Eyes and Ears | Safia&Valena

L’humidité s’infiltrait partout. Sous le cadrant des fenêtres branlantes dont le bois avait éclaté à cause du froid. Sous le pas de la porte gondolée. Dans les draps glacés du lit déjà pourri. Sous la peau et les chaires peinant à rester tièdes de la Lady de la Grâcedieu, pour finalement venir faire trembler ses os. La dornienne n’était pas habituée à ces nuages gris, menaçants et à cette neige pas si lointaine qu’elle voyait déjà tapir les hauts monts du Val. Le soleil suffocant et le désert de sa région lui manquaient. Terriblement. Même si elle ne laissait rien paraître, tâchant de rester digne et imperturbable en toutes circonstances, elle se languissait de la forteresse immaculée et du sable chaud. Elle en avait assez de ces vêtements trop lourds aux tissus encombrant. Velours, laine et peaux pesaient sur ses muscles et lui faisaient froncer le nez de dégoût. Tous ses vêtements sentaient la bête crevée et le cuir pourri. La soie, les lins légers et les arabesques délicates hantaient quelques fois des rêves dont elle se souvenait à peine en se réveillant le lendemain matin avec l’inquiétude constante de voir la neige revêtir le sol d’Harrenhal pour encombrer leur retour.
Car malgré l’invitation reçue au mariage royal entre le roi régent des Couronnes du Nord, Elbert Arryn, et Sansa Stark, Valena ne s’était pas encore décidée à y mettre les pieds. Pour Dorne, il lui fallait faire le déplacement et faire office, une fois encore, d’ambassadrice pour sa région. Elle avait conscience de ses obligations. Néanmoins, ses propres intérêts lui hurlaient de rentrer au plus vite à la Grâcedieu. L’hiver n’arrivait plus, il était déjà là, et cela serait folie que de retarder le voyage retour pour préférer s’enfoncer un peu plus dans ces montagnes valoises inaccessibles déjà envahies par le froid, le gel et la neige, rendant la plupart des routes impraticables. Encore fallait-il donc arriver jusqu’au Val, mais également en repartir. Cela serait l’affaire de quoi, deux semaines ? Trois ? Peut-être plus ? La jeune femme ne pouvait pas laisser son fief à l’abandon entre les mains seules de mestre Harian et d’Asmar. Il lui fallait rentrer. S’organiser pour préparer ses terres à la saison froide du nord qui serait pour Dorne la belle saison.

Les yeux perdus sur sa missive à peine entamée et qu’elle ne voyait plus vraiment, la lady reposa sa plume dans son encrier avec un soupir. Peser le pour et le contre, elle faisait cela depuis quelques jours déjà, sans parvenir à s’orienter vers l’une ou vers l’autre des décisions. Jamais elle ne s’était montrée indécise auparavant. Toujours décidée et sûre d’elle, elle ne laissait aucune place à l’hésitation. Cependant, cette fois là, elle ne représentait pas que les Allyrion dont elle était désormais la tête de maison, mais également Dorne. Et elle ne pouvait se permettre de décevoir les Martell.
Cletus, quant à lui, ne semblait avoir eu aucun mal à se décider. Il avait déjà demandé à sa sœur la permission de se rendre dans la région des Arryn et avait fait preuve d’une ferveur toute particulière. Le naturel suspicieux de son aînée l’avait poussé à se méfier de cette faveur inhabituelle qu’il lui demandait. Pourquoi tenait-il tant à se rendre là-bas ? La cause du Nord importait-elle si ardemment à ses yeux ? Elle avait accepté, cependant. Après tout, elle n’y avait pas vu de mal. Du moins, pas pour l’instant. Mais cela la tracassait assez pour qu’elle s’en préoccupe.

Avec un frisson, elle roula son parchemin et le rangea dans un tiroir de son bureau. Arianne ne recevrait son compte rendu des joutes qu’un peu plus tard. Elle n’avait pas la tête à lui conter l’incroyable pièce de théâtre dont Daemon avait été l’acteur principal durant le tournoi. Elle resserra les pans de sa lourde cape avec une grimace et se redressa sur sa chaise. Une bise glacée se glissa jusqu’à elle.

« Maudite forteresse, » siffla-t-elle, mauvaise.

Son regard noir scruta un instant les arbres lugubres dont la noirceur détonnait d’avec la blancheur laiteuse du sol avant de mourir dans les profondeurs sombres du lac non loin du château en ruine.

« Mors ! » héla-t-elle d’une voix dure.

À peine sa voix s’était-elle élevée qu’un toc-toc résonna dans l’immensité froide de la chambre. La tête brune du garde qui gardait les appartements de la famille Allyrion apparut.

« Oui, ma lady ? »

Elle se tourna vers lui et remarqua que lui aussi se retenait de grelotter sous le métal et le cuir de son pourpoint. Décidemment, les dorniens n’étaient pas fait pour le nord.

« Va me trouver Safia. Tout de suite. »

Il acquiesça dans une révérence brusque et referma la porte derrière lui. Il y avait quelques temps déjà que Valena n’avait pas aperçu l’ombre furtive de sa suivante. La jeune fille devait probablement encore fureter entre les murs gris du château, à épier nobles, bourgeois et roturiers. L’ambassadrice de Dorne n’appréciait que très peu d’être vue ouvertement en la compagnie de la guérisseuse aussi ses hommes savaient que la discrétion était toujours de mise lorsque cela la concernait. Les choses auraient pu attendre, mais une fois encore, la fille de Ryon avait toujours fait preuve d’impatience, un défaut qui, malgré ses efforts, ne parvenait pas à s’effacer.