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L'alliance du glaive et de la fourche [Libre]

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Le soleil, goutte d’ambre céleste, rejoignait l’océan après avoir à nouveau parcouru les cieux d’Est en Ouest. Il est des éléments du monde qui, ainsi, effectuent chaque jour leur tâche avec la plus grande régularité et une étonnante assiduité. Etonnante du moins, depuis les yeux d’onyx –yeux d’hommes-, du seigneur des Terres de l’Orage. Stannis Baratheon aimait regarder le soleil embrasser l’horizon. Cela signifiait pour lui qu’il s’apprêtait à allumer les torches et les bougies pour une longue nuit de travail. Il prenait ainsi le relais de l’étoile et se faisait l’humble porteur de lumière dans la nuit de Westeros. La nuit, les ténèbres, la lumière, les éclairs… il se sentait là dans son élément, c’est ce qu’il connaissait. Depuis qu’il avait rencontré le Maître de la Lumière, il ne constatait plus béatement la présence de ces phénomènes, non, à présent, il les ressentait. Il les comprenait. Il avait franchi une barrière, il avait accédé à un seuil de connaissance supérieur. Toute cette symbolique qui dansait autour de Stannis se répercutait sur les murs de la forteresse d’Accalmie, fendant le sombre éther du soir. Renly n’était pas là, peut-être dans un coin perdu à se vautrer dans la luxure propre à la noblesse inférieure de mœurs. Shôren était partie se coucher tôt, fatiguée par les incessantes visites de paysans, bourgeois et nobles à Accalmie. Ces visites étaient nombreuses, régulières, et chaque homme qui se présentait devant le seigneur y déposait son fardeau de problèmes et de questions. Une grange entière pouvait s’en remplir la panse. La plupart du temps, les mêmes doléances se faisaient entendre : le champort (redevance en nature que le paysan doit au propriétaire de la terre) était trop élevé, la grande fertilité des terres produisant des quantités phénoménales de blé qui encombrait les granges des seigneurs, ce qui augmentait les prix. Les canaux d’irrigation et de drainage, mal entretenus, causaient un manque à gagner. Les soldats réguliers piétinaient les cultures et se comportaient mal avec la population. La prolifération des loups menaçait le bétail. Et tant d’autres, et tant d’autres, qui m’amoncelaient de jour en jour. La plupart des conseillers de Stannis étaient les nobles des Terres de l’Orage eux-mêmes, souvent à l’origine de ce système qui causait tant de soucis, rouillé comme une vieille mécanique, et donc, très conservateurs ! Stannis avait hérité de ces terres et avait compris l’importance que représentait l’exploitation des potentiels qu’il avait sous la main. La fertilité de ses sols et la profusion des forêts représentaient les deux mamelles de l’économie du continent, et un leadership dans chacune d’entre elles donnerait à l’aîné Baratheon une voix de stentor sur la scène politique. Retrouver la place qui lui revenait de plein droit, lui, l’Eclairé parmi les Eclairés.

Une fois rentré à l’intérieur de la tour centrale de la forteresse, Stannis demanda à ce qu’on lui apporte des parchemins, des plumes et de l’encre. Il en aurait pour toute la nuit. Ses serviteurs s’exécutèrent puis sortirent de la salle, après que leur seigneur les en ait chassé d’un bref mouvement de bras. Les fibrilles des plumes commencèrent à chatouiller les lèvres de Stannis alors que ses yeux plongèrent dans les brasiers qui éclairaient la salle, comme si le Maître allait surgir des flammes pour indiquer à son Fils comment parvenir à ses fins. Non, on ne pouvait en demander autant au Maître, non, c’était de l’ubris, un manque d’humilité… non, le Maître avait fait don à Stannis d’un esprit crépitant et bien formé, il fallait en user comme il le sied. Commençons par le commencement : il fallait publier des décrets permettant de reprendre la main sur les Terres de l’Orage et d’en réorganiser les structures sociales et économiques. Soit. On ne pouvait faire cela tout seul. Il fallait s’appuyer sur des personnages de confiance. Qui donc ? Les nobles ? Non. Trop conservateurs, ils tueraient dans l’œuf toute loi sérieuse et laisseraient volontairement traîner tout décret trop défavorable à leurs intérêts personnels. Stannis était un chef militaire éprouvé à la guerre et un stratège militaire respecté : les soldats lui obéiraient. Qui d’autres ? Le clergé ? Hors de question, ils vénèrent encore les Anciens –ou les Nouveaux, qu’importe !- dieux.
Mélisandre… le nom de la femme rouge résonna presque naturellement dans la tête de Stannis, comme s’il avait jailli des flammes pour se précipiter dans son esprit. L’aura qu’elle dégageait faisait d’elle, malgré tout, une femme que l’on écoutait et à laquelle on voulait obéir. Sa voix ne serait pas de trop. On avait les relais, on avait le but, il fallait à présent les moyens : comment ? Il fallait s’appuyer sur ceux qui produisent réellement, les paysans-éleveurs, les bûcherons et les artisans. C’est eux qui sont l’économie du pays, c’est eux qu’il faut encourager. Les seigneurs entre le peuple et Stannis ne sont que des relais qui alourdissent la chaîne de transmission d’ordre et qui ralentissent toute la région, ils sont superflus. Il fallait court-circuiter la noblesse et créer un lien d’exception entre le peuple et son seigneur. Ce n’était pas chose simple, mais les leviers étaient multiples, au moins aussi nombreux que les doléances, et alors il fallait régler ces dernières pour obtenir un résultat concluant. Les idées fusèrent et Stannis commença à noter :

Décrets d’Accalmie

Moi, Stannis, de la Maison Baratheon, Seigneur des Terres de l’Orage, par la puissance de R’hllor, énonce les décrets suivants :

[1]. Le champort, actuellement fort de 15%, est abaissé à 10%.

[2]. Le droit de mainmorte est supprimé. Plus aucun seigneur ne pourra exiger la levée d’une mainmorte sur les terres d’un paysan.

[3]. Les droits de péages sur les céréales, le bois et leurs dérivés (farine, meubles…) sont augmentés de 50%.

[4]. A l’intérieur des Terres de l’Orage est désormais supprimé le droit de tonlieu aux portes des villes.

[5]. Les soldats de l’ost de ma personne verront leur solde augmentée de 3 sous par semaine.

[6]. Une garnison et un relais de mon armée régulière seront installés dans chaque bourg de plus de cinq cents habitants.

[7]. Des juristes d’Accalmie sillonneront à présent les Terres de l’Orage, récoltant les plaintes des paysans et jugeant les mauvais comportements des soldats. Les sanctions seront exemplaires.

[8]. Chaque communauté villageoise est désormais sommée de tenir un recueil de doléances, y inscrivant ses requêtes et ses suggestions.

[9]. La corvée des eaux est imposée à toute la population : une journée par mois, chaque communauté paysanne devra s’acquitter de travaux de curage des fossés et canaux d’irrigation des terres qu’elle cultive.

[10]. Tout paysan extérieur aux Terres de l’Orage désirant s’installer sur nos terres recevra un alleu de 10 toises sur 10 ainsi que des terres soumises à la seigneurie foncière et banale, et sera placé sous l’autorité du seigneur d’Accalmie, moi-même.

[11]. Tout paysan qui s’estime lésé par son seigneur peut choisir de se placer sous la protection de ma personne, contre un serment de fidélité-lige. Son seigneur continuera d’exercer sur lui les droits de la seigneurie banale mais les droits de la seigneurie foncière seront à mon jugement personnel. Il sera protégé par les juristes d’Accalmie.

[12]. Entre les mois de février et de juillet, des chasses aux loups seront organisées dans toutes les forêts et collines du pays. Ma personne sera présente et distribuera les récompenses aux meilleurs chasseurs.

[13]. Entre le moins de septembre et de mars, les troupeaux de vaches, de chèvres et de moutons devront obligatoirement être installés dans des parcs fermés.

[14]. Les paysans, bûcherons et charcutiers désirant vendre leur production sur nos frontières aux régions voisines ne paieront plus de tonlieux ou de péages durant leur trajet.

[15]. Toute désobéissance aux présents décrets conduira à une amende de 1000 sous ainsi qu’à un emprisonnement.



Stannis regarda sa réserve de plumes : il en avait usé trois. Les ratures étaient nombreuses mais les problèmes résolus l’étaient plus encore. Il prit son parchemin et le tint à bout de bras, comme pour prendre du recul par rapport à ce qu’il venait de rédiger. Assez fier, il le reposa, plaqua son poing contre sa hanche, l’autre sous le menton, et relut attentivement : supprimer une grande partie des tonlieux et des péages allait encourager la mobilité et donc le commerce. Les taxes aux frontières extérieures limiteraient l’importation, tandis que l’exportation serait facilitée, engrangeant de nombreuses quantités de deniers. L’importance qu’il donnait aux hommes de son armée avait pour objectif de garantir sa fidélité et d’empêcher d’éventuels soulèvements… car oui, le pouvoir des nobles, directement visé par le onzième décret, allait être affaibli au profit du pouvoir personnel de Stannis. Il fallait cependant laisser une porte ouverte : que les nobles mécontents viennent palabrer à Accalmie.
Voilà ce qu’étaient, en profondeur, les décrets d’Accalmie : l’alliance du glaive et de la fourche. L’arme et l’outil qui se rejoignaient dans les mains de Stannis, autorité centralisatrice des Terres de l’Orage.

Les décrets devaient à présent circuler. La question des hommes allait rapidement se poser : les soldats et les paysans comprendraient vite. Un homme est assez enclin à entendre ce qui améliorera son quotidien. Il fallait éviter les intermédiaires rétifs. Stannis appela ses serviteurs afin que les copieurs soient mandés. Des centaines de copies de ces décrets devaient être expédiés aux quatre coins des Terres de l’Orage. Ils seront tous lus dans chaque village, et des copies seront laissées. Cela prendra longtemps avant que tout le monde ne soit averti, mais c’est sur le long terme qu’il fallait miser.
Quant aux « juristes » promis par Stannis, il s’agissait d’hommes lettrés imbus de droit qui auraient pour but de sillonner les terres pour uniformiser le droit et l’appliquer partout de la même manière. Leur travail devait être sérieux et respecté.

Stannis, d’un geste lent, prit un parchemin et recopia les décrets. Ce parchemin qu’il rédigeait allait être envoyé à Mélisandre, personnellement. Qu’elle le lise sur son chemin, elle sera écoutée.
Les Terres de l’Orage, sous l’impulsion de son souverain légitime, prenait un nouveau tournant, elles allaient briller sur Westeros.