Behind the mask

Sitôt le tournoi terminé, il n'avait plus eu qu'une idée en tête: s'éclipser loin des nobles et retrouver le porteur de cette si belle armure qui avait mis à terre Daeron. Le temps de prendre congé des nordiens, puis il avait disparu à l'opposée des tribunes, se débarrassant de la tunique aux couleurs de sa maison pour mieux se mêler au peuple et y récupérer les gains des paris placés avant le début des joutes. Quelques sommes intéressantes, ça aurait pu être mieux mais il ne connaissait pas la plupart des chevaliers et ça avait joué en sa défaveur. Glissant les pièces dans sa bourses, il avait tenté d'en apprendre un peu plus sur le chevalier mystérieux, sans succès, et avait eu le même résultat lorsqu'il s'était glissé parmi les tentes pour questionner les serviteurs qui s'y activaient. On avait seulement vu le cheval et son cavalier s'éloigner du terrain peu après la fin des affrontements, et personne n'avait vraiment prêté attention à la direction qu'il avait pris. Il se souvenait de l'alezan à la robe de feu, mais c'était surtout l'armure pâle de Yi-Ti qui s'était gravée dans sa rétine, lui donnant envie d'en apprendre plus sur sa provenance, l'histoire qui se cachait derrière le masque rouge grimaçant, et surtout savoir qui était le chanceux qui portait une telle parure, réservée aux plus grands guerriers de la contrée orientale. Il décida de tenter sa chance en ville, questionnant ceux qu'il croisait sur son chemin, son regard cherchant le moindre détail pouvant lui permettre d'identifier celui qu'il cherchait, et toujours aucun succès. Les passants n'avaient rien vu, même quand il leur rafraîchissait la mémoire d'une pièce ou deux, les enfants étaient trop occupés à rejouer les grands moments des joutes encore récentes pour avoir remarqué un vrai chevalier qui serait passé à côté d'eux, et il avait soigneusement évités les quelques nobles qu'il avait aperçu au coin de certaines rues, sachant qu'on pourrait trouver étrange - voir suspect - qu'il poursuive un parfait inconnu avant tant d'acharnement. Il avait ses raisons, toutes valables, mais il n'avait aucune envie de les expliquer, se doutant qu'ils n'en comprendraient que la moitié et que de nombreuses rumeurs naîtraient ensuite.

Le soleil se couchait quand il était retourné près de la lice et questionné à nouveau ceux qui s'y trouvaient encore, avant de récupérer ses affaires et sa monture pour retourner en ville et dîner dans une auberge, priant silencieusement les Dieux de lui accorder un peu plus de chance là-bas. Mais ça n'avait rien changé, malgré les nombreuses conversations toutes centrées sur le même sujet qu'il avait entamé avec les clients de la grande salle surpeuplée. Même ses questions au tenancier étaient restées sans réponses, et la nuit était déjà bien avancée quand il était ressorti légèrement titubant pour enfourcher son cheval et rejoindre l'extérieur de la cité pour y camper, toutes les chambres encore occupées par ceux venus assister au tournoi. Il n'avait même pas essayé l'un des établissements voisins, sa curiosité inassouvie serrant trop sa mâchoire pour qu'il puisse sortir un mot, l'alcool qu'il avait ingurgité au cours de ses interrogatoires n'aidant pas non plus à calmer la frustration qu'il ressentait. Huit lunes qu'il était rentré, Essos lui manquait toujours autant, et il ne pourrait même pas parler à quelqu'un qui y avait été, ou au moins connaissait un minimum vu l'armure qu'il portait. Juste le temps de se débarrasser de ses beaux habits nobles pour repasser ses vêtements de voyage si confortables et il s'était endormi près du petit feu qu'il avait allumé, la main posée sur la poignée de son arakh qui lui avait manqué ces deux derniers jours. Les images des mille paysages et visages croisés avaient agité son sommeil, ravivant douloureusement les souvenirs de cette vie qu'il avait du abandonner pour revenir dans sa contrée natale et prendre la place qui était désormais sienne, pour se réveiller la gorge serrée et la tête lourde de tout ce qu'il ne pourrait très certainement plus jamais revoir. Il était resté un moment à regarder les dernières braises rougeoyer faiblement alors que le ciel retrouvait sa teinte grise si monotone, l'odeur du feu mourant petit à petit l'accompagnant quand il plongea dans l'Oeildieu pour achever de se réveiller. Il ne s'éternisa pas, le froid de l'eau le faisant presque trembler, remit ses vêtement de voyage, les mêmes qu'il avait porté durant sa traversée de l'orient, et reprit la route en direction d'une auberge à la sortie de la ville qu'il avait vu en arrivant pour le tournoi. Juste le temps d'avaler quelque chose et il reprendrait la route vers le Nord, à défaut d'avoir trouvé celui qu'il cherchait.

Démontant, son regard fut attiré par l'éclat brûlant d'un cheval un peu plus loin, et par la selle finement ouvragée qu'il portait encore. Il connaissait les motifs qui ornaient le cuir et les arabesques des pièces de métal, pour les avoir croisé à l'autre bout du monde, et le discret charme qui pendait à l'une des brides ne fit que confirmer cette idée, un léger sourire naissant sur ses lèvres. Sa chance semblait avoir enfin tourné, et il quitta rapidement l'abri de bois après avoir attaché sa monture pour entrer dans l'établissement. S'appuyant au bar, il demanda une pinte à l'homme qui servait, rajoutant quelques pièces en plus pour qu'il lui dise à qui appartenait l'alezan dehors, et après une brève hésitation l'aubergiste lui désigna un jeune homme installé à une table au fond de la salle. Pas vraiment ouestrien, même s'il pouvait sûrement se faire passer pour un dornien assez facilement, mais pas vraiment oriental non plus, un savant mélange des deux qui devait lui permettre de se fondre assez facilement dans n'importe quelle foule. Remerciant le tenancier d'un signe de tête, il attrapa la choppe et il se dirigea vers le jeune homme, l'observant un peu plus. Son visage ne lui était pas inconnu, sans pour autant savoir s'il le connaissait ou si c'était juste parce qu'il ressemblait aux orientaux qu'il avait croisé durant ses voyages, mais cela ne freina pas son avancée. Tirant la chaise qui lui faisait face, il s'y installa et lui sourit largement avant de prendre une gorgée de bière et de reposer la choppe devant lui, se calant un peu mieux contre le dossier avant de décaler l'arakh qu'il avait gardé à sa ceinture. Belles joutes hier. Machinalement sa dextre jouait avec les clochettes qui ornaient le pommeau de son arme, les déplaçant sans les faire tinter. Votre armure a particulièrement marqué les esprits. Il savait qu'il n'était pas le seul à avoir remarqué l'originalité et la beauté des pièces qu'il portait la veille, mais seul lui devait avoir jugé impératif de savoir qui se cachait derrière le masque sanglant, juste pour satisfaire sa curiosité et retrouver ce qui lui avait tant plu à Essos.