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Tous les hommes ne sont pas insensibles - Jon&Shyra
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Il est coutume pour Jon d’envoyer quelques lettres à son épouse lors de ses voyages à Port Réal. Les lettres entre eux n’étaient pas vraiment brûlantes mais elles n’étaient pas froides, le couple marital s’écrivait sur leurs humeurs, ils se donnaient des nouvelles de la Griffonière et de Port Réal. Jon n’avait pas de secrets pour sa femme, pourquoi devrait-il lui en faire ?
Jon reçoit une réponse sur sa précédente lettre. Shyra, son épouse, lui rapportait ses malheurs quant au fait qu’elle se porte très mal. Ce n’est sans plus tardé que Jon prit son plus fidèle destrier et dévale les sentiers jusqu’aux Terres de l’Ombre. Durant tout le chemin le jeune suzerain n'avait de cesse que de se dire si sa femme allait bien, si elle n'avait pas tout casser ou si elle n'était pas mourante. Si Jon venait à perdre Shyra, alors, il n'aurait plus rien qu'une vie monotone, car même s'ils ne communique pas énormément, Jon sait que son épouse fait tout pour le garder à sa position.
En faisant très peu de haltes, le mari et suzerain arrive finalement à destination. Il laisse son cheval aux serviteurs et palefreniers en marchant à vive allures dans sa demeure. Le son de ses bottes de cuire se fit entendre dans toute la bâtisse. Son épée, cachée dans son étui, tapait fermement sur son flanc. Il monte les marches de pierres de sa demeure pour arriver devant la porte de la chambre congénitale. Il frappe trois fois avant d’entrer. Qu’il y ait une réponse ou non lui importait peu. Jon est le maître de ses lieux et il ne va pas attendre qu’on lui autorise un accès pour y aller.
Alors qu’il franchit le seuil de la porte, il s’immobilise, droit comme un piquet, pour effectuer une révérence de courtoisie. Il n’avait pas oublié les bonnes manières et l’étiquette.
Jon ferme la porte pour s’avancer vers son épouse qui semblait réellement mal en point. « J’ai cru comprendre que vous vous portiez mal, ma chère… ? » Dit-il tout en s’avançant, la main sur le pommeau de son épée. Il ne montrait aucuns signes d’inquiétudes mais le fait que le suzerain se soit déplacé et qu’il a interrompu un travail important pour la voire, montre bien qu’il en a. Il prit place sur une des chaises sombres en bois, près d’une petite table ronde et croise ses jambes pour avoir un air plus masculin. « Je me suis permis de venir en prendre personnellement… » Il se racle la gorge silencieusement avant de rajouter « des nouvelles, j’entends. » Finit-il par dire en se dandinant sur la chaise très légèrement. Jon n’était pas vraiment à l’aise avec le fait d’avouer ce qu’il ressent, alors il essaie d’être le plus neutre possible sans se montrer froid.
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Tous les hommes ne sont pas insensibles
Jon & Shyra Connington
An 296 - La Griffonnière
Ce fut le bruit à la fois si familier et si rare des bottes de cuir claquant contre le sol de pierre de la Griffonnière qui tira Shyra de son sommeil. Elle ignorait combien de temps elle avait dormi, combien de jours même s’étaient écoulés depuis la nouvelle tragédie qui l’avait frappée de plein fouet, manquant cette fois-ci de l’emporter avec elle.
Si Mestre Tibor n’avait pas réussi à sauver l’enfant, né de toutes façons avant terme et qui s’était présenté en une posture peu propice à l’enfantement, les compétences et l’acharnement de ce dernier –et peut-être bien les prières aux Sept de toute la maisonnée- avaient finalement sauvé la Griffonne, en proie à une fièvre virulente et passablement affaiblie après un accouchement plus que difficile. Alitée depuis lors, la suzeraine de l’Orage reprenait, depuis quelques jours à peine, enfin quelques couleurs qui avaient fait défaut à son visage déjà d’ordinaire si pâle, bien qu’elle soit encore incapable de se lever et encore moins de marcher, et peinait à se nourrir de mets réellement consistants. La nourriture lui soulevait le cœur, qu’elle aurait cru lui avoir été arraché si ce dernier ne tambourinait pas si fort et si douloureusement dans sa poitrine.
Si le sort de l’enfant ne lui avait jamais été clairement énoncé, l’absence de pleurs de nourrisson et le silence morbide qui avait régi la Griffonnière depuis son alitement était plus parlant que tout, et avait plongé Shyra dans une longue et douloureuse torpeur de laquelle elle ne semblait vouloir s’extraire.
Peut-être aurait-il mieux fallut qu’elle meure également cette nuit-là, plutôt que d’essuyer un nouvel échec que Jon ne lui pardonnerait probablement pas et qui laissait une nouvelle plaie béante dans son cœur déjà meurtri.
Elle était si fatiguée.
La porte s’ouvrit dans un grincement métallique, dévoilant la silhouette familière de Jon qui s’avança sans tarder dans la pièce, la saluant d’une de ces révérences courtoises et automatiques dont il a le secret. Un pâle sourire étira les lèvres exsangues de Shyra, qui tenta tant bien que mal de se redresser sur ses oreilles dans une piteuse tentative d’accueillir dignement son époux. Elle détestait se montrer si faible, même face à lui, surtout face à lui. Elle n’avait jamais laissé Jon l’atteindre, entrevoir la moindre once de faiblesse, si ce n’était le jour où ils avaient perdu leur premier enfant.
Et à présent que l’histoire se répétait, inlassablement, tragiquement, la Griffonne peinait à maintenir cet air à la fois si serein et hautain qu’elle arborait quotidiennement, comme si rien ne paraissait pouvoir l’atteindre, surplombant le monde, ses pairs et son lot de malheurs.
Les mots restèrent bloqués dans sa gorge. Etait-il seulement au fait de ce qui s’était passé quelques jours plus tôt ? Mestre Tibor était venue la trouver trois jours auparavant pour lui annoncer le retour de son suzerain, prévenu par corbeau de l’état plus que préoccupant de sa femme ; cette dernière, encore fiévreuse, presque délirante, avait à peine hoché la tête à cette nouvelle, comme si elle n’en avait qu’à peine saisi la teneur : à présent que la fièvre était retombée et tout danger écarté, le Griffon Blanc se retrouvait aussi faible et démuni qu’un oisillon, perdue au milieu d’un lit semblant trop grand pour elle et qu’elle n’avait pas quitté depuis presque deux semaines.
Souffrante. Un léger rictus déforma ses lèvres pâles, dans une grimace presque amusée : la diligence de son époux la touchait au plus haut point, lui qui était si gauche, si malhabile dans ses rapports à autrui. Le voir ainsi face à elle, aussi droit dans ses bottes mais conscient de la gravité de la situation, sans réussir à l’exprimer autrement que par quelques paroles de convenance dans lesquelles transparaissait à peine une once de compassion manqua de lui arracher un éclat de rire qui aurait probablement fusé de sa bouche si elle n’avait été aussi faible.
A la place, ce fut une quinte de toux qui lui répondit tandis que ses iris bleutés vinrent se poser sur son Lord et suzerain, qu’elle dévisagea avec une certaine tendresse qui ne lui était pas habituelle. Qui disparut presque aussitôt aux paroles de Jon, alors son expression s’assombrissait.
Non, il ne savait pas.
Ses longs cheveux sombres entourant son visage blême, émacié, elle secoua lentement la tête dans un geste négatif, son ébauche de sourire s’effaçant pour laisser place à une grimace douloureuse. Des larmes qu’elle retint plus que péniblement vinrent embuer ses grands yeux bleus, qu’elle baissa vers les draps, fuyant le regard inquisiteur de son mari.
« J’ai perdu l’enfant… » Souffla-t-elle dans un murmure honteux, presque inaudible, le regard rivé de plus belle sur les lourds draps de coton blanc et de plumes recouverts de fourrures, incapable de regarder Jon dans les yeux. Une larme vint rouler sur sa joue gauche pour venir mourir au coin de ses lèvres serrées en un rictus douloureux ; elle ne chercha pas à l’essuyer, ses longs doigts blancs et fins crispés dans les draps qu’elle serrait aussi fort qu’elle en était capable, à s’en faire pâlir les jointures.
Elle aurait voulu lui dire qu’elle était désolée. Qu’elle s’en voulait, terriblement, que tout ceci était probablement sa faute et qu’elle tâcherait de veiller à ce que tout se passe au mieux la prochaine fois, qu’elle ne prendrait aucun risque, qu’elle se reposerait, qu’elle…
Elle déglutit péniblement, fuyant toujours le visage de son mari sur lequel elle ne supporterait pas de voir à nouveau cette déception mêlée de compassion, comme si, face à son malheur, il se retenait de lui dire combien il lui en voulait de ne pas réussir à leur, à lui donner un héritier viable.
Ravalant tant bien que mal les larmes qui menaçaient à tout moment de dévaler les courbes de son visage émacié, Shyra ferma les yeux, les lèvres crispées, épuisée : elle ne voulait pas de prochaine fois.
Comment lui dire, comment lui faire comprendre qu’elle était épuisée, et qu’elle n’en pouvait plus, de toute cette douleur, de le décevoir, à chaque fois ?
base cracle bones, modification lawina
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