Une Dame curieuse [Corwyn]

Ill n'est jamais facile d'accompagner dans la mort. Je parle là bien du fait de savoir qu'une personne va mourir, de la savoir condamnée et de n'avoir pour pouvoir l'aider que de soulager sa douleur et jamais autant qu'on le souhaiterait. Le Seigneur de Mielbois avait été courageux jusqu'à son dernier souffle, alors que j'aurai pu apaiser d'avantages encore sa douleur mais au prix de son éveil, il avait refusé, préférant être conscient, préférant pouvoir encore voir sa fille, lui adresser d'ultimes conseils. Il lui avait encore offert sa bénédiction quand à son mariage, une excellente chose, je ne suis pas certain qu'Ellyn eut osée épouser Lord Tyssier de Froidedouve sans l'approbation de son père et cela aurait été dramatique pour le domaine de Mielbois. Le mariage allait avoir lieu, avec l'approbation du père ce qui conforterait Ellyn encore d'avantage, ne lui lasserait pas le doute à savoir si elle avait raison ou non, si elle ne faisait pas d'erreur. Je suis Mestre et connaisseur de nombreux domaines mais il n'est pas d'anneau pour l'étude des méandres du mariage car cela doit être, sans nul doute avec l'amour, le domaine le plus inexplicable qui existe dans notre monde. Tant de choses peuvent motiver un mariage, tant de choses changent avec un mariage et pourtant ce n'est qu'une simple journée pouvant paraître ordinaire. Toutes les journées semblent souvent ordinaires, puis subitement des Fer-Nés déferlent dans la Citadelle tels un feu de forêt, emportant tout et tous dans leurs sillages. En ce jour sombre de l'histoire de la Citadelle, de nombreux ouvrages ont été perdus, la Citadelle a été elle-même a été par endroit détruite, par d'autres brûlés mais plus grave encore de grands Mestres avaient perdu la vie dans cet acte de barbarie innommable. Un Mestre ne devrait pas haïr, il ne devrait pas détester mais je ne suis pas un mestre ordinaire, je suis un Mestre qui étudie depuis dix années les arts occultes, domaine pourtant délaissé par la plus large majorité de mes pairs, je suis un Mestre qui sait se défendre à l'épée à la surprise de ses supérieurs. Je crois que c'est l'expérience qui fait la science plus encore que la théorie, dites ces mots à la Citadelle et vous ferez hurler de nombreux Archimestres, j'ai donc toujours préféré les tenir pour moi. Un mouvement de main, très léger, raccompagne une abeille à la fenêtre par laquelle elle venait d'entrer, il faudra songer à interroger mon successeur sur sa crainte des insectes volants, j'ai connu un novice qui fit ses classes avec moi terrifié par le moindre insecte. Il aurait été amusant de le voir à Mielbois entouré d'abeilles.

Refermant l'ouvrage que je lisais, traitant des abeilles d'ailleurs, je prends une longue inspiration avant d'attraper un carnet à croquis, un crayon et de descendre dans la cour ou se trouve une fontaine. De nombreuses fleurs s'y mélangent, toutes différentes et toutes pleines de bourdonnements. Toutes ? Voilà bien un mystère qui m'intrigue, après tout la nature est ainsi faite que, spontanément, les animaux sauront quelle plante ne pas manger, quelle fruit n'est pas bon, qu'en est-il seulement des abeilles ? Si le domaine où j'officie se nomme Mielbois, ce n'est pas par hasard et depuis mon arrivée j'ai eu fort à faire à prendre soin du Maître des lieux, de rencontrer son héritière, de découvrir son royaume, ses mœurs, tant et si bien qu'en une année, pourtant écoulée si vite que cela frôlait l'indécence, je n'avais pas encore eu le temps de m'intéresser vraiment aux premières ouvrières de Mielbois : les abeilles. C'était la réunion matinale qui me motivait à m'intéresser d'avantages à elle, le froid approchant allait fatalement impacter l'économie du domaine mais je préférais anticiper plus encore à l'avance, si par malheur, pour une raison de maladie certaines fleurs devaient devenir rares, disparaître. Voilà donc l'étude que je m'étais assigné, qui prendrait sans doute des années, sinon à devenir une étude éternelle de ma vie jusqu'à ma mort, d'entretenir un herbier de toutes les fleurs où j'aurai pu voir butiner une abeille en parallèle d'un second traitant des fleurs où je n'aurai jamais vu d'abeilles. Si cela pouvait sembler fastidieux, pénible et long, ça faisait parti du travail d'un Mestre de connaître les sujets du Domaine auquel il était rattaché or comment demeurer à Mielbois sans en connaître un minimum ses plus importantes productrices et sans doute sa première population active ? Un léger sourire nait sur mon visage tandis que je m'incline respectueusement devant la maîtresse des lieux qui venait s'intéresser à mon travail.

« Vous êtes la maîtresse en ces lieux votre présence ne peut donc jamais être importune. Quand à votre curiosité je ne peux que difficilement la blâmer puisqu'elle est la principale motivation d'un Mestre. »

Lui montrant le dessin d'une fleur bordant la fontaine, j'y vois une abeille en partir et j'explique à Ellyn.

« En un an que je suis ici je n'ai pas encore eu le temps de m'intéresser aux abeilles, du moins pas tant que j'aurai aimé le faire or je ne vous apprendrai par l'importance qu'elles ont pour votre Domaine. Je vais donc réaliser deux herbiers, l'un pour les plantes et fleurs que les abeilles butinent, l'autre pour celles qui ne sont pas butinés, cela afin de chercher à comprendre pourquoi certaines fleurs attirent les abeilles quand d'autres semblent les repousser. Un écosystème est fragile, la moindre modification peut faire disparaître des fleurs, en voir fleurir de nouvelles, cela risquant de perturber le abeilles, peut-être suis un rien paranoïaque ou trop inquiet, mais j'aime mieux anticiper sur un risque fantasque que d'être démuni devant une réalité trop cruelle. »