[FB] En la mémoire de Willem Payne Feat le couple Yarwyck

La route pour Valmont fut éprouvante pour Melleah. Enceinte de sept lunes et demi, elle avait vécu le trajet d'une petite semaine comme un calvaire. Non pour son inconfort, bien qu'elle en souffrit quelque peu à cause de son mal de dos, mais bien parce qu'elle souffrait d'autres maux, plus important encore. Le décès de son grand-père était la première perte qu'elle eut à vivre au sein de sa famille -san grand-mère étant décédé bien trop jeune pour qu'elle l'eut connu- et presque avec étonnement, bien qu'elle eut toujours été émotive, elle le vivait fort mal. Elle avait pleuré en l'apprenant et ne cessait dès lors de le faire aux moments les plus impromptus alors même qu'au fond d'elle, elle sut que tout cela relevait de la normalité. Son aïeul était âgé et il s'était montré plus fragile ces dernières lunes, notamment depuis le décès de son vieil ami Lord Weslar à la fin de l'année précédente. Le départ en guerre de son fils ainé et de l'héritier de la famille Payne, Podrick, n'avait semble-t-il pas aidé non plus. Le fait étant qu'il s'était éteint durant son sommeil à la fin de la lune précédente et qu'il leur fallait maintenant l'enterrer. Au fond d'elle, la peine se disputait à une étrange et indécente indifférence. On ne peut pas dire qu'elle eut jamais vraiment été proche de son grand-père, mais sa perte l'affectait tout de même. Elle imputait ces sentiments quelque peu excessifs aux hormones de la grossesse.

Fort heureusement, elle pouvait compter sur le soutien de son époux qui se montrait aussi prévenant que possible. Il l'avait d'ailleurs accompagné dans son fief natal pour assister aux funérailles et elle lui en était des plus reconnaissante. Les retrouvailles avec sa famille avait été des plus émouvante, lui prouvant ainsi que son départ pour Bulwark n'avait rien changé à leurs sentiments à son égard, et inversement. Plus soudés que jamais, ils assistèrent donc à la cérémonie ensemble, bien qu'elle se tint auprès de son époux dont elle serra la main tout du long, s'accrochant à lui pour ne point défaillir. Elle s'efforça de se montrer digne mais tandis que s'approchait la fin de la cérémonie, la vision du visage crispé de son père, dont quelques larmes s'échappèrent de ses yeux en silence pour être aussi vite essuyées, la força à s'assoir un moment, sentant que ses jambes ne la porteraient plus. Ainsi cachée du regard des invités venus rendre hommage, il lui sembla verser à nouveau toutes les larmes contenues par son frêle organisme. En silence.

Ce n'était plus pour elle qu'elle pleurait, mais pour Cedric et Jorran qui venaient de perdre un père, pour Nivia et Anea, et pour Podrick et Hector. Sa famille qui ne seraient plus jamais la même. Jamais n'aurait-elle cru ressentir autant de peine et elle n'osait imaginer ce qu'il en serait pour les obsèques des autres. Son père, sa chère tante lady Nivia ou encore pour Podrick, ce frère tant adoré, par exemple. un frisson la parcouru. C'est sur cette pensée que s'acheva la cérémonie et tous se dispersèrent, tantôt allant présenter leurs hommages, tantôt sortant prendre l'air. Melleah, elle, s'efforça de retrouver ses esprits. Séchant ses larmes avec un mouchoir, elle se moucha et inspira profondément à plusieurs reprises afin de retrouver calme, et un semblant de sérénité. Il était à présent en paix auprès des Sept, voilà tout ce qui importait.

Consciente qu'elle causait probablement de l'inquiétude à son époux, notamment du fait de l'état avancé de sa grossesse, elle s'efforça de le rassurer alors qu'elle s'appuya sur son bras secourable pour se relever.

« Nous allons bien mon aimé, merci. »

Elle lui adressa un pauvre sourire et caressa l'arrondie de son ventre pour se rassurer elle-même. Ils allaient bien, n'est-ce pas ? Elle pouvait sentir le bébé bouger aussi se rassura-t-elle. Oui, ils allaient bien. S'essuyant une dernière fois les yeux, et le nez, dans un soucis de paraitre le plus à son avantage possible, elle respira un bon coup. Elle espérait seulement ne pas avoir les yeux trop rougis, mais sans doute était-ce peine perdue. Ils se mêlèrent alors à la foule, recevant les considérations d'usage. Devoir tenir une conversation la força à se concentrer sur autre chose que sa peine et elle retrouva un semblant de sa gaîté habituelle, distribuant sourires de circonstance et paroles bienveillantes à ceux qui s'adressaient à elle.  Bientôt, le couple fut rejoint par des invités singuliers. Elle vit venir la paire de jumeaux de loin et un sourire plus sincère se dessina sur ses lèvres tandis qu'ils se présentèrent à eux.

« Lady, Lord. Désolée pour le perte ! » dit maladroitement le garçonnet tandis que sa jeune sœur préféra parler avec les gestes et lui prit la main.

Elle observa ensuite son ventre avec intéret et lui adressa un petit sourire adorable qui eut le don de faire fondre le coeur de la future mère. Regrettant de ne pouvoir se baisser à leur hauteur au risque de choir sous le poids de son ventre, Melleah se contenta d'incliner le buste et caressa le visage de la fillette avec douceur. Quelle délicate attention venant d'enfants si jeunes.

« Merci à vous les enfants. » les remercia-t-elle en les observant tour à tour.

Ils étaient seuls mais elle n'eut pas besoin d'attendre l'arrivée de leur mère pour connaitre leur identité. La fillette ressemblait comme deux goutes d'eau à sa tante disparue, autant dans le physique identique à celui de sa mère, mais surtout dans le regard et la douceur de son expression. Quelque part sa douce amie Aelinor Serrett était auprès d'eux en ce jour, et cela était d'autant plus émouvant pour elle que cette journée lui apparu soudain comme un étrange pont entre le monde des vivants et celui des êtres aimés aujourd'hui disparus. Son coeur se serra d'une émotion plus proche de la joie que de la peine et elle releva le regard vers lady Azilys qui se présenta à son tour, lui adressa un sincère regard de gratitude. S'accrochant au bras de Ashter, elle échangea un bref regard avec lui avant de reporter son attention sur leur invitée.

« Je vous remercie lady Azilys, votre présence en ce jour est un véritable réconfort pour ma famille, et pour moi-même. » elle regarde à nouveau les jumeaux qui lui étaient présentés et releva le regard vers leur mère tandis qu'elle s'inquiétait d'eux, « Vos enfants sont adorables, et très bien élevés. Le jeune lord Albion semble déjà bien au fait des usages, je ne peux que le féliciter. N'est-ce pas Ashter ? »

Elle laissa le soin à ce dernier de participer à la conversation en répondant à la dernière question de la lady de Montargent. En ce qui la concernait, le rouge de ses yeux et la forme de son ventre donnaient à peu prêt toutes les indications nécessaires à comprendre son état actuel, aussi garda-t-elle le silence.

Quant à la jeune Alyzéa, un sourire à son intention chercha à la rassurer sur l'absence de compliment à son égard. Son adorable geste ne nécessitait aucun mot et Melleah espérait qu'elle le comprit comme tel.

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Melleah fut reconnaissante à son époux de répondre pour elle. La simple pensée pour le corps désormais froid de son aïeul suffisait à faire grossir une boule au fond de sa gorge. Elle déglutit difficilement, chassant les larmes inconvenantes, tandis qu’il eut la présence d’esprit de détourner la conversation vers leur avenir. Elle eut le réflexe d’apposer sa main libre sur le ventre renfermant leur progéniture, comme pour attirer l’attention sur l’enfant. Ou au contraire, le protéger … ? Il lui arrivait parfois de ne pas savoir ce qu’elle avait envie de faire.

Dans le même temps, Lord Ashter prit soin de s’inquiéter de leurs invités et Lady Serret affirma que toute la maisonnée se portait bien, bien qu’ils durent laisser leur petite dernière derrière eux. Melleah ne se souvenait plus de l’âge exact de l’enfant mais l’idée lui parut difficile, elle ne s’imaginait pas se séparer d’un si jeune enfant aussi longtemps, aussi eut elle une expression compatissante envers la jeune mère. Cette dernière ne semblait pourtant nullement touchée et la jeune Yarwyck reconnu bien là la profonde dignité de la Serrett. Une dignité qu’elle admirait d’autant plus en ce jour funeste où elle-même semblait échouer à mettre son émotion de côté. Il était certain que la Seigneur de Montargent n’aurait laissé paraitre aucune larme, elle. Tandis que cette réflexion lui traversait l’esprit, elle se promit d’apprendre de son exemple dans l’instant. De ce fait, elle reprit part à la conversation et comprenant où elle voulait en venir, elle dit :

« Pour être tout à fait sincère, je ne saurais vous dire quel sentiment prédomine à propos de cette naissance » avoua-t-elle en tout sincérité, « Il m’arrive souvent d’avoir grand hâte de le rencontrer enfin. Et que mon époux puisse le rencontrer à son tour car je sais qu'il en a très envie, n'est-ce pas ?»

Elle lui adressa un sourire complice. Cette simple idée lui réchauffait le cœur. Elle imaginait sans mal la tendresse qui émanerait du père de l’enfant lorsqu’il le prendrait dans ses bras pour la première fois. Et celle qu’elle-même ressentirait à leur égard. Rien ne lui semblait plus enviable et heureux que cela. Malgré tout, la peur se disputait à l’enthousiasme et elle s’efforça de l’exprimer avec détachement et dignité, tout en caressant discrètement l’arrondie de son ventre avec le pouce.

« A d’autres moments, je me dis qu’il me sera plus difficile de veiller à son bien-être lorsqu’il ne sera plus en mon sein, aussi ne suis-je point trop pressé encore. »

Une jolie façon d’exprimer la terreur qui l’habitait à l’idée de que l’enfant ne puisse pas supporter sa venue au monde, et la difficulté que représentait pour un nouveau-né de survivre dans l’hostilité du Monde. Tant de maladie et d’accidents pouvaient lui arriver. Sans parler de l’accouchement qui pourrait lui être aussi fatal à lui qu’à elle-même. Cette simple pensée provoquait en son sein une glaciale étreinte et un sourire crispé se dessina sur ses traits tandis qu’elle échangeait un regard avec la Serrett. Seule une femme pouvait aussi bien comprendre les appréhensions cachées derrière ces mots. Et c’était sans parler du sexe de l’enfant. Une autre question que cela, et pourtant combien importante !

Elle s’apprêtait à la questionner sur son propre sentiment à ce sujet lors de ses propres grossesses lorsqu’ils furent interrompus par un fracas les faisait tous sursauter. Un simple regard par-dessus l’épaule de son interlocutrice lui apprit qu’une convive semblait avoir perdu connaissance, entrainant avec elle une partie des chaises disposées derrière. Soudain crispée sur le bras de son époux par la surprise, Melleah porta une main à son cœur pour en apaiser les battements affolés. Elle eut un rire spontané, laissant entendre le chevrotement dû à son émotion, qu’elle tut bien rapidement alors que tous reprenait leur esprit. Ce n’était guère convenable. Plusieurs convives, ainsi que quelques domestiques se dirigèrent vers la malheureuse. Son père, Jorran, fut de ceux-là, ainsi que lady Anea, sa mère et son jeune frère Podrick, derrière lequel se trouvait Ser Swyft qui regardait la scène avec intérêt.

Certaine qu’elle n’avait nul besoin d’intervenir à son tour, Melleah échangea un nouveau regard avec son époux et reporta son attention sur leur invitée et ses enfants. C’est alors qu’en observant l’échange entre les jumeaux, puis la mère et la fille, elle comprit que cette dernière semblait quelque peu perdue, mais n’en comprit pas la raison. Lady Azilys prit alors soin de l’expliquer. La jeune Alyzéa ne pouvait entendre. Surprise, elle ne sut que répondre à cela et se trouva fort dépourvue:

« Oh … » prononça-t-elle maladroitement avant d’enchainer avec une parole de circonstance qui lui parut aussi creuse qu’inopportune, « Vous m’en voyez navrée. »

Elle n’osa regarder Ashter, de peur que cet échange soit mal perçu par leur interlocutrice. Et bien sur, elle était curieuse d'en découvrir la cause. Pourtant, la jeune enfant avait reçu la beauté de sa mère, laissant présager un bel avenir, et son regard laissait à penser qu’elle avait aussi reçu en cadeau la douceur de sa tante disparue. Melleah comprenait à présent mieux à quel point l’enfant semblait capable de communiquer d’un simple regard. Elle y était des plus habituée, voilà tout. Et c’est ce qu’elle choisit finalement de relever en s’adressant à la toute jeune lady.

« Une chance que vous ayez hérité des expressions de votre tante, ma chère. Elle, mieux que quiconque, savait exprimer la douceur et la bienveillance qui l’animait sans avoir besoin de mot pour cela. »

Elle observa le jeune Albion traduire pour elle et s’émerveilla de la facilité avec laquelle ils semblaient communiquer ensemble. Regardant à nouveau lady Azylis, elle espérait seulement ne pas faire d’impair à ce sujet. Cependant, le fait-même que la lady eut choisie de révéler au grand jour la différence de son enfant lui indiquait qu’elle pouvait se permettre d’en parler plus avant. Elle avait par ailleurs prit soin de prétendre que cela ne ferait que la rendre plus forte encore. Melleah afficha donc son étonnement avec spontanéité, mais non moins sincère pour autant.

« Quelle singulière façon de communiquer ! C’est remarquable ! Vous devez être très fière d'eux. »

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Le Paon d'Argent sembla confirmer son intuition. Ce regard posé sur sa progéniture ne pouvait guère tromper, aussi discrète et indifférente pouvait-elle être en temps normal. Il s'agissait bien là d'une mère couvant ses enfants d'un amour certain. Et elle ne le cacha pas, acquiesçant aux paroles de Melleah, affirmant sa fierté envers ses jumeaux. La future mère de famille ne put qu'esquisser un doux sourire à cela. C'était là l'aveu pudique d'une femme qui ne lui était jamais apparue très bavarde sur ses états d'âme. Nul mot n'était donc à ajouter à ce sujet, sous peine de créer le malaise.

Bien heureusement, l'arrivée de Ser Beren les dispensa d'en subir les conséquences, à savoir une silence gêné, que la jeune lady aurait tôt fait de combler par du babillage. Une conversation qui n'aurait guère eut la qualité requise au vue de son état émotionnel quelque peu chamboulé par les évènements. Le chevalier dornien -qui ne l'était finalement plus au vue de sa récente montée en grade au sein de l'Ouest- vint à leur ravir son époux. Melleah les regarda échanger des messes basses, la mine attentive et échangea avec lady Azilys un regard curieux que lord Ashter fit disparaitre en s'excuser de les quitter. Lord Cédric, son oncle, avait à lui parler. De quoi, elle l'ignorait bien mais elle n'était certainement pas d'humeur à subir le caractère irascible de ce dernier, quand bien même il venait de perdre son propre père, aussi ne chercha-t-elle point à en savoir plus.

La délicatesse dont son époux fit preuve à son égard lui réchauffa néanmoins le cœur et elle accueillit son baiser en fermant les yeux, profitant au passage des effluves apaisants de son parfum. Il lui promit de la retrouver au plus tôt mais elle le rassura avec un sourire apaisant:

« Faites ce que vous avez à faire, my lord. Je suis en bonne compagnie. »

Elle le regarda ensuite s'éloigner, une bouffée de tendresse au cœur, mais fut bien vite distraite par la remarque amusée de la Serrett. Elle se tourna à nouveau vers elle et acquiesça à son tour. Il est vrai que les hommes ne s'embarrassaient pas longtemps de la compagnie des femmes, de ce qu'elle avait pu en voir. Fort heureusement, son époux à elle semblait avoir assez de considération pour lui accorder le temps nécessaire, ou de s'en excuser si ce n'était point le cas. Elle se demanda si la chose était tout autre pour lady Azilys, tandis que cette dernière observait son époux et affirmait se montrer parfois heureuse de son absence et se suffire à elle-même. Melleah ne le remettait pas en doute, elle savait la force de caractère de la Serrett mais elle n'était pas de celle-là. Elle avait besoin de la présence de son époux à ses côtés, ou du moins, d'être sur de le retrouver tôt ou tard, lorsqu'il était loin d'elle. Elle se souvenait des douloureuses semaines durant lesquelles elle avait attendu son époux pendant qu'il guerroyait au Nord, ne sachant si elle le reverrait vivant. Ce n'était pas une expérience qu'elle revivrait avec sérénité. Elle était en revanche on ne peut plus d'accord concernant l'autre partie de la phrase prononcée par la Seigneur de Montargent.

« Je doute que mon oncle aille présenter quelques jouvencelles à mon époux. » s'amusa-t-elle à son tour, « Il n'est point de ce tempérament, je vous prie de le croire, aussi suis-je rassuré à ce sujet ! Ser Cedric- » elle se reprit immédiatement, ayant un instant oublié son nouveau titre, « Je veux dire, Lord Cedric, est un homme tout ce qu'il y a de plus respectable à ce sujet. Je dirais qu'il est la droiture même ! »

Elle avait prononcé ces derniers mots d'un air pincé, laissant penser que ce n'était guère un compliment. Elle échangea un regard malicieux avec la lady, sachant qu'elle comprendrait parfaitement le sous-entendu. Elle avait déjà eut maintes occasions de rencontrer le chevalier par le passé et elle avait probablement déjà cerné sa personnalité. Elles ne s'étendirent pas sur le sujet, pour autant. Celle qu'elle voulait considérer comme son amie s'intéressa plutôt à des considérations plus féminines et s'inquiéta de son accouchement futur. Le sourire de Melleah se fana quelque peu à cette idée et elle entraina sa compagne vers la sortie, avec son accord, voulant profiter de quelques pas en sa compagnie. Elle aurait bien assez à faire avec les convives plus tard dans la journée. De plus, chacun semblait occupé à converser aussi ne manqueraient-elles à personne le temps d'une promenade. Les jumeaux leur emboitèrent le pas et semblèrent heureux de se dégourdir les jambes vers l'extérieur après une longue et accablante cérémonie. Voilà un endroit qui semblait plus propices à de jeunes enfants !

« A vrai dire, notre Mestre a bien tenté de m'en toucher quelques mots mais la simple idée me panique quelque peu. » répondit-elle enfin, « Je sais comment cela se déroule dans les grandes lignes, je sais la douleur et je sais les risques ... En dehors de cela, j'ignore comment me préparer à l'évènement si ce n'est en prenant soin de moi -et de lui- du mieux possible. »

Elle caressa  nouveau l'arrondi de son ventre, comme pour se rassurer. Manger et dormir pour prendre des forces. Se ménager pour ne pas provoquer une délivrance prématurée. Et éviter de majorer une angoisse déjà présente en ruminant l'évènement à venir plus que de raisons. Voilà les conseils qu'elle avait reçu de l'homme de science. Même sa tante n'avait pu lui en dire tellement plus, elle qui n'avait point connu la souffrance d'un accouchement. Sa mère aurait probablement pu lui en dire plus, mais il s'avère qu'elles ne s'étaient pas parlées depuis le mariage. Ce qui ne différait en rien de leurs habitudes passées, d'ailleurs.

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Le rire cristallin des enfants apportait à cette morne journée son lot de douceur. Les entendre s'amuser au loin réchauffa le cœur de l'épouse Yarwyck et afficha un petit sourire sur ses lèvres. A ses côtés, Azilys lui prodiguait conseil et elle l'écouta avec attention. Lady Serrett était assurément une femme d'expérience, quelque soit le domaine dont il était question, et il était assuré qu'elle avait tout confiance en son jugement. Aussi prenait-elle ses recommandations particulièrement à cœur, hochant la tête à chacune de ses remarques.

La Seigneur de Montargent évoqua la chance qui fut sienne lors de ses propres grossesses. Melleah ne pouvait que comprendre. Elle-même n'avait que peu souffert des sept dernières lunes. Elle avait connu les affres de la nausée les premières semaines, bien entendu, ainsi que quelques inconforts relatifs à une sensibilité accrue. Mais elle devait reconnaitre qu'hormis de récents maux de dos, elle avait la chance de vivre une grossesse particulièrement simple. Au dire des femmes de son entourage, en tout cas ! Elle le tolérait très bien, quant à elle. Le bonheur d'être bientôt mère, la fierté de parvenir à donner un héritier à son époux, suffisaient à la combler de joie. L'enfant se portait bien, d'après Mestre Ordéric, et elle vivait aussi normalement qu'il était possible compte tenu de la situation. Hormis le flot d'émotions qui semblaient parfois la submerger, et dont elle en avait quelque peu l'habitude en dehors de cela, elle ne voyait pas de raisons de se plaindre. De plus, contrairement à son interlocutrice, elle dormait bien. Et fort heureusement, car la gestion de Bulwark ne rentrait certainement pas encore dans ses attributions quand bien-même avait-elle fait part à son époux de son désir de l'assister dans cette tache à l'avenir. Elle eut un petit rire à la boutade de la lady de Montargent.

« Oui, vous avez raison. » gloussa-t-elle, « Par chance, l'enfant me laisse le repos, la plupart du temps. Et hormis les écœurements dont je fus sujette au moment où je découvris ma grossesse, je mange à ma faim. Ma tante m'avait parlé des envies auxquelles nous sommes parfois soumises, mais en dehors d'un appétit certain, il ne me semble pas avoir connu cela pour le moment. Mestre Ordéric se montre très ferme concernant mon alimentation. Les sucreries me sont effectivement déconseillées mais j'avoue avoir parfois dérogé à la règle. » confia-t-elle avec malice, « Je n'ai jamais pu résister aux pates de fruits ! Heureusement, nous en avons très peu à la table de Bulwark. Les meilleures choses sont les plus rares, dit-on. Je crois que c'est exact ! »

Elle devenait ronde, effectivement, mais rien qui ne relève de la normale. Elle se sentait bien, quoique que parfois lourde, surtout le soir avec la fatigue. Elle n'avait pourtant pas encore l'impression d'être une barrique, pour reprendre les termes de son amie. En revanche, l'évocation d'un écoulement entre ses jambes l'inquiéta quelque peu. Lui avait-on touché un mot de cela ? Elle n'en avait pas le souvenir.

« Un liquide chaud, dites-vous ? Est-ce que nous parlons de sang ? »

Le seule écoulement qu'elle eut connu relevait de ses menstrues, aussi visualisait-elle un saignement important, digne des plus grandes tragédies. Elle savait que certains accouchements provoquaient de grave hémorragies mais elle s'était toujours efforcée de ne pas y penser. Cela n'était pas toujours le cas, fort heureusement. Du moins était-ce qu'elle avait toujours cru. Et elle espérait bien y échapper pour elle-même. Mais cette nouvelle information semblait lui indiquer le contraire et elle ne put empêcher l'inquiétude de marquer ses traits.

Une angoisse qu'elle tentait de refouler depuis l'annonce refit surface. Le Mestre l'avait écarté d'un simple geste de la main lorsqu'elle lui en avait touché mots, comme-ci cela importait peu -ou plutôt parce qu'il était bien incapable d'y remédier-, aussi elle hésita un instant à en parler, avant de se décider.

« Notre Mestre a tenté de me rassurer à ce sujet mais je sais que mon corps n'est pas vraiment le plus adapté à la mise au monde. Mes hanches sont ... étroites ... et je suis plutôt frêle de constitution. Dites-moi ... en tout franchise, croyez-vous que j'ai des chances de mettre au monde cet enfant sans y perdre la vie ? Et si le passage se révélait trop mince et qu'il n'y survivait pas ? »

Le pire scénario qu'elle put imaginer dans son esprit. Elle savait cette peur commune à toute femme mais elle n'avait jamais trop osé en parler avec d'autres. La sollicitude d'Azilys lui indiquait pourtant qu'elle pouvait se confier. Elle ne voyait de toute façon personne d'autres à qui poser cette question. Sa tante n'avait jamais enfanté et elle l'aurait de toute façon réprimander de s'angoisser plus que de raison à ce sujet. Danya ne savait que lui dire. Elle ne se sentait pas assez proche de lady Ellya pour aborder un sujet tel que celui-là et son amie Shyra était trop loin pour qu'elle puisse s'épancher auprès d'elle, quand bien même n'aurait-elle pu la rassurer plus que sa chère tante, pour la même raison. Quant à sa propre mère, elle n'avait que brièvement imaginé cette éventualité avant de la repousser tout aussi rapidement, fort mal à l'aise rien qu'à imaginer la gêne qui ne manquerait pas de se dresser entre elles.  

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L'avis d'Azylis sur la question de sa survie était franc. Elle ne lui assurait aucune certitude, mais elle se montrait optimisme, en un sens. Elle semblait avoir sa façon bien à elle de gérer les épreuves que les Septs mettaient sur son chemin. Elle ne se laissait pas abattre et comme en témoignait le conseil qu'elle lui donna, à savoir garder en tête les risques et lutter intensément pour ne pas les voir se réaliser, elle comptait beaucoup sur sa volonté propre pour réussir.

Melleah se demandait cependant si le simple fait de vouloir quelque chose nous assurait de sa réalisation. Après tout, qui était-elle face à l'Etranger ? S'il désirait la rappeler aux Sept au terme de sa delivrance, que pourrait-elle bien faire pour l'en empêcher ? Elle l'ignorait bien mais à l'entendre, cela était possible. Lord Willem aurait-il pu empêcher son trépas, par exemple ? L'avait il seulement désiré, à son âge avancé ? Certes, la situation n'était point la même que ce dont elles parlaient là, mais n'était-ce toutefois point là le cœur du problème ? Elle eut un instant l'intention de s'épancher sur ses doutes à ce sujet mais se retint. Elle ne souhaitait point froisser la Serrett, ou même lui donner à croire qu'elle n'avait pas confiance en ses dires, ce qui était d'ailleurs tout à fait faux. Elle était également craintive de pas passer pour une idiote, ou une enfant. Aussi, garda-t-elle le silence, se contentant d'acquiescer. Si elle ne savait comment mettre en application cette directive, elle s'efforcerait de la garder en mémoire pour le moment où elle en aurait le plus besoin. Quelque part, se serait comme avoir une amie à ses côtés dans l'épreuve, quand bien même elle ne fut nullement présente à ce moment-là.

La suite de son discours lui apparu plus intelligible, cependant. Elle lui parla de la douleur et de la fatigue. Elle ne pouvait que l'imaginer mais cela était plus parlant à ses yeux. Combinés aux détails précédemment énumérés, elle se figurait plus facilement du déroulement d'un accouchement. Mestre Orderic lui en avait touché quelques mots mais elle s'était efforcée de ne pas trop y penser, toute à ses appréhensions. Cela était un tord. Elle le réalisait à présent. A sept mois et demi de grossesse, il était temps de commencer à se préparer à ce qui l'attendait.

« Je peine à croire que je sache quoi faire le moment venu. Je me sens si ignorante sur la question. »  avoua-t-elle presque à contrecœur, « Ma tante n'a jamais donné la vie, elle n'a pu me conter son expérience à ce sujet. Elle a en revanche assistée ma propre mère dans cette épreuve. Et elle m'a dit que si les autres femmes y parvenaient, il n'y a pas de raison que de ne fut mon cas. »

A dire vrai, ce n'était pas exactement les mots prononcés. "Si ta mère l'a fait" avait-elle dit, et avec le peu d'estime qu'elle avait pour sa belle-soeur, Melleah comprit d'emblée qu'elle avait tout intérêt à y parvenir aussi, sous peine de la décevoir profondément. Ce n'était toutefois pas la question. Chaque delivrance était singulière lui semblait-il, bien qu'elles comportent toutes de nombreuses similitudes. A commencé par la présence d'un Mestre, la plupart du temps. Par chance, celui de Bulwark avait l'expérience requise. Se sentant un peu moins idiote, pouvant enfin montrer qu'elle avait au moins su se préoccuper de cela, elle s'empressa de rassurer lady Azylis sur le sujet.

« Votre proposition est très généreuse, je vous en remercie. Mais vous n'aurez pas besoin de vous séparer de votre Mestre, rassurez-vous. Mestre Orderic soigne les gens de Bulwark depuis plusieurs décennies et il a lui-même donné naissance à mon époux, et ses frères et sœurs. Ainsi qu'assister de nombreuses autres femmes du domaine. Lady Ellya s'est portée garante de lui et m'a assuré de ses qualités à ce sujet. J'ai toute confiance en lui. »  

Elle n'avait de toute façon pas d'autres choix. Elle ne pouvait que se fier à ceux qui savent. Cela l'agacait un peu. Tandis qu'elle progressait dans les jardins quelque peu bucoliques de Valmont, où elle avait grandit, elle songea comme elle enviait l'expérience de la Serrett en cet instant ! Plus loin, lady Alyzea s'était assise sur une racine, non loin d'un buisson à myrtilles, et tandis qu'elle portait une main à son dos quelque peu sensible, Melleah songea qu'elle aurait aimé s'assoir à son tour. La vision d'un banc au loin l'incita à diriger ses pas dans cette direction, s'assurant malgré tout que les enfants restaient à la portée du regard de leur mère.

« C'est très altruiste de votre part d'accepter de partager tout ceci avec moi. J'ai conscience du caractère intime de cette conversation et j'espère ne pas vous importuner avec mes questions. Vous n'imaginez pas comme vos conseils me sont précieux. A Bulwark, je n'ai que ma belle-mère avec qui je puisse échanger, et vous imaginez bien comme il est difficile de confier cela à la mère de mon époux. C'est une femme d'une incroyable bonté, mais nous ne nous connaissons pas encore assez bien pour que je me sente à l'aide à l'idée de la questionner sur des détails si personnels. Peut-être est-ce idiot de ma part ... »

Sa belle-mère, aussi bienveillante était-elle envers elle, l'impressionnant encore un peu. Et par dessus tout, elle voulait donner une bonne image d'elle-même.

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Sa timidité la menait à douter d'être un jour capable de tant d'aisance et de familiarité avec la Dame dourière de Bulwark. Pourtant à en croire son amie, elle y viendrait un jour. Et au fond, pourquoi pas ? Cela avait quelque chose de rassurant. Un jour, elle ne serait plus la nouvelle venue à Bulwark, la pièce rapportée. Elle en serait la Dame en titre, la mère de l'héritier, la digne épouse de son Seigneur. Elle était en quelque sorte déjà tout cela, mais il était encore bien tôt dans son esprit, et dans celui de ses gens. Un jour viendrait, cependant.

« Vous avez surement raison, et il me tarde que ce jour vienne. Il ne m'est pas habituel de me sentir parfois si peu à ma place dans un lieu qui est pourtant censé être chez moi. » confessa-t-elle tandis qu'elle s'installait sur le banc qu'elle avait repéré plus tôt, « Mais cela changera, c'est certain ! Il me faut juste encore un peu de temps. Trop d'évènements nous ont touché jusqu'ici ... Tant d'épreuves. »  

Cette pensée ne manqua pas de ramener à son esprit la raison de leur présence à Valmont. Le décès de Lord Weslar, le départ d'Ashter pour le front du Nord, et maintenant la perte de Lord Willem ... Tout cela avait durement éprouvé la jouvencelle qu'elle était. Elle sentit l'émotion étreindre son cœur et elle jeta un bref regard en arrière, vers le lieu qu'il venait de quitter pour garder contenance. Cela ne dura qu'une fraction de seconde avant qu'elle n'adresse un nouveau sourire, probablement teinté d'une certaine tristesse, à la lady de Montargent. La bonté de cette dernière ne s'arrêta d'ailleurs pas là et elle lui proposa même de lui écrire quand elle le désirait pour discuter de ses appréhensions concernant les affaires de femme. Pourquoi devraient-elle taire cela, alors même que cela constituait l'existence de toute femme, prétendait-t-elle. Melleah n'avait jamais envisagé les choses sous cet angle. On lui avait toujours inculqué la discrétion et la réserve sur tous les sujets touchant à l'intimité, il lui apparaissait donc délicat d'aborder de tels sujets. Elle découvrait que ce n'était pas l'avis de toute femme et cela était étrange pour elle. Ainsi que particulièrement curieux et fascinant. Lady Azilys était décidemment de ces femmes de caractères qu'on ne pouvait qu'admirer !

« Je vous écrirais avec plaisir si cela ne vous incommode nullement. Je serais même ravie que vous me contiez la gestion de votre domaine si vous y tenez ! Une lady comme moi à tout à apprendre de quelqu'un comme vous. Je suis encore si peu impliqué dans la gérance de Bulwark ... Lord Ashter prétend qu'il me faut me reposer et penser à l'enfant à naitre, plutôt que de m'incommoder de tout cela. Il est vrai que Lady Ellya et lady Alerah ont géré notre fief d'une main de fer, comme vous le feriez probablement vous-même, en son absence. Quant à moi ... Je n'ai contribué à rien de cela. »

Le déplorait-elle ? Pas vraiment car elle ne s'en croyait de toute façon nullement capable. Se croyait-elle plus capable de donner la vie et d'élever sa descendance ... ? Elle l'ignorait. On ne lui avait jamais laisser penser qu'elle avait le choix à ce sujet. Mais il lui arrivait de se demander si elle ne devrait pas s'intéresser plus avant aux autres aspects de sa vie d'épouse. Est-ce qu'une autre lady aurait fait mieux à sa place ? Attendait-on d'elle qu'elle sache prendre la place de son époux, en son absence, dès maintenant ... ?

Un silence s'installa tandis qu'elle profitait de l'air frais, observant les jeunes Serrett s'amuser un peu plus loin. Curieuse, elle osa questionner sa compagne, se demandant si l'intimité de leur conversation ne la poussait toutefois pas à trop d'audace.

« Je crois que vous avez reprit la gérance de Montargent suite au départ de votre cousin pour le Mur, n'est-ce pas ? », devant l'incongruité de cette décision, abandonnant par là même titre et terre au profit d'une femme, elle ignorait si le sujet ne recelait pas un secret de famille qu'il ne lui fallait pas trop approcher (et elle était très bien placé pour savoir que toute famille avait les siens), aussi enchaina-t-elle rapidement pour démontrer que la question n'était que pur réthorique « Comment avez-vous fais pour prendre votre place, ce nouveau titre et la charge qui l'accompagnait ? N'avez-vous jamais douté ? »

Plus que devenir une épouse, elle avait du gravir un échelon bien plus haut. Une situation qu'elle n'osait même imaginer et qui l'impressionnait grandement de la part du Paon.

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