs de pierre surplombant la mer. Vaelle se souvenait avec une mélancolie toute particulière de leur discussion, ici-même, la veille de son mariage. C’était il y avait si longtemps. Si longtemps qu’elle croyait que c’était arrivé à une autre Vaelle. À l’époque, elle était encore une Celtigar. Son grand-père était encore en vie. Monterys n’était pas né. C’était il y avait une éternité.

Enfin installée, elle s’autorisa à retirer ses chaussures en satin à petits talons en les chassant à coup d’orteils. Elle soupira de douleur à cause du frottement, puis d’aise.

« Regarde, » gloussa-t-elle. « J’ai les doigts de pieds tout gonflés. »

Elle tendit les jambes pour apercevoir ses orteils par-delà l’obstacle considérable que représentait son ventre.

« On dirait une vieille éponge toute gorgée d’eau, » se moqua-t-il.

« Hé ! »

Elle lui asséna une petite tape sur l’épaule et il fit mine d’avoir mal.

Leurs rires s’étiolèrent, avalés par le ressac. Perdus au milieu des froufrous de sa robe, la née-Celtigar tordait ses doigts bagués.

« Aurane… » commença-t-elle. « Tu penses qu’il va y avoir une nouvelle guerre ? Contre Viserys ? »

Il resta silencieux quelques secondes.

« Oui. »

Cette fois, malgré le chant des vagues, l’affirmation resta suspendue dans l’air comme un couperet. La jeune femme baissa le nez sur son ventre. Bien sûr, elle le savait. Elle en était même intimement persuadée. Mais quelque part, au fond d’elle, elle avait espéré qu’Aurane lui dirait non. Parce que cela signifiait que Monford allait partir. Encore. Un sanglot lui serra la poitrine.

« J’irai, cette fois. »

Les larmes furent balayées par les mots du jeune homme. Vaelle resta sciée, les yeux toujours baissée, ses épaules s’étant affaissées d’un coup, comme abattue par une énorme roche qui lui serrait tombée sur le dos.

« Q-Quoi ? » bredouilla-t-elle en levant de grands yeux mouillés vers lui.

Il posa sur elle ce même regard plein de réserve et de secrets qu’il avait toujours lorsqu’il resterait muet. Et dans ce regard, la détermination farouche d’un homme décidé à faire ses preuves et à se tailler la part du lion dans la peau de l’existence. Et dans celui de Vaelle, la peur sourde de tout perdre.



DRACARYS