(flashback) Je ne suis pas une demoiselle en détresse

Alysane détestait rester à ne rien faire. Flemmarder était une chose impossible sur l'île aux ours. Même en mettant de côté la protection de l'île, il y avait tellement de choses à faire. Pourtant, la fille Mormont devait tout faire au ralenti depuis qu'elle attendait un enfant. Cela était irritant. Le comportement des autres l'était aussi, à croire que son ventre rond l'avait transformé en petite chose fragile.

Peut-être à cause du fait que son état ne lui permettait plus de porter l'armure qu'elle adorait ? Vêtu de simples vêtements, qui ne constitueraient pas la moindre protection en cas d'attaque, Alysane se sentait privé d'une part d'elle-même.

Ces sœurs la connaissaient assez pour savoir que ce genre de supposition était fausse. Elle n'était pas devenue soudainement une autre personne parce qu'elle allait bientôt devenir mère. Elle-même aurait pu avoir peur que cette responsabilité ne la transforme s'il n'y avait pas eu le modèle de sa propre mère qui démontrait qu'on pouvait rester une guerrière et former une famille.

Peut-être que c'était elle qui se faisait des idées. Que les habitants de l'île ne la regardaient pas différemment. Ou alors ce n'était qu'à cause de la rumeur qui disait que l'enfant qu'elle attendait avec un ours pour père. Si ce n'était que cela, la fille Mormont pouvait vivre avec. Elle était même fière d'avoir pu contribuer aux rumeurs sur sa famille à sa façon. Peut-être n'était-ce que cela... Il fallait dire qu'Alysane était tellement à cran ces derniers jours. Quand l'enfant sera né, il faudra qu'elle se fasse pardonner auprès de son mari qui avait supporter avec un calme impressionnant toutes ces sautes d'humeur.

Alysane poussa un soupir avant de réprimer une grimace. À ce stade de sa grossesse, même prendre une trop grande respiration lui faisait mal. Pourtant, elle se dirigeait vers le village pour faire des courses. Orderic, malgré son air inquiet, avait bien compris qu'il ne servait à rien d'essayer de la dissuader. On ne pouvait maintenir une Mormont enfermée entre quatre murs.

Cela ne l'empêcha pas de regretter son entêtement lorsqu'elle arriva enfin au village en question. La marche avait semblé durer une éternité alors qu'Alysane se souvenait pourtant avoir parcouru un nombre incalculable de fois cette distance en courant. La voie de la raison l'a poussait à admettre qu'elle avait eu une mauvaise idée, de s'arrêter le temps de reprendre son souffle voir de ne pas hésiter à demander de l'aide si le reste de son excursion improvisé se déroulait plus difficilement que prévu. Sauf que la fille Mormont n'était pas aussi sage que sa grande sœur. Têtue et orgueilleuse sur certains points, elle était incapable d'avouer avoir besoin d'aide. Ce genre de défaut lui avait déjà joué des mauvais tours et continuera sans aucun doute à le faire.

Pour l'heure, Alysane serrait les dents en se forçant à continuer. Parfois, elle posait une main sur son ventre, mais se ravisa bien vite lorsqu'elle soupçonnait qu'on la regardait un peu trop à son goût et s'en voulait presque immédiatement d'avoir cédé à ce qu'elle estimait être un geste de faiblesse.

La deuxième fille de Maege essayait de calmer sa respiration, refusant catégoriquement que celle-ci devienne sifflante. Ce genre de chose ne dépendait pas uniquement de sa volonté, hélas. Heureusement, regarder les dernières prises des pêcheurs l'aidaient à éloigner ses pensées de la douleur.

Malgré cette diversion, au bout d'un certain temps, même toute la volonté du monde ne suffisait pas. Alysane finit par s'autoriser une pause. D'abord, elle marcha à l'écart puis, après avoir vérifié que personne ne la regardait, elle s'assit aussi doucement que possible sur l'herbe. Elle ne put totalement réprimé un soupir de soulagement.

La future maman essaya de se détendre. Ce n'était pas vraiment un aveu de faiblesse, essayait-elle de se persuader, juste une petite pause pour admirer le paysage. Entre deux maisons, ce n'était pas vraiment un paysage idyllique, mais, comme on disait, les excuses sont là pour s'en servir. Tout en prêtant attention au bois des maisons, elle laissa son esprit vagabonder, essayant de se rappeler les paroles d'Orderic expliquant comme on reconnaissait un arbre qui allait fournir de belles planches.

Une ombre perturba sa contemplation et lorsque la fille Mormont se retira de sa rêverie, se fut pour voir un inconnu devant elle qui lui tendait la main, sans doute pour l'aider à se relever ou une idiotie chevaleresque dans le genre.

"Que pensez-vous être en train de faire ?" Répliqua-t-elle en fixant la main tendue comme s'il s'agissait d'une vipère prête à l'attaquer.

Si Alysane avait été un animal, sa phrase aurait pu être assimilée à un grondement d'avertissement.

Alysane avait du mal à voir son état comme l'attente d'un heureux événement. Les personnes qui employaient cette expression n'avaient certainement jamais été enceintes. La fille Mormont se sentait plutôt comme une eau qu'on aurait laissé trop longtemps sur le feu, prêt à éclabousser et brûler la première personne qui s'approchait de trop près.

Elle était vraiment impatiente que le bébé arrive. Tout s'arrangerait ! Elle pourrait reporter son armure, ne plus être épuisée au moindre effort. En attendant, la moindre chose la piquait au vif. Aujourd'hui, c'était un inconnu qui en faisait les frais. Ce n'était pas la faute du mercenaire. Alysane était particulièrement sur la défensive et hargneuse avec les étrangers. Sur cette île, on reconnaissait la valeur de sa famille. À l'extérieur, on risquait de la voir comme une faible femme. Un fait qu'elle avait bien du mal à supporter.

En d'autres circonstances... Non, il n'y avait aucune circonstance durant laquelle Alysane aurait été plus aimable. Même son mari savait qu'il était dangereux de lui tendre la main pour l'aider à se relever.

"Je n'étais pas tombée." Répondit-elle sur la défensive lorsque l'inconnu se justifia.

Instinctivement, elle avait posé la main sur son ventre arrondi. Elle n'était pas allée plus loin dans ces explications. Avouer qu'elle s'était assise pour se reposer n'était-il pas un aveu de faiblesse. De toute façon, elle ne put aller plus loin dans ces protestations car l'étranger continua sa tirade par une phrase qui piqua encore plus ces nerfs à vif (si cela était possible) : que quelqu'un du peuple puisse vous apporter son aide.

Sur ces mots, elle se leva vivement. Plus tard, Alysane regrettera sans doute ce geste trop rapide, mais pour l'instant, la colère l'alimentait d'une énergie nouvelle.

"Attendez." Cria-t-elle alors que l'individu tournait les talons pour partir.

"Vous croyez vraiment que c'est à cause de votre condition que j'ai refusé votre aide ?" Répliqua-t-elle d'une voix un peu plus posée, mais qui démontrait que la dame se sentait vexée qu'on puisse croire en une telle chose. "Dans ce cas, vous ne devez rien connaître de la famille Mormont."

Qu'on puisse croire que les femmes Mormont s'accouplaient avec des ours, passait encore. Qu'on leur prêtait des capacités de change-peau, pourquoi pas ? La deuxième fille de Maege se demandait d'ailleurs laquelle de ces rumeurs étaient connues de son interlocuteur improvisé. En tout cas, Alysane ne pouvait le laisser continuer de croire que les Mormont regardaient de haut les gens du peuple. Çà, c'était hors de question !

Le visage d'Alysane afficha une légère moue tandis qu'elle croisa les bras comme pour appuyer avec ferveur ces derniers mots. Elle savait, qu'en principe, c'était le moment où elle devait s'excuser. Cependant, ce genre de chose n'était pas dans ces habitudes. Ces tentatives d'excuses spontanées étaient toujours si maladroitement formulées, qu'au final, mettait de l'huile sur le feu. Ces tentatives d'excuses spontanées étaient toujours si maladroitement formulées, qu'au final, mettait de l'huile sur le feu.

Alysane n'était pas le genre de personne qui usait de son appartenance à la noblesse au moindre prétexte. Des menaces telles que 'je pourrais ordonner qu'on vous coupe la tête' ne lui étaient jamais venu à l'esprit. Si elle voulait faire payer quelqu'un, pas besoin d'appeler la garde ! La famille Mormont était là pour protéger l'île et non pour se retrouver au sommet d'une pyramide hiérarchique. Il n'y avait que lorsque sa mère lui rappelait toute les règles protocolaires qu'Alysane se souvenait de la signification de son rang pour le monde extérieur. Inutile de dire qu'elle détestait çà, surtout lorsque cela concernait des bals et des robes.

Ne pas être à l'aise dans la situation présente renforçait sa mauvaise humeur. Si elle avait révéler être une Mormont, ce n'était pas pour faire la leçon, mais plutôt pour qu'on n'entache pas le nom de sa famille d'une réputation complètement fausse. La seule rumeur qui pouvait être rattaché à son nom concernait des ours et rien d'autre.

"Vous n'êtes clairement pas d'ici, de ce fait." Répliqua-t-elle lorsque l'inconnu souligna qu'il ne pouvait pas savoir qu'elle était une Mormont.

Aux yeux d'Alysane, être un étranger était pire que tout. Hors de cette île, les gens avaient une autre manière de penser, d'autres habitudes, hormis, peut-être au Nord. Des mots comme 'noble' ou 'femme' avait d'autres significations qu'ici. La jeune maman se demandait toujours pourquoi ces sœurs nourrissaient le désir de voyager. Ici, les femmes pouvaient défendre les siens alors qu'ailleurs, leur seule utilité était de se marier ou crier des ordres. Oui, Alysane avait des idées très arrêtées sur les terres au-delà de l'île aux ours et très certainement fausse même si elle était trop têtue pour le reconnaître.

N'ayant jamais accordé d'importance à son rang, elle fut décontenancée lorsque son interlocuteur baissa les yeux et encore plus lorsqu'elle reçut des excuses. Alysane était toujours bouillante de colère, mais il était extrêmement difficile de se maintenir dans un tel état lorsque la personne en face de vous s'excusait platement.

Une moue apparut sur son visage alors qu'elle tentait de trouver un prétexte afin de se maintenir en colère. Cependant, elle ne pouvait s'empêcher de devenir hésitante comme si elle n'avait jamais reçu d'excuse aussi rapide de sa vie et ignorait la marche à suivre. Surtout que le mercenaire semblait attendre quelque chose de sa part.

Le regard de la Mormont qui était resté river sur le mercenaire dériva vers ce qui l'entourait comme si un élément du décor pouvait lui apporter une réponse concernant la suite. Alysane se passa mentalement la conversation à l'envers et revint à la remarque sur les nobles qui prenait de haut les gens du peuple. Elle leva les yeux au ciel et semble exaspérer.

"Vous attendez qu'une poignée de gardes sorte de nulle part pour vous emmener au cachot parce que je me suis mise en colère contre vous ?" Demanda-t-elle avec rudesse en faisant un geste vague pour montrer qu'elle n'avait aucune escorte. Une petite part d'elle-même espérait se tromper, mais elle n'oubliait pas que son interlocuteur avait soudainement baissé les yeux. "Si j'avais des griefs contre vous, je les aurais réglés moi-même."

Une tirade qui aurait été sans doute bien plus crédible si elle avait porté son armure et non un ventre rond.