[Flashback] Donnant, donnant - Ft Richard Morrigen

Il faisait face à son frère, le plateau de Cyvosse entre eux. Guyard jouais les blancs, laissant à Richard l'occasion de démontrer ses talents tactiques et d'en prendre de la graine.
Guyard s'était déployé de façon très offensive, avançant sans détour, échangeant les pièces aussi souvent que possible, en gardant l'égalité des forces et s'assurant de ne point laisser son roi en ligne de mire.

- Richard ? Si tu retrouvais seul en terrain ennemi, que ferais tu ?

Guyard bougea sa dragonne en vue de menacer la pièce maîtresse des noirs.
En attendant le coup de son frère, il continua sur sa lancée.

- Tu as une poignée d'hommes dans l'armée ennemie, une confiance relative de son général et le devoir de sauvegarder une pièce maîtresse que tu ne maîtrises pas qui est retenue par cette armée. De plus, la situation se complexifie avec une autre armée qui bloque la précédente sur place.

Il réagit au coup suivant de son frère, ne voyant guère où il voulait en venir avec celui-ci. Continuant sa stratégie offensive, il rameuta des pièces supplémentaires dans la mêlée qui s’annonçait.

- Je suis enclin à être direct, tu le sais. Si tu as des idées, je t'écoute.

Guyard leva son éléphant et réfléchit intensément au coup suivant. Il pris son temps, se rendant compte que ses options tactiques avaient tendance à s'amenuiser.
Il sourit en le posant sur le plateau, commençant à voir se dessiner le piège. Beaucoup trop tard pour y faire quoique ce soit.
Il regarda son frère, un petit quelque chose avait changer chez lui. Une certaine assurance depuis la mort de père commençait à poindre dans son regard.

- Tu as toujours été le meilleur dans ce domaine. En imaginant que la pièce maîtresse possède du pouvoir, que dois-je faire si celle-ci finit par se libérer seule ?

Encore quelque coups, et le plateau se vidait peu à peu des pièces blanches restantes.
Changeant de sujet en retirant son dernier trébuchet, Guyard se pencha vers Richard :

- J'ai trouvé Lester... Changé. Je crois qu'un vent nouveau souffle sur notre maison. Penses-tu qu'il soit de bon augure pour nous ?

Guyard baissa les yeux sur le plateau en soupirant chaleureusement. La situation est passé d'une égalité certaine, puis à une certaine déconvenue avant de finir en désastre certain, son roi bloqué d'au moins d'autant de manières différentes qu'il ne reste de pièces noires en jeu.

- J'ai l'impression que j'ai perdu. Peut-on refaire la partie et peux-tu me dire ce que j'ai raté ?

Une partie de Cyvosse en échange d’un entraînement à l’épée. Un arrangement fort simple si il en était. C’était Guyard qui en avait fait la demande, une chose un tant soit peu étonnante mais agréable. Le temps d’installer la table de la pièce à vivre de Richard, un jeu particulier si il en était, le seul jeu de la famille. Toutes les pièces étaient en bois et pierres précieuses. Il avait quelque peu traversé les années et était un peu élimé, mais j’en étais le joueur majoritaire. C’est donc naturellement que lorsque Père avait passé l’arme à gauche, le jeu m’avait été remis et, de toute façon, il était déjà dans ma pièce.

Guyard ouvrait de façon très offensive, rien d’étonnant en cela. A côté de nous, une carafe de vin et deux coupes déposées par ma main. Je remplis les verres laissant entendre le glougloutement du liquide et un léger fumet de bois, de myrtille et de raisins se fait bientôt sentir. Les pièces avancent, bien, qu’il vienne, je ne vais pas me fatiguer à chercher à l’atteindre si il vient de lui-même. Le temps de me gratter le menton et sa question me fit hausser un sourcil.

« Si j’étais seul ? Ma foi cela dépend… Si je suis seul dans les lignes ennemies mais inconnu de celui-ci je me fais discret au possible pour sauver ma peau. Si je suis connu et bien… »

Un léger sourire alors que je sors de ma botte ma dague.

« … J’utilise la méthode qui te sied à toi. »

La dague alla se ficher dans la tête du siège dans lequel Guyard était assis alors qu’un léger rire part de ma gorge.

« Mais j’admets que je ne me bats sûrement pas de façon aussi ‘extravertie’ que toi. La lame longue et la dague de parade ça ne vaut pas une bonne épée à deux mains hein ? »

Sa dragonne avance, dangereux de la laisser se balader alors qu’il y a encore beaucoup de pièces de mon côté. Je vois de quoi il souhaite me parler, il me demande pour son avenir. Je connais le projet de Lester, le projet d’aller chercher la damoiselle Connington et de la tirer des sabots du cerf. Mes lèvres se tordirent dans une moue pensive. Le temps de protéger en bougeant quelques pièces ma chère et précieuse pièce.

« Je dirais qu’il faut chercher à empoisonner au plus l’armée de l’intérieur… Surtout si tu es inférieur en nombre, ne pas gaspiller le peu de forces que tu as. Tu en auras besoin à la fin, au moment où il faudra se sauver avec la pièce. L’armée bloque ? Distrais-la. Brise la muraille qui entoure la pièce. »

Il me demanda d’être direct. J’aime à ne pas trop tergiverser de toutes façons. Mes deux pupilles noires se fixèrent sur les siennes.

« Infiltre, endors les et déclenche la plus belle tuerie qui te permettra de partir avec ton précieux paquet sans te faire remarquer. »

Il empoigna l’éléphant mais chez lui la débandade blanche avait déjà commencé. J’eus droit à une remarque sur le fait que je pouvais avoir changé. Malgré moi, je murmurais entre mes dents le menton entre mon pouce et mon index en pleine réflexion.

« Je suis enfin libre de parler à ma guise petit frère. »

Il continua à m’exposer son problème avec une nouvelle question enrobée d’un compliment. Je fermais les yeux en remerciement de celui-ci avant de continuer.

« Ma foi si elle se libère seule, c’est que nous avons affaire à une pièce fort dégourdie et une pièce fort dégourdie sait toujours dans quelle direction souffle le vent de la libération. »

Il restait peu de pièces sur le plateau, le temps de lui ravir ce qui lui reste et la partie serait réglée. Il en avait donc terminé avec ses questions et évidemment, le sujet principal entre nous revenait : Lester.

« Je trouve aussi mais lequel d’entre nous n’a pas changé depuis ce qui s’est passé Guyard ? »

Il se demandait si notre maison allait s’en sortir, le ton que je pris alors était sans équivoques.

« Faisons ce qu’il faut, restons unis et oui cela sera de bon augure. »

Son roi était fichu. J’avançais ma pièce et fit tomber son roi avant de lever les yeux devant lui.

« Soit faisons une partie mais, en tant que gagnant, tu me dois une faveur. Je veux quelques cours d’escrime avec toi entendu ? »

Je le regardais alors que les pièces se remettaient en place. Le petit dernier, le préféré du Père pour ses qualités à l’épée. La fougue de la jeunesse sûrement et sa vivacité lui donnaient un avantage certain sur le champ de bataille. Je pointais ses pièces.

« Tu as commencé de façon bien trop offensive… Evalue un peu la situation avant de te jeter tête la première dans la bataille… »

Je pointais les arbalétriers.

« N’envoie pas toutes tes pièces au cimetière dès le premier quart d’heure. Economise tes forces, elles sont toujours précieuses. Economise encore plus si elles s’amenuisent. »

Mes yeux rencontrèrent les siens.

« Le vrai stratège sait surtout... ce qu’il ne faut pas faire. »

Guyard pris un arbéltrier et le regarda près. Un quelconque artisans de renom avait du les travailler, il y a de cela plusieurs années. Autant qu'il se souvienne, ce jeu avait toujours appartenu à la famille et les pièces étaient en partie abimé par le temps et l'utilisation.
Cela dit, les joyaux des yeux et des écussons étaient toujours aussi brillants et le bois exempt de poussière. Richard devait en prendre soins.
Il reposa la pièce en écoutant son frère.

- Discrétion tant que c'est possible... Et ensuite, quitte à perdre la tête, autant ne pas le faire seul, effectivement.

Guyard vit la dague arrivée et ne bougea pas. Il se crispa à peine lorsque le bruit retentissant de la pointe se figea dans le bois du dossier.
Il ria avec lui. Son frère avait toujours un sens de l'humour très particulier, où se mêlait menace et testait les limites.
Il leva la main et retira la dague du cadre de la chaise et se mit à la soupeser.
Bien équilibrée et de bonne facture.

- Toutes les armes ont leur utilité, mon frère.

D'un geste souple et presque de désinvolture, Guyard envoya la dague se planter dans un étai... En emportant une bougie au passage du chandelier suspendu au mur.
Combien de fois ce genre de talent lui avait permis de gagner un pari en jouant avec la soldatesque ? Les voyages forment la jeunesse, comme on dit, et le fait de rencontrer plusieurs styles de combats différents à affiner le sien.

Ce n'est pas le genre de travail qui lui plaisait. Il fit une moue pensive en écoutant les conseils de Richard.

- La nécessité faisant loi à la guerre, j'appliquerais tes conseils dans la mesure du possible.

Il soutenu le regard perçant de son frère.

- Comme... Libérer et armer les prisonniers, profiter des différents entre les maisons composant l'armée et allumer le feu parmi les tentes ?

Lady Connington avait assez de verves et les moyens de négocier sa propre libération. Il le savait de Lester, qui après tout, lui avait simplement demander de s'assurer d'être dans les bonnes grâce de Renly et de protéger la Gryphonne au cas où le combat se déclencherait.
Mais pour se préparer au pire, autant en discuter avec Richard, qui lui, avait l'esprit assez machiavélique pour retourner une bataille à un contre cent.

- Dans le cas où elle réussis à négocier, je n'aurais pas besoin d'agir.

Et il pensa pour lui même : Lester est assez grand pour expliquer ma prétendu désertion. Il hocha la tête au commentaire de Richard sur leurs fratrie et se rappela son entretient pour cette mission.
La mort de Damon avait libérer le potentiel de chacun d'entre eux. Pourquoi se contenter de quelques acres de terre et de cette rancune, en effet ?

- Lester ressemble bien plus au Lord idéal que feu, notre père. Mais, je sens que notre ainé... Il compte sur nous, c'est certain.

Guyard pensait surtout à lui. Leurs fratrie lui a donné ce que son père n'avait jamais fait selon lui : la fierté de servir quelque chose de plus grand qu'une simple rivalité entre deux familles.
La certitude de Richard le fit sourire.

- Nous sommes bel et bien sur le même navire.

Guyard préparait son coté de plateau en vue d'un nouvel affrontement au Cyvosse.

- Avec toutes les armes que tu veux, mon frère. Après mon retour toutefois. Je pars ce soir pour plusieurs jours.

Il écouta attentivement les recommandations de Richard et sourit sur sa dernière tirade.

- Appliquons ensemble ce dernier point dans ce cas.

Guyard retourna le plateau et lui fit un clin d'oeil.

- Montre-moi comment tu attaques.

La proposition de Guyard était la bonne, j’hochais la tête en guise d’approbation. Un léger regard vers l’endroit où la dague avait atterri. Rien de grave, les gens ici avaient l’habitude des couteaux lancés dans des endroits assez disparates.

« Exactement oui. Tâche de la garder du coin de l’œil, il serait bête que l’oiseau pensant se sauver se retrouve dans un piège plus gros qu’elle… et qu’elle t’y mette. »

Il était le plus jeune, un peu de compassion de ma part pour lui éviter de tomber dans des traquenards qu’il n’aurait pas pu voir. Le plan était déjà quelque peu risqué, c’eût semblé presque inconscient de la part de Lester de le donner à Guyard. Dans une autre famille oui c’était complètement fou… mais pas chez nous. Toutefois, se jeter toujours la tête la première dans les situations opportunes ne serait peut être toujours pas sans risques. Enfin, ce n’était pas le cas pour le moment.

Guyard préparait la table pour une nouvelle partie. Je le regardais faire buvant ma coupe de vin.

« Je te fais une proposition, pour chaque pièce que tu me prends, tu seras autorisé à boire une coupe cul sec. Qu’en dis-tu ? »

Un léger sourire passa sur mes lèvres. Une petite carotte histoire de voir si il pouvait mettre en branle son esprit pour chercher à le battre. Mes yeux se posaient machinalement sur les pièces, cherchant déjà le moyen de faire une ouverture et mon cerveau réfléchissant aux coups potentiels. Une nouvelle fois, par habitude ou machinalement, ma main vint frotter mon menton.

« Tu ne m’as jamais dit Guyard… ce que tu pensais de moi. »

J’avais marmonné dans ma barbe occupé à bâtir une défense solide et faisant une percée dans ses lignes, doucement mais sûrement, histoire de le saper. J’attendais la réponse, dubitatif, si Lester brillait par son aura de grand frère et nouvelle tête dirigeante et pensante de la famille… et bien où étais-je ?

Je savais ce qu’il allait jouer, même si je le connaissais, les probabilités étaient minces dans ses possibilités de mouvements. Ainsi donc il partait pour un long moment dans sa fameuse mission.

« Tâche de revenir, j’ai grand besoin de m’améliorer à l’épée. »

Je repensais à ce qu’il venait de me dire à propos de notre aîné. Il était vrai que Lester était bien le fils de son père… du moins en apparence. Quant à fait qu’il avait besoin de nous, je ne pus m’empêcher de d’avoir un sourire narquois.

« Lester ne sert que Lester. Souviens t’en Guyard. A toi de voir si tu es prêt à encaisser les potentiels dégâts collatéraux. »

Oui nous n’étions que des objets ou plutôt des pions dans le jeu de Lester. Savoir que nous n’étions que des objets pour lui ne me dérangeait pas outre mesure. Il fallait parfois savoir oublier sa fierté et ses aprioris. Personnellement, je me sentais surtout totalement dénué de scrupules dans le sujet de la politique, mais aussi dans un autre… Un nouveau sourire, cette fois plus appuyé naquit sur mes lèvres.

« Il serait temps que nous nous trouvions quelques belles damoiselles pour le moins délurées et curieuses pour nous sortir de ces soucis et machinations. Qu’en penses-tu ? »

La partie continuait se faisant, je le regardais jouer, le laissant croire qu’il pouvait espérer s’en sortir d’une façon ou d’une autre… Guyard allait finir ivre si il se préparait à boire pour chaque pièces prises.

Guyard réfléchit à ce conseil de son frère. Il n'était pas dépourvu de sens. Il suivit le regard de Richard un temps avant de se reporter sur la plateau de jeu.

- Ce serait plutôt Renly dont je devrais me méfier dans ce cas. Quoique. J'ignore qu'elle sera sa réaction si elle me croise dans le campement à la solde de son ravisseur. Pas bonne, je le crains.

Il prit le temps de soupeser ses derniers mots.

- Cela pourrait facilité les choses toutefois. Personne ne s'attendra à ce que je cherche à protéger une personne qui me déteste.

Il termina le plateau de jeu et invita son adversaire à jouer le premier coup.

- Ah, j'ai besoin de toute ma tête pour cette nuit, tu m'excuseras de ne pas abuser du bon vin. Et puis, tu n'as pas besoin de ça pour l'emporter...

Ajouta-t'il, avec un sourire appuyé. Guyard déployait ses pièces en faisant plus attention à ne pas les perdre inutilement. Il essaya quelques sorties que son frère faisait dans la partie précédente, mais sans la maîtrise stratégique de celui-ci. Si dans l'ensemble, il y a du progrès, cela reste un débutant qui affronte un grand maître.

Il fut pris de court un instant par cette question. Les frères ayant assez peu partagé de temps, finalement. Il réfléchit un moment, puis répondit de manière franche :

- Tu m'as toujours fait l'effet d'un être un peu distant, sans être antipathique. Tu es un bon combattant, plus intéressé par l'art de la guerre dans son ensemble que le combat lui-même. Enfin, en tant que frère, je compte sur toi pour m'apprendre à être... Meilleur ? Oui, c'est le bon mot. Meilleur pour la famille.

Guyard reprit la partie, son esprit peu habitué à réfléchir autant sur le placement d'une pièce ou de l'autre, à échafauder une stratégie décente afin de contrer celle de son génie de frère.
Cela fonctionna... Vaguement. Loin de s'en faire, il répondit à chaque coup en la jouant prudemment par moment, et de manière agressive à d'autres.

- Serais-ce de l'inquiétude que j'entends ? Aurais-tu peur que je ne puisse tenir ma promesse ?

Guyard sourit jusqu'à ce la remarque de Richard sur Lester. Il fronça les sourcils. Pour lui, ce n'est guère imaginable de le croire aussi dénuer de principe... Enfin, il restait malgré tout son frère.

- Je n'ose pas imaginer le fardeau qu'il a sur les épaules. Crois-tu qu'il nous jetterait sans état d'âme ?

Il repris la partie qui s'annonçait encore perdue. Il fit quelques coups de plus, pour au moins espérer ralentir la vague blanche du plateau. Même si un profond soupire de sa part en disait long lorsque Richard présenta sa dragonne face à son roi...

- Il va te falloir expliquer un peu comment tu lis le jeu aussi facilement.

Puis, il lui emboita le pas sur le sujet suivant, qui lui était bien plus savoureux. Sans être accroc à l'autre sexe, c'était une bien agréable façon de se détendre, même sans aller jusqu'à la bagatelle.

- Tant qu'elles sont d'accord...

Guyard prit un sourire goguenard. C'était tellement dommage de devoir partir ce soir.

Dommage il refusait le challenge, un léger sourire de ma part alors que je buvais ma coupe avec un léger soupir amusé et agacé.

« Je te préviens qu’à ton retour cette partie-là, avec du bon vin de la Treille, se fera Guyard. Tu ne vas pas t’en tirer impunément. Renly ne pourra pas te sauver de cela. »

Il en vint à me répondre sur la question que je lui avais posée sur ce qu’il pensait de ma personne, l’impression que je lui faisais. Je m’attendais à sa réponse, du moins à une partie de celle-ci… mais pas à la fin. Il voulait que je lui apprenne à être meilleur. C’est une réponse qui me fit hausser un sourcil.

« Étonnant, je ne pensais pas que c’était à moi que tu ferais cette requête Guyard. Mais je ne compte pas te laisser sans utilité ne t’inquiètes pas. Forcément que j’émets des réserves quant à la mission que tu dois remplir mais je sais que tu t’en sortiras. »

Alors comme ça la remarque sur Lester l’avait un peu piquée au vif. Mais la vie c’était comme ça Guyard, ce n’était pas que des épées en bois et des mannequins d’entraînement. Je balayais d’un revers de la main les inquiétudes que je sentais poindre en lui.

« Je ne fais que te donner mon avis, je peux me tromper tu sais. »

Je voulais le rassurer aussi pris-je une mine assurée.

« Oui je me trompe sans nul doute, ne t’en fais pas. »

La partie se déroulait toujours en fond de conversation, une partie de mon cerveau y était toujours concentrée alors que l’autre voguait déjà dans d’autres lieux. Passant en revue des sujets divers et variés. Guyard était toujours en fâcheuse position, sa tentative pour l’imiter parfois avait été noble certes, mais difficilement reproductible pour un esprit non initié.

« Comment je fais ?... Je ne sais pas. Comment fais-tu pour te battre comme tu le fais ? Penses-tu à tous tes gestes, tes moindres passes et parades ? Non bien sûr que non, cela se passe tout comme tu respires. »

Je bougeais mon dragon tout en ne le quittant pas des yeux.

« Dis-toi que pour moi c’est la même chose. L’entraînement est devenu une routine, la routine une habitude et l’habitude un mode de vie. C’est un exercice tout autant que le tien. »

Et d’un seul coup, la bulle de tension et de concentration creva, un nouveau sujet était arrivé, un sujet qui n’était sûrement pas rebutant et qui portait des robes tout en flânant dans les jardins. Mes épaules se relâchèrent et je resservis tout de même la coupe de Guyard.

« Tu n’en as aucune en vue ou à qui tu fais la cour dis-moi ? »

Pourquoi prenais-je le temps de m’intéresser à la vie sentimentale de mon petit frère ? En l’absence de parents et même d’amis potentiels, j’estimais que Lester ou moi avions sûrement un rôle à jouer. Certes c’était des futilités, mais ce genre de futilités était nécessaire pour maintenir une bonne cohésion dans la famille. Il ne fallait pas que Guyard se sente mis de côté, ses atouts étaient trop importants pour qu’on ne fasse pas attention à lui. Lester partageait sûrement ce point de vue.

Je regardais par la fenêtre et soupirais, regardant Guyard avec un sourire.

« Quel dommage que tu doives partir si tôt, nous aurions pu aller faire un tour dans la maison close la plus proche. A charge de revanche là encore pour toi, te voilà dans l’obligation de revenir. »

Je portais ma coupe à mes lèvres pour la terminer. L’alcool ne commençait à agir que maintenant sur mon esprit, je sentais mon esprit devenir brumeux et mes gencives devenir indolores. Signe chez moi qu’il commençait à y avoir une attaque interne.

« Il n’y a pas encore cette donzelle rousse là-bas ?... Nous l’avions croisée dans les rues et prise pour une poissonnière… Après l’avoir essayée, je comprends mieux pourquoi nous avions pensé cela ! »

Un léger signe de la main pour sous-entendre qu’elle donnait de la voix dans certains moments avec un hochement de tête ferme signifiant « si tu vois ce que je veux dire ».

Guyard répondit en riant à cette boutade. Il se doutait qu'il finirait probablement saoul, mais de retour d'une mission qui ressemblait à un piège, un peu de détente ne serait probablement pas de refus. Si il en revint.

- Pour sûre, personne n’empêchera cela !

Il garda le sourire pour la réponse suivante. Richard avait l'air surpris de voir que Guyard lui reconnaissait ses qualités. Et désire apprendre. Le plus jeune des Morrigen se doutait bien qu'une lame ne suffit pas pour gouverner, ni gagner une guerre. Si le premier point n'était pas quelque chose qui le tentait, le second en revanche, apparaissait déjà plus dans ses prérogatives.

- Si cela peux m'éviter de tomber dans le genre de pièges qui tu me tends, dit-il, en pointant du doigt le plateau de jeu, ce serait déjà une bonne avancée. Après tout, la partie s'annonce plus proche du Cyvosse que d'une bataille rangée, pour le moment. Je m'en voudrais de vous faire défaut.

Il pris le temps de réfléchir à la réponse de son frère. Richard ne disait jamais rien au hasard. Il le regarda dans les yeux.. Puis regarda le plateau finir de se vider de pièces noirs.

- Si tu le dis, d'accord.

Ils en resteraient là pour Lester.
En revanche, en qui concernait le jeu, pour Richard, il ne s'agirait que d'une simple question d'entrainement. Guyard ne s'est jamais crut meilleur qu'un autre. Voir, il remettait toujours en cause ses talents, jusqu'à se perfectionner encore et encore, n'hésitant jamais à répéter les coups les plus basiques jusqu'à inventer les siens. Pour lui, l'occasion d'apprendre quelques passes à son frère n'était qu'un moyen d'en apprendre de nouvelles.

- Je ne vois pas les choses sous cet angle. En effet, chaque passe, esquive, parade est répéter, et répéter. Même su, elles seront recommencées et pourtant, chaque coup est légèrement différent. La pointe un peu plus par ici, la garde un peu plus haute ou plus basse. De ce fait, tout est à chaque fois complétement nouveau. Similaire, mais différent.

Il prit une gorgée de vin en remerciant son frère. Et continua :

- Ce que je veux dire, est qu'une parade adaptée à une attaque ne fonctionnera que pour celle-là. Voir, en fonction de comment ton adversaire effectue cette attaque, et de comment tu es toi-même placé, la parade pourrait être différente, et ne jamais être à nouveau applicable car elle sera adaptée que pour ce moment précis, à cet adversaire précis.

Et voilà, le roi noir fut sorti du plateau. Guyard leva la tête en souriant. Ce sujet-là est quand même plus... "Intéressant". La question pourrait être amusante, sauf si il cherchait à se marier. Cela serait dommage d'être rivaux pour cela... Cela dit, il y avait peu de risque. La seule demoiselle qu'ils connaissent tous les deux et qui aurait pu piqué son intérêt ne l'avait pas vraiment fait.
Il refusa le vin que son frère s’apprêtait à lui servir d'un signe de tête.

- Non, pas vraiment. Ou bien, tu ne les connais pas, fit-il avec un clin d'oeil.

Guyard ne manquait pas d'occasion de s'amuser dans ce domaine. Entre son nom, son charisme et sa renommée, il est même étonnant qu'il n'ai guère cherché à en profiter. Il n'était simplement pas le genre d'homme à semer des petits "storm" partout, mais plus à avoir sa chaufferette personnelle en attendant un mariage arrangé, ce qui ne manquerait guère d'arriver à terme.

- J'en serais ravi, ça fait longtemps que je n'ai pas "vu" Émilie.

Il se mit à rire la mention de ce joli petit bout de rousse. Sacré nuit entre frère, se souvint-il, même si la fin lui échappait un peu à cause d'un trop pleins de bière et de vins bon marché... Enfin, il lui était difficile d'oublier la brunette aux yeux noisettes qui avait ses faveurs, et ce, même si cette nuit-là était particulièrement bien arrosée !

- Tu m'étonnes, on devait l'entendre jusqu'à Port-Réal. Si tu y vas ce soir, t'en mettras un coup pour moi ?


Il fit un sourire goguenard à son frère. Et puis une question lui vint à l'esprit.

- Et toi, mon frère. As-tu quelqu'un en vu ?

Il le regarda droit dans les yeux. Ces questions sur sa vie sentimentale ne furent surement pas que le fruit du hasard après tout.

Sa vision des choses se tenait. En effet, chaque adversaire était différent mais pour réussir à remporter la victoire, généralement, il n’y avait qu’une seule méthode. Méthode qui comportait souvent très peu de variantes.
« Ton avis se tient. Toute autant que le mien. Autant dire que nous sommes face à un statut quo. »
J’éclatais de rire. Signe que le côté sérieux de ce début d’après-midi était définitivement dissipé. Maintenant la question était plutôt au badinage et aux frivolités. Alors comme ça il n’avait même pas accordé une œillade à personne ? C’était presque étonnant de sa part ! Le nom de la jeune femme susnommée me ramena à des souvenirs, ma foi, forts agréables ponctués de rires, d’odeurs de jasmins et de sueur. Je me penchais en arrière dans mon fauteuil la coupe à la main et les yeux rêveurs.

« Emilie… C’est vrai c’était ainsi qu’elle se nommait. Une sacrée braillarde elle aussi ! Ne me dis pas le contraire, tu étais dans la chambre à côté ! »

Une nouvelle gorgée de vin. Il fallait dire que c’était la jeune femme rousse qui m’avait appris quelques techniques et fait découvrir les plaisirs de la chair. J’avais remis ça le jour où c’était la première fois pour Guyard. Trop content de pouvoir aller au bordel aux frais du corbeau.

« C’était des talents dignes des plus grandes filles de joies Lysiennes. A l’occasion nous irons saluer la tenancière, Dame Morula. »

En y réfléchissant bien, c’était sûrement un nom d’emprunt. Mais il avait toujours sonné joli à mes oreilles. La dernière question de Guyard me fit reprendre un peu de contenance. Il me demandait si j’avais quelqu’un. Une demande délicate si il en était. Mais je préférais rester évasif sur la question.

« Si je te dis que non, tu vas me dire que je considère les femmes comme des pièces de Cyvosses et rien de plus. Voire quelque chose d’encore plus vulgaire et moins poétique. »

J’éclatais de rire.

« Rassure toi mon frère, je ne considère pas les femmes comme des chevaux… Bonnes à monter une fois par semaine ! »

Une dernière pensée pour le souvenir fugace que Guyard avait fait ressurgir, une nouvelle gorgée de vin et je le regardais, croisant les mains. Une question plus sérieuse vint à mon esprit.

« Dis-moi Guyard… As-tu peur pour ce que tu vas devoir accomplir ? »

La mission était risquée. Nous le savions tous les trois. Qui plus est, c’était le plus jeune. Encore impressionnable par certains côtés. Et si jamais il arrivait dans un endroit et trouvait quelque chose de totalement différent de ce à quoi il s’était préparé ? Là était ma crainte en tant que stratège de guerre. Accomplir des tâches impossibles et improviser étaient des choses qui pouvaient facilement me rendre fou.
Mon ton se fit froid et sans ambiguïtés.

« Rappelle-toi Guyard. J’aime quand un plan se déroule sans accroc. »

Savoir que le stratège de la famille validait sa vision des choses était... Pour le moins surprenant. Il se contenta de sourire à l'insertion de son frère. Après tout, il était dans le vrai aussi. Comme Richard, il a travaillé dur pour obtenir ses talents, et s'est glissé dans la peau du chevalier sans peur et sans reproche au point de s'en faire une seconde.

A présent, la discussion tournait vers quelque chose de plus bon enfant. On se disait souvent d’abord l'effort, et ensuite le réconfort. Mais un peu de bon esprit avant une mission qui promettait de couper court à ton bon esprit, autant en profiter tant que ça durait.

- Je me souviens en partie. Il faut bien dire que j'étais moi-même assez occupé à découvrir mon propre cadeau !

Il ria sur cette repartie et prit le temps de se remémorer le souvenir. Il était plutôt bien tomber sur cette charmante Liliane. Pour sûr, elle connaissait son affaire pour passé outre sa timidité du moment... Et pour la suite aussi, d'ailleurs. Quelques autres femmes ont occupé ses nuits depuis, mais bien peu ont su lui donner autant de plaisir que cette soirée-là.

- A l'occasion ! Elle doit surement se souvenir de nous... Tu te souviens du ramdam qu'on avait mis dans sa maison close ? Un vrai champ de bataille ! Et le meilleur, c'est qu'elle en riait !

Guyard soupira en souriant à la blague de son frère. Après tout, il avait bien le droit de penser ce qu'il voulait de la gente féminine. Surtout que ça sonnait tellement creux dans sa bouche. Il n'a jamais vu Richard réellement s’intéresser à une demoiselle depuis qu'ils sont en âge d'y penser. Sauf elle, peut-être.
La question suivante le fit brutalement redescendre sur Westeros. Il réfléchit un temps, en jetant un œil à son frère, son regard se fit plus dur une fois sa réponse faite.

- Évidement. Seul un imbécile ne se soucierait pas de savoir si il va réussir ou non. Mais là où un imbécile ne demanderait pas d'aide, je suis venu te voir pour avoir... Ton conseil sur cette mission. Pour cette question d'accroc, notamment

Quelqu'un toqua à la porte. Dehors, le soleil avait déjà largement baissé. Guyard se doutait de qui allait arriver.
Une fois que Richard cria pour le faire entrée, Fern s'inclina devant les Morrigen.

- Ser Richard. Ser Guyard ? Lord Morrigen vous fait mandé.

Le cadet Morrigen se leva et fit face au vieux mestre.

- En privé, fais nous le plaisir d'être moins porté sur le protocole. A-t'il finis de choisir mes gens pour notre escapade ?

Il soupira. Ces jeunes n'avaient vraiment aucun respect pour les anciens tel que lui. Et cette histoire d'épée avec Richard, de quoi continuer d'en soupirer pour de longues années.

- Tssk. Évidement. Es-tu prêt ?
- Tssk. Évidement. Je suis toujours prêt.

Guyard laissa le vieux mestre partir en soupirant, se retourna avant de lui emboiter le pas et fit un clin d’œil à son frère.

- Ce bon vieux Fern. J'adore le titiller.

Son ton se fit ensuite bien plus sérieux.

- Merci de tes lumières. Au revoir, Richard.

Sauver une Connington. Vraiment, Lester...

Quelqu’un frappa à la porte, à cette façon de toquer je savais déjà qui était derrière celle-ci. Le temps qu’elle s’ouvre et il était là : Fern. Son entrée m’arracha un léger sourire alors que je reposais le verre. J’allais encore passer pour le fils mal élevé qui aimait fort bien La Treille. Guyard eut une remarque qui me fit sourire.

« Ce n’est pas la première fois que je t’en fais la remarque moi aussi Fern, allons, oublie un peu le protocole. Aussi désappointant sois-je. »

Fern eut un regard mauvais avant de marmonner quelques mots dans sa barbe et ses dents.

« Ne poussez pas Guyard sur la même voie de la dépravation Richard… Si vous voyez ce que je veux dire. »

Ses yeux vinrent trouver les miens, je savais ce à quoi il faisait référence et sûrement même qu’il était au courant de ce qui liait Talya à moi désormais. Il faudra que nous en parlions de vive voix un jour, qu’il soit au courant du fin mot de cette histoire. Après tout, il avait toujours été plus un père pour nous que celui qui l’était réellement.

Il échanga quelques mots avec Guyard, signe que notre entrevue de cet après-midi était terminée et qu’il était temps pour lui de partir accomplir sa mission. Fern quitta les appartements alors que j’eus le temps de revenir au niveau de mon frère qui était en train de passer la porte.

« Guyard. Accorde-moi une dernière minute. »

Je le dévisageais, d’un air anormalement sérieux après la légèreté de la fin de la conversation.

« Sois prudent, cette mission nécessite doigté et maîtrise de soi. Je ne doute pas de toi, juste… Comme chaque chose comporte une partie d’imprévu… Fais en sorte qu’elle ne soit pas majoritaire. »

Ma main se posa sur son bras dans une ébauche d’accolade avant de sortir des appartements avec lui en fermant la porte. Le temps de parcourir un bout de couloir pour aller jusqu’au dehors dans les écuries pour m’occuper de Talion.
Arrivé au bâtiment, je voyais les hommes qui se préparaient pour l’expédition avec Guyard, les chevaux harnachés et les tenues de camouflage de sortie. Je les saluais tous d’un signe de tête, le temps de retrouver mon cheval dans son box. Talion m’accueillit avec un hennissement content, pensant que pour lui aussi c’était le jour du départ. Je flattais son encolure doucement.

« Et non mon grand, pas aujourd’hui, Guyard s’en va seul… »

Je le vis arriver alors que j’attachais l’étalon à un anneau pour changer ses fers. Mon regard le suivit alors qu’il saluait ses hommes. Je repris ma tâche les laissant mettre au point l’expédition avant qu’ils se mettent tous en selle et se préparent à partir. Sur le pas de la porte, je trouvais Fern qui était là lui aussi et qui était venu assister au départ.
Cela me dit sourire, il avait l’âme paternelle ce Mestre. Même si nous le rendions tous fou à notre manière. Guyard était sur son cheval, il passa a côté de moi. Le temps de le saluer de la tête dignement et de lui ajouter une dernière remarque.

« Je t’attends pour tes leçons Guyard. »