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L'Origine des Flammes [TOMBOLA]

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L'Origine des Flammes

   
Tombola

   


   
Lyra

   Un lourd manteau neigeux recouvrait la boue frigorifiée de l’Île aux Ours. Le givre craquait sous chacun pas, hurlant et gémissant, à la fois avalant et vomissant le silence. Les arbres avaient déjà perdu toutes leurs feuilles, laissant uniquement les sapins et les ifs menacer les cieux pâles de leurs branches recouvertes d’épines grises. Quelques corbeaux croassaient en passant de rameaux en rameaux, se donnant quelques coups de bec au passage, probablement pour se disputer un maigre ver de terre, sûrement le dernier de sa lignée encore en vie. Car avec l’automne agonisant et l’hiver triomphant, c’était l’avènement de la mort et les soupirs exténués de la campagne qui répondait au regard ahuri des hommes. Dans la profondeur des bois, aucun son de venait se glisser entre les fougères rabougries aux tiges figées dans la glace. Aucun son ne résonnait entre les écorces. Aucun son ne sifflait entre les collines mornes. Rien que la stupeur d’une nature surprise par cette dague glacée qui était venue se ficher entre ses côtes sans qu’elle n’ait eu le temps de protester. La forêt, autrefois chantante et grouillante de murmures engageant, était maintenant aussi muette qu’une crypte. Comme un animal blessé, elle s’était repliée sur elle même et ne laissait plus rentrer en son sein que les plus courageux et les plus fous pour découvrir ses mystères, en ne faisant pas la promesse de les laisser un jour ressortir. Carcasse vide, mélange de racines noires et d’os laiteux pour les plus méfiants. Repère dangereux et maudit pour les plus peureux. Singularité étrange et respectable pour les curieux.
L’aube caressante avait du mal à transpercer les nuages gros de flocons qui venaient du large, mais durant quelques secondes de répit, le combat cessa et un fin rayon de lumière vint illuminer le sol scintillant comme des centaines de pierres précieuses. Même les plus belles femmes de Westeros ne pouvaient se vanter d’avoir les plus beaux cailloux accrochés autour de cou. Même Lynesse n’en était pas capable. Car elles étaient là, les plus belles créations d’orfèvrerie. Par terre, habillant chaque courbe, chaque mont et chaque val d’une lueur différente selon la façon dont on la regardait. C’était cela que Lyra aimait. La beauté subtile et pourtant éclatante de la nature qui se muait et ne cessait de se transformer au fil des secondes.

Dans le mutisme du petit chemin reliant la forteresse de rondins des Mormont au petit port de l’Île, la jeune ourse hâtait le pas. Emmitouflée dans un lourd manteau inconfortable et engoncée dans un pantalon sans couleurs, elle s’était en plus enroulée dans une grosse étoffe de laine et couverte la tête d’une capuche de fourrure de renard pour éviter à la bise glaciale d’entrer en contact avec sa peau. Seuls ses yeux restaient visibles dans cet amas d’épaisseurs sans forme. Dans son dos, Mouton, son chien de chasse favori, trottinait sans aboyer, son souffle se matérialisait dans l’air comme le sillage d’un fantôme désespérant d’apparaître aux yeux des vivants.
Malgré sa tenue digne d’une sauvageonne et sa marche athlétique, le froid parvenait tout de même à se frayer un chemin jusqu’à ses doigts et ses orteils, manquant de la faire frissonner. Même les nordiens avaient froid. Elle aurait préféré rester au coin du feu, à se réchauffer les membres et à recoudre les vêtements de ses sœurs en compagnie de la cuisine, mais pour la première fois depuis des semaines, des marchands s’étaient installés la veille au soir dans le petit village de pêcheurs pour pouvoir commercer quelques jours. Puis, ils repartiraient, luttant contre la Baie des Glaces pour atteindre le continent. Et personne ne savait quand ils reviendraient. C’était l’occasion où jamais de négocier quelques denrées ou quelques ressources qui risquaient de manquer aux insulaires et qui pourraient leur faire gravement défaut au milieu de l’hiver.

Pour la brune, l’objectif était de nourrir Solitaire. La dragonne errait dans les bois, cachée des hommes, et si l’archère ne doutait pas une seule seconde de son instinct de survie, la saurienne était encore trop jeune et trop fragile pour survivre à l’hiver seule. Elle était probablement capable de dénicher les rongeurs hibernant ou les biches terrées, mais entre les débusquer et les croquer…

Lorsqu’un petit attroupement d’habitant matinaux, regroupés autour des petites cabanes de fortune dressées à la hâte par les marchands fut en vue, Mouton se réveilla, comme piqué par une abeille. Il s’élança en avant, laissant ses pattes soulever des nuages de neige, ouvrant la marche à sa maîtresse.
Quelques hommes et quelques femmes se serraient les uns contre les autres et les plus petits se dressaient sur la pointe des pieds pour apercevoir le butin des voyageurs. Malheureusement, celui-ci était un peu maigre. Lyra ne put empêcher un léger sentiment de déception de la faire soupirer. Tout était bien maigre et les quelques sachets d’épices se battant en duel sur un présentoir n’allaient pas suffire à faire son bonheur.

« C’est qu’y’a pas gran’chose l’dy Lyra, » bougonna une femme à côté d’elle. « Mais on peut pas trop s’plaindre. Au moins, ils sont venus ! »

Une remarque typique des habitants de l’Île aux Ours qui, malgré l’hostilité de leur environnement et les difficultés à survivre ne se laissaient jamais abattre. La troisième fille de Maege acquiesça avec un léger sourire. Ses lèvres gercées, malgré la graisse dont elle les avait enduites, se craquelèrent sous l’exercice.

Les aboiements soudain de Mouton attirèrent son attention. Elle se détourna du troqueur d’épices et siffla son chien pour éviter qu’il n’importe les pêcheurs. Sa maîtresse le trouva bien assez vite à renifler la truffe d’une chèvre, accrochée à un poteau en compagnie de cinq autres semblables et d’une dizaine de moutons.

« Vot’ chien ressemble pas mal à mes bêtes, » martela une voix graveleuse à l’approche de la jeune femme.

Un vieillard sans âge se tenait non loin du petit troupeau. Une grosse barbe, de la même couleur que la neige, dévorait son visage ridé comme une vieille pomme. Impossible de voir sa bouche derrière son imposante moustache, mais les sons sifflants jaillissant de ses lèvres indiquaient assez sûrement qu’il devait lui manquer quelques dents. Malgré son âge avancé, il arborait une cascade de longs cheveux clairs qui auraient pu toucher le sol s’ils n’étaient pas tressés. Ses paupières à demie fermées laissaient pourtant filtrer l’éclat bleu, presque surnaturel de ses iris.

« Il s’appelle Mouton, » lui répondit-elle avec un sourire. « D’où venez-vous ? Je ne crois pas reconnaître votre accent. »

Le marchand secoua la tête et frotta ses longues mains l’une contre l’autre.

« C’est que je le sais pas non plus. J’ai oublié. J’ai la mémoire qui flanche. »

Avec un rire rauque, il se tapa la tempe avec son index.

« Mais c’est sans importance. Vous êtes ici pour mes bêtes, hein ? Elles sont pas belles, franchement ? Voyez ici, ma p’tite dame, vous avez Taby, Ulfrick, Pole, Denys et… »

Il marqua une courte pause avant de hocher la tête et de continuer l’énumération des prénoms de ses animaux. L’ourse le laissa patiemment faire, même si le froid ambiant lui ordonnait de se presser.

« De braves bêtes. Bien plus intéressantes que celui-là, là-bas, avec ses feuilles qui sentent bon. »

Il pointa un pouce dédaigneux vers l’autre marchand.

« Je dois bien avouer que ça pousse pas partout ces trucs là, mais quand même, avec ce froid, je me ficherai bien d’assaisonner mes plats. L’important c’est d’avoir de quoi se remplir la panse, pas vrai ? »

Avec un grelottement, il resserra les pans de sa cape.

« M’enfin, si je vivais ici et si j’avais encore de bonnes jambes, des jambes jeunes comme les vôtres, c’est certainement pas au port qui j’irai chercher ma fortune, hein. »

Intriguée, Lyra fronça les sourcils et inclina légèrement la tête sur le côté.

« Que voulez-vous dire ? » lui demanda-t-elle, perplexe.

Il lui offrit un sourire sans dent, confirmant sa première hypothèse.

« Bah ! » lâcha-t-il. « C’est dans la forêt qu’il est, le bonheur ! Dans le coude de la pleureuse avec celle qui chante au printemps et se tait en hiver ! Certainement pas sur les côtes ! Vous croyez vraiment qu’il le laissera là, à la merci des pêcheurs et des fer-nés ? »

Était-il sénile ? La brune se le demandait sérieusement. Pourtant, il y avait ce pétillement malicieux, dissimulé derrière ses paupières, qui lui murmurait le contraire. Si ses paroles manquaient de sens, c’était probablement parce qu’elle n’avait pas toutes les cartes en main.

« Qui « ils » ? » demanda-t-elle doucement en regardant en même temps le pelage des chèvres. « Que voulaient-ils cacher ? »

Il lança un mauvais regard au négociant.

« Certainement pas de la poudre qui vient d’Essos, » cracha-t-il. « Certainement pas ! Nous sommes des nordiens ici ! Un trésor de nordien, alors ! »

Elle haussa les épaules.

« Vous êtes nordien aussi ? Je pensais que vous ignoriez d’où vous venez ? »

Il croisa les bras sur sa poitrine et baissa le nez en marmonnant dans sa barbe.

« Aussi, aussi, » ronchonna-t-il, presque offusqué. « Ça c’est vous qui le dites ! Elles sont pas belles franchement ? » répéta-t-il.

La conversation s’éternisait et Lyra ne savait plus tellement sur quel pied danser avec lui. Toujours attentive dans son examen minutieux du petit troupeau, le bétail semblait en bonne forme. Mouton continuait son manège, à sentir les fesses des chèvres tout en risquant de se prendre un coup de sabot dans la truffe.

« Combien ? » demanda-t-elle.

Il renifla.

« Vingt dragons d’or, » affirma-t-il, sans appel.

L’archère se retira d’un pas et le gratifia d’un regard surpris.

« Me regardez pas comme ça ! Ça se voit bien que vous êtes noble ! Vous devez être riche, hein ! »

Elle ne put contenir le léger rire qui faisait frémir sa gorge.

« Vous avez raison sur un point. Peut être suis-je noble, mais je suis loin d’être riche. »

Pour confirmer ses dires, elle se saisit de sa bourse en cuir, pendue à sa ceinture, et l’ouvrit devant les yeux bleus du vieillard. Quatre pauvres pièces lestaient le fond de la besace. Ça et une écaille blanche de Solitaire que la dragonne avait perdu, un jour, en se grattant à un tronc.
Il attrapa l’écaille avec une agilité que Lyra ne lui soupçonnait pas. Il la colla presque sur son œil pour l’admirer et observer les reflets nacrés de la surface translucide.

« Je veux ça, » affirma-t-il. « Ça ira bien. Je vous offre la viande séchée de Maryn aussi. Cadeau. »

La troisième ourse n’avait jamais été une bonne négociatrice en particulier lorsqu’il s’agissait de discuter un prix. Aussi, la solution de repli proposé lui convenait très bien. Elle attrapa le sac de viande avec un hochement de tête.

« Alors, elle est pour vous. »

Tout content, le vieil homme se désintéressa complètement de son bétail. Lyra les décrocha un à un et si elle fut tentée de les tenir retenus par leur corde jusqu’aux écuries de la forteresse, l’envie lui passa très vite lorsque le dénommé Denys freina des quatre fers lorsqu’elle tenta d’avancer. Mouton prit naturellement la relève, aboiement et tournant autour du petit troupeau qui se laissa guider sans plus broncher.
L’archère lança un regard par-dessus son épaule, intriguée par les paroles du marchand, mais celui-ci babillait désormais seul, à admirer l’écaille comme si elle eut été le plus beau trésor de Westeros.

Une fois les bêtes mises au chaud, la chasseuse décida d’aller mener sa petite enquête dans les bois, à la recherche de Solitaire, mais également de cette soit disant chose cachée, toujours accompagnée du canidé.

Le silence dans les profondeurs blanches, au cœur de la forêt, était plus pesant encore, mais la jeune femme y était habituée depuis des années déjà. Elle se rappelait encore de la première fois qu’elle était entrée dans cette antre que les anciens disaient sacrée, en compagnie de Dacey et Jorelle. Elle tremblait comme une vieille feuille à l’idée d’être dévorée par un ours.

À cause –ou plutôt grâce- au froid, la saurienne ne s’aventurait jamais trop loin et rôdait comme un fantôme à l’orée du bois, attendant patiemment sa pitance. Aussi, elle ne tarda pas à pointer le bout de son nez, aussi pâle que le givre, au détour d’un talus. Elle était aussi grosse que Mouton et n’avait plus rien à voir avec la minuscule créature qu’elle avait trouvée il y avait quelques lunes au milieu de la plaine.

Lyra releva subitement la tête à cette pensée alors que Solitaire lui arrachait le sac des mains, manquant de le dévorer au passage alors qu’elle engloutissait la viande offerte. Dans la clairière, il y avait un gros ruisseau. Un ruisseau qui chantait en été et qui se taisait en hiver puisque l’eau s’y trouvait pétrifiée. Quand à la pleureuse, le saule sous lequel la dragonne s’était manifesté, avec ses branches qui tombaient, ressemblait à s’y méprendre à une femme sanglotante. Elle s’en était d’ailleurs plusieurs fois faite la remarque, sans y prêter plus d’attention.
Une coïncidence ?

Le naturel curieux de la jeune ourse ne pouvait se contenter de ça. Aussi, elle décida d’en avoir le cœur net. Après tout, elle n’avait pas grand chose à perdre.
Une fois la saurienne repue, l’archère continua sa marche, flanquée d’un chien renifleur et d’une dragonne pépiant en sautant de branches en branches. Chacun de ses bonds laissait tomber des tas de neige et Lyra dut faire preuve de toute son adresse pour éviter de se trouver ensevelie.

Même si la route jusqu’à la clairière n’était pas dégagée, la chasseuse le connaissait assez pour ne pas se perdre. Depuis sa dernière visite, lors de la découverte de la créature, l’endroit n’avait pas changé. Toujours aussi immaculé et paisible, seul le souffle du vent venait perturber le silence tout particulier de la plaine.
Rapidement, la rivière gelée fut repérée. La saurienne s’y aventura même, laissant ses griffes érafler le givre avec un son strident. Lyra ne put s’empêcher de grimacer en suivant le cours de l’eau figée jusqu’à apercevoir l’arbre tordu aux branches affaissées. Le vieillard avait dit dans le coude de la pleureuse. Elle fureta tout autour en fouillant la neige de la pointe des pieds. S’ « ils » avaient enterrés le soi-disant trésor, elle ne risquait pas de le trouver. La terre était glacée, aussi dure que de la pierre. Et elle n’allait certainement pas se mettre à creuser maintenant.

Un éclair blanc lui fit tourner la tête juste assez vite pour voir Solitaire grimper le long du tronc abimé et disparaître dans un trou qu’elle n’avait pas aperçu. Elle y colla son visage et y distingua une cavité sombre d’où les deux yeux cristallins de la créature l’observaient.

« Allez, sors de là ! » lui intima-t-elle en sortant la dernière lamelle de viande.

Elle ne se fit pas prier et lui arracha des doigts pour aller la déguster dans son coin.

La brune avança une main prudente dans le noir. À tâtons, craignant de tomber sur une mauvaise surprise, elle progressait lentement. Elle effleura enfin une drôle de coque qu’elle retira délicatement pour pouvoir l’observer. Dans ses paumes, une grosse base bombée ainsi qu’une multitude de petits fragments couleur de perle et écailleux. Comme le vieillard, elle les admira sous la lumière timide du matin, découvrant à chaque nouvelle angle, d’incroyables nuances nacrées. Les mêmes que les écailles de Solitaire.

Son œuf ?

Il était vrai qu’elle ne l’avait jamais trouvé. La dragonne l’avait trouvée toute seule, à se dépatouiller comme elle pouvait dans la neige. Mais elle était née là, dans ce creux d’arbre et y avait laissé sa coquille. Lyra rangea précautionneusement la conque dans son sac en cuir avant de repartir explorer le nœud dans le saule. Après quelques secondes, elle en tira un collier d’ambre, ainsi qu’un carnet ravagé par l’humidité. Enfin, elle arracha à l’arbre ses derniers secrets : un sac rempli d’épais copeaux d’or et d’étain ainsi qu’une épaisse peau brune qui devait être un manteau d’homme. La cape était faite de poils bruns et torsadés d’une dureté formidable. Elle n’avait jamais rien vu de tel. Jamais.
Qui donc avait bien pu laisser un tel butin dans un saule, perdu au milieu des bois ? L’œuf de Solitaire était-il là depuis longtemps ? Pourquoi avoir abandonné ce trésor ? Pensait-il le récupérer ?

Une nouvelle bourrasque souleva son pourpoint et fit japper Mouton tandis que la dragonne déployait ses ailes pour se dégourdir.
Avec le plus de précaution du monde, l’archère récupéra le trésor qui était désormais le sien en laissant derrière elle l’ombre tordue du vieux saule.



   

   
© DRACARYS