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Une voie déviée, lune 2, an 295

Le soleil cuisait la ville de Volantis.
Neina marchait, assurée, au milieu de la foule compacte. La seule chose qui rendait sa traversée citadine respirable était la présence de trois membres de la Main Ardente qui encadraient sa marche. Les cheveux tressés de la prêtresse balançaient dans son dos au rythme de ses pas alourdis par la chaleur ambiante. La poussière flottait autour des pans de sa longue robe rouge vif. Son buste était écrasé par un corset de cuir qui avait peut-être pour vocation de protéger les prêtres des coups de poignards. La jeune femme âgée de vingt-cinq années l’ignorait et n’y pensait pas le moins du monde. Il s’agissait de l’habit formel des prêtres du Maître de la Lumière. Un habit civil qui la présentait au monde comme vouée à une mission plus importante que sa propre existence ; un dessein plus grand que l’humain et un rôle dans la société qu’elle prenait avec ferveur.
Le regard noir de la prêtresse était profond et ne quittait pas sa destination un seul instant. Il semblait observer un point lointain qui était une direction mystique et invisible vers laquelle elle se dirigeait, accompagnée du pas régulier des soldats de la Lumière.
Le petit convoi déambulait, provoquant des coups d’œil inquiets, des prières, des cris de foi ou des saluts corporels. Néanmoins, il ne laissait aucun membre de la cité de Volantis indifférent. Les rues se faisaient de plus en plus étroite, plus il avançait vers les bas-quartiers de la ville. La population ne se faisait pas moins dense pour autant. Finalement, d’un geste de la main, la prêtresse rouge indiqua au groupe de s’arrêter. Sans un mot, le pas des soldats de la Main Ardente se stoppa. Un silence pesant, parfois interrompu par des petits murmures, occupa l’espace. Neina grimpa sur la petite esplanade au centre d’une petite place entre des coins de rues. Sur cette petite esplanade se trouvait un puit dont l’eau puait la maladie. Des gens reculaient, d’autres s’avançaient. La prêtresse lança un regard toisant sur toute la foule. Les soldats s’arrangèrent pour qu’un espace se libère autour d’elle. D’une levée de main, elle commença à prêcher :

« Valar Morghulis, peuple de Volantis » commença-t-elle en haut-valyrien.

Certains répondirent par l’habituel proposition : « Valar Dohaerys ». Ses mains se baissèrent, mais son regard se fit davantage profond. Un silence précéda la suite de sa prédication :

« Seigneur de Lumière, jette ta lumière sur nous ! Seigneur de la Lumière, défends-nous ! Car la nuit est sombre et pleine de terreurs ! » lança-t-elle, alors que certains fidèles baissaient déjà la tête.

« La vie est dure pour vous, citoyens et esclaves de Volantis. Encore des morts sont à déplorés depuis hier et encore d’autres viendront demain. L’odeur de ses rues nous rappelle la mort, est-ce pour autant qu’il faut perdre espoir ? Est-ce pour autant qu’il faille se complaire dans la terreur de la nuit ? Brûlez vos morts et envoyez-les rejoindre le Maître. Il s’occupe de chaque vie qui s’allume et s’éteint dans ce monde pour un projet bien plus grand. Brûlez vos morts, allumez la flamme le soir venu, priez et demandez espoir au Maître, alors il vous récompensera en vous amenant à ses côtés et en vous sauvant des ténèbres que la mort peut amener. Si vous mourrez pour lui, si vous vivez pour lui, vous serez dans la lumière à jamais. Ne pleurez pas. » lançait-elle particulièrement à l’adresse d’un petit groupe de femme qui avait surement perdu leurs enfants il y a peu. « Les âmes des fidèles seront loin des ombres. Effectuez vos besognes, mais refusez de servir quelqu’un qui pense être au-dessus du Maître. Acceptez vos souffrances et servez le dessein qui vous a été désigné. Cependant, gardez en tête que ce que vous réalisez pour la ville de Volantis, même s’il n’est pas reconnu aujourd’hui, il le sera demain. Soyez courageux, mais pas dupe. Venez au temple si vous pensez être désœuvrés, vous serez accueilli comme il se doit. Un jour la lumière vous éclairera. Ne vous perdez pas dans les ténèbres et les larmes. Allumez le feu. »
Neina effectua une légère pause. Elle aperçu un être inhabituel au sein de son auditoire. Il était le fruit d’un malheur, puisqu’il semblait ne pas avoir de jambe et être réduit à voir le monde d’une chaise en bois. Ce n’est pas uniquement le malheur ou l’ingéniosité de cette chaise qui marqua le plus la prêtresse, mais bien ce qu’il faisait. Il ne cherchait pas des paroles réconfortantes dans son sermon, bien au contraire, il avait l’air de se jouer de la religion. Il était en train de soutirer une bourse à une dame qui versait des chaudes larmes à l’écoute des mots de la prêtresse. Troublée, elle mis quelques secondes avant de reprendre son sermon. Personne ne s’en aperçu, pensant qu’il s’agissait d’une pause liée à la prière.

Neina le savait, il ne fallait pas interférer dans les rôles que le Maître de la Lumière attribuait à chacun. Elle ne dénonça pas le jeune enfant en chaise en bois. Une fois qu’elle eut fini de prêcher, elle ne put s’empêcher de le chercher du regard. A vrai dire, la jeune femme aux traits Yi Ti avait toujours été intriguée par ceux qui avaient l’air d’avoir échappé à la mort. Souvent, le destin que le Seigneur de la Lumière leur réservait était des plus intrigants. Chez ces personnes, il était indéniable qu’un rôle leur avait été attribué. Pas comme à cette populace qui servait le Maître comme main d’œuvre pour que les villes fonctionnent. Certes, leur rôle était indispensable, car ils étaient les doigts qui tissaient les grandes choses, mais des minuscules mailles pour laisser place aux héros. Elle se devait de veiller à ce que l’espoir les habite pour que la société fonctionne. Comme elle devait les éloigner des maîtres hérétiques et aux mauvais projets. Néanmoins, la prêcheuse rêvait de guider les êtres d’exception. Finalement, elle le vit, tentant de quitter la masse informe qui commençait à se dilater car le sermon était terminé. D’un geste de la main, Neina ordonna aux trois soldats de la suivre. Ils entourèrent le jeune enfant, qui n’avait probablement pas atteint la dizaine d’années. Elle se plaça face à lui.

Son visage demeurait fermé et inexpressif. Elle lui lança après quelques secondes de silence : « Valar Morghulis ». Les membres de la Main Ardente rejetaient ceux qui voulait approcher Neina pour des bénédictions individuels. C’était comme s’ils étaient que deux dans la rue encombrée.
« Tu n’as pas l’air d’avoir écouté ou compris le message du Maître, jeune infirme. Me tromperais-je ? »
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An 295, lune 2, à Volantis



L'air bouillant se respirait à peine. Thracy devait l'avaler pourtant, le laisser tapisser sa gorge sèche en une série de souffles courts. La moiteur des rues, sous leur chape de plomb, se trouvait redoublée par la transpiration des citadins fourmillant de toutes parts. Des marchands vendaient à la criée. Des porteurs avançaient, le dos chargé des moult fruits et produits marins à échanger contre pécunes. Les esclaves aux visages tatoués décrottaient les rues après les passages de chevaux ou d'éléphants. Êtres éternellement courbés et silencieux, ils progressaient ployés au milieu des marcheurs. Le petit invalide, quant à lui, se frayait un pénible chemin du bout des bras, comme à la nage au milieu de la houleuse mer de corps. Assis sur son landau décrépit, sa tête avait le malheur de se trouver au niveau des aisselles dégoulinantes, ou des auréoles de sueur le long des habits. Le garçon se sentait avalé, pressé, poussé, dans le creux de l'étau humain aux mille visages. Pieds, sabots et roues de charrettes soulevaient à chaque instant leur lot de poussière arrosée de soleil. Saisissant clair-obscur à l'image de cet affrontement entre Ténèbres et Lumière, que portaient les voix des croyants.
Quand par bonheur un fragment de ciel se dégageait devant ses yeux, Thracy contemplait les sculptures animalières dont Volantis l'Antique se parait. Il s'imaginait aussi grimper le long des tours fines et élancées parsemées çà et là – pareilles à autant de lances assez fières pour montrer rayer l'horizon. L'art des descendants de Valyria modelait la Cité ; le travail de cohortes d'esclaves en faisait battre le cœur, circuler le sang dans les veines des rues.
L'infirme en avait vu des choses, du haut de ses neuf ans ! Ceux à qui il devait obéir – lesquels ne manquaient pas de lui rappeler que sans eux, le marmot abandonné aurait vite crevé – vivaient en voyage perpétuel de ville en ville, vendant ici les épices, tissus et colifichets volés là-bas. Volantis leur offrait un nouveau terrain de chasse. Quand la caravane avait emprunté le massif pont aux arcades immaculées qui menaient vers la Cité, le garçon s'était demandé ce que leur réserverait ce majestueux carrefour commercial protégé par son écrin de pierre.

En ce jour, il se trouvait là, noyé dans la foule avec pour ordre expresse de dérober quelques bourses. Thracy devrait profiter pour cela, avaient dit ses maîtres, du sermon qu'allait donner une Prêtresse Rouge non loin d'un puits infecté. Profiter de la misère de ces gens pieux, venus écouter des paroles de réconfort, pour leur arracher leurs maigres économies... quelle bassesse. L'enfant secoua la tête et déglutit son amertume à ce triste constat : il n'avait pas son mot à dire. Confus, il décortiqua de ses pupilles ambrées la foule des croyants dont les prières, les révérences, les gestes de foi accueillaient déjà l'oratrice. Elle s'installa bien en évidence au milieu d'une esplanade, cerclée de soldats voués à sa protection. Le petit invalide écarquilla les yeux devant sa cuirasse – comme elle devait mourir de chaud ! – puis se laissa saisir par le vivant tableau que constituait cette femme en habit rouge, seul point de couleur ardant au milieu d'une terne cohorte de miséreux. Au moins, pour une fois personne ne remarquait l'éclopé à la chevelure cuivrée sur son chariot de fortune. Parfait. Thracy devait passer à l'action.
Porteuse du message du Maître, la voix de la Prêtresse s'éleva. La foule lui répondit. Alors, décuplées par un silence religieux autant que par le jeu de l'écho entre les murs de ce quartier lépreux, les intonations de la femme en rouge envahirent l'espace, les esprits, les cœurs. L'infirme serpentait parmi les auditeurs. Son cœur se serrait en surprenant les larmes qui venaient à certains. Ses doigts fins, aguerris à l'art de la rapine, cueillirent leurs premières récoltes. Son bras se frayait un sentier entre les corps, son poignet ondulait, sa paume pinçait la recette. Habile fil de pêche que nul ne remarquait. Laissant son corps ainsi occupé, Thracy consacra ses oreilles curieuses aux mots de la Prêtresse. Ils évoquaient la dureté quotidienne, passaient un baume réconfortant sur le cœur des plus humbles de ce monde, pleuraient les morts avant d'exhorter au courage. De quoi décupler encore la honte du petit voleur. Oh il aimait l'idée qu'un Maître de Lumière se penche vers chacun, surtout ceux à qui l'existence faisait le moins de cadeaux. Mais si cette entité les jugeait, comment se présenter à elle alors qu'on vivait de malhonnêteté ?
L'oratrice fit alors une pause dans son prêche. Thracy crut à un instant de méditation. Il acheva de soutirer la bourse d'une auditrice et la fourra sous sa tunique râpée. Il se détendit : nul ne l'avait repéré ! Il attendit la fin du sermon pour prendre roues et courage à deux mains, avant de s'extirper de la foule à la manière d'un félin discret et ondoyant. Il emprunta une rue voisine.

Soudain, des pas lourds et menaçants résonnèrent derrière lui. L'enfant eut à peine le temps de se questionner que, déjà, trois hommes d'armes l'encerclaient. Il reconnut les gardes de la prêtresse. Son visage déjà blême pâlit davantage : l'avait-on vu voler ? Son souffle accéléra. Il rentra sa tête dans ses épaules, roula du dos en avant et tenta de maîtriser au mieux les premiers tremblements qui lui venaient. Ses yeux brouillés de larmes montantes découvrirent la Prêtresse, venue se poster devant lui. Le soleil mordant découpait sa silhouette en contre-jour, la transformant en ombre prête à l'avaler. Pourtant, la voix de la femme demeurait calme, neutre, tandis qu'elle confirmait à Thracy ce qu'il redoutait : ses brigandages n'avaient pas échappé à la servante du Maître de Lumière.

« V... Valar Do... haerys » bégaya le gamin d'une minuscule voix – il ne savait pas ce que cela voulait dire, mais avait compris depuis ses quelques jours à Volantis que l'on répondait ceci après les mots étranges employés par la religieuse.

Tout son corps frêle plongea en une révérence précipitée à la question qui suivit.

« Pardon... Pardon Prêtresse... Je sais qu'c'est mal mais... me dénoncez pas j'vous en prie. »

Ses grands yeux se relevèrent à tâtons, quêtant une expression, une réaction de la prêcheuse – n'importe quoi susceptible de le rassurer. Et cependant, Thracy réfléchissait déjà à ses paroles, ainsi qu'aux paradoxes qu'elles lui semblaient soulever. D'un côté, il fallait obéir à la place que le Maître de la Lumière et du Bien attribuait à chacun. Mais de l'autre côté, la place du petit invalide était de faire des choses mauvaises pour les gens qui le lui ordonnaient. Était-il alors blanc ou noir ? Et tous les gens ici-bas, étaient-ils tout blancs ou tout noirs ? Est-ce qu'on ne serait pas plutôt... des âmes grises, obligées de se dépatouiller au mieux dans les virages de l'existence ? Le garçon tremblotait. Son front se froissa et ses sourcils s'abattirent sur ses yeux qui allaient et venaient, paniqués, chargés de trop de questions. Pris dans leur élan, il s'entendit à peine souffler :

« Mais Prêtresse... Si le Maître il veut le bien, mais qu'je dois aussi obéir à des plus petits maîtres qui me demandent des choses pas bien ? »


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Une voie déviée, lune 2, an 295

Neina se trouvait face à ce garçon assis sur une chaise en bois pourvue de roue. Cet étrange appareil, autant ingénieux que précaire, lui laissait penser qu’il ne s’agissait pas d’une mécanique venant d’une civilisation avancée de l’Est, mais bel de l’ingéniosité d’un mécanicien de coin de rue. Son expression ne laissait rien paraître de sa réflexion et surprise. Son regard noir perçait le visage de l’enfant apeuré. Elle comprit immédiatement que sous ces vols et cette chevelure rousse, l’enfant était enclin à une profonde solitude. Toute personne normale aurait ressenti de la pitié à cette constations perspicace, mais la prêtresse avait appris à ne pas s’apitoyer sur le sort des malheureux. Le Maître les avait placés ici pour une raison précise. Elle inclina la tête pour répondre au salut hésitant de l’infirme pourtant encore pourvu de jambe. Elle en vint même à penser qu’il faisait semblant de ne pas pouvoir les utiliser. Plus rien ne la surprendrait à Volantis, autrefois grande cité de la Grande Valyria, aujourd’hui ramassis de misère sur laquelle s’est élevés quelques âmes moribondes.

Alors, la prêtresse comprit que l’enfant était encore pourvue d’une jeune âme innocente. Il ne chercha pas à esquiver ou à paraître surpris de la visite de la prêtresse et de ses trois gardes. Les fidèles commençaient à comprendre que la prêtresse rouge, occupée, ne leur donnerait pas de bénédiction supplémentaire et qu’il ne passerait pas la barrière des trois gardes de la Main Ardente. Petit à petit, la foule s’estompait. Neina ne laissa rien paraître à cet enfant en détresse avouant sa faute. Pas un geste d’affection, de tendresse ni même de compassion, ne vint d’elle. Impassible, droite, elle fixait l’enfant de moins de dix ans, réduit au vol à la tire. Le silence qu’elle imposait entre les deux interlocuteurs, afin de pousser dans ces retranchements les émotions de l’enfant, devait avoir pour résultat une profonde détresse chez lui. Quelle fut sa surprise quand l’enfant profita de ce silence pour poser une question qui avait l’air sincère et qui devait retourner la situation entre les deux interlocuteurs. De dominante de la conversation, l’enfant retourna la question à la prêtresse avec une facilité déroutante. Le silence qu’avait imposé Neina eut un effet intriguant chez cet enfant. Cette fois, elle ne put s’empêcher de lever un sourcil.

Elle laissa encore quelques secondes de blanc entre la question de l’enfant et sa réponse. Elle se pencha vers l’infirme afin de positionner ses yeux à sa hauteur. Alors que l’échange visuel était à son paroxysme, elle dégaina :

« Tu as bien raison de t’interroger, jeune voleur. Mais poses-tu cette question de façon sincère ou serait-ce une ruse pour te dédouaner de la sentence que prévoit les lois de la cité à des enfants comme toi ? »
Elle se releva et poursuivit :
« Heureusement pour toi, tu auras pu le remarquer, je ne suis pas de la milice de la ville. Ce n’est donc pas à moi que tu dois répondre de tes actes. »

Elle jeta un œil aux alentours. Souvent, les enfants envoyés au vol à la tire étaient surveillés par des maîtres qui ramassaient le butin ensuite. Elle se demandait si c’était risqué pour l’enfant de lui parler. La prêtresse avait beau s’efforcer d’avoir un regard extérieur sur le monde, son humanité la rattrapait à maintes occasions ; parfois sous forme de pitié. Et puis… l’histoire de cet enfant l’intriguait. Comment un infirme n’a pas fini dans la fausse commune ou dans une mendicité solitaire ? Il semblerait qu’il est trouvé une façon de se débrouiller ou qu’on lui a forcé… d’après ses dires. Il n’empêche qu’il s’agissait d’un survivant. Et dans les enseignements du Maître de la Lumière, Neina a bien appris une chose : ceux qui échappent à la mort sont là pour une raison.

« Enfin, je ne vais pas te déranger plus longtemps, jeune infirme. Mais, puisque tu as profité de mon sermon pour t’en mettre plein les poches, tu me dois quelques heures de ta vie. Tu vas donc venir avec moi au temple de la Lumière, j’ai quelque chose à te montrer. »

Elle leva la main, et de ce signe, les gardes se retournèrent vers l’intérieur du cercle qu’ils avaient dessiné pour que la conversation soit plus intimiste au beau milieu d’une rue. D’un autre geste, un garde se saisit du chariot de l’enfant alors que les deux autres se mirent à encadrer la prêtresse rouge.

« N’oublie jamais que rien n’arrive par hasard, jeune infirme. Et même si notre route ne se croise que pour un jour, nous devons en tirer enseignement. »
Et le petit convoi se mit à déambuler dans Volantis pour arriver au temple du Maître, le plus grand du monde connu.
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An 295, lune 2, à Volantis



Craintif, Thracy attendait. Son silence lui nouait le souffle et ses mains se comprimèrent encore davantage à ses roues. Comme il n'osait redresser la tête, ce fut aux mouvements de la robe qui voilait la femme qu'il comprit qu'enfin, elle se baissait vers lui pour le dévisager. Il releva les yeux à tâtons et eut le sentiment de recevoir en plein cœur les pupilles scrutatrices de la prêcheuse. Elle semblait songeuse. Peut-être même suspicieuse quant à la sincérité des réponses que le voleur avait fait si naïvement. Après tout, comprit-il alors, il devait en traîner des malfrats bien meilleurs dissimulateurs que lui et qui à sa place eussent simulé la candeur.
La question que lui retourna la prêtresse confirma ce sentiment. Le petit invalide secoua la tête. Il préféra ne pas songer une seconde aux sanctions évoquées. Thracy tenta de coudre quelques mots maladroits :

« Oh non, je... je... j'vous promets... On me... demande de faire ça. »

La honte perçait à travers sa voix, la rentant plus ou moins murmurante. Il fronça les sourcils et déglutit un filet de salive : le remords était aussi contre lui-même. Sûr, que ses maîtres l'utilisaient à chaparder ou quémander. Mais sans eux... Ils l'avaient recueilli tout jeunot. Et si demain le garçon devait se retrouver seul de par les rues, bien peu de gens accepteraient de l'employer et il volerait encore – de sa pleine et entière décision cette fois-ci.
Aux affirmations qui suivirent, toujours prononcé d'un ton aussi lisse qu'un lac de glace, Thracy ne sut encore deviner les intentions de la prêcheuse. Oui, elle rappelait que son rôle n'était pas de le punir. Mais allait-elle le remettre à ceux qui assuraient ce travail ? Il ne la quitta pas des yeux tandis qu'elle se redressait et croisa au passage les grappes de pupilles posées sur eux. Tous ces gens autour des soldats... Ils espéraient des bénédictions... et sauraient maintenant qu'ils devraient se méfier du petit infirme. Immobile, l'enfant se pinça la lèvre. Il interrogea les mouvements de la prêtresse, qui paraissait scruter au loin.
Les soldats ? Cherchait-elle les soldats ? Thracy pâlit. Heureusement, ses maîtres n'étaient pas là pour voir ça. Ils faisaient leurs affaires de leur côté et le gamin devait les rejoindre plus tard à un point de rendez-vous. S'il n'y allait pas, il savait bien qu'un châtain-roux en chariote serait aisé à réclamer, à retrouver.
La voix de la prieuse le tira de ses pensées. Il écarquilla les yeux : elle lui laissait l'argent ? Et voulait qu'il vienne avec elle en échange. La bouffée de soulagement lui fit aussitôt s'exclamer :

« Oui, bien sûr Prêtresse... C'que vous voulez ! Merci... Merci... »

Ce ne fut qu'après cette éruption d'émotion que Thracy songea qu'elle le trompait peut-être... Pour le tenir calme en attendant de préparer autre chose. Il se tassa sur lui-même, tout nerveux, dandina du buste. Déjà, les gardes avaient saisi les poignées de son siège : il n'avait guère le choix. Restait à prier, si tous ces esprits et ces Dieux auxquels croyaient les multiples contrées existaient... Prier n'importe lequel. Celui de la Lumière, s'il pouvait avoir à son égard quelque indulgence. Et les autres au cas-où – car comment savoir lesquels existaient ?
Il acquiesça timidement pour toute réponse quant la prêtresse invoqua un destin à l'origine de toute rencontre et un enseignement à en tirer. Il suivra attentivement ensuite la route empruntée, afin de la mémoriser quand il devrait repartir vers ses maîtres. Seigneur, ses maîtres ! Que diraient-ils si Thracy revenait en retard ? S'il ramenait l'argent, rien, espéra-t-il.


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Une voie déviée, lune 2, an 295

LCe n’était pas de la bienveillance…
Neina n’emmenait pas ce garçon au temple pour le promettre à une vie de piété sous la protection du clergé du Maître de la Lumière. Déjà, parce que, même elle, prêtresse initiée, ne possédait pas le pouvoir de dire qui était digne ou non de rejoindre les rangs des serviteurs de la Lumière, et également parce qu’elle savait que même les messagers du Maître n’avait pas le pouvoir de dévier une voie…
Cependant, elle avait envie de voir le secret du destin de ce jeune survivant. Cet enfant qui se retrouve dans la plus dangereuse des postures de Volantis. Si ce n’était pas elle qui l’avait démasqué, il aurait été réduit à un esclavage meurtrier (car on ne tue pas les enfants… du moins pas directement). Pourtant, il était là, bien en vie, et probablement pas à son premier larcin. De plus, il était infirme…

Neina avait toujours été curieuse, même durant sa vie d’esclave. Silencieuse et observatrice, déceler les secrets impénétrables de ce monde faisait partie d’elle et la hantait plus que tout. Percer à jour le destin de cet infirme allait l’obséder un temps. Cependant, ni l’enfant en chariot, ni les membres de la Mains Ardentes qui l’escortaient, ne devaient être au courant des libertés qu’elle prenait. Parfois, son instinct prenait le dessus sur sa position de prêtresse. Néanmoins, il s’agit du serpent qui se mord la queue car sans cet instinct qui brûlait en elle, jamais elle n’aurait été choisie pour devenir prêtresse du Maître. L’enfant l’ignorait, mais il n’y avait aucun jugement dans cette action. Elle allait l’emmener avec elle non pas par écoute d’une vision que lui aurait offerte le Maître, mais bien par simple intérêt personnel.

Ils arrivèrent devant l’immense bâtisse du temple du Maître de la Lumière. Bien que cela fasse des années que la jeune femme entre et sorte de ce bâtiment, il demeurait une émotion vive à la vision du plus grand temple vouer à Rh’llor dans le monde. Il paraissait qu’un pieu homme de l’autre continent, par amour pour le divin, aurait construit un immense sanctuaire pour ses propres dieux… On pouvait mettre trois exemplaires de ce bâtiment au sein du temple de Volantis. Neina respira profondément et ne put s’empêcher de lancer une remarque à l’enfant diminué :
« Tu n’es jamais entré au sein du temple du Maître de la Lumière, j’imagine ? Peut-être que notre rencontre t’apportera au moins cette chance. »

Puis, d’un autre signe de tête, le petit convoi se remit en route dans ce silence plombant si caractéristique à une entrée dans un endroit sacré.
Elle fit passer ce petit convoi dans les immenses halls remplis de dévots du Maître demandant leur grâce. Les deux gardes de la Main Ardente qui l’encadraient durent à plusieurs reprises s’interposaient entre elle et quelques-uns de ces fervents. La prêtresse restait impassible et fixe dans son objectif.
Ils passèrent par une cour où certains futurs membres de la Main Ardente s’entrainaient avec des armes en feux. Le son du fer et des braises se mêlaient dans cette cour aux multiples foyers.
Par la suite, ils traversèrent différentes pièces, plus étranges les unes que les autres ; certains froides et d’autres brûlantes ; des lumineuses et enfin des sombres.
Ils arrivèrent dans une pièce aux murs nus de pierres grises. Il y faisait humide et noir, le plafond était haut bien que la forme hexagonale de la pièce qui se terminait en cul de sac réduisait sa largeur. Dans le fond, il y avait un bassin où flottaient quelques nénuphars sans fleurs. Neina s’arrêta net devant le bassin et attendit quelques instants. Elle prit une inspiration et lança aux gardes, en haut-valyrien : « Laissez-nous. »

La prêtresse ne daigna pas offrir un regard au jeune enfant qui devait vivre la scène la plus insolite de son existence. Elle se mit à marmonner les paroles d’une prière dans cette langue valyrienne qui n’était plus parlée par le peuple de Volantis, sinon par les castes hautes. Alors que ces mots sortaient d’entre ses lèvres dans un flux continu, elle alluma une bougie qu’elle laissa flotter dans l’eau. Puis, quelques bougies aux odeurs étranges qui se trouvaient sur les côtés. Une fois que les lumières éclairaient à demi la pièce, elle cessa son murmure et se tourna vers son prisonnier. Elle s’adressa à lui en valyrien commun :
« Ne t’en fais pas, tu seras aussi vite parti que tu es venu… Tu dois te demander pourquoi je t’ai amené ici. Et, c’est normal. Pourtant, tu devras accepter de ne pas avoir de réponse à ton interrogation. »
Elle n’offrit aucun sourire à l’enfant apeuré.

Elle reprit sa formule en haut-valyrien en allumant deux bâtons d’encens, désormais. Les odeurs se mélangeaient à l’humidité de la pièce, ça en devenait presque irrespirable, voire poisseux. Elle répétait sa formule plus forte désormais. Ses mots se détachaient bien d’entre ses lèvres et ses paupières se trouvaient à demi-closes. Les flammes des bougies se reflétaient dans le bassin. Neina poursuivait son rituel face à l’enfant qui se transformait en trance.
« Ô, Maître de la Lumière, nous t’implorons, jette ton œil ardent sur nous et garde-nous saufs et chauds, car la nuit est sombre et pleine de terreurs. » termina-t-elle en haut-valyrien, presque en criant car plus le rite avançait, plus ses mots se faisaient forts.
Elle jeta alors un regard écarquillé à l’enfant restait devant elle. Elle abandonna le bâton qui l’a aidé à allumer les bougies et s’avança vers l’infirme dans son chariot. Son regard se faisait perçant. Par des gestes lents, elle finit par se trouver face à lui et à caresser son visage.

« Je vois un long voyage… » elle respira et adressa son premier sourire à l’enfant. « Sais-tu pourquoi tu es en vie, jeune infirme ? »
Elle voulait connaître la vision de cet enfant et son histoire, voir si cela correspondait avec ce qu’elle pressentait.

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@Thracy
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An 295, lune 2, à Volantis



La route s'était poursuivie en silence. Thracy n'aura à aucun moment osé questionner la prêtresse, se contentant de mémoriser le chemin qui permettrait d'assurer le demi-tour pour retrouver ses maîtres. Exceptionnellement, son regard sur les embranchements se fit plus analytique que sensible. Il devait concentrer son esprit, petit singe fou, sur un itinéraire pur et dur. Un chemin à vider de toutes les sensations, de toutes les substances – et même de la présence de chaque personne qui aux yeux du vagabond avait son importance – de tout ce que son hypersensibilité aimait cueillir.
Cela avait du reste l'avantage de ne pas le laisser trop inquiété par la froideur de la prêtresse. Autant que par la raison profonde de ce qu'elle était en train de mener avec lui. L'invalide ne le saurait sans doute jamais. Parfois, il devinait des choses, mais en l'occurrence...

Bientôt ils furent avalés par un bâtiment-monstre. Si immense ! Si grimpeur, tels les vieux arbres ou ces statues démesurées en l'honneur des Dieux. Thracy comprit qu'il s'agissait du temple de Rh'llor et en sentit toute l'ombre infinie couler en lui, autant que sur leurs têtes. Jamais le garçon n'avait imaginé qu'un noir aussi intense pouvait exister ! La ténèbre ressortait d'autant plus, du fait que seules quelques touches de clarté s'y promenaient. Espace de vide, espace de non-temps ! L'infirme sut alors qu'il entrait en une autre réalité.
Il s'en trouva presque coupable. Sans savoir de quoi, car il n'avait qu'obéi... Mais tant de mystère et d'ombrageuse beauté flottait ici que le loqueteux s'y sentit faute de goût sur tableau, mouche à merde sur cristal. Alors, Thracy poussa une profonde expiration, sifflante. Comme si par celle-ci il eut souhaité s'oublier, abandonner son corps pour n'être plus qu'esprit, dissolu dans la succession de salles troublantes où le groupe passa. Déjà, il lui parut que ses bras ne faisaient plus que balancier sur ses roues – mécanique actionnant de la mécanique ; automate abandonné lors que l'âme flottait.
Même la prêtresse, l'enfant l'oublia. Ou du moins il n'accorda à ce corps pas davantage d'importance qu'à tous les autres, éléments des décors surréels. À la question qu'elle lui posa, Thracy ne répondit que d'un hochement de tête négatif : non, il n'aurait jamais cru entrer au sein d'un temple du Maître.

Premier vestibule. Danse d'armes jouant avec le feu. Flamme et mort s'y enlaçaient. D'instinct, le regard de l'enfant tomba deux secondes à peine vers la caisse de sa chariote, où il cachait ses propres poignards entre ses cuisses et les montants de bois. Autour, tellement d'autres lames s'exerçaient. Thracy a une vision : les pavés saignent ! Il le sent là qui coule.
Deuxième salle. Les murs suaient avec l'hiver. Le temple lui-même se faisait être vivant, grelottant autant que ses membres. Un frisson mordit sa chair blanche. Le garçon tremblota.
Troisième porte. À l'hiver répliquait l'été. Au gel, la sueur. Après le noir intense qui demandait à être déchiré, venait la lumière aveuglante réclamant d'être fuie. Ou défiée ? Le vagabond opta pour cette seconde option. Il aimait percer ce qui le narguait. Et de ses yeux à lui aussi, ne disait-on pas dans la rue que c'étaient deux petits soleils fous ? Ils s'agrandirent. Iris flambantes prêtes à bouffer tant de nouvelles sensations que l'enfant garderait en lui. La connaissance se faisait aussi par des voies délirantes, illuminées, dangereusement amusantes ! Un rire-cristal le quitta. Pupilles dilatées. Était-ce les senteurs si soutenues qui produisaient cet effet ? Le cœur de l'enfant et tous ses sens décuplés surent à cet instant qu'il y aurait autant à apprendre du monde par la voie du mystère, du sentir, que par les traditionnelles. Il retranscrirait cela, se dit-il. S'il pouvait, il ferait de l'art et dirait des choses autrement ! Un sourire vainqueur apparut à sa face semi-démente – ligne fauve à ses lèvres et qu'il serait difficile de comprendre pour qui regardait. Lui-même, il ne comprenait pas bien.
Quatrième pièce. Son dépouillement aida Thracy à redescendre. Juste à temps : il allait se cogner dans un poteau à force d'être à côté de son corps. Au-dessus des têtes, un hexagone voulait aspirer les visiteurs jusqu'au fond de l'endroit qui rétrécissait. Après les pierres qui grelottaient, celles qui suaient, celles qui saignaient, en voilà qui maigrissaient. Comme si elles invitaient à la dépossession pour aller comprendre autres chose. Les mains de l'invalide se firent noueuses, nerveuses. Sa tête roula en arrière puis contre sa poitrine avant de repérer, près de la prêtresse, un bassin de nénuphars. Dépossédés, eux aussi : ils n'avaient pas leur fleur. Message contre une beauté-vanité, ou recherche d'une autre beauté, plus simple ? Le garçon se surprit à s'interroger en artiste sur ce décor.

Le visiteur ne prit pas ombrage, ni inquiétude, de la froideur mutique de la religieuse à son égard – lui-même trop saisi déjà de toutes parts par la singulière expérience. Puisqu'il ne comprenait pas les mots en haut-Valyrien qu'elle prononçait – devinant seulement, à sa première intervention, qu'elle congédia les gardes – Thracy les écouta comme il eut ouï une musique. Davantage que la signifié, c'étaient les formes des sons qui lui parlaient ! Leur flot preste, ininterrompu, et feutrés alors que la prêcheuse les disait d'une voix murmurante... cela lui plut. Autant que les odeurs des bougies allumées venant caresser ses narines. Les fragrances s'intensifièrent et le prirent au crâne.
Tandis que cela recommençait à danser entre ses tempes, devant ses yeux, dans son ouïe et sur sa peau qui suait, il reçut en écho les mots de la prêtresse. Normal... Accepter de n'avoir de réponse... Partir aussi vite qu'on vient... Le vagabond n'était plus en capacité de savoir s'il était apeuré ou ivre.

De nouvelles incantations. Les yeux-poignards de Neina pour venir le creuser, ses mains sur son visage pour d'étranges caresses. Elle prédit un long voyage et posa une question. La plus dure, la plus immense, la plus insondable des questions : pourquoi il était en vie ? Pourquoi chaque nouveau matin, et pourquoi la vie dans son sens le plus large ? Qui donc saurait répondre...
Ce ne fut alors pas tant Thracy, en dépossession, que sa drôle de voix qui répondit en tous les sens : « Pour êt' étranger nulle-part et habiter partout ? Ce voyage qu'vous dites... Oui, y a... l'ombrage de ces roues dessinant un sillon... Pour épouser les courbes du monde et après, atterrir dans une terre si sèche qu'on se cogne aux falaises. Mais où j'crois, y aura quand même douceur à trouver... Et là... je vivrai... pour servir ? Tous les hommes doivent servir après tout ! Ah... ha... Mais est-ce qu'y faut vivre et servir pour un monde qui est un musée de morts, une semaison de cadavres, un charnier de fruits délicieux à certains... Vivre... j'sais pas... peut-être pour essayer chacun d'apporter quequ'chose d'un peu moins laid... » Puis, un silence. Thracy ne saurait même plus répéter ce qui venait de sortir de lui. Mi-penaud mi-mutin, il renvoya : « Et vous pourquoi est-ce que vous êtes en vie ? »


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Une voie déviée, lune 2, an 295

Pauvre âme errante et écorchée…
Se dit la prêtresse en fixant l’infirme qui lui répondait avec une voix qui lui semblait étrangère à la gravité de ses propres propos. Dans la demi-pénombre des bougies, le visage de l’enfant en chariot semblait indéfinissable. Neina voyait une condamnation à l’errance. Mais pourquoi ? Pourquoi, Maître, cet infirme peut-il vivre ? Que va-t-il apporter aux mondes ? Votre Lumière sera-t-elle propagée par ce malheureux ?
Les plus insignifiants sont parfois les pièces maîtresses de rouages qui nous dépassent. En cela réside la grande leçon du Maître de la Lumière. Il n’envisagera pas une relation personnelle avec chacun d’entre nous. Il n’apporte pas la réponse claire et limpide qu’on attend à son destin. Il ne fait aucune promesse de vie éternelle ou de protection. Nous ne sommes que des pions sur un immenses échiquiers dont la partie est la moins sûre. Il faut juste se placer du bon côté pour que la bataille du Bien contre le Mal puisse avoir lieu. Alors, en vient la question, pourquoi cet infirme s’en sort-il ?

Neina en est persuadée, il allait accomplir un grand voyage. En l’écoutant, la prêtresse était sûre que l’enfant ne comprenait pas ce qu’elle avait vu dans les flammes. Il ne pouvait envisager la notion d’errance et de voyage telle qu’elle lui était apparue. A vrai dire, au vu de son jeune âge, il valait peut-être mieux qu’il n’ait pas conscience de la destinée qui lui était accolée. A vrai dire, les yeux de Neina avait aperçu cette fameuse trajectoire dans le vide, ce sentiment d’errance et d’étranger… Tout lui était apparu de manière distincte. Mais, cette prémonition valait telle la peine de traumatiser un enfant infirme ? Il sera étranger. Toujours. Même à Volantis, l’enfant en chariot dérangé. Il savait se rendre insignifiant, médiocre et invisible. Néanmoins que le sans-jambe demeurerait différent des autres. Il était donc particulier. A jamais étranger dans chaque terre qu’il ne foulera pas.

La prêtresse rouge sembla humaine dans son action. La jeunesse la rendait encore parfois sensible à ces destinées uniques et de perdition. Elle s’agenouilla face à l’enfant et posa ses mains aux doigts longilignes et pourvus de bagues étranges, contenant surement des choses qu’un enfant ne pourrait deviner. Son regard noir plongea dans celui de l’infirme. Son expression n’était plus glaciale, mais douce, voire mystique, avec quelques teintes énigmatiques :
« Il n’y pas que servir dans l’existence, petit infirme. Tu devras subir des épreuves que ton jeune âge te permettra de supporter, car tu porteras à jamais un regard unique sur ce monde ; bien plus vaste que tu ne peux le concevoir. Alors, sers, si en cela se pose ta destinée. Mais, n’oublie jamais, il y a autre chose dans le monde et je pense que tu pourras l’observer… Toi plus que quiconque. Cela n’a rien d’une malédiction, il s’agit d’un plan qui va bien au-delà de ce qu’on peut imaginer. Tout est équilibre entre Lumière et Ténèbres. Il s’agit de bien choisir son camp. »
Elle se releva et sourit à moitié.
« Quant à moi, j’imagine que tu as bien compris pourquoi je suis en vie. J’ai également eu une chance de faire autre chose que servir ; comme toi, tu l’auras, j’en suis sûre. Le Maître m’a guidé jusqu’ici et maintenant, je suis vouée à montrer la voie. »
Personne ne pouvait voir exactement ce qu’elle voyait dans les flammes. Ainsi, tout l’art des prêtres de R’Hllor était de savoir transmettre les messages du Maître dans le monde tangible. Voilà son rôle : être le transmetteur entre la volonté du Maître et le monde des humains. Cependant, interpréter l’impénétrable n’était pas sans risque. Il fallait d’abord se nier soi-même… Quand l’humaine apparaissait, souvent venait les erreurs dans les interprétations. A moins que ce ne soit l’inverse… Neina soupira et ne chercha pas à répondre davantage à la curiosité de l’enfant.

« Tu n’es qu’au début du voyage. » conclut-elle. « Peut-être le savais-tu déjà, au fond de toi. Le Maître a des projets pour toi. Maintenant, tu vas t’endormir à cause de l’odeur de ces bougies et tu te réveilleras sur la place où nous nous sommes rencontrés. »
Les bougies se consumaient et les anciennes trances des deux âmes n’en étaient que de plus en plus exacerbées. Neina était encore détentrice de ces moyens, habitués à ces odeurs, mais les paupières de l’enfant allaient se faire lourdes.
« Bonne nuit, petit infirme. Que ton voyage soit riche et ton regard aguisé. »
Codage par Libella sur Graphiorum



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[FB] Une voie déviée 28.9


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An 295, lune 2, à Volantis



Les grands yeux effilés de la prêtresse flottaient dans le vide. Du bout de ses iris écarquillées, affolées par ses visions et la danse folle des odeurs, le garçon les rencontrait encore et encore en croyant à chaque fois les redécouvrir. Quelles intenses réflexions l'animaient-elles ? Thracy eut donné cher pour partager ses pensées... Découvrir ce qui pouvait se révéler à l'âme si particulière de cette prêcheuse. Tutoyer les plans de l'Au-delà et y chercher un guide susceptible d'orienter le reste de ses jours. Cette femme, elle avait trouvé le sien : le service du Maître et la mission d'amener les humbles – et les Grands – vers ce qu'elle estimait être le juste et le vrai. Mais lui, infirme errant, quelle serait sa voie et sa façon d'offrir un petit quelque chose ici-bas ? Il l'ignorait et, à cet instant, trouva cela terrible. Il flottait au sein de l'inconnu au même titre que son corps dans ce temple, en proie à ces senteurs plus efficaces qu'une drogue.
L'intérêt si soutenu de la prêtresse à son égard l'intimida de nouveau. Que pouvait-elle lui trouver et lire en lui ? Il ne le saurait jamais. Thracy décela en cette religieuse quelque chose d'admirable : il crut sentir une vie que tout avait prévu pour n'être rien du tout... mais dont elle sortait plus grande, plus savante par sa main nouée à celle du Maître. L'humble vagabond aurait-il cette chance ?
Le regard de Neina sur lui avait changé. Thracy eut le trouble d'y trouver à présent quelque chose de doux, de sensible et consultatif... presque maternel l'espace d'une seconde. Un rapport que jamais le garçon n'avait expérimenté. C'était donc cela. Il rosit et se ramassa sur lui-même, ne sachant dire s'il en était flatté – réconforté – ou gêné. Alors en guise de diversion, il contempla les bijoux qui luisaient à ses doigts aussi immaculés et fins qu'autant d'aiguilles pour le percer.
Elle lui parla d'autres chose à accomplir que de simplement servir. D'un œil unique... Comment ? Lui ? Aurait-elle deviné les divagations dont, plus tôt, il avait été traversé : l'ardent désir d'exister autrement et de dire différemment. Quoi qu'il en fut, le petit invalide entendit ses mots comme une confirmation, après une latence d'hébétude. Puis Thracy aima cette idée d'équilibre subtil entre Noirceur et Lumière – être entièrement l'un ou l'autre lui paraissait trop immense, trop parfait, trop absolu pour être humain. À son tour il sourit avec tendresse en voyant les lèvres de la prieuses s'étirer pour une douce expression. Thracy parvint à articuler avec le peu de conscience, de vigueur et de pensée verbalisée qu'il lui restaient :

« Au tout début du voyage... Alors sûr qu'au fil de la voie ou dans l'errance, j'me rappellerai souvent de c'moment. Et de vos mots. »

Sur ce, il l'envia de parvenir à affirmer avec autant de certitude pour quelle raison elle était en vie. En ferait-il autant un jour ? Il l'espéra, dans sa suite inspirante... même si leurs Maîtres seraient de différentes natures.
Déjà, l'odeur des bougies se faisait particulièrement entêtante – plus que jamais – et la tête du petit errant roula en avant sur sa poitrine avant de repartir vers l'arrière. Il entendit en sourdine les mots de la prêtresse : des paroles bienveillantes qui le marquèrent pour toutes celles qu'il n'avait pas eues... et elle non plus certainement, mais qu'elle lui donnait. Bonne nuit, petit... Il paraissait que c'était ce que disaient des parents. Décidément oui, l'espace de cette parenthèse de vie au fond du temple, Thracy avait expérimenté un parallèle. Un moment hors-temps et qui n'en serait que plus présent au fond de son âme quand il réintégrerait le cours ordinaire de la Roue. Aiguisé... Ah ça, lui qui dansait avec des couteaux pour gagner sa croûte ! Du moins, quand il ne chapardait pas ou ne tirait pas les cartes. La prêtresse lui indiquait d'autres moyens d'être affûté que par les lames.
Les paupières closes sur son sommeil envahissant, Thracy adressa un dernier sourire – sincère, reconnaissant – à la prieuse. Il aurait voulu lui dire à son tour quelques mots, cependant rien ne vint. Il sombra.

Neina l'ayant annoncé, il se réveillera dans la rue où tout avait commencé, un peu comme si le moment n'avait pas eu lieu, ou ne devait exister que dans son âme. Le petit invalide mit quelques temps à recouvrer pleinement ses esprits. Son corps demeurait planté là et puisait peu à peu assez d'énergie pour reprendre sa route. Quand enfin sa lucidité et son regard se rallumèrent, il empoigna les roues de sa chariote et partit retrouver ses maîtres. Du moins ceux qui en tenaient lieu pour l'instant. En chemin, Thracy s'arrêta seulement deux secondes pour vérifier qu'il avait bien sur lui l'argent qu'on lui réclamerait une fois de retour. Ces pièces d'or, c'était pour eux-autres – lui gardait au fond de son esprit un autre doré. Celui des bougies révélatrices dedans le Temple du Maître.


[FB] Une voie déviée 28.10


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