La joie vaut la peine [Alys ☾ Maddy]

Les flocons dégringolaient devant ses yeux, inlassablement, ils glissaient du ciel grisâtre pour recouvrir la terre des Royce d’un tapis blanc. De temps à autre, des spectres brumeux se dessinaient sous l’effet d’une bourrasque de vent, soulevant la neige autour de ses pieds. À cet instant, tout semblait si paisible, tel un moment figé dans le temps où rien de mal ne pouvait arriver. Le silence environnant la fascinait et l'angoissait par la même occasion, mais malgré la contradiction de ses sentiments, l’insulaire avait l'impression que ses poumons pouvaient à nouveau se gonfler d'air. À l’intérieur des murs de Roches-aux-Runes, elle avait l’étrange sensation de reprendre une place qui fut autrefois la sienne. Celle de la petite fille qui devait veiller sur trois enfants ayant perdu leur mère en temps de guerre. Elle se surprenait même à guetter l’horizon, en quête d’un navire ramenant les fils de Yohn, comme elle avait espéré un jour voir le bateau de son mari. Sans qu'elle puisse réellement mettre de mot sur son ressentie, ce retour en arrière l'oppressait. Peut-être parce qu'elle ne voulait plus être celle qui attendait.

C’est dernier temps, c’était l’incertitude qui la réveillait en pleine nuit, provoquant alors l’apparition de fines cernes violacées sous ses yeux, seule preuve de son manque de sommeil. Depuis le départ des valois pour cette terre glacé, Maddy avait agit comme à son accoutumé. Lorsqu’elle était rongée par l’anxiété, elle s’abrutissait par le travail, se libérant de sa prison faite de pensées. Elle les paralysaient par son hyperactivité constantes. L’argenterie n’avait jamais autant brillé qu’en ces jours funestes. Mais le soir venu, lorsqu’elle se retrouvait seule avec elle-même, l’insulaire était prise au piège par ses ruminations. Elle était alors envahit par ce paradoxe qui la heurtait, cette angoisse de ne pas savoir ce qui se passait au-delà de ses frontières et dans un même temps, par cette évidence qu’elle ne pouvait pas nommer, par peur qu’elle se matérialise réellement.

Les mains sur la rambarde, l’insulaire enfonçaient ses ongles cassés dans le bois, comme pour ressentir autre chose que le froid mordant de l’hiver. En d’autres occasions, elle aurait été émerveillée par le spectacle, par ces constellations givré qui envahissait les fenêtres, mais rien de tout ceci ne trouvait grâce à ses yeux. Ce n’était pas cette pluie de neige qu’elle observait en réalité, son regard était comme happé par le vide. Maddy n’aurait pas su dire combien de temps elle était resté ici, à se remémorer des souvenirs, mais ses doigts avaient bleuis. L’ensemble de son corps était contractés par le froid et par l’absence de mouvement. Lentement, la Descarpe sortit de sa léthargie et se mit à marcher en direction de la chaleur.

Machinalement, Maddy se mit à suivre les rires des enfants, ils étaient les seuls à faire du bruit. Même la cuisinière, elle qui était incroyablement bruyante, se faisait oublier dans le fond de ses marmites. Soufflant dans ses mains, elle se rapprocha du feu de cheminer et resta dans cette contemplation muette, bercée par les chahuts environnants.  

Quelque part dans le village, à la lisière de Roches-aux-Runes, sa propre fille devait s’endormir, lovée dans les bras de sa nourrice. Elle fermerait ses yeux fatigués, bercée par les histoires ou par les chansons un peu grivoise de l’ancienne pirate. Parfois, lorsqu’elle observait sa fille, elle avait l’impression de ne pas passer suffisamment de temps à ses côtés. Si calme, si tempérée dans ses joies et ses pleurs, Rosenn était une enfant qui se laissait oubliée par ses silences. Était-elle réellement heureuse, ici, cachée de certain et mis au grand jour pour les autres ? C’était une question qui restait entière. Étrangement, lorsque Maddy plongeait son regard bleuté dans ceux de Lucas, elle ne voyait que son propre enfant. Il était indéniable que Rosenn avait hérité des traits fins des Vanbois, la couleur de ses iris, sa chevelure blonde qui tirait légèrement sur le roux, seule preuve de sa propre filiation.

En fredonnant une mélodie de son enfance, du bout des doigts, elle éloignait une mèche du visage de l’héritier de Royce. Un sourire rassurant envahissait les commissures de ses lèvres, Maddy se voulait réconfortante et à ce moment, c’était tout ce qu’elle pouvait offrir à ses enfants. Non pas la promesse de revoir un jour leur père, mais celle de garder à jamais son amour. Après l’avoir suffisamment bien bordé, elle alla s’asseoir sur le lit d’Edmée, chantonnant toujours cet air qu’elle connaissait si bien. Elle la borda à son tour et déposa un baisé sur son front moite. En réalité, même si elle adorait les jumeaux, Angus restait son enfant préféré. Il était celui qu’elle avait le plus gardé, le plus regardé grandir, celui qui avait rencontré le premier Rosenn.

À l’extérieur, la dame de Roches-aux-Runes attendait dans le couloir, son visage déformé par l’inquiétude. Depuis le départ des Valois pour une guerre lointaine, l’étincelle de son regard était différente, plus terne qu’à son accoutumé. La crainte était de mise au sein de ce château silencieux. L’incertitude était le sentiment qui rongeait son optimiste, mais lorsque Maddy était en compagnie d’une autre personne, elle redevenait cette femme qui ne manquait pas d’argument pour continuer à avoir de l’espoir.

- Ils vont bien, dit-elle avec ce sourire maternelle, ils ont passé une bonne journée, ils ont rit, mangé à leur faim, découverte de nouvelles histoires. Aujourd’hui était une bonne journée pour eux. Ils vont bien.

L’inquiétude et le manque étaient sont des sentiments naturels, mais à leur âge, ces sentiments n’avait pas le même poids. Un rien pouvait les distraire, et une seule phrase pouvait les réconforter. C’était la magie de l’innocence.

- Je vais aller me faire une tisane, souhaitez-vous avoir tasse ?

C’était une recette de son arrière-grand-mère, une bonne compagnie et une boisson chaude, le grand remède pour soutenir une amie. Et si ce remontant ne fonctionne pas, il faut passer à plus fort.