It's just a memory ☾ Maddy [Rp Solo + FlashB]

Plus le navire s’éloignait de Roches-aux-Runes, plus le château devenait un point fixe dans un horizon lointain, perdu dans une immensité verdâtre. Au-dessus de lui, l’aube se dessinait lentement dans le ciel nuageux du Val, projetant ainsi une couleur rougeâtre, contrastant avec celle de la mer et celle de la terre. Les yeux fatigués et les pensées encore brumeuses par une insomnie, il lui était devenu impossible de détacher son regard de ces chaînes de falaise qui se dressaient fièrement face à l’océan. Tout son être était comme happé par ce paysage. Appuyant tout son corps sur le rebord du bateau, l’insulaire se nourrissait par tout ce qu’elle voyait. Même au loin, elle contemplait les rayons du soleil qui filtraient à travers les nuages, réchauffant doucement les maisons du Val. Maddy était prise tout entière dans cette contemplation muette, si bien que la fille du Stone n’avait pas remarqué la présence de son voisin. Celle du capitaine qui était arrivé quelques minutes après elle. Il s'était posté silencieusement à ses côtés, pour observer à son tour, sa terre natale.

Le navire tanguait au rythme de la mer, doucement, il berçait les voyageurs dans ce va-et-vient répétitif. Au milieu de l’océan, tout semblait si calme, un endroit préservé du monde des hommes et de leurs drames. Ici, l’insulaire pouvait oublier les raisons de ses insomnies. Elle avait juste à profiter de cette chaleur qui réchauffait sa peau, à cette odeur de iode qui lui piquait les narines. Ses sens étaient captivés par son environnement, par cette bouffée d’air qui lui était nécessaire. Parfois, la mer la surprenait, secouant un peu plus fort son moyen de transport, faisant craquer ses boiseries. Alors, tous pouvaient entendre les cliquetis outragées de ses poulies qui se cognaient contre les cordages et la vaisselle oubliée se briser sur le sol de la cabine.

Ses doigts caressaient doucement le bois de la rambarde, machinalement, elle continuait, encore et encore, oubliant presque sa texture rugueuse. Maddy essayait de se concentrer sur l’eau, évitant de penser aux personnes qu’elle laissait derrière elle. Si elle devait être honnête avec elle-même, l’insulaire n’était pas en paix avec sa décision. La rouquine était partie sans véritablement dire au revoir. Bien sûr, elle allait revenir après l’enterrement, mais sa douleur en bas du ventre signifiait sans doute son malaise.

En quittant Roche-aux-Runes, Maddy rêvait d’un repas gargantuesque, noyer son désarroi dans la nourriture, mais à présent qu’elle était sur le navire, elle avait seulement envie de vomir. La douleur qu’elle ressentait devenait de plus en plus aigue, plus profonde. Son ventre se contractait sans qu’elle sache réellement pourquoi. Plus le temps filait, plus elle eut l’impression qu’il ne s’agissait pas de sa culpabilité, ni d’une simple crise d’angoisse. Il y avait autre chose. Mais optimiste comme elle l’était, Maddy ne paniquait pas, elle se contentait de respirer. En arrivant sur l'île, elle allait rencontrer les sorcières dans leur grange grinçante et tout irait pour le mieux. Cette idée la réconfortait.

L’insulaire s’était assise, prenant ses jambes entre ses bras, se concentrant sur sa respiration ou fixant son attention sur le vent qui s’engouffrait dans les voiles blanches du navire. De temps en temps, son père venait à sa rencontre, lui offrant de l’eau fraîche ou lui tapotant sur la tête en signe de réconfort. Sam Stone essayait d’adopter un comportement rassurant, mais tout ce qu’il arrivait à faire, c’était de l’irriter. Qui apaisait une personne de cette manière pensa-t-elle.

Fermant les yeux, elle leva sa tête vers le soleil, se laissant bercer par les remous de l’océan et les douleurs dans le bas-ventre et du dos. Maddy se laissait glisser hors du temps, jusqu’à ce qu’elle sente une main sur son bras.

- On est arrivé, annonça le capitaine avec sa voix suave.

Au loin, elle pouvait apercevoir les côtes caillouteuses se dresser à l’horizon, se dessinant dans les lambeaux de brumes comme des apparitions funestes et menaçantes. Il n’y avait pas de doute, Maddy était bel et bien chez elle, sur cette île qui avait influencé et façonné son destin.

Allongée au milieu de la grange, Maddy se concentrait, épuisée, sur le visage de la sorcière qui lui souriait. Tout allait si lentement autour d’elle, ses mouvements qui semblaient vouloir dire quelques choses, les déplacements des autres femmes, le feu qui crépitait dans un coin de la pièce… Comme si tout ce qui l’entourait n’était pas réellement là. Clignant les yeux plusieurs fois pour s’acclimater à la pénombre, elle voulut se relever, mais la douleur qu’elle ressentait la clouait sur le sol. Elle abandonna alors l’idée de réessayer. En réalité, elle n’eut pas le choix de rester dans cette position inconfortable, car son corps refusait de lui obéir. Et au milieu de tous ses chuchotements et de son besoin de prendre l’air, l’insulaire entendit la pluie qui se cognait contre le bois noircit de cet abri. Il pleut, depuis combien de temps il pleut ? C’était tout ce qu’elle arrivait à articuler. Après tout ce qui venait de se passer, elle ne pensait qu’à cette pluie qui dégringolait du ciel.

Petit à petit, Maddy essayait de reconstituer les dernières heures de sa journée. Elle était descendue du navire au côté de son père, tout deux avaient assistés à l’enterrement, elle se rappelait aussi de la douleur qui pulsait dans le bas de son ventre. Durant toute la cérémonie, elle avait tellement serré ses poings que des croissants de lune blanchâtre s’étaient incrustés dans ses mains. Elle se rappelait aussi du goût du fer dans sa bouche lorsqu’elle s’était mordu la langue. Chaque souvenir sorti du brouillard la rapprochait un peu plus de ce que son esprit essayait de la protéger. Un mouvement devant elle attira son attention, dans les bras de la sorcière, elle vit un bébé emmitouflé dans une couverture. Et ce fut comme une claque. Tout lui était revenu d’un coup. Cette douleur, cet enfant, elle venait d’accoucher.

Lorsque son père l’avait porté jusqu'aux sorcières, elle avait eu ce sentiment de déjà-vu. Elle se revoyait venir ici, enceinte de plusieurs lunes, prête à mettre au monde son fils. Cette souffrance, qui irradiait l’ensemble de son corps, lui rappelait son premier accouchement, mais pour l’insulaire, cela ne pouvait être possible. Elle ne portait pas d'enfant. Et pourtant, son corps se contractait, il voulait pousser, expulser quelques choses. Il avait pris le contrôle sur son esprit, il se tordait par des spasmes douloureux, et durant ces heures de terreurs, elle avait eu l’impression d’être en dehors de la situation, comme si qu’elle assistait, sous la contrainte, à l’accouchement d’une autre femme.  

Et bien qu’elle avait senti ce liquide chaud et jaunâtre lui couler le long des jambes, Maddy n’arrivait toujours pas à y croire. Les sorcières posaient des mots sur ce qu’elle était en train de vivre, mais c’était comme si quelqu’un serrait très fort ses mains sur ses oreilles, elle n’entendait pas. Elle se contentait juste de subir cette douleur qui lui déchirait le ventre, les entrailles. L’insulaire détestait ce sentiment d’impuissance. Elle n’avait aucun contrôle sur ce qu’il se passait, elle était incapable de maîtriser ses contractions et ce besoin irrésistible de pousser.

Quand tout vint à s’arrêter, et que l’enfant vint enfin à sortir de ses entrailles, le monde de Maddy s’écroulait sous ses pieds. Ses yeux, animés par cette angoisse nouvelle, se fixaient sur la peau fripée de l’enfant, mais elle ne comprenait pas. Elle regardait bien ce petit être, si petit dans les mains de la sorcière, mais rien ne l’aidait à expliquer ce qu'il venait de se passer. Elle n’avait pas eu de symptômes particuliers, ni de nausée, des gargouillis dans le ventre, quelques kilos en plus, sûrement dû à sa surcompensation alimentaire en pensant au futur mariage du chevalier et de la princesse. Elle ne s’était pas sentie enceinte, jamais.

L’enfant, elle avait tant de mal à reconnaître qu’il était le sien, il ne pouvait pas être le sien. Ce n’était pas possible. Comment cela se pouvait-il ? Elle ne vivait pas ça comme un événement heureux, mais c’était un véritable bouleversement, un traumatisme, tant dans sa chaire que dans son esprit. Elle avait l’impression d’être dans une tempête, prise toute entière dans son tourbillon.

Maddy suivait machinalement les empreintes de pas sur la plage, ils étaient rapprochés, comme si un troupeau avait marqué le sol de sa présence. Elle avançait lentement, s’enfonçait toujours un peu plus dans le sable humide. Il s’infiltrait entre ses doigts de pieds et gardait en mémoire la forme de ses voûtes plantaires. Derrière elle, ses pas se mêlaient aux autres empreintes. Cela donnait l’impression qu’elle se fondait dans un groupe, alors que la réalité était toute autre. L’insulaire était seule. Jamais, de toute sa vie, elle ne s’était sentie aussi isolée. Resserrant ses bras autour de sa taille, elle essayait de se rassérénée, de se concentrer sur le but de cette sortie extérieure. Elle avait l’impression d’être d’une lenteur infinie, déconnecter du monde qui l’entourait, comme si tout ceci n’était que le fruit d’une hallucination produite par l’alcool.

La pluie avait cessé depuis des heures, laissant apparaître un magnifique soleil qui avait réchauffé cette partie de l’île. Cela lui faisait du bien de sentir sa chaleur sur sa peau, c’était réconfortant. Fermant les yeux, elle continua à marcher. Derrière ses paupières, cette lumière continuait à étincelé. Lorsqu’elle les rouvrit, difficilement, elle vit les traces qu’elle suivait se détourner de sa trajectoire, pour se perdre dans un sable plus humide. Et au détour de la falaise, elle vit au loin les formes sombres du groupe recherché. L’insulaire se dirigeait vers l’océan, en quête d’espoir. Le jour précédent, l’insulaire avait rejeté cette réalité, celle où elle venait d’expulser un enfant de ses entrailles. Encore aujourd’hui, il lui était difficile de l’accepter, mais son instinct maternel avait prit le dessus. Elle devait savoir si ce bébé allait survivre. Toute sa vie, elle avait agi comme une mère pour les autres, pour les Royce, pour les servantes, aujourd’hui, elle agissait de même pour cette petite fille. Même si la concernant, ses sentiments étaient ambivalents.

Au loin, elle pouvait observer les sorcières, les pieds dans la mer, formant un rond parfait. Et sur le sable, se tenait son père. Elle pouvait reconnaître le soldat en lui, le buste bien droit, le bras derrière le dos, il observait la cérémonie en fronçant les sourcils. Il avait tenu à les accompagner, même s’il ne croyait pas en tout ça, il souhaitait veiller sur l’enfant. Au milieu du cercle, une des leur tenait sa petite fille en ses bras, et versait quelques gouttes salées sur son front. Si Maddy n’arrivait pas à le reconnaître, lui ne déniait pas la vérité. Dans les yeux de sa propre fille, il pouvait y voir la même terreur qui l’habitait. Elle était née beaucoup trop précocement pour survivre, mais elle était encore là, après toute une nuit à la veiller, elle respirait toujours. Toutefois, le Stone n’était pas un homme d’espoir, dans son cœur, il la savait condamnée.

Lorsque Maddy arriva à ses côtés, elle avait l’impression d’avoir parcouru des kilomètres, toute son énergie s’était envolée. Effacée comme ses empreintes qui étaient emportées par les reflux de la mer. Côte à côte dans le silence, ils écoutaient les complaintes des épouses du roi de l’océan et observaient leurs mouvements étranges. Toute sa vie, Maddy avait côtoyé des femmes qui luttait pour devenir mère, mais elle, elle avait été catapulté dans la maternité, sans une réelle envie de reprendre un jour ce rôle. Après des minutes qui lui semblaient être des heures, leur cercle se brisa, elles revenaient avec grâce sur la terre ferme, laissant derrière elles des chaînes de petites fleurs blanches appelées écume de mer.

Une des leur s’approcha de l’insulaire et lui déposa, contre son gré, l’enfant dans ses bras. La petite chose colorée était bien emmitouflée dans une couverture blanche, entourée d’une longue chaîne de coquillage poli. Avant de s’éloigner pour rejoindre ses sœurs, elle prit le visage de Maddy entre ses mains humides, et vint à lui déposer un baiser sur le front. « À présent, elle appartient à l’océan, elle survivra et sera protégée », dit-elle d’une manière si énigmatique qu’elle vit les sourcils du Stone se froncer sévèrement. Mais pour Maddy, ce fut un réel soulagement d'entre ses quelques mots, car elle croyait en tout ça. En la magie du Roi Merling, en ses incantations, en tout ce qui constituait leur rîtes. Face à cette femme, elle ne voyait plus dans ses yeux noirs le reflet de ses craintes, elle était confiante, apaisante, ce qui rassurait l’insulaire. Se détournant de cette connexion visuelle, elle essuya ses mains sur son jupon, et s’éloigna tranquillement.

L’enfant dormait profondément. C’était la première fois qu’elle l’avait dans ses bras, elle était si légère. S’installant sur le sol humide, Maddy avait l’impression de perdre son souffle. C'était réelle. Cette chose dans ses bras était bien un nourrisson. Elle était submergée par le souvenir de son accouchement, de son arrivée dans ce monde, sournoisement, son esprit essayait de reprendre le contrôle. À ses côtés, son père fit de même, il s’installa et prit le parti de taire ses doutes sur ce qu’il venait de se passer. « Tu devrais lui donner un prénom. Ca, n’est pas un prénom pour un enfant », sa voix était dur, c’était presque un ordre, mais le veille homme ne savait pas comment réagir face à tout cela. Lui aussi avait été catapulté dans quelques choses d'étrange. Il était devenu grand-père, sans s'en rendre compte, car comme elle, il n'avait rien perçu de sa grossesse. Et contrairement à Maddy, il n'avait pas de tact.

Maddy hésita à répondre, elle lui aurait bien lancer une pique bien sentie, mais elle savait qu’il avait raison. Un enfant ne peut pas s’appeler ça, ni ce n’est pas possible. Machinalement, elle berça l’enfant et se fit violence pour observer son visage et ne pas ressentir du dégoût. Si petite, si chétive… « Que vas-tu lui dire ? », cette question la sortit de ses pensées effrayantes, et elle fut projeter violemment dans la réalité. « Dire quoi à qui ? », elle lui répondait de la même manière, allant droit au but, sans fioriture. « Au père de cet enfant, que vas-tu lui dire ? », c’était la première fois qu’il la regardait, avec son regard perçant en quête d’une réponse concrète. S’il y avait bien une chose que le Stone détestait, c’était l’incertitude, il lui fallait un plan, une ligne conductrice à suivre. Et si Maddy était perdue, lui avait un cap. Ce nourrisson, qu’il survit ou non, avait un père. Il savait pertinemment qui était le géniteur de cet enfant, mais il préférait taire son nom. Il avait toujours souhaité rester loin de cette relation qu'il n'approuvait pas, et aujourd'hui, cette union lui explosait au visage. Il observa son propre enfant perdre toute contenance, comme si elle venait de réaliser pour la première fois, qu’il y avait bel et bien, un père.

Le cœur de l’insulaire se mit à battre plus fort, son corps fut parcouru d’un spasme qui fit sursauter l’enfant. « Je… », c’est tout ce qu’elle arrivait à prononcer. Les yeux humidifiés par ses larmes trahissaient l’émotion qu’elle ressentait. Dans son esprit, tout allait si vite. Elle avait déjà du mal à admettre que cet enfant était le sien, mais devait-elle réellement tout dire à Robar ? Sa première réaction était le refus, elle ne lui dirait rien, elle repartirait de l’île, laissant l’enfant ici, et elle reprendrait sa vie comme avant. Mais une autre partie d’elle-même la ramenait à la raison, elle ne pouvait pas abandonner un si jeune enfant à son sort, et elle était une piètre menteuse. Robar lirait en elle.

En une fraction de seconde, elle prit une décision radicale, cherchant à faire au mieux. « Je ne peux rien lui dire », lâcha-t-elle enfin, une larme glissant sur sa joue, « tu sais comme moi que je ne peux pas ». Elle avait voué sa vie à protéger les autres, et si elle disait la vérité au chevalier, que deviendrait son mariage avec la princesse ? N’allait-elle pas anéantir toutes ses chances d’être heureux ? De créer une famille unie ? Et cette jeune femme, ne se sentirait-elle pas humiliée ? Trop d'incertitudes, trop de risques, elle faisait un choix logique. « Il va se marier à une Targaryen, un enfant illégitime, quelle image cela donnerait à la maison Royce ? ». Le Stone était partagé entre son sens de l’honneur et la fierté qu’il éprouvait pour sa fille. « Il voudrait le savoir », renchérit-il, prenant son rôle de maître d’armes au sérieux. Car cette famille, il la considérait comme la sienne, il avait promis à son ami, Yohn, de protéger ses enfants, au péril de sa propre vie. Même celle du blondinet. Mais que pouvait-il faire face à ça ? Intérieurement, il maudissait le chevalier rouge. Ne pouvait-il pas désirer une autre femme que sa fille ? Ne pouvait-il pas mettre enceinte une autre écervelée ? Il aimait réellement le dernier fils de Yohn, mais parfois, il l'exaspérait tellement qu'il aimerait le pousser d'une falaise. « Je sais. Mais il ne doit jamais l'apprendre, pour son bien, père, tu dois me promettre de ne rien dire. Je resterais sur l’île, je la garderais loin du monde extérieur. C’est notre premier devoir, n’est ce pas ? De veiller sur la maison des Royce… Notre maison », plus elle parlait, plus sa voix se nouait pas l’émotion. Des larmes qui le rendirent encore plus en colère. Elle n’était pas dirigée vers sa fille, mais bien contre ce garçon qui l’avait mise dans cette situation, qui l’obligeait à prendre une terrible décision pour protéger son honneur, et qui l’éloignait de lui. « Je ne peux pas te promettre une telle chose, je vais taire la présence de cette enfant, mais je ne mentirais pas s’il venait à se douter de quelques choses », il faisait un compromis, lui qui, habituellement, refusait d’en faire. Mais par amour pour elle, il acceptait.

Il prit alors sa fille dans ses bras, la recouvrant de tout son corps et embrassa le haut de sa tête alors qu’elle s’effondrait à nouveau. Il n’était pas difficile à convaincre, car au fond de lui, il savait que c’était la meilleure solution, pour tout le monde. Un choix rationnel, sans prendre en compte les sentiments, mais basé sur la logique. Entre deux sanglots, elle réussit à prononcer quelques mots : « Rosenn, son prénom est Rosenn ». À cet instant, il n'était qu'un père et une fille, scellant un marché sur une plage, l’un se serrant contre l’autre, partageant un secret et se faisant leur adieu.  

Au milieu du port, à l’abris des regards, son père l’avait prise dans ses bras, seulement quelques instants, des secondes qui auraient pu devenir des minutes si le marin ne l’avait pas interpellé. La mer montait, devenant alors de plus en plus dangereuse. Ici, tous vivaient au gré de ses humeurs, elle était la maîtresse des lieux, dominant le monde des hommes. L’heure de la séparation était alors arrivée. Debout sur le ponton, les jambes courbaturées par les efforts des derniers jours, elle observait cet homme la quitter. Ses iris bleutés restaient focalisés sur son dos, sur ce sac qui tombait sur le côté, sur cette distance qui s’installait progressivement. Sam Stone s’en allait, sans elle. Il avait essayé, une nouvelle fois, de la convaincre d’écrire au chevalier. Il avait bien conscience de la nécessité de taire l’existence de sa petite fille, mais à ses yeux, il devait être au courant. Personne ne devrait ignoré une paternité, aussi dangereuse soit elle. Mais le vieux Stone avait promit, il ne dirait rien, hormis si une personne l’interrogeait sur la raison de la disparation de Maddy. En quittant l’île de la Sorcière, observant ses rivages disparaître dans la brune matinale, il espérait que cela soit le cas. Mais connaissant la famille Royce, il doutait qu’une moindre question soit prononcer. Ils penseront surement qu’elle avait décidé de rester auprès des siens pour éviter de s’infliger des épreuves inutiles.

Une larme roula sur sa joue rougit par le froid. L’insulaire était en paix avec sa décision, mais elle restait douloureuse. En observant le navire s’éloigner, elle réalisa enfin tout ce qu’elle laissait derrière elle, un père, une famille, un amant. Elle resserra alors ses bras autour de sa taille, essayant de retrouver cette chaleur, mais elle se confrontait à l’absence, au vide. Se détournant enfin de l’océan, elle refit le chemin inverse, reprenant sa propre route, celle qui la menait à une vieille grange grinçante. A l’intérieur, les rires des sorcières se répercutaient contre les parois noircit, tandis que certaines écrasaient des plantes, d’autres longeaient les blessures d’un pêcheur endormit par le lait de pavot. Il avait été amené le jour précédent, l’ensemble de son corps meurtris par la roche. Il était tombé à l’eau et emporté par les récifs. Il n’avait rien pu faire, hormis prier le roi Merling pour qu’il ne le prenne pas. Ses prièrent avaient été entendus, comme les siennes.

Près du feu, dans un tout petit panier recouvert de fourrure, Rosenn dormait à point fermé. Elle avait survécut une nuit de plus. Inquiète, Maddy n’avait que peu dormit, trahit par les immenses cernes qui s’étaient logé sous ses yeux, elle ne pouvait mentir aux femmes qui l’observaient de loin. Dès qu’elle fermait les yeux et trouvait enfin le sommeil, elle était réveillée par ses propres tourments. Cet enfant, c’était le sien. Aujourd’hui, elle pouvait enfin mettre des mots sur ce qu’il lui était arrivé, même s’ils étaient encore difficile de les dires à autre voix. Si le premier jour elle souhaitait que ça meurt, à présent, elle était dans l’angoisse de la perdre. Terrifié à l’idée d’être encore celle qui survit, sans enfant à bercer, sans personne à aimer. Alors elle priait l’océan pour se miracle tant espéré et veillait l’obscurité, à l’écoute du moindre silence de sa part.

Maddy s’installa à ses côtés, et reprit le parchemin qu’elle avait délaissé quelques heures plus tôt pour accompagner son père au port. Elle reprit cette plume tâché d’encre et se mit à coucher les mots sur le papier. Elle ressentait le besoin de parler d’elle à quelqu’un, comme si cela rendait cette histoire réelle. Son histoire improbable.
 

Il y avait quelques choses de triste dans cette maison perchée sur la côte de l’île, comme-ci le bonheur n'avait jamais imprégné ses murs. Ce foyer paraissait toujours être aussi froid, sans vie. Et pourtant, il y avait perpétuellement ses mêmes odeurs d'épices et de fleurs séchées, cette chaleur qui émanait d'un feu de cheminée ou d'un soleil levant, on pouvait même l'entendre chanter lorsque les planches de bois se mettaient à grincer. La maison en elle-même avait sa propre existence, indépendante des propriétaires actuels et dont les murs étaient les gardiens d'un vécu parfois oublié ou encore méconnu. Chaque soir, l’insulaire passait dans son allée, humait ses odeurs, inspectait d’un bref regard le potager. Souvent, elle l’observait de loin, restant parfois assise sur une pierre subissant l’érosion de l’air salé. Elle pouvait contempler ces enfants qui jouaient dans le jardin, courant après les poules et cette mère exténuée, le nez plongé dans ses légumes, qui attendait patiemment son époux. La servante sans nom aimait les suivre du regard, juste quelques instants, car cela lui rappelait sa vie d’autrefois, une vie qu’elle aurait pu avoir dans cette demeure qui était autrefois la sienne. Lorsqu’elle avait fui au bras de son époux, Maddy avait trouvé ce coin de paradis, une vieille bâtisse en ruine, faisant face à l’immensité de l’océan. Vestige d'un autre monde, une triste antiquité dénouée de toute vitalité ravagée par le temps dont personne ne souhaitait acquérir. Mais le jeune couple aimait cette demeure, pour tout son potentiel et pour sa proximité de la plage.

Ce soir-là, Maddy était trop préoccupée par la lettre qu’elle avait reçue pour jeter un seul regard à son ancien domicile. Elle avait, comme à son habitude, emprunté le même chemin afin d’observer le coucher de soleil sur les dunes de sable. Cependant, bien qu’elle fût prise par ses rituels, ses pensées se dirigeaient vers Roches-aux-Runes et non sur la beauté du spectacle ou sur son enfant qui dormait au creux de ses bras. Un corbeau aussi noir que la nuit, portée par un vent d'est, avait atterri un peu plus tôt sur les terres de la maison Descarpes. Un messager de bonne nouvelle, paraissait-il, mais ce n’était rien de tout cela. Cet oiseau aux serres acérées provenait du mestre des Royce et sur ce bout de parchemin humidifié par le trajet, il y était écrit des mots inquiétants. Son père était malade. Il n’y avait pas plus d’information, le vieil homme n’était pas un adepte des détails. Pourtant, il avait tenu à préciser qu’il irait bien d’ici quelques lunes et qu’elle ne devait pas s’inquiéter, mais si elle ne devait pas s’alarmer, alors pourquoi lui en parler ?

Berçant doucement Rosenn, elle fixait l’océan. Son père avait tenu sa promesse, il lui avait écrit, souvent pour ne rien dire, mais il continuait à préserver ce lien fragile. Il prenait souvent des nouvelles de sa petite fille, sans demander plus de détail sur sa vie. Son enfant avait pris des forces, elle avait grandi, grossit, elle était un bébé plein de vitalité. Et pourtant, elle était incroyablement discrète, Rosie ne pleurait que rarement, hormis lorsqu’elle était dans les bras de quelqu’un d’autres. Cette petite fille était si silencieuse qu’elle se laissait oublier. Elle pouvait passer des heures à observer le monde qui l’entourait, sans sembler s’ennuyer. Caressant son doux visage, Maddy repensait à toutes ses heures, priant le roi Merling qu’elle survive, aux moments d’angoisses qui la traversaient quotidiennement. Et sa fille avait grandi, chaque jour, elle prenait de la force. C’était avec fierté qu’elle l’observait évoluer dans ce monde. Et pourtant, elle ne pouvait cacher les difficultés qu’elle avait vécue. Être de nouveau mère était dur, tout la ramenait à l’époque où elle élevait son fils. Et à tout ce qu’elle ratait. Même si elle était certaine de sa décision, de taire son existence, les mots de Delya restait gravé dans son esprit. Un jour, peut-être, Rosenn lui en voudrait. Elle serait en colère contre sa décision, contre son besoin de la protéger.

C’était cette envie qui l’empêchait de prendre un navire pour Roches-aux-runes, d’être au chevet de son père. Mais d’un autre côté, Maddy savait que la personne en question, celle qu’elle cherchait à fuir, n’était pas au château. Continuant à bercer Rosenn, elle inspira profondément, son instinct lui dictait de quitter l’île, pour le rejoindre. S’il venait à mourir, jamais elle ne se le pardonnerait. C’est ce qui la poussa à faire le chemin inverse, à observer de loin ce jardin qui était le sien, à cueillir quelques fleurs qui sentaient chez elle et à se préparer à retourner auprès des Royce. Même si ce n’était que pour quelques jours, cachés du regard des autres, à préserver son secret.