Qui fait confiance au monde sera trahi [Cletus&Valena]
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Qui fait confiance au monde sera trahi
An 300 Lune 6 semaine 2
Cletus&Valena
Le bureau était simple et austère, presque nu dans ses décors. La seule chose qui habillait les murs était la chaleureuse couleur orangée des rayons du soleil couchant. Ici, il n’y avait aucune place pour la distraction. Aucune jolie mosaïque représentant des formes complexes, aucune arabesque, aucune peinture chatoyante représentant des scènes de vie et invitant à la rêverie. D’ailleurs, la pièce en elle même n’était pas bien grande. Il y avait tout juste assez de place pour une large table de mélèze destinée à la rédaction et à la lecture de missive ainsi qu’à l’administration de la Grâcedieu ainsi qu’une immense pièce de mélèze recouverte de marbre blanc zébré de noir et de gris où une grande carte cornée représentant Westeros était étalée. Dans une alcôve, un petit coin intime constitué d’un grand tapi uni, d’un large sofa et de quelques coussins n’invitait pas vraiment à la détente. Finalement, tout dans ce salon de travail respirait encore la présence de feu lord Allyrion. Il semblait encore que sa longue et étroite silhouette sombre arpentait la pièce où se trouvait assise à la place même qu’occupait aujourd’hui sa fille. La délicate odeur de parchemin et d’encre rappelait encore à Valena le parfum de son père.
À moitié assise sur la table des cartes, la journée avait fait perdre à la jeune femme de sa superbe. Elle s’appliquait d’ordinaire à donner d’elle une image respectable, comme pour toujours honorer la mémoire de son géniteur. Chaque matin, elle revêtissait sa robe noire et s’abstenait de se parer de colliers et de bracelets. Elle n’avait jamais été coquette et ce trait de personnalité ressortait vivement depuis la mort du lord. Mais en cette fin d’après-midi, elle avait ôté ses sandales de cuir, retiré le voile de ses cheveux qui s’éparpillaient sur ses épaules comme des épais fils de soie sombre. Signe encore plus distinctif de la nuit qui approchait, elle avait troqué sa longue toge pour une tunique de lin beige, plus agréable et plus confortable. De toute façon, elle ne s’attendait pas à être dérangée. Personne n’osait jamais interrompre la Lady de la Grâcedieu lorsqu’elle s’isolait de la sorte durant des journées entières. Et l’approche de la lune décourageait les plus téméraires qui préféraient retrouver leur lit et leur quiétude plutôt que d’affronter les humeurs taciturnes de la jeune femme.
Le soleil disparaissait lentement à l’horizon, mais il était encore trop tôt pour allumer les bougies. Les yeux rivés sur la carte, l’unique fille de Ryon calculait mentalement le temps qu’il faudrait pour rallier la Grâcedieu à Hanrrenhal tout en tapotant distraitement une lettre contre sa paume ouverte. Elle avait reçu le matin même une missive venant tout droit de Port-Réal. Un tournoi serait donné dans deux lunes dans le Conflans, au sein même de ce château maudit qui avait si mauvaise réputation, en l’honneur des un an du fils de Daenerys Targaryen ainsi que pour la naissance de l’héritière de Sud. Valena n’avait jamais cru aux superstitions ni aux fantômes, mais elle n’aimait guère la réputation qui flottait sur la gigantesque forteresse conflannaise. Un instant, elle avait douté sur les véritables intentions de cette invitation. Dorne ne faisait plus partie des Sept Couronnes depuis la proclamation de son indépendance il y avait exactement douze lunes, après la prise de pouvoir de Viserys Targaryen. En quoi les Martell et les seigneurs de la région étaient donc concernés par ce banquet et ces joutes d’au-delà des Montagnes Rouges ? Le Nord les prenait-il encore pour des vassaux des reines dragons ?
Puis, elle avait réfléchi. D’une façon où d’une autre, il lui fallait rencontrer Rhaenys Targaryen pour mettre un point final au deuil de son père. Elle ne pourrait tourner la page qu’une fois qu’elle aurait discuté avec elle des choses qu’ils avaient commencé à entreprendre. Elle devait reprendre le flambeau. En allant à Harrenhal, elle pourrait rencontrer la Jeune Reine. Elle pourrait également revoir Ulwyck qui, elle en était persuadée, assisterait aux festivités du moment qu’il y ait des joutes, un banquet, de l’alcool et des femmes. Peut-être même verrait-elle Tyerne ? Ce n’était pas en restant cloîtrée dans la forteresse d’albâtre qu’elle risquait de revoir son amie… Et elle qui avait toujours rêvé de voyager, n’était-ce pas le moment idéal ? Le Conflans était si loin de Dorne ! Combien de régions visiterait-elle ? Combien de nouveaux visages croiserait-elle ? C’était un rêve devenu réalité. Un rêve pour Valena, non pas pour la Lady de la Grâcedieu. Car malheureusement, aucun sentiment d’excitation ne la faisait vibrer. Celui-ci était remplacé par le sens du devoir et des choses bien faites. Elle ne se rendait pas au Nord pour s’amuser, mais pour être une des représentantes de Dorne et rencontrer la fille de Rhaegar.
Un soupir mélancolique s’échappa de ses lèvres alors qu’elle promenait sur la carte l’emblème des Allyrion sur la carte de Westeros. La main dorée se promena de la Grâcedieu jusqu’au fief des Ferboys avant de s’enfoncer dans les Montagnes Rouges. Elle pensa un instant passer par le Bief, mais fit demi-tour, un rictus amer sur les lèvres. Elle s’arrêta à nouveau devant les Terres de l’Orage. Deux régions contre lesquelles elle nourrissait de profondes rancœurs. L’une avait été la mort de son père, l’autre lui avait presque volé son frère. Un frère qui lui rendait si bien sa volonté de l’aider et de l’épauler. Avec un sourire ironique et teinté d’amertume, elle traversa le fief des Baratheon. Puis, elle irait jusqu’à Port-Réal où elle rejoindrait la route royale jusqu’à l’est d’Harrenhal. Voilà, la route était tracée. Combien de temps cela prendrait-il ? Cinq semaines ? Peut-être six ? Elle se massa les tempes en réfléchissant, sentant une migraine se loger derrière son front. Il faudrait très vite penser à préparer des provisions et de quoi faire le voyage si elle ne voulait pas être prise de cours. Encore cela à rajouter sur sa longue liste de choses à faire… Il faudrait également sonder les gens de la Grâcedieu pour recruter des chevaliers prêts à combattre sous les couleurs des Allyrion durant les joutes. Elle n’obligerait personne.
Quitter le château immaculé pour un si long trajet lui faisait tout drôle. Elle n’avait jamais quitté Dorne et aujourd’hui, cela lui semblait être une aberration, en particulier depuis qu’elle était la lady de ces lieux. Il lui faudrait quelqu’un de confiance pour tenir le fief. Elle aurait volontiers désigné sa mère, mais cela serait trop de responsabilités pour son esprit encore fragile. Mestre Harrian était un homme fidèle, mais également un opportuniste –il fallait être aveugle pour l’ignorer- et si elle lui avait fois en ses jugements, elle n’osait lui confier la Grâcedieu. Peut-être Asmar… Elle ne comptait même pas sur ses frères qu’elle avait depuis longtemps banni de sa confiance.
Un toc-toc timide lui fit serrer les paupières. Pourquoi fallait-il que l’on vienne maintenant ? Elle n’était pas d’humeur. Toujours assise en tailleur sur la table des cartes, elle ne leva pas les yeux vers la porte. Si elle ne répondait pas, peut-être que le gêneur finirait par baisser les bras et s’en aller. Valena resta muette à faire tranquillement tourner la main dorée des Allyrion dans sa main en attendant que l’importun s’éloigne. Mais après quelques longues secondes, on frappa à nouveau. Elle posa rageusement l’emblème sur Harrenhal et soupira bruyamment.
« Oui, entrez, entrez ! » s’agaça-t-elle en ne descendant toujours pas de son perchoir.
Elle s’attendait à voir Harrian ou peut-être Asmar. Voire une domestique lui apportant de quoi grignoter ou boire.
Mais certainement pas Cletus. Depuis leur retour, à lui et Daemon, de Volantis, ils ne s’étaient guère adressés la parole. La jeune femme n’avait rien demandé sur leur voyage en Essos. Si tous les deux se bornaient à lui faire des mystères et à jouer aux grands dissimulateurs, grand bien leur fasse ! Elle ne leur demanderait plus rien. Et elle s’était tenue à cela, ne s’adressant à eux que pour des choses futiles et sans importance.
Elle le dévisagea un instant, son visage figé dans une expression oscillant entre la neutralité et la froideur. Elle finit par hausser les sourcils, vaguement blasée.
« Que viens-tu faire ici ? » demanda-t-elle d’une voix plate. « Je suis occupée. »
Tout dans son ton laissait deviner qu’elle ne voulait pas engager la conversation et qu’elle voulait se débarrasser rapidement de son jeune frère. L’ancienne Valena en aurait eu mal au cœur, elle qui avait tellement adoré le dernier né de la famille au point quelques fois d’agir comme une petite mère. Mais aujourd’hui, elle ne s’en voulait aucunement. S’il fallait pointer quelqu’un du doigt, c’était bien Cletus et non pas elle.
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An 300 Lune 6 semaine 2
Valena Allyrion & Cletus Allyrion
L’oiseau étendit son aile valide, cherchant l’équilibre, alors que le jeune Allyrion venait de le percher sur son bras gauche. Un cri strident s’échappait de temps à autre de son bec recourbé, répondant à ceux de ses congénères. Dans la volière de la Grâcedieu, il n’y avait aucune fenêtre. La bâtisse restait cependant, un véritable bijou d’architecture. Car du sol jusqu’au sommet du dôme qui surplombait l’endroit, la pierre avait été savamment taillée et percée en une multitude de motifs géométriques. Cette dentelle de pierre blanche filtrait la lumière du jour tout en procurant un ombrage reposant aux nombreux faucons que possédaient les Allyrions. A Dorne, la chasse se faisait avec ces oiseaux, et non pas avec les meutes de chiens comme c’était d’usage dans le Nord. Ce n’était cependant pas pour aller courir les dunes avec un de ces rapaces que Cletus était là. D’un geste délicat, il souleva l’aile blessée que l’on avait pansé et bandé afin que l’animal n’aggrave pas la meurtrissure infligée par un petit canidé sauvage. L’homme qui avait la charge des oiseaux de proie ne comptait pas vraiment sur le rétablissement du faucon tacheté, mais comme il s’occupait de ces animaux avant même que Ryon ne soit fait Lord, le vieux dornien avait fini par les aimer plus que les autres hommes, et n’avait probablement pas eu le courage de l’achever. Tenant dans sa main le lien de cuir qui entourait la patte du rapace, l’Allyrion sorti de la volière, l’oiseau tenant toujours son aile ouverte, et tanguant maladroitement sur le bras du jeune homme.
De sa main libre, le cadet débarrassa les livres qui se trouvaient sur une commode pour y installer un perchoir dont on usait habituellement pour présenter les oiseaux lorsqu’il y avait quelqu’un à impressionner. Il n’attacha pas l’animal, qui, avec sa blessure, aurait pour tout terrain d’évasion le sol couvert de tapis de la chambre. Cletus se baissa pour ramasser des parchemins qu’un coup de vent avait déplacés, pour aller les coincer dans les pages d’un manuscrit. Relié de cuir gravé, l’ouvrage était déjà bien rempli. Lentement, il en tourna les pages noircies d’une écriture soignée, où se mêlaient de grands textes, des croquis faits à la plume, et des annotations. C’était le travail auquel il s’était consacré depuis qu’il était revenu à la Grâcedieu, et cette tâche l’occupait jour et nuit. De son séjour à Volantis, il avait ramené une impressionnante quantité de parchemins, et il finissait tout juste de mettre au propre ses écrits. Il les retranscrivait en haut valyrien, même si certaines notes étaient en langue commune. Son apprentissage auprès des prêtres de R’hllor ne l’avait pas conduit à la piété, mais avait été extrèmement riche en découvertes. Quelques semaines lui avaient paru durer des mois, tant il avait passé de temps dans les salles du grand temple de Volantis en compagnie des prêtres rouges. Ce qu’il avait soupçonné lui avait été confirmé par ces hommes vêtus d’écarlate, et à présent, il se devait d’en faire part à celle qu’il avait volontairement laissée dans l’ignorance. L’après-midi était avancé, aussi la lumière ocre du jour déclinant venait s’apposer en flaque sur les broderies des tapis. Sur son travail acharné personne n’avait osé le questionner, et sans doute les servantes n’oseraient même pas se scandaliser de la présence du faucon blessé dans la chambre du cadet Allyrion. Les semaines étaient passées le mur de silence qui séparait les enfants de la Grâcedieu ne s’était pas brisé pour autant. Cette froideur où les non-dits s’accumulaient pesait sur l’atmosphère de la demeure des Lords. Cletus en souffrait beaucoup, bien qu’il savait en être en grande partie responsable. Lorsque le mestre Harian lui avait confirmé ses doutes, il était parti si vite, emmenant son frère avec lui. Il s’était servi de ce dernier pour cacher les véritables raisons qui l’avait poussé à quitter la demeure familiale si peu de temps après la mort du Lord. C’était avec une détermination teinté d’inquiétude quant à ce qui l’attendait qu’il avait quitté la chambre ensoleillée, refermant la porte derrière lui. Ses pas le menèrent jusqu’au bureau qui était à présent celui de sa sœur. Mais cette sœur, n’était pas celle qu’il connaissait. Valena avait disparu derrière le même masque d’autorité et de froideur qu’arborait leur père avant elle. Certains disent que le deuil change les Hommes, mais pour le cadet, il ne faisait que les révéler. De cela il en était convaincu, aussi peu flatteur que cette vérité puisse être pour lui-même ou le reste de sa fratrie.
Avec une certaine hésitation, il toqua une première fois à la porte, mais nulle réponse ne se fit entendre. Pourtant il le savait, elle était là. Il attendit avant de frapper à nouveau, et cette fois la réponse fut claire, aussi n’attendit-t-il pas avant de pousser les grandes portes et de pénétrer dans la pièce. Il s’arrêta à l’entrée, mais une certaine surprise le saisi en voyant sa sœur assise sur la table, ses cheveux détachés tombant sur ses épaules. Pour la première fois depuis des lunes, elle avait délaissé la couleur du deuil. Pour la première fois depuis tout ce temps, Cletus pouvait contempler Valena telle qu’elle était autrefois, telle qu’il l’aimait. Pourtant bien vite elle lui rappela de son ton froid et distant que des explications s’imposaient, aussi houleuses s’annonçaient-elles. Mais pas un instant il ne vacilla face aux prunelles noires qui le toisaient si durement. Car hélàs pour la lady, il n’en avait que trop l’habitude de par l’attitude qu’avait toujours eu leur ainé Daemon envers lui. Et cela ne l’avait jamais empêché d’aller vers lui. « Je dois te parler. » Il s’avança vers le bureau de bois sombre, et s’arrêta à un pas à peine de ce dernier. S’il s’était obligé à ne pas détourner les yeux du regard de son ainée, il ne put s’empêcher d’abaisser ses prunelles bleues vers l’immense carte que la lady avait étalée sur le bureau. Il remarqua bien vite la paume qui était posée sur la carte, et le lieu qu’elle indiquait. Harrenhal ? La forteresse du Conflans était si loin de Dorne, que pouvait donc bien vouloir Valena à ces lieux maudits ? Si la main des Allyrion posée sur la carte réveilla en lui une multitude de questions, il jugea plus sage de les garder pour lui. Il était trop tentant de détourner le sujet vers cela plutôt que d’affronter le courroux de sa sœur, aussi il préféra s’abstenir de les lui poser dans l’immédiat. Il leva de nouveau les yeux vers elle, cherchant comment il devait lui annoncer ce qu’il était venu lui dire. Il savait que s’empêtrer dans des dentelles de paroles pour mieux amener le sujet ne ferait qu’énerver Valena, mais que dire dans ce cas ? Sans vraiment savoir s’il avait vraiment voulu dire cela, ou si ces paroles lui avait échappé, le cadet brisa le silence qui les séparait, de sa voix basse et douce : « Je ne suis pas parti à Volantis avec pour seul dessein de rendre visite à Nymeria. Lorsque j’étais là-bas, je me suis rendu au Temple du Maître de la Lumière. Je devais m’y rendre. J’ai un don, Valena. Ils n’ont fait que confirmer ce que je savais déjà. Ils m’ont appris à m’en servir. C’est pour cela que nous sommes restés si longtemps. Je suis… » Il n’arriva pas à terminer sa phrase. Que devait-il dire, quel terme devait-il employer ? Un sorcier ? Un prêtre rouge ? Un hérétique ? La Grâcedieu n’avait pas été nommé ainsi par caprice, et les lords de la Maison Allyrion avaient tout au long de leur histoire fait montre d’une piété qui était bien peu familière à Dorne. Cletus, lui, n’avait cru aux dieux qu’au début de son éducation religieuse par sa mère, mais quand ses prières se trouvèrent sans réponse, il avait eut tôt fait de ne croire en rien, bien qu’il continua à prétendre le contraire pour faire plaisir à la douce Deria. « Je ne te l’ai pas dit parce que j’avais peur. J’avais peur de ta réaction. Peur de la réaction de notre mère. Et j’en ai encore peur. Mais j’ai un don, Valena, et il est hors de question pour moi de faire comme si ce n’était pas le cas, car ça m’est impossible. » Peut-être en avait-il trop dit. Peut-être aurait-il du laisser sa sœur se faire à la nouvelle avant de poursuivre trop loin. Autant qu’il le pouvait, il soutenait le regard sombre de son ainée, bien que l’envie de s’en détourner pris presque le dessus.
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An 300 Lune 6 semaine 2
Cletus&Valena
Cletus avait changé. Elle le voyait très nettement. Il avait grandi, sa carrure autrefois malingre et chétive s’était affirmée. Ses épaules devenues légèrement plus larges lui donnaient, pour la première fois peut-être depuis sa naissance, l’air d’avoir son âge. La cadet des Allyrion avait toujours été plus petit et plus timoré que la moyenne aussi, sa sœur l’avait toujours vu comme un garçonnet effrayé qu’elle devait protéger à tout prix des dangers du désert, de Dorne et plus largement, de tout Westeros. Cette peau si blanche qui craignait le soleil brûlant, ses yeux si pâles qui souffraient des rayons et ces cheveux si blonds qui attiraient l’attention témoignaient pour lui de sa fragilité si éloignée pourtant d la tempétueuse Deria qui, si elle partageait en tout point les traits de son unique fils, ne craignait rien ni personne. Pourtant, il n’y avait pas que cette apparence gracile qui avait souvent intimé l’ordre à son aînée d’être son bouclier. Timide, réservée et loin d’être vindicatif, il lui était longtemps apparu comme étant incapable de se défendre seul s’il venait à être la cible d’une attaque verbale ou d’une moquerie. Sa personnalité, loin d’être aussi éclatante et chamarrée que celles de ses ainés, préférait l’ombre et la réflexion.
Cependant, ce soir-là, en toisant le regard bleu de son cadet, Valena aperçut le changement qu’elle n’avait jamais voulu voir jusqu’alors. Il s’était affirmé. Depuis quand ? Depuis son écuyage chez leurs cousins Ferboys ? Depuis la déclaration d’indépendance ? Depuis l’exil de Nymeria et Rhaegar ? Depuis la mort de Ryon ? Depuis son voyage à Volantis ? La jeune femme avait beau y réfléchir, elle ne se rappelait pas depuis quand elle s’était voilée la face.
Il la regarda comme s’il ne la reconnaissait pas et elle lui retourna presque cette œillade étonnée, bien que pour sa part elle resta consciencieusement dissimulée sous le masque de l’ennui. Cletus retrouvait l’ancienne Valena, sans gêne et échevelée alors qu’elle-même découvrait un nouveau Cletus. Elle ne savait pas encore si elle appréciait ou non cette nouvelle image de son frère. Mais il était certainement venu pour lui faire part de quelque chose et depuis quelques lunes, les demandes et les déclarations de ses frères ne l’avaient pas ravie. Loin de là, même. Autrefois, elle l’aurait rabroué et mis dehors sans qu’il ne cherche à demander son reste, mais aujourd’hui, il était évident que cela ne serait pas le cas. Et la lady ne cherchait pas la confrontation. Elle désirait simplement se débarrasser de lui le plus vite possible pour retourner à ses affaires et surtout, éviter de laisser jaillir le fantôme de l’ancienne Valena qui grattait depuis quelques temps au creux de ses entrailles.
Son jeune frère s’avança vers elle sans qu’elle ne bouge un muscle. Elle l’observait sans ciller et il finit par laisser son attention dériver sur la vieille carte qui recouvrait la table sur laquelle elle était assise. Ni lui, ni Daemon, ni personne n’était encore au courant du futur départ vers Harrenhal. Elle souhaitait garder cela pour elle, le temps de tout organiser. Car elle en était persuadée, un mot de sa part à ce sujet et les esprits s’échaufferaient menaçant l’organisation déjà embryonnaire. Et la dernière chose qu’elle souhaitait était le chaos à la Grâcedieu. Or, Cletus était loin d’être un imbécile et son attention aux détails lui informerait bien que quelque chose se tramait sous son nez. Aussi, sa sœur ne tenta même pas de dissimuler les reliefs dessinés et les emblèmes se promenant entre les régions vallonnées.
Il se désintéressa pourtant et sa voix jaillit sans qu’il ne s’y attende trop. La lady le toisa, d’abord morne comme les pierres. Puis, à mesure que son récit se dévoilait, son sourcil droit se levait, toujours plus circonspect. Aurait-elle laissé libre cours à ses émotions, qu’elle lui aurait ri au nez. Il balbutia un instant, cherchant ses mots. À cet instant précis, il ressemblait à s’y méprendre au petit garçon perdu et maladroit qu’il avait été auparavant. Malheureusement, aujourd’hui, cela n’attendrissait plus le cœur de son ainée qui restait à le fixer.
« Oui, Cletus et moi je suis la Reine de Westeros. Oh, et je me transforme en dragon la nuit. »
Sa voix trancha l’air tendre du soir comme un poignard aiguisé dans la chaire dans ennemi. Que lui prenait-il ? Pourquoi venait-il ici lui jeter au visage des énormités plus grosses que lui ? Enfant, il n’avait jamais raconté d’histoires. Il n’avait même d’ailleurs grossi les faits pour se donner l’air plus féroce qu’il ne l’était réellement, usage don Valena avait longtemps été friande.
« Ne te cherche pas d’excuses. Tu es parti, tu as quitté la Grâcedieu pour Volantis. Tu as laissé derrière toi ta demeure, tes obligations… ta sœur, pour rendre visite à une soit disant « amie » ? »
C’était cela qu’il tentait de faire ? Se protéger derrières des contes ? En avait-il assez du visage et du cœur de pierre de son ainée ? Cherchait-il à se faire pardonner avec des inepties pareilles ? La jeune femme serrait les dents.
« Je te pensais plus mûr que cela… Mais inventer un tissu de mensonges ? Vraiment, Cletus ? Tu es venu ici me déranger pour te chercher des excuses abracadabrantesques ? »
Elle soupira, à la fois lasse et embarrassée devant ses tentatives de petit garçon pris la main dans le sac. Un don, vraiment ? Le seul don dont elle avait été témoin, les frères Allyrion le partageaient, était bien celui de disparaître lorsqu’elle avait eu besoin d’eux. Peut-être parlait-il de celui-ci d’ailleurs.
« D’ailleurs, tu devrais savoir que chercher à te justifier est bien inutile. Je n’attends plus rien de toi. »
Si son cadet soutenait son regard, elle le lui rendait bien. L’exercice semblait moins pesant pour elle que pour lui. Elle ne put empêcher un air désabusé de tordre ses lèvres en une moue fatiguée. Les légendes et les soit disant dons étaient pour les enfants. Et il y avait bien longtemps qu’elle avait cessé d’en être une.
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An 300 Lune 6 semaine 2
Valena Allyrion & Cletus Allyrion
Devant la réponse de son ainée, le jeune chevalier resta sans voix, l’assurance de son regard laissant la place à l’incompréhension. Il en oublia presque les difficultés qu’il éprouvait à soutenir ainsi les prunelles noires et perçantes de sa sœur. Lui qui s’attendait se heurter au courroux de la lady, il n’avait en revanche pas prévu de se voir ainsi discrédité par elle. L’expression de ses yeux sombres, le ton de sa voix, et même son attitude, tout chez Valena ne traduisait que trop à quel point ses actes avaient consumé la confiance mutuelle qu’ils partageaient autrefois. Et cela blessa Cletus, dont le cœur s’était serré à l’écoute des paroles de la brune. Rien dans la façon d’être de cette dernière ne laissait deviner l’espoir qu’elle lui accorda un jour de réparer ses erreurs. La lady de la Grâcedieu, intransigeante, ne semblait pas éprouver le besoin de retrouver les liens qui appartenaient désormais au passé, et qui s’étaient transformés en rancune. Les non-dits gangrénaient depuis trop de lunes les rapports entre tous les enfants du Soleil Noir, à un tel point que la situation paraissait presque perdue, car la fierté des dorniens ne les poussait guère à assumer leurs tords. Le cadet Allyrion ne connaissait que trop bien cette froide indifférence affichée par sa sœur, car c’était d’un mépris semblable que le gratifiait leur ainé depuis sa naissance. Cependant, Cletus n’était pas prêt à laisser ainsi les dégats provoqués par ses choix. Il ignorait encore ce qu’il devrait faire pour regagner la confiance brisée de Valena, il était cependant certain qu’il ne reculerait devant rien pour elle. « Je ne te mens pas, Valena. Je ne t’ai jamais menti. » Son regard pâle parcouru alors le décor qui les entouraient tous les deux, un lieu si rattaché à l’image du Lord qu’il était difficile de ne pas voir chaque ombre de la pièce prendre la forme de sa silhouette sur les murs. Pourtant la présence de sa sœur imprégnait peu à peu l’endroit, où rien n’avait bougé depuis la mort du Soleil Noir. Du dehors leur parvenait le souffle caressant du vent, et qui amenait avec lui le chant des insectes. Sur les hauteurs du python rocheux sur lequel elle avait été construite, la demeure des lords de la Grâcedieu était aussi silencieuse et immuable que le désert qui l’entourait. Depuis le bureau de la jeune lady, le regard portait des rives de la Sang-vert jusqu’à l’horizon de dunes, un paysage que l’on pouvait admirer au gré de la brise qui venait de temps à autre soulever les voiles qui dansaient aux fenêtres. Leur père n’était plus. Ils ne pourraient jamais plus compter sur sa force, ni sur sa sévérité. Leur mère était brisée, et désormais ils étaient seuls maîtres de leur destin, quand Valena portait en plus sur ses épaules celui du fief de leur famille. « Comptes-tu réellement avancer seule, Valena ? » Tourné vers les fenêtres, le visage de Cletus s’était voilé de tristesse, alors que sa main venait se saisir du pendentif orné d’une pierre rougeoyante, qui ne le quittait plus. Autant qu’il pouvait réprouver l’idée d’un dieu de lumière, celles d’Anciens dieux nordiens, ou même encore celle de Sept divinités allégoriques, il comptait bien mettre à profit les connaissances et le pouvoir qu’il était allé chercher de l’autre côté de la Mer Etroite. Tout le savoir acquis au fil des quelques semaines passées à apprendre au sein même du Temple du Maître de la lumière, n’avait pas pour but de satisfaire son orgueil ou sa vanité, bien que se savoir doté d’un pouvoir hors du commun fut grisant, avant de paraître presque terrifiant. Il avait à l’esprit déjà une idée bien arrêtée de comment en user. Mais il hésitait encore, car si le temps ne lui laissait pas le choix d’attendre, la maîtrise toute nouvelle et encore bien insuffisante de ses dons le forceraient à prendre des risques qu’il savait pertinemment dangereux pour lui-même. Avant de mettre son plan en œuvre, il devrait se contenter d’oiseaux blessés pour exercer sa magie. « Je ne serais pas parti, si je ne pensais pas que ce que je suis allé chercher là-bas ne serait pas nécessaire pour le futur de la Grâcedieu. Pour notre futur, Valena. » Ses pensées allèrent alors à leur frère Daemon, qui, s’il récupérait peu à peu de son accident, avait indubitablement gardé des séquelles qui l’handicaperaient tout le long de sa vie, d’une façon telle qu’il était impensable de laisser les choses ainsi, surtout lorsque l’on voyait la vitesse à laquelle le saurien noir et sang gagnait en force et en taille. « Je ne vois pas les choses comme toi. Je ne t’ai pas abandonné. Je n’ai pas laissé derrière moi mes responsabilités. Tout simplement parce que c’était mon devoir de partir, c’était mon devoir d’aller à Volantis. » Se tournant à nouveau vers elle, il s’avança d’un pas, ses yeux bleus se posant sur la jeune lady, alors que sa main avait lâché la pierre montée sur un cadran de cuivre ciselé, pour aller se poser sur celle de la brune. « Valena. Crois-moi. Ce que j’ai fait là-bas, je l’ai fait pour toi. Je l’ai fait pour nous trois. » La voix du cadet était aussi calme et posée que de coutume, bien que sa gorge encore serrée par les mots cruels de son ainée l’obligea à parler plus lentement pour ne pas trahir les larmes qui menaçaient de surgir. « Père n’est plus. Mère n’est pas en mesure de t’épauler. Asmar ne sera jamais qu’un soldat. Et mestre Harian a beau avoir étudié à la Citadelle, il ne connait rien de Dorne, il ne connait rien du désert, des choses qu’il ne sera jamais en mesure de comprendre, car il n’est pas né ici. Alors je te le demande : Laisse-moi t’aider. Tu me reproche de t’avoir abandonné pour partir en Essos, mais c’est pour la Grâcedieu que je suis parti. C’est pour toi que j’ai choisi de revenir ici, plutôt que d’accepter la proposition des Ferboys et de demeurer dans les Montagnes Rouges. Toi, Daemon et moi. Nous devons rester unis. Nous le devons, car à l’avenir, notre fratrie sera la seul chose sur laquelle nous pourrons compter. »
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