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One of the greatest lessons we can learn in life is how to keep mute when the boiling ring of anger is dropped within us

Edwin + Daemon
lune 7 - an 300 - environs d'Harrenhal

Il avait fait ses adieux au jeune homme à l'armure orientale et s'était éloigné de l'auberge au petit trot, ménageant encore sa monture. Un long chemin les attendait et la route était trop peuplée pour se permettre d'aller plus vite. Le maigre soleil de l'après-midi, partiellement caché par des nuages lourds de pluie, dispensait une lueur blafarde sur les visages de ceux qui regagnaient leurs foyers après le tournoi, et à nouveau il pouvait entendre les rumeurs, les mêmes qu'il avait entendu à l'auberge plus tôt. Tous parlaient du procès qui avait eu lieu, plus ou moins déformé selon qui l'évoquait. Si lui-même savait ce qui avait mené audit procès, il en ignorait la conclusion, et était incapable de discerner la vérité des fabulations populaires, qu'il écoutait pourtant. Dans chaque rumeur se cachait une part de réalité, même infime, et c'était toujours plus distrayant que de se plonger dans ses propres pensées. Pour certains la Reine Dragon avait arraché de ses mains la langue de celui qui l'avait insultée, pour d'autre c'était son dragon qui était allé chercher l'organe directement dans la bouche de son propriétaire, pour d'autres encore c'était seulement un des gardes de la reine, mais on lui avait servi le morceau de viande au dîner. Il y avait aussi quelques élucubrations sur d'autres parties plus ou moins sensibles qui avaient été coupées et/ou violemment arrachées, rien de bien étonnant. Dans d'autres versions la punition était bien moindre, voir presque inexistante, et surtout diplomatique. Il avait aussi entendu parler du Régent du Nord, certains vantant son calme face à la furie du Sud tandis que d'autres critiquaient son manque d'initiative dans le déroulement alors qu'il était sur ses terres, mais ils étaient en minorité. Lui conservait son avis originel, beaucoup de bruit pour quelques mots prononcés dans le feu de l'action, et restait convaincu que ça aurait du se régler par le fer entre l'offenseur et l'offensé sans aucune intervention extérieure, comme le faisaient les dothrakis par exemple. Rien à voir avec le jugement par combat de la religion des Sept, juste un duel pur et simple où les dieux n'avaient pas leur place. Mais il devait être le seul à penser ça, ou même à ne pas comprendre pourquoi il y avait eu un procès pour aussi peu, et il doutait d'avoir réellement envie de savoir ce qui avait bien pu se passer durant celui-ci. Des histoires de politique qui l'ennuyaient au possible et qui n'avaient de toute façon aucune incidence sur la vie de son fief et de ses habitants.

Il s'arrêta à un carrefour peuplé, laissant passer une bonne partie de ceux allant à pieds tandis qu'il hésitait sur la route à prendre. Le nord était la destination logique, celle qui faisait sens, celle que ses devoirs de lord dictaient. L'est, celle qui pressait un peu plus son cœur, qui faisait remonter certains souvenirs aussi doux qu'amers. Faire ce qu'on attendait de lui et refouler encore ce qu'il voulait, ce qui pesait un peu plus jour après jour ou suivre ses propres envies et retrouver ce qui lui manquait tant, même si c'était juste pour quelques jours? Il aurait pu rester de longues heures ainsi, tiraillé entre ce qu'il était devenu et ce qu'il avait été, incapable de prendre une décision définitive sans arrière-pensée. Ce temps était révolu, chaque choix avait désormais des conséquences qu'il devrait assumer quoi qu'il arrive, chaque erreur de parcours lui serait désormais reprochée et il détestait ça. Son regard se porta sur les deux directions, toujours incertain sur la conduite à tenir, quand un étendard attira son attention. Une main d'or sur champ gironné rouge et noir. Il l'avait vue la veille au tournoi, portée par un des chevaliers en lice, mais il n'aurait pas su dire de quelle région venait la maison qu'elle représentait. En revanche il n'eut aucun problème à reconnaître l'homme que les hommes portant la main escortaient: il l'avait vu au banquet, puis au tournoi, puisqu'il était celui qui avait insulté la reine. Il se souvenait de sa cicatrice sur ses traits fins et de son regard perçant, même s'il semblait avoir perdu de sa lueur. Il les observa alors qu'ils passaient, les gens s'écartant sur leur passage en murmurant sûrement d'autres rumeurs et avis sur ce qui avait bien pu se passer durant le procès. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer, que se passerait-il ensuite, les frontières allaient-elles être fermées entre les royaumes, autant de questions qui agitaient la foule et réveillait son envie d'en savoir plus. Si une personne pouvait lui dire ce qui s'était passé entre les murs de la grande salle et satisfaire, c'était bien lui. Mais il ne pouvait pas aller directement lui demander non plus, déjà parce qu'aborder quelqu'un entouré d'autant de gardes n'était pas très facile, et ensuite parce qu'il ne le connaissait pas et ne savait même pas à quelle maison il appartenait. Mais il en fallait bien plus pour le décourager, même dans cette situation, et il avait hâte d'entendre de vive-voix l'avis de l'homme.

Talonnant son cheval, il rattrapa le groupe qui avait pris un peu d'avance, restant d'abord à une distance respectable le temps d'observer un peu plus leur fonctionnement. Ils ne tarderaient pas à rejoindre le reste de leur délégation, ses chances d'en apprendre plus s'amenuiseraient drastiquement, et devoir rentrer dans le Nord sans même en savoir plus sur cette histoire serait vraiment trop déprimant. Il finit par accélérer pour se placer au niveau de l'homme à la cicatrice, les soldats autour de lui réagissant aussitôt pour le protéger et pointer leurs lances sur lui. Réaction normale, après tout pour eux il n'était qu'un potentiel agresseur, ses vêtements n'indiquant en rien son réel rang, aussi leva-t-il les mains en signe de paix, leur montrant qu'il ne dissimulait aucune arme. Je voudrais juste quelques mots avec votre seigneur. Dont il ne connaissait pas le nom et à qui il n'avait jamais parlé auparavant, mais il lui en fallait vraiment plus pour s'avouer vaincu. Edwin Forestier d'Ironrath. Nous nous sommes croisés au banquet il y a deux jours et au tournoi hier, avant votre... coup d'éclat face à la Reine du Sud. Il tenta un sourire aimable entre les lances des soldats, mais l'homme à la cicatrice restait muré dans un silence pesant. Ils devaient avoir environ le même âge, mais c'était probablement leur seul point éventuellement commun. Maintenant qu'il était plus près, ses vêtements ressemblaient à ceux que portaient certains dorniens, pareil pour ceux de l'escorte qui l'entourait, et leurs chevaux ressemblaient plus à la race qu'on voyait là-bas. Juste quelques mots et je ne vous ennuierais plus. Je dois rapporter ce qu'il s'est passé durant le tournoi à mes suzerains dans le Nord et je préférerais éviter de me baser sur des rumeurs et des on-dits. Ce n'était pas l'absolue vérité, mais pas vraiment un mensonge non plus. Il avait bien dit à Dacey qu'il lui raconterait tout ce qui s'était passé à Harrenhal, mais il n'était pas un émissaire officiel et c'était aussi pour ça qu'il ignorait totalement comment s'était déroulé le procès et son issue.
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lune 7 - an 300 - environs d'Harrenhal



Edwin&Daemon


Sous la lumière pâle de l'Hiver, même le carmin arboré par les gens de la Grâcedieu semblait se pétrifier de froid. Sur les étoffes, les ombres étaient grandes et bleutées, et le rouge terni, plus sang que rubis. Les gardes avaient jeté sur leurs épaules d'épaisses capes de laine tandis que leurs visages étaient enturbannés, masquant de ce fait leurs bouches dont le souffle parvenait malgré le tissus à former des panaches de buée devant eux. Le climat du Conflans ne seyait guère à ces hommes du désert qui ne connaissaient que la pluie tiède de l'été. Même les robes bigarrées de leurs montures étaient régulièrement secouées par des frissons, tandis que les destriers renâclaient leur impatience de retrouver un temps plus clément. Le désert les appelait.

Cependant, la route pour rejoindre le fief des Allyrion s'annonçait longue, difficile et, avant toute chose, pénible. Parmi la cohue qui avait pris place ce jour, nombre de blasons se croisaient, hauts sur leurs piques, tendus fièrement vers le ciel nuageux comme autant de tentatives de marquer les esprits avant de quitter Harrenhal et de rejoindre leur foyer. La paume d'or, pourtant, n'avait pas de mal à tracer sa route. Sans doute le fait qu'ils présentèrent clairement leurs armes y était pour quelque chose. Cela, et la réputation nouvelle qu'ils rameneraient en souvenir de ce tournoi. Une réputation qui avait déjà remplacé dans les cancans celle que la mémoire commune avait déjà oublié. Même à Dorne, qui se rappelait encore de l'Histoire de ces austères Lords? Qui se rappelait comme, à la naissance de Dorne, devenue nation sous le règne de la Reine Nymeria et du Prince Martell, au premier soir de la paix, des chefs de clans rebelles étaient venus frapper aux portes de la Grâcedieu? Ils étaient venus l'épée dans une main, et des poignées d'or dans l'autre, pour acheter leur sommeil sur les terres des Allyrion, pour acheter la loyauté des Seigneurs de la Sang-Vert. Le lord refusa l'or, mais il leur accorda l'hospitalité pour la nuit puisque l'héritage du désert marquait leurs traditions. Au petit matin, ils baignaient dans leur sang, morts jusqu'au dernier, consumés par une razzia foudroyante menée par la cavalerie aux premières lueurs de l'aube. Jamais les rebelles ne marcheraient jusqu'à Lancehélion. Jamais ils ne pourraient porter atteinte à la reine, ni à aucun de ses enfants. Tous furent enterrés sous les sables du désert et leur or avec eux.
Le regard bleu du bâtard se releva lentement vers la bannière qui flottait sur la hampe du soldat. Rouge pour le sang versé, noir pour la nuit. Et la paume d'or qui s'était relevée de sa position de prière pour protéger ses Princes. Durant tous les siècles qui suivirent, jamais les Allyrion ne brisèrent leur serment. "Aucun ennemi ne passera". Le Sand ne pouvait désormais penser à ses mots sereinement, alors qu'il comprenait comme son comportement en avait faussé le sens véritable. On se moquait déjà d'eux. Combien de fois il avait entendu sur sa route ce matin, des hommes plaisanter? "Ah, pour sûr que pour les empecher de passer ils sont bons! Mais ils sont encore meilleurs pour les créer!"

Rongeant son frein, Daemon ruminait sa frustration de ne pouvoir leur répondre. Il avait dû pousser sa monture, et les ignorer pour aller de l'avant; un exercice avec lequel il n'était guère familier. Le bâtard avait appris à se taire de la plus violente des manières qui soient. Comment aurait-il pu faire, sinon être révolté par la réalité et par la passivité de ceux dont il avait été incapable de comprendre le raisonnement, ou le jugement? Alors il l'avait dit. Il l'avait écrit. Il l'avait répété haut et fort jusqu'à ce que réparation soit faite. Et voilà tout ce que cela lui avait apporté. Il avait jeté l’opprobre sur sa famille et était condamné au silence. L'usure de ces incessants revers de fortune commençaient à peser lourd sur ses épaules. Quelque part, il s'y était attendu dès lors que ses yeux s'étaient posés sur les imposantes tribunes. Il avait confronté une Reine qu'il haissait parce qu'il n'avait voulu que cela; et le pire était qu'il avait reconnu en elle tout l'orgueil, toute la fierté et l'impulsivité dont on lui avait si souvent fait le reproche. Des traits dont il s'était enorgueilli et dont il mesurait enfin l'impact néfaste, ne s'en désolant que trop tard. Au fond de lui il le savait. S'il avait été Lord à la place de sa sœur, son règne n'aurait pas été bien différent de cette démonstration de pouvoir de la fille de Rhaegar.

Droit et rigide sur son cheval, il fixait la route devant lui, tentant de faire abstraction de la curiosité malsaine que lui et sa compagnie de quelques soldats attiraient. L'enfant qu'il avait été avait toujours cherché le regards mais la donne avait changé. Personne n'aimait être observé comme une bête curieuse. Pas même lui et son orgueil si facilement flatté.
Il s'était longtemps cru exceptionnel, comme touché par quelque grâce qui aurait manqué aux autres. Mais après une telle humiliation, continuer de le croire relèverait de l'acharnement, même pour quelqu'un d'aussi entêté que lui. L’ivresse qui avait succédé à sa guérison par son cadet s’était envolée comme un feu éteint par un coup de vent. Sous le manteau de poussière de cette humilité nouvelle il redécouvrait le monde autour de lui, le tâtonnant avec une conscience qu’il n’avait jamais pu voir depuis le pied piédestal sur lequel il avait grandit. Désormais, on le prendrait pour un taiseux ennuyeux. Bien loin de l’intarissable insolent que l'on avait connu.
Perdu dans ses pensées, il ne remarqua pas la nervosité soudaine des soldats qui semblaient avoir remarqué qu'ils étaient suivis. Lorsque, tout à coup, une tête brune surgit à sa hauteur, coupant le fil de sa réflexion et le prenant pas surprise, le Sand tourna vers l'énergumène son visage austère et posa sur lui deux yeux grand ouverts. Son regard ne tarda cependant pas à se plisser du mépris qu'il avait toujours affiché plus ou moins consciemment. Un frisson éphémère froissa son nez alors qu'il toisait la mise pauvrette du nouvel arrivant. Les lances pointées sur lui ne semblaient guère déstabiliser l'aplomb du jeune homme qui se présenta. A la seule mention du nom de la Reine, les lances se tendirent d'un pouce vers l'avant, menaçant de plus près le nordien. L'un des soldats se fit un devoir d'avertir le brun.
"Si vous souhaitez vous moquer, passez votre chemin avant que nous...!"grogna-t-il sous son turban. Les montures fouaillèrent l'air glacé de leur panache de crins. L'étalon gris du dornien roulait de grands yeux noirs et inquiets au milieu de sa fine tête blanche, jouant mollement avec son mors. Il n'y avait eu que l'intêret curieux et silencieux qui se lisait dans les yeux d'aigue marine du bâtard pour faire taire le soldat qui n'acheva jamais ses menaces, attendant de voir ce que Daemon déciderait de l'embêtant personnage. Sa garde était d'autant plus susceptible devant les propos du Forrestier qu'ils avaient tendance ces derniers temps à prendre la mouche sitôt que l'on employait le champs lexical propre à la parole devant le fils du Soleil Noir.
Observant le brun par dessus la forêt de lances qui étaient pointées sur lui, il demeura silencieux quelques instants. Il se tourna vers le chef des gardes pour lui adresser une simple négation de la tête, les paupières baissées et les sourcils imperceptiblement haussés par un certain dédain. "Il ne sait pas." Indiqua-t-il au dornien à l'uniforme rougeoyant. Au geste sec de sa main gantée, les armes furent rangées aux côtés des soldats qui gardèrent néanmoins l'oeil sur cet incongru compagnon de route.
"Vous vous adressez à Daemon Sand, frère de Lady Valena Allyrion." Débuta le soldat à la barbe noire et taillée lorsqu'un signe du menton de Daemon lui eut indiqué de parler en son nom. "Le Bâtard de la Grâcedieu." Ces derniers mots avaient été marqué d'un certain élan d'orgueil, comme un fier avertissement à tous ceux dont les oreilles indiscrètes écouteraient cette conversation. Cela ne dérangeait pas Daemon. Il préférait cette réputation à celle qui ne tarderait pas à naitre du fâcheux incident dont il sortait juste. Le surnom donné par un ennemi tendait souvent à s'imposer comme une mauvaise herbe dans les esprits. Autant profiter de celui que ses amis lui avaient donné. Alors que la compagnie reprenait un pas plus soutenu et que le regard du Sand se reposait sur la route, le soldat quelque peu désemparé et excédé de la situation l'implora un instant du regard avant de se résigner à tourner à nouveau son attention vers le nordien un peu trop curieux à son goût. "Que voulez-vous savoir, au juste?" Grommela-t-il d'un ton mal commode. Un poulain de leur compagnie s'emballa soudain à la vue d'un énorme chien, et ses ruades, si elles ne perturbèrent pas le convoi dornien, tachèrent de boue le manteau d'écarlate frappée de la paume noire de Daemon. C'était le même manteau qu'il avait porté lors du tournoi, et il était aussi rouge que le sang qui perlait au coin de sa bouche et qu'il se dépêcha d'essuyer avec le mouchoir qu'il gardait constamment sur lui.




© DRACARYS
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Edwin + Daemon
lune 7 - an 300 - environs d'Harrenhal

Il fallait bien plus que les lances des soldats pour l'effrayer ou le faire reculer, et elles faisaient en réalité qu'attiser un peu plus sa curiosité envers l'homme qu'elles protégeaient et les secrets qu'il semblait garder. Même le garde qui l'accusait de vouloir se moquer ne pouvait le faire reculer, surtout qu'il ne comprenait absolument pas le rapport avec ce qui s'était passé au procès. Il observa l'échange silencieux entre l'accusé de la veille et celui qui devait être le chef des soldats qui composaient l'escorte, les uniformes qui les couvraient tous, essayant toujours de savoir d'où ils pouvaient venir. Vu l'accent, il penchait de plus en plus pour Dorne, ou une région de l'Orage ou du Bief très proche des frontières, mais ce fut le nom qui lui fut donné qui confirma sa pensée. Ainsi il était un Sand, un enfant naturel venant de la famille Allyrion dont le domaine était la Gracedieu, et s'il ne connaissait pas cette famille ou son fief, au moins il savait à qui il s'adressait maintenant, c'était déjà mieux que rien. Il emboîta le pas au convoi, restant à la hauteur de ce Daemon qui préférait faire parler son chef des gardes plutôt que de lui adresser directement la parole, et son petit air hautain ne lui avait pas échappé non plus. Il n'avait jamais eu grand chose à faire des règles trop contraignantes de la hiérarchie, se contentant simplement de retenir les bases, mais qu'un bâtard - même s'il était dornien - se comporte ainsi face à un noble ouestrien était tout de même peu commun. Sans vouloir vous vexer, et bien que je sois sûr que vous pourrions avoir une conversation très intéressante dans d'autres conditions, c'est à votre maître que je veux parler. De ce que j'ai compris, seule une poignée de privilégiés était au procès et je doute que vous en ayez fait partie. Il pouvait prendre mal chaque mot et lui planter sa lance à tout moment dans le corps, ou même demander à un de ses hommes de s'en charger, il ne comptait pas changer d'avis aussi facilement. Seul le bâtard avait les réponses qui l'intéressaient et il ferait beaucoup pour les obtenir. Haussant la voix à l'attention de l'homme, il reprit. Vous aviez la langue bien plus pendue hier il me... Il s'arrêta net, son regard attiré par la perle rouge qui disparut vite sur le tissu d'un mouchoir que le dornien serrait dans sa main.

Il n'avait prononcé aucun mot depuis le début de cette entrevue assez inhabituelle, alors qu'il avait eu l'air plutôt prompt à dire tout ce qui lui passait par l'esprit la veille, même pas un son en fait. Ses gardes, et plus particulièrement le chef, semblaient assez tendus dès qu'il évoquait quoi que ce soit en rapport avec le fait de parler. Il avait entendu les nombreuses rumeurs sur la punition hypothétique, plus particulièrement celle qui lui avait semblé la plus cruelle, et savait qu'il y avait toujours une part de vérité quelque part derrière les racontars. Et maintenant ce sang... Ses sourcils se haussèrent alors qu'il réalisait soudainement, avant de se froncer durement quand il prit pleinement conscience de ce qu'il venait de comprendre. Alors c'est vrai... Sa voix était restée basse, presque grondante, et seuls ceux proches de lui devaient avoir entendu, mais il ne leur laissa pas le temps de répliquer ou d'agir. Éperonnant sa monture, il remonta jusqu'à l'avant du groupe et s'arrêta net, se plaçant en travers de leur chemin, la masse imposante de son cheval barrant l'accès à la route alors qu'il se tenait droit sur sa selle. Son cœur battait à toute allure, non pas par peur d'éventuelles représailles des dorniens mais d'incompréhension et d'un léger soupçon de colère qui chauffait ses tempes. Il voulait une réponse claire et il l'aurait, que ça plaise ou non aux dorniens. C'est vrai n'est-ce pas. Il s'adressait toujours au Sand, mais son regard était fixé sur le chef des gardes, comprenant maintenant que seul lui pourrait lui répondre. Ils vous ont coupé la langue juste pour vos mots d'hier? Il essayait de contrôler sa voix, de la garder calme et posée, mais il pouvait entendre les discrètes variations grondantes que la colère sourde faisait naître. Une punition aussi drastique juste pour quelques mots probablement prononcés dans l'excitation du moment? Il ne savait rien de la Reine du Sud, mais ça ne ressemblait pas à ce qu'il avait pu entendre sur le Régent du Nord, et même dans les peuples qu'on jugeait barbares ici et qu'il avait côtoyé à l'est ça n'aurait pas été une raison suffisante pour priver un homme de la parole. Je veux savoir ce qu'il s'est passé hier après votre arrestation, et ce qui a mené à ...ça. Il pouvait sentir l'amertume dans sa voix, presque le goût terreux du sang qui avait perlé au coin des lèvres du dornien, et il ne pouvait même pas commencer à imaginer la douleur qu'il avait pu ressentir.

Les sourcils toujours froncés, il cherchait à comprendre le pourquoi, se doutant en revanche du comment, son regard fixé sur les légères marques que la chaleur d'une lame brûlante avait laissé sur le pourtour de sa bouche inexpressive. Ça aurait pu être pire, mais ça ne changeait rien à l'horreur de cette peine dont il ne saisissait pas les éventuelles justifications. Daemon ne s'était pas lancé dans un grand discours haineux à l'intention de la reine, il avait juste laissé échapper une petite insulte de rien du tout, il en avait été témoin. Et il ne devait pas s'agir d'une action contre Dorne puisque la reine était elle-même à moitié dornienne par sa mère, nièce du Prince régnant actuellement à Lancehélion. Dégageant machinalement les boucles qu'un coup de vent avait poussé au travers de son visage, il prit une grande inspiration, tâchant de calmer ce qui grondait dans son esprit. Je voudrais comprendre, parce que je ne croyais pas la justice, royale ou non, soit aussi dure dans le sud. Comment avait-on pu laisser faire sans agir, alors que la parole était si importante, presque vitale, sans même parler du reste. Sans langue, on ne l'avait pas privé que d'un moyen d'expression primaire, plein de rage ou non. Il ne pourrait plus jamais manger comme le reste du monde, du moins pas sans un certain temps d'adaptation, il ne pourrait plus jamais sentir pleinement le goût des choses, et il ne s'agissait que des conséquences purement physiques de cette punition cruelle. Je ne me souvenais même pas qu'une peine de ce genre existait à Westeros, même en Essos elle est peu courante. Son regard glissa à nouveau sur Daemon, sur la cicatrice qui ornait un côté de son visage, la même qu'il avait noté le soir du banquet, pour descendre sur sa bouche qui ne prononcerait plus jamais rien de réellement intelligible et la légère teinte sanglante qui était revenue à la commissure de ses lèvres, avant de revenir se fixer sur ses yeux alors qu'il tentait un sourire sincèrement désolé. Lui qui aimait tant parler avec les autres, qui avait adoré apprendre de nouvelles langues, il ne voulait même pas imaginer ce qui pouvait bien se passer dans l'esprit du Sand depuis qu'on l'avait privé de tout ça.
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lune 7 - an 300 - environs d'Harrenhal



Edwin&Daemon


Le froid était saisissant. Comme l'eau, il parvenait malgré les couches de tissus à se glisser jusque contre sa peau dont il sentait les poils se hérisser, rendant plus pénible encore qu'elle ne l'était déjà la perspective de voyager avec pour seuls compagnons un ciel blanc et un soleil mort. Quel pays horrible, pensa-t-il, alors que sous ses gants, ses doigts étaient déjà engourdis. Le froid faisait frissonner ses lèvres. Le froid, et la colère. Pincée par l'agacement, sa  bouche que l'air glacé avait déjà teinté d'un voile bleuté en devenait plus pâle encore. Qui était donc cet impudent pour soulever encore et encore l'austère chape de silence  qu'avaient revêtu les Allyrion, pour attirer par sa propre curiosité des regards autres vers ceux dont le blason faisait naître des sourires sur les visages crispés par l'hiver. Qui était-il pour oser apostropher le Bâtard de la Grâcedieu, le sourire aux lèvres, comme s'il n'eut craint de sa part aucun rejet?  
Bien que son regard se fut vite détourné du nordien pour se fixer sur la route, Daemon ne pouvait échapper à la voix de ce dernier qui continuait de résonner à ses oreilles comme une agaçante rengaine. Forrestier. Ce nom lui rappelait de vagues souvenirs de son écolage...Lui avait-on un jour parlé du coeur de ces arbres si particuliers? Sans doute. Cependant si leur bois pouvait attirer les convoitises, le brun n'avait que faire des questions d'un quelconque membre de cette famille qu'il avait  du mal à considérer sérieusement. Ils vivaient si loin de la Grâcedieu, et au cœur d'une forêt si froide, disait-on, qu'il ne parvenait guère à imaginer ce que se lier à cet étranger pourrait lui apporter en bien comme en mal. Il ne serait pas le premier-certainement pas le dernier- énergumène dont il oublierait le visage aussitôt la frontière du Conflans traversée.

Ses yeux de givre étaient fixés devant lui. Le menton haut, les épaules droites, parant son attitude du mépris sobre mais d'autant plus hautain qu'il affichait sans effort depuis qu'il avait posé le pied dans la cours d'Harrenhal quelques instants auparavant. Ignorer les remarques lui procurait une certaine satisfaction, mais ce n'était pas moins un art contrariant pour un esprit  aussi susceptible que le sien. Passablement énervé, Daemon devait serrer les machoires pour supporter les regards torves et amusés dont on gratifiait sa silhouette mince ainsi que ces hommes qui l'accompagnaient. Toute sa hargne avait pour berceau ses deux mains dont les doigts fins étaient solidement refermés sur les rênes, crispant sous lui sa monture. La pique que lança alors le nordien sur son silence cingla l'air glacé, remuant dangereusement les sentiments du bâtard qui tentait de les enfouir dans un gèle pareil à celui qui les entourait.
Ce calme qu'il avait tant de mal à maitriser, le rappel clair et cruel de la sentence le balaya finalement. Tandis que sa main allait trouver la garde de son sabre, il vit dans le regard clair du nordien l'expression d'un regret sincère. L'insulte qu'il s'était préparé à rendre à coups de lames s'était éteinte soudain au bord de la bouche soyeuse du Nordien ainsi que dans ses yeux brillants. Suivant d'instinct l'attitude du Sand, les gardes vêtus de cramoisi empoignèrent leur lance avec une fermeté renouvelée pour menacer à nouveau celui dont on ne savait plus très bien à cet instant s'il s'agissait d'un ennemi ou d'un ami. On s'éloigna d'eux   dans une légère cohue, éclaircissant soudain la route qui était jusque là encombrée. Atour d'eux la plèbe comme les nobliaux se figèrent, frémissants de la confrontation qui s'esquissait sous leurs mines avides. Ignorant les exclamations que cette démonstration d'agressivité avait soulevé autour d'eux, le brun sonda le nordien. Silencieux, appuyant un regard farouche sur l'expression étonnée du fils du Nord, il sembla hésiter jusqu'à ce que finalement son regard furieux se défroissa sans perdre de sa dureté. Ses doigts relachèrent sèchement leur prise et la lame à peine dénudée disparue dans son fourreau rouge dans un cliquetis familier. D'un geste vexé  il remonta ensuite le tissu de son turban sur son nez couvrant ses lèvres blessées et suintantes de sang. Malgré les attitudes toujours offensives des soldats, et malgré les protestations silencieuses du doyen de ces derniers, le bâtard détourna les yeux et enfonça ses talons dans les flancs de sa jument grise, s'engouffrant dans la brèche craintive qui s'était ouverte devant eux. Echapper à cette foule étouffante, à l'ombre d'un nouveau scandale qui se profilait et à cet homme trop curieux, il ne souhaitait que cela à cet instant. Maintenir une certaine dignité lui était de plus en plus pénible alors que la boule d'émotions qui appuyait sur sa gorge menaçait de le faire exploser, de larmes ou de rage ou peut-être les deux à la fois, au devant de toute cette noblesse qui le raillait déjà. Hélàs pour lui, il avait, semblait-il, sous-estimé la ténacité du Forrestier. Il s'en rendit compte quelques pas plus loin à peine, alors qu'il passait près d'un groupe de soldats affichant les fiers lions Lannister, lui même étant suivi par sa propre garde.

L'oreille de sa pouliche frissonna et, sans qu'il n'y prit garde, le nordien plongea brutalement plus en avant sur leur route. A coup de lourds sabots qui s'enfonçaient dans le sol, ce dernier guida sa monture jusqu'à ce qu'elle leur bloqua totalement le passage. S'arrétant d'elle même, la jument du Sand rejeta alors sa tête en arrière laissant s'épanouir dans le ciel Hivernal une vaste trainée de buée blanche avec, inscrite dans ses grands yeux noirs, une expression inquiète et intriguée qui ne reflétait en rien la fureur qui faisait luire le regard de son maître. Comparé aux jambes fines de la pouliche, le robuste destrier du Nord faisait office de géant.
N'attendant guère qu'on l'y autorisa, l'homme d'Ironrath les asséna à nouveau de questions, avisant sans peur les marques à nouveau visibles du supplice que le bâtard avait tenté de camoufler sous son voile que l'intercession brutale du curieux sur sa route avait fait glisser. Mis à nu devant cet intérêt  et maintenant cette compassion inattendue, Daemon se sentait désarçonné ce qui n'échappa pas au capitaine des gardes Allyrion. Le sachant profondément fier, le barbu n'esquissa pourtant qu'un geste à son encontre, celui qui lui signifiait qu'il attendait de lui son autorisation de révéler ou non l'histoire de son malheureux sort. Son expression était aussi rustre qu'à l'ordinaire mais elle dépaignait clairement l'effroi qui le saisissait à l'idée de voir le fils de Ryon s'exprimer avec son sabre. Mesurant du regard l'interlocuteur, le Sand, bien que contrit, se surprit à ressentir une certaine estimé pour cet entêtement dans lequel il se reconnaissait. Ce fut après un silence interminable qu'il finit par indiquer d'un signe de tête adressé non pas à ses gardes mais au nordien de venir avancer à ses côtés; une invitation qui avait valeur d'approbation quant au désir de celui-ci d'obtenir des réponses. Alors que la voix rocailleuse et à l'accent chantant du garde perçait à nouveau le mutisme de l'interessé, ce dernier se permit d'observer quelques instants le nordien qui chevauchait maintenant à sa droite tandis que sa gauche était flanquée de l'isabelle que montait le soldat.

"Vous êtes bien un nordien..." Soupira-t-il, mi bougon mi rieur, marmonnant dans sa barbe d'un ton appréciateur malgré tout. Borné et fier, le peuple du Nord était paradoxalement celui à partager le plus de points communs avec la lointaine Dorne. Il s'apprétait à répondre lorsque, d'un mouvement de menton, le Sand lui désigna quelques mêtres plus loin des hommes aux armures frappées du dragon tricéphale. Le groupe de dorniens et leur étrange compagnon les passèrent en silence sans leur accorder un regard, aussi altiers que s'ils avaient remporté eux-mêmes la victoire que tous les chevaliers étaient venus trouver à Harrenhal. Une fois qu'ils se furent éloignés, le soldat se pencha pour apparaitre au nordien que le torse du bâtard cachait à sa vue."Votre curiosité pourrait vous coûter cher, Lord Forrestier. Si vous veniez à vous vanter d'un tel savoir...Les mots, la reine ne les aime guère, et si vous veniez à vous moquer..."Cette fois-ci, il lança au nordien un regard appuyé plein de menaces."Enfin, j'imagine que vous étiez vous aussi dans les tribunes lorsque Ser Daemon a été arrété, n'est-ce pas? L'étape suivante ont été les geoles de cette maudite forteresse comme vous pouvez le deviner. Ensuite..." Furtivement ses yeux noirs interrogèrent le bâtard qui ne le regardait pourtant pas puisqu'il gardait son regard pâle fixé sur le visage du Forrestier. "Ensuite il y a eu le procès. Mais ce que vous appelez justice ne mérite pas ce titre. Je n'étais pas dans le hall, j'étais posté à l'entrée, mais les gardes de la reine aiment se vanter. Ce que je n'ai pu entendre au travers de la porte, je l'ai écouté de leurs bouches maudites.
Il n'y a rien à comprendre. Un procès sans septon, sans mestre, sans délibération. Vous appelez ça un procès par chez vous?"
Les machoires du garde étaient crispées, sa voix était basse et il sifflait ces mots entre ses dents comme s'il luttait contre l'envie de les hurler. En appliquant son affreuse sentence, la Reine n'avait pas seulement insulté ses Lord,mais aussi lui-même et tous les soldats Allyrion en ne leur laissant guère le loisir de défendre leurs maitres."Pourtant, on m'a rapporté que la Reine semblait prête à écouter Lady Valena et son frère, Cletus, au début. Au tout début seulement néanmoins. Il semble que le procès ait changé du tout au tout dès lors que  la mort de Lord Ryon à la cours de Rhaenys Targaryen a été évoquée. Elle s'est braquée. C'est qu'elle est orgueilleuse, et qu'elle n'a su écouter qu'elle-même, malgré les conseils de sa main et la mesure de votre roi. Elle était seule décisionnaire dans cette maudite forteresse."Son ton était plus dépité que vibrant désormais. A l'écoute du récit approximatif de ce qu'il avait vécu quelques heures seulement auparavant, le bâtard préféra finalement détourner son regard pour fixer la nuque d'argent et de nuit de sa monture. Son regard s'était soudain fait vitreux.
" Notre Lady est fière elle aussi, et ses frères ne sont pas en reste." poursuivit le soldat."Mais j'ai su quand je l'ai vue sortir qu'elle avait pleuré. Je l'ai vu dans ses yeux. J'ai vu qu'elle savait que rien de ce qu'elle aurait pu dire n'aurait pu changer la sentence."Les mots hésitants du garde faisaient douloureusement écho aux souvenirs encore frais du bâtard. S'il était risqué de dire à haute voix ce que les dorniens chuchotaient vivement comme un nid de serpent à l'abri des oreilles indiscrètes, la vérité qui serrait le coeur du Sand n'était autre que la triste constatation que Rhaenys avait pris sa décision avant même que le procès ne se tint.
Curieux de la réaction prochaine de l'homme qui le flanquait mais peu désireux d'être perçu comme tel, le brun tourna légèrement un regard un biais vers sa gauche sans oser le lever vers le nordien.




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