[FB] Death near the Wolves' den [Bran & Cassandre]

Jamais elle n’avait vu autant de monde concentré en un seul endroit. Pourtant elle avait grandi dans les quartiers les plus mal famés de Meereen où misère et promiscuité allaient de paires. La forteresse des loups n’avait rien de semblable aux rues de Meereen. Winterfell qu’ils l’appelaient. Les murs étaient hauts et austères et sous ses pieds c’était toujours cette odieuse poudre blanche et glacée qui crissait. Foutue neige. Elle ne les avait pas lâché depuis Fort-Terreur. Longtemps avait-elle hésité à faire le voyage jusqu’à Goëville plutôt qu’ici. Mais ser Marq avait été catégorique. Si la menace dont tous parlaient était bien réelle, ils n’avaient aucune chance de lui échapper seuls. Tenter de rejoindre le Val d’Arryn était à son sens suicidaire. Alors ils avaient suivi l’armée Bolton, s’étaient fondus dans la masse dans l’espoir de passer inaperçus. Le Grafton s’en était sorti assez bien, il avait semble-t-il croisé assez peu de nordiens dans sa vie pour ne pas être reconnu par ces derniers. Cassandre avait vu assez peu de femmes accoutrées comme elle l’était et avait craint que les choses ne se compliquent de son côté. Mais les femmes du Nord semblaient vivre différemment des autres westerosi et l’allure de la meereenienne si elle étonna parfois ne détonnait que peu. « Bouclez-la et tout devrait bien se passer. » avait commenté le valois au moment où ils s’étaient trouvés en approche de l’antre des Stark. Son accent aux forts relents essossien représentait en effet le plus grand des dangers.

Alors Cassandre faisait profil bas, se fondant dans la fourmilière qu’était devenue Winterfell. Tous s’activaient et il régnait partout une effervescence difficilement supportable. On courrait en tous sens, à la recherche d’armes, de vivres. Certains chuchotaient entre eux avec empressement, se partageant des nouvelles toujours plus inquiétantes. D’autres préféraient au contraire éviter la foule et restaient là, à l’écart, les yeux dans le vide et le teint blafard. Comme si déjà ils attendaient la Mort. Car selon les rumeurs les plus persistantes, c’était bien la Mort qui comptait les submerger. Cela n’effrayait pas Cassandre. La Mort restait après tout sa plus vieille amie.

Elle venait de se poser à l’écart, loin de la frénésie ambiante qui l’indisposait particulièrement. Si enfant elle ne l’avait pas été, sa vie de gladiatrice lui avait permis d’acquérir un certain calme lors de tels instants. De nature volontiers fougueuse et tête brûlée, elle pouvait alors se transformer en froide observatrice que la panique des autres pouvait grandement incommoder. Installée nonchalamment sur un petit mur de pierre rongé par la mousse et la neige, elle se concentrait sur la lame dont elle avait hérité. Une dague faite de l’obsidienne la plus noire. Elle fit glisser la pulpe de son pouce sur le tranchant de l’arme qui émit alors un léger bruissement. Elle semblait de bonne facture c’était tout ce qui importait à la meereenienne qui n’avait pas demandé un tel cadeau. « T’sauras t’servir de ça ?! » lui avait-on aboyé alors qu’elle passait par là. Cassandre s’était contenté de sourire, un sourire indécent qui avait visiblement convaincu le bonhomme qui lui avait jeté la dague à la figure. Elle s’en était saisi d’un geste vif et avait poursuivi sa route sans rien ajouter.

On disait que l’obsidienne était l’arme la plus sûre et la plus redoutable face aux monstres qu’ils s’apprêtaient à affronter. Légende ou non, ils sauraient bien assez vite de quoi il en retourne. Car le vent glacial sifflait de terrifiantes nouvelles. La Mort était à leur porte et viendrait les cueillir sans tarder.

Bran n’avait jamais vu Winterfell dans une telle effervescence. Et pour cause, ils allaient bientôt affronter les Marcheurs Blancs, ces créatures contées aux enfants, elles n’étaient pas censées exister, du moins en théorie. De tout Westeros, des nobles, des paysans, des soldats s’amassaient entre les murs des Stark, sous les yeux curieux du jeune garçon, qui du haut des remparts observait cette fourmilière. Il ne savait à quoi s’attendre mais une chose était sûre, il était impatient de découvrir tous ces visages méconnus, provenant de toutes les régions du continent. Si beaucoup s’inquiétaient de la bataille future, le jeune garçon s’émerveillait de voir autant de gens différents peupler le Nord, lui qui n’avait vu que cela. Il ne demandait que ça: découvrir le monde. Et bientôt, son vœu sera exaucé car il deviendra l’écuyer de Ser Lucas Nerbosc. Pour l’heure, le jeune loup se trouvait perché, admirant la foule, ces étrangers se préparant pour La Longue Nuit. Si sa Mère le savait ici, pour sûr qu’il aurait droit à une soufflante, sa sœur ou son loup faisait le guet afin de s’assurer qu’il ne soit pas repéré. Avec d’autant d’invités, il se montrait encore plus prudent qu’à l’accoutumée. Il aurait pu cesser cette activité dangereuse, mais sa curiosité enfantine le poussait à ne pas être raisonnable. Certains courraient dans tous les sens en quête d’armes et de vivres, quand d’autres se contentaient d’attendre que le temps passe et que la mort les prenne. Finalement, chacun avait une réaction différente face à l'adversité. L'on pouvait même entendre des rires gras de ceux ayant abusé de la boisson. Beaucoup de visages étaient fermés, ils allaient combattre demain, et risquaient de ne pas survivre. Soudain, le vent devint bien plus glacial, annonceur de mauvaises nouvelles, effrayantes même.

Frigorifié d’être resté sans bouger pendant de longues minutes, le jeune garçon décida de quitter son perchoir et de retrouver Eté qui l’attendait au pied d’un mur de pierres. L’animal savait parfaitement où attendre son maître tant il en avait l’habitude. Il évitait la foule, à juste titre, car beaucoup en avaient peur et pourraient le blesser. Alors, les rares fois où il sortait, son loup le suivait de très près. Brandon n'avait pas confiance en ces inconnus qui ne connaissaient pas les loups et pouvaient se montrer violents par peur. “Allez viens, on retourne dans ma chambre.” Disait-il à la brave bête tandis qu’il commençait à marcher en direction de ses appartements. Mais en se retournant, il entra en collision avec quelqu’un. Reculant, il leva le nez pour découvrir une femme, visiblement combattante. "Pardonnez-moi, ma dame." Il se confondait en excuses avant que son loup ne s’avance, se glisse entre eux, par instinct de protection sûrement. Était-elle une dame ? Non, elle n’en n’avait pas l’apparence, mais par précaution, il préférait la nommer ainsi. Il eut subitement peur qu’elle ne l’ai vu descendre du mur. Si Mère l’apprenait, il serait bon à rester enfermé dans sa chambre durant des jours. Ses opales sombres s’attardèrent sur la silhouette de la jeune femme dont il ignorait les origines. Ses vêtements ne portaient aucune marque d’une grande maison, ou autre. Il ordonna à Eté de s’éloigner de cette inconnue qui devait se sentir importunée. “Je suis Brandon Stark et voici Eté, il est assez curieux, n'hésitez pas à me dire s'il vous dérange.” Comme son propriétaire aurait-il pu ajouter mais cela, elle l’avait probablement deviné. “Êtes-vous du Nord ?” Elle n’était pas une lady superficielle du Sud, c’était évident. Il demandait cela avec toute la naïveté d’un enfant, avec un grand sourire et les yeux brillant d’intérêt. Si les adultes jugeaient la différence, lui en tant qu'enfant, ne pouvait que l'apprécier. La vie ne l'avait pas encore emplis de préjugés, il restait encore tout à découvrir pour lui qui n'avait vu que la rudesse du Nord.

Toute occupée qu’elle était à observer l’arme dont elle avait hérité et persuadée d’avoir réussi à atteindre un lieu suffisamment à l’écart pour ne pas être dérangée, Cassandre ne s’était pas méfiée. Et sans qu’elle ne puisse seulement s’en rendre compte s’était retrouvée face à un être qu’elle fuyait pourtant dès qu’elle en avait l’occasion. Un gosse. Elle n’avait jamais été très à l’aise avec eux, n’avait jamais trop su comment agir et n’avait jamais vraiment fait d’effort pour le découvrir. Ils avaient toujours des questions à poser, ils vous fixaient parfois sans rien dire, se contenter de vous suivre ou faisait la conversation avec une innocence ou au contraire une insolence difficilement supportables. Au mieux les enfants l’indisposaient. Au pire ils l’agaçaient franchement. Et voilà que le pire des scenario venait de se produire. Alors qu’elle devait faire profil bas, voilà qu’on mettait sur sa route un maudit gosse du Nord. Un maudit gosse du Nord qui venait d’avoir l’outrecuidance de lui rentrer dedans Ce gamin-là fort heureusement paraissait suffisamment grand mais elle n’avait pas plus envie d’engager la conversation. Elle parvint in extremis à garder ses signes d’humeur pour elle lorsqu’elle aperçut l’énorme bête qui suivait le petit à la trace. Le loup ne paraissait pas menaçant à première vue mais il était suffisamment imposant pour ôter toute envie à qui que ce soit de le titiller ou de s’en prendre à son petit maître. Et si l’orgueilleuse combattante était persuadée de réussir à s’en défaire sans mal s’il venait à attaquer, elle devait surtout faire profil bas. Et dépecer un loup géant tout en privant un gamin de son fidèle protecteur était assez peu en adéquation avec l’idée de faire profil bas.

Le gamin se présenta alors et Cassandre se demanda soudain si les dieux auxquels elle ne croyait pas n’avaient pas décidé de se venger de son athéisme honteux en se jouant d’elle de la sorte. Un Stark. Il fallait que ce maudit gamin soit e plus de cela un maudit Stark. “Enchantée Brandon Stark et… Eté.” mentit-elle en affichant un sourire de circonstances qu’elle parvint à placer sans trop de difficultés sur son visage non sans glisser un dernier regard en direction de l’immense bête. Naturellement avare en mots, elle comptait utiliser ce trait de caractère à son avantage. Parler le moins possible afin de ne pas trop faire entendre son accent qu’elle n’arrivait toujours pas à gommer et qu’elle n’arriverait sans doute jamais à gommer. Elle s’était désormais fait une raison. Mais comment éviter d’attirer l’attention à présent qu’on mettait sur sa route un gosse curieux et son loup ? Elle était bien contrainte de faire la conversation ? Les ignorer était le meilleur moyen de se faire remarquer. Les rabrouer serait une solution d’autant plus efficace. Non, elle devait oublier tout ceci. Elle devrait se montrer aussi agréable que possible, tout en protégeant sa couverture coûte que coûte. Tandis qu’elle continuait de sourire à son nouveau jeune ‘ami’ elle scruta brièvement la foule à la recherche d’une aide bienvenue. Mais sa volonté de se mettre à l’écart avait formidablement bien fonctionné sous certains aspects. Personne ne leur accordait le moindre intérêt. Pour son plus grand malheur.

Brandon émit l’hypothèse que celle qui lui faisait face venait du Nord. La question eut le mérite d’amuser l’ancienne gladiatrice. S’il savait. Si seulement il savait. “Je suis Cassandre de Meereen, la Faiseuse de Morts. Et lorsque nous en aurons terminé avec les monstres qui vous hantent, je me chargerai d’éliminer les tiens un à un, Brandon Stark. Et si mon seigneur et maître se montre magnanime, peut-être te laissera-t-il la vie sauve.” Un sourire intérieur se dessina dans son esprit alors qu’elle tenait cette tirade imaginaire. S’il savait. “Pas vraiment.” se contenta-t-elle de répondre sans rien ajouter de plus, scrutant le visage de l’enfant qu’elle espérait voir vite disparaître. “C’est le…hasard qui m’a conduit jusqu’ici.” conclut-elle en fixant le jeune garçon de ses prunelles d’acier, tentant de sonder, d’anticiper la prochaine question qui ne tarderait sans doute pas. Un nouveau rictus énigmatique étira ses lèvres. “Vas-tu te battre, Brandon Stark ?” Finalement la prochaine question c’était elle qui la posait, drôle d’ironie. Elle voulait se débarrasser au plus vite de cette torture et pourtant c’était elle qui offrait sur un plateau la prochaine salve. Mais elle espérait ainsi qu’en y répondant, en se concentrant de nouveau sur sa propre existence, le louveteau oublie celle de l’étrange femme qui se tenait face à lui.

La Bataille de Winterfell permettait de mélanger des personnes de toutes les contrées. Du haut de son perchoir, le Stark avait pu s’en rendre compte, ayant aperçu cette mixité étrange, lui qui n’était jamais sorti de sa région natale. Voilà que le reste du continent venait à lui, en de sombres circonstances. Probablement aurait-il préféré qu’il en soit autrement car les soldats n’étaient pas d’humeur à discuter ou à subir les interrogations d’un enfant un peu trop curieux. Brandon désirait tant en savoir plus sur le monde qui l’entourait. Il rêvait de chevalerie, d’épiques aventures. Et ce n’était pas en restant dans le château de Winterfell que ça risquait d’arriver. Alors,croiser cette femme était l’occasion idéale d’assouvir sa soif de connaissance. Celle-ci possédait un accent exotique méconnu du Nord. Rares étaient les femmes combattantes, elle semblait dans son cas ne pas être à sa première fois. Elle n’avait pas la même nervosité que les plus jeunes, dont le jeune loup. S’il ne participait pas au conflit, il serait aux premières loges, aux côtés de femmes et enfants. Si n’avait tenu qu’à lui, il aurait pris les armes pour défendre sa précieuse demeure. Le fief ancestral des Stark méritait que l’on se batte pour lui. S’il tombait, tout Westeros serait menacé par cette armée de morts-vivants.

Sans songer une seule seconde que sa présence dérangeait son interlocutrice qui le cachait plutôt bien, il esquissait un fin sourire lorsqu’elle lui répondit. Eté ne semblait pas très à l’aise en sa présence mais avait été obligé de reculer sous les ordres de son maître. L’animal possédait un sixième sens fort utile, il était capable de sentir les intentions d’inconnus et il semblait ne pas accorder une grande confiance à cette guerrière. Brandon était naïf mais loin d’être stupide, il ne ferait rien qui puisse le mettre dans une position délicate, mais ici, entre les murs de Winterfell, il se savait en sécurité. S’en prendre à un Stark sur son propre terrain serait du suicide. Nul besoin de dire que s’il lisait dans ses pensées, il en serait horrifié, mais la tirade menaçante de la gladiatrice restait lettre morte et heureusement. Si rien ne transparaissait, il ressentait une antipathie certaine chez cette femme. Taiseuse probablement pour son bien, elle demeurait vague sur ses origines. Mystérieuse, elle l’était à bien des égards. Bran se serait sûrement montré plus pressant mais se ravisa de l’interroger de nouveau, elle n’avait rien d’une aventurière bavarde, son intuition lui dictait de tarir un peu sa curiosité enfantine. “Le hasard est cruel, il vous a mené ici en de sombres circonstances.” Disait-il dans une grimace en songeant à ce qui les attendait demain. Une bataille inédite où la vie ferait face à la mort. Allait-il se battre ? “Mère a refusé que je prenne part au combat et ce n’est peut-être pas plus mal car je serai un véritable fardeau.” Il était un peu déçu de ne pouvoir participer. Mais il était encore jeune et aurait bien d’autres occasions pour prouver sa valeur. Puis, il lui retourna sa question, naturellement, sa curiosité piquée au vif. Si elle essayait de changer de sujet, c’était peine perdue. “Et vous, ce n’est pas la première fois que vous vivez une bataille ? Vous semblez expérimentée.” Il l’avait compris en l’observant. Elle n’était pas aussi nerveuse que certains. Elle semblait même confiante, attendant avec sérénité la lutte. Si elle avait peur, elle le cachait très bien en tout cas, et probablement était-ce sa force. Si aucune peur ne l'étreignait, alors probablement était-elle folle.

Cruel ou d’un cynisme acide, elle ne savait pas vraiment comment le qualifier ce ‘hasard’ qui l’avait conduit jusqu’ici. Une chose était certaine, elle ne goûtait pas l'infâme plaisanterie dont elle était victime. Dès l’instant où elle avait quitté le port de Goëville cette expédition dans ce Nord dont elle ignorait tout avait été vécue comme un supplice et les événements ne cessaient de lui donner raison. Rien de logique n’émanait de sa présence entre ces murs, cela ne relevait pas seulement de l’énigmatique ou de l’exotique mais aussi de l’incohérent. Jamais elle n’aurait dû fouler ces terres avant la victoire pleine et entière de Viserys. Le jour où les loups défaits auraient été contraints de ployer le genou face aux armées du dragon de l’Est. Mais pas avant. Avant, elle y était pourtant. Et pas qu’un peu. La faute à ce voyage comparable à l’enfer. La faute à ce putain de Bolton et à sa putain d’arrogance. Si elle le tenait, maudit qu’il était, elle n’hésiterait pas une seconde à lui sortir les tripes du bide. La faute aussi et surtout à ces putains de spectres dont la menace invisible planait plus que jamais au dessus de leurs têtes à tous, tel un ciel d’orage. A la remarque du gamin Stark, elle se contenta de répondre par un léger souffle de la narine, semblable à un rire étouffé.

Elle coula ensuite un regard concerné dans sa direction. Ainsi donc, il ne se battrait pas. Si elle ne cessait de le prendre pour un gosse, il paraissait pourtant au crépuscule de l’enfance. Un âge où il n’était pas rare de jeter les jeunes garçons au devant des combats. Elle savait les moeurs des occidentaux bien différents de ceux de son peuple mais elle y découvrait aussi des mères plus aimantes. De là où elles venait, combien de gamins avait-elle vu, chétifs et malingres, tremblant sur leurs jambes et tenant à bout de bras un glaive trop lourd pour eux ? Elle avait été de ceux-là, voilà longtemps et contrairement à beaucoup d’autres elle avait la chance insolente de rester en vie.

Ici, malgré la menace imminente d’une mort atroce et certaine – ou d’un destin pire que la mort selon les dires – alors que chaque épée comptait, on semblait très attaché au devoir de protéger les plus jeunes. Cette volonté était louable mais laissait la meereenienne de marbre, comme tout ce qui lui demeurait étranger. “Les seuls fardeaux qu’on trouve sur un champ de bataille, ce sont les cadavres, Brandon Stark.” se contenta-t-elle de répondre d’une voix neutre et profonde.

Elle reporta son attention sur la lame en verredragon tandis que le petit loup lui posait une nouvelle question. Pourquoi les gamins ne pouvaient-ils jamais s’empêcher de vous abreuver de questions ? A croire que la moindre interrogation leur brûlait si fort la gueule qu’ils se sentaient obligés de la cracher sans attendre. C’était épuisant pour ceux qui les écoutaient et Cassandre se demandait comment ils faisaient pour ne pas s’épuiser eux-même.

Mais cette fois-ci l’ancienne gladiatrice avait la sensation désagréable de jouer les équilibristes au bord d’une falaise. Un seul faux pas et c’était le la chute assurée. S’empêtrer dans un mensonge était envisageable, à condition que le petit ait une connaissance martiale pour ne pas remarquer que son interlocutrice n’avait en réalité pas l’étoffe d’un soldat. Des hommes bien plus aguerris s’y étaient bien laissés prendre tout bien réfléchi. Preuve était l’arme ancestrale dont elle avait hérité. Mais la différence était de taille car face à ceux qui lui avaient confié sa lame sans sourciller, elle n’avait pas eu à ouvrir la bouche un seul instant. Et conserver le silence était finalement ce qu’elle savait faire de mieux. Avec la curiosité de celui-ci, il faudrait la jouer fine. “Crois le ou non, mon expérience ressemble en rien à vos champs de bataille. Mais si ta question était de savoir si j’sais me battre alors la réponse est oui.” finit-elle par admettre en lui adressant un nouveau regard par en-dessous sans le moindre sourire pour l’accompagner. Elle continua d’aiguiser sa lame sans rien ajouter, espérant que le jeune maître des lieux s’épuise de lui-même. Mais elle sentait son regard fixement rivé sur elle et, plus dérangeant était évidemment les prunelles du loup qui ne le lâchait pas d’une semelle.

Elle se décida à mettre son ouvrage en suspens et inspira profondément. Quitte à jouer aux jeux des questions réponses, autant que cela lui serve. “Dis moi, ces monstres dont ils parlent tous… On dit qu’vos légendes en sont farcis… T’en penses quoi, toi, des morts qui marchent ?” Ser Marq avait été plus qu’évasif, d’ascendance valoise, issue d’une grande et riche famille du Val d’Arryn, les légendes nordiennes lui étaient inconnues pour la plupart. Quant à la soldatesque Bolton avec laquelle elle avait été contrainte de voyager, on ne pouvait dire qu’elle ait fait beaucoup d’effort pour s’en rapprocher. Mais tous puaient suffisamment la trouille pour l’inquiéter. “C’sont qu’des histoires pour faire peur aux gosses, tu crois pas ?”

Bran était un enfant curieux, parfois un peu trop. Mère n'avait de cesse de lui répéter de ne pas trop poser de questions aux soldats venus de tout Westeros. Mais l'appel était bien trop tentant pour y résister. Jamais il n'avait vu tant de gens si différents venir ici, dans le Nord. Il ne connaissait que ses terres glaciales et ses populations tout aussi solitaires. L'occasion était trop belle pour rester cloîtrer dans sa chambre à attendre que les Mort-Vivants n'arrivent. Il voulait découvrir tous ces visages méconnus, toutes ces histoires chevaleresques. Lui qui désirait un jour devenir chevalier était abreuvé de cela, alors naturellement, il se montrait attentif. Cette femme à l'accent exotique ne ressemblait à aucun autre. C'était d'ailleurs rare de voir une femme se battre, dans le Nord, certaines osaient le faire, mais les sudistes n'y étaient pas habitués.

Sa réponse fut glaçante et ne manqua pas de le faire déglutir. Elle n'avait guère tort sur ce point, les seuls fardeaux sur un champ de bataille étaient les corps de ceux qui étaient tombés. Bran devint quelque peu pâle à cette idée que la mort puisse le prendre, lui qui était si jeune. Protégé depuis toujours, il ignorait tout de ce qui attendait les guerriers demain. Les moeurs du Nord imposaient à ce que l'on protège les plus jeunes, ceux qui prendraient la suite une fois assez âgés. Ce n'était de toute évidence pas lui, du haut de ses frêles épaules, qui ferait la différence demain. Certainement que sa tête ne resterait pas bien longtemps sur sa tête. Il vacilla légèrement avant de retrouver un tant soit peu de contenance grâce à la présence réconfortante de son loup. Sa main caressa son pelage doux, il inspira, laissant sa peur s'envoler. S'il s'attendait à une interlocutrice agréable, c'était loupé.

Elle évoqua alors son expérience, bien différente de ce qu'il imaginait. Sa curiosité était piquée au vif, il ne put retenir la question lui brûlant les lèvres. "Quelles genre de batailles avez-vous mené ?" Probablement lâchée trop vite, il secoua la tête. "Pardonnez ma curiosité, vous n'êtes pas obligée de répondre." A la voir ainsi aiguiser sa lame, il devinait que sa présence l'agaçait sans nul doute. Cette femme n'avait définitivement rien en commun avec lui. Elle attisait autant sa curiosité que sa peur.

Le sujet des Marcheurs Blancs ne put être évité. Un mythe destiné à effrayer les enfants. Malheureusement non, cette légende existait bel et bien. "Il est vrai que l'on pourrait croire à un mythe. L'histoire s'est passée bien avant notre ère." Tombée dans l'oubli, cette histoire s'était transformée en fantaisie. "Ils sont parvenus à faire une brèche dans le Mur, une lune plus tôt. Alors je ne pense pas que ce soit un simple mythe." Une bourrasque fraiche les balaya tous deux, comme si évoquer ces créatures éveillait la nature elle-même. "Mon frère m'a même dit que deux familles avaient été décimées à cause des Spectres." Sa voix se faisait moins assurée, teintée d'une peur certaine.