Le chant des souvenirs [Rhaenys]

Thème musical

C’était comme le son terriblement lourd d’une blessure qui hurlait dans son cœur, dans son âme et qui embrasait tout, comme si ce n’était qu’un nouveau départ. Alessander regardait droit devant lui avant de bander son arc et de tirer. Il loupa la cible une première fois, encocha une seconde flèche qu’il ficha dans l’arbre, un peu trop loin de sa cible initiale. Il n’avait jamais été un bon archer mais il ne voulait être dépassé par qui que soit dans quelques disciplines que soit.  Inspirant, calmant le léger tremblement de ses mains, il se concentra pour viser. Une fois de plus, il ne parvient à toucher ce qu’il voulait. Il s’entrainait depuis deux heures déjà sans parvenir une seule fois à son but. Il n’abandonnera pas. Jamais, toujours être fort. S’il avait fui contre sa famille, il ne le ferait jamais plus. Et aujourd’hui, il venait rencontrer les merveilles de Port Réal.

Posant son arme, le jeune héritier quitta sa tenue d’entrainement pour une chemise à la mode du Conflans, ouverture légèrement comme toujours sur ses pectoraux. Il fit taire d’un regard noir la remarque de Gin qu’il sentait pointer sur les lèvres du blond vénitien et rinça son visage. Chassant de son esprit les énièmes pensées qui venaient polluer sa clairvoyance, il abandonna les hommes qui le suivaient toujours. Sans un bruit, il se glissa dans les jardins du Donjon Rouge, venant chercher une once de tranquillité.

C’était donc avec l’envie d’être seul qu’il se mit à jouer, doucement, des airs qu’il n’avait entendu depuis longtemps. Sa voix douce vient se joindre aux accords tendres, de cette musique que sa mère lui chantait si souvent alors qu’il n’était qu’un enfant. Le pétillement des oiseaux était les seules réponses qu’il obtenait et avec un sourire doux, le cygne noir gouttait à la tranquillité qu’il cherchait toujours, depuis maintenant cinq ans. Depuis qu’il avait lâchement abonné les siens.  Il vit un chat aussi noir que le charbon passer à ses côtés et, au lieu de disparaitre, l’animal s’assit en face de lui et entreprit de lécher avec application ses pattes. Le cygne noir sourit au félin et se remit à jouer avec une tendresse qu’il n’avait que rarement.

Mais il y avait un bruit. Un petit craquement de brindille qui le fit froncer les sourcils alors qu’il posait son instrument. Quelqu'un l'observait.

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Le brun regardait autour de lui, les sourcils légèrement froncés. Toujours assit, il hésita à ranger son instrument lorsque la source de sa surprise pointa le bout de son fin minois. A la vue de cette beauté sans nom, de ses beaux cheveux bruns et de son regard qui appelait à lui bien des souvenirs d'enfants, il sut qui elle était sans même avoir besoin de lui demander. Une beauté aussi grande ne pouvait qu'être une Targaryen. Il n'y en avait qu'une seule brune comme le jais des plumes du cygne.

Lorsqu'elle ouvrit la bouche, il se laissa porter par la douceur de sa voix. Se relevant, il s'inclina avec grâce devant la demoiselle. Ses prunelles d'azurs captèrent l'éclat du soleil sur l'armure des gardes de la jeune princesse et un sourire vient naitre sur ses lèvres. Plongeant son regard dans celui de la belle, il émit un rire faussement appréciateur

C'est parce que je préfère cacher ce talent ma Dame.  Sauf s'il ne vous plait. Je ne saurais que m'incliner devant votre présence princesse Rhaeny.

Il lui adressa un nouveau sourire. Oui, la jeune princesse était d'une beauté à couper le souffle et il ne faisait aucun doute que son père avait de grands projets pour elle. Alessander pensa quelques secondes durant au sien et se souvient de ce que Criston Desdaings lui avait un jour dit. Que le cygne noir ne pouvait que se lier à un dragon, une dragonne aussi belle que le jour. Le doute prit un instant le cœur du brun et puis il laissa filer ses pensées dans les airs comme il avait égrainé ses notes quelques minutes plus tôt. Il inspira l'odeur des jardins, la chaleur que le soleil de plomb faisait retomber sur les habitants du Donjon Rouge.

Il me semble me souvenir que nos deux maisons furent et sont toujours des alliers de renom. Mon père ne cessa de me parler du votre après les batailles de la Rébellion. Me laisseriez vous en son souvenir accompagner votre marche ?

Le jeune homme plongeait ses yeux d'océan dans ceux de la demoiselle, sachant qu'il avait là tout son charme vénéneux. La mention de son père sauvait l'héritier de bien des situations périlleuses. Car si le cygne blanc l'était autant que neige, son fils n'avait pas de noir que la chevelure. Il avait toujours été la créature de cette mère trop dangereuse et au surnom de vipère. Mais de cela, personne ne pouvait se douter.

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La question de la princesse le fit frémir alors qu'il ne savait que répondre. Première fois qu'elle ouvrait la bouche et déjà elle le déstabilisait. S'il était vrai que la musique n'était pas interdite, Alessander avait pris l'habitude suite à son enfance de ne jamais chanter en public, de ne jamais faire part de son talent sans gouter aux poings de son père. Même ici, loin de son géniteur, il ne chantait pas en public. Bien peu étaient ceux qui connaissaient sa passion pour la musique. Son instrument, il ne le sortait que lorsqu'il jouait sous l’identité de ce troubadour qu'il avait inventé de toute pièce, quand la lourdeur des intrigues lui était trop grande et qu'il voulait s'en retourner à vivre parmi le petit peuple. Il n'aurait jamais rencontré Silvana s'il ne s'était permis ses escapades dans la peau d'un autre.

Etouffant un sourire, il répondit à la belle princesse, semblant sous le charme de sa chevelure brune et de ses beaux yeux, il chercha son plus beau mensonge pour lui répondre, créant dans son esprit un mélange subtil entre la vérité et l’imaginaire. Raconter ses malheurs d’enfance à une parfaite inconnu, salissant l’image si blanche du cygne était hors de question. Cette image lui était bien trop utile pour couvrir ses frasques.

La musique est bien plus goûtée par les femmes que les hommes et on m’a toujours apprit que je devais me battre plutôt que de chanter et jouer. Mais vos compliments me vont droit au cœur princesse.

Elle accepta sa proposition et le cygne noir sourit un peu plus. Le jeu allait être dure, la princesse n’était pas une de ses femmes qui écartaient les cuisses aux moindres propositions de mariage, comme si elles croyaient tous les bellâtres qui leur faisait croire monts et merveilles. Alessander faisait partit des charmeurs, des intrigants mais certainement pas des stupides bellâtres. Il charmait pour son propre plaisir, pour oublier aussi mais jamais en minaudant comme une demoiselle. Malgré ses traits presque trop fins, il n’en demeurait pas moins un homme et le dessin de ses pectoraux sous la chemise de soie le prouvait à la perfection.

« C’est étrange, votre arrivée n’a point été annoncé. Mon père aurait surement été ravi de pouvoir vous accueillir personnellement. Mais nous n’avons reçu aucun corbeau de la part de votre famille dernièrement. »

Et une nouvelle question qui le désarçonnait. Comment pouvait-elle trouver avec exactitude tout ce qui pouvait mettre le cygne noir mal à l’aise. Pas annoncé. Bien sûr qu’il n’avait été annoncé puisqu’il n’était pas là officiellement et que son père n’avait même pas conscience de la présence de son fils. Sa famille ne savait où vivait leur héritier et si la nouvelle de son départ n’avait pas atteint Port Réal alors il n’avait aucun soucis à se faire. Le cygne noir réapparaissait de temps en temps, lors de tournois où il se démarquait des autres par la force de ses attaques et ses bottes secrètes apprises au fil de ses errances.  Les chevaliers solitaires avaient bien des secrets qu’ils n’apprenaient qu’à ceux qui s’en montraient digne. Alessander était de ses heureux élus.

Mon père ne sait que je suis là. On m’a offert la chance de parcourir le monde avant de retourner me plier à mes obligations d’héritier. Je passais par Port Réal et n’ayant jamais visité la capitale, je comptais m’emplir de ses beautés avant de retourner à mes voyages.

Alessander était un chevalier mystérieux, dont les yeux bleus promettaient milles et unes merveilles. Et pourtant, personne ne savait réellement ce qui se cachait derrière les dites merveilles. Car ses secrets étaient bien gardés.

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Dorne. Elle n'imaginait pas à quel point il rêvait d'y aller, un peu plus à chaque secondes. En découvrir toutes les merveilles, jalousement cacher par ses hommes qu'on disait avoir le sang aussi chaud que l'étaient leur femme. Un petit sourire en coin vient fleurir sur les lèvres d'Alessander lorsqu'il lui expliqua son point de vue, un sourire qui se fit mystérieux alors qu'il étouffait un petit rire. Fichant ses prunelles azurées dans celles de la demoiselle, il lui répondit alors comme on compte un secret, comme une confidence qu'elle n'aurait pas eu le droit de savoir.

Je vais commencer à croire que vous lisez dans mes pensées votre Majesté. C'est justement vers Dorne que mes pas devraient me mener après le tournoi de la main. Il semble que les beautés sont nombreuses là bas, mais je doute qu'aucune n'arrivent à votre cheville ma dame. Quand à mon père, je compte très prochainement lui faire part de mon départ pour le tournois et bientôt rentrer à Beaumarché. Après tout, je me refuse d'aller à Essos et je souhaiterais embrasser ma soeur une dernière fois avant de me rendre dans le Nord.

Et un grand frère adorable avec ça. Le tableau peint d'une main de maitre de sa personne, aussi beau et grandiose que celui d'un chevalier comme feu Jaime Lannister. Il se hisserait jusqu'à son niveau, le déplacerait pour l'honneur que lui apportait les tournois. Après tout, le cygne noir était un fin bretteur et il était connu autant pour ses beaux yeux charmeurs que pour son épée dangereuse.

Alessander allait demander à la belle princesse si elle comptait à son tour voyager jusqu'à Dorne, voir sa famille. Pour mieux lui proposer les prémices d'un plan qui germait dans son esprit. Le visage du brun se figea lorsqu'il reconnu Viserys Targaryen. S'il avait brièvement connu le frère du roi alors que son père venait de devenir suzerain, il n'avait pas garder de très bon souvenirs de ce gamin. Gamin devenu aujourd'hui un homme. Si Viserys et Alessander avaient sensiblement le même âge, la ressemblance entre les deux hommes s'arrêtaient là. Le dragon était aussi blond et blanc que le cygne était noir, avec cette peau halée par le soleil. Il le salua froidement mais maitrisa à la perfection son visage lorsque le Targaryen laissa parler la folie de son sang. Triste malade que celle de ses dragons.

J’hésite ne pas me tromper en vous demandant des excuses envers votre nièce qui faisait preuve de la plus plate de diplomatie. Quand aux catins dornienne... D'homme à homme, seigneur Viserys, votre nièce est loin de ressembler à des femmes qu'on peut trouver dans un bordel mais elle possède toute la grâce et la beauté d'une Targaryen.

Il offrit un sourire à Rhaenys sur ses paroles puis reporta son attention sur le dragon qui écumait de rage. Il était parfait chevalier, jusqu'au bout des ongles. Défendre la demoiselle en détresse d'un agresseur plus puissant qu'elle. Un agresseur qu'était le prince.

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Le cygne noir était estomaqué. Rhaenys était une femme comme il n'en voyait que rarement. Elle mit à ses pieds le dragon en quelques secondes devant les yeux effarés d'Alessander. Décidément, il fallait vraiment qu'il se rende à Dorne. Des femmes si fortes. Si elles étaient toutes comme ça, il allait réellement vivre sur un petit nuage pendant toute la durée de son séjour. Non pas qu'il apprécie les femmes à fort caractère. presque pas. Elles lui plaisaient et plus merveilleuse encore était la victoire quand on s'offrait enfin le prestige de les mettre dans son lit. Une femme facile n'était pas une femme qu'il idolâtrait. Non, il aimait devoir jouer pendant de longues heures à ce jeu de la séduction qu'il adorait plutôt que d'avoir tout si rapidement. Les femmes faciles étaient oubliées dès qu'une plus belle se pointaient. Alors que les autres...

Il lui offrit un leger sourire, pensif avant de lui répondre, réfléchissant à ses paroles à mesure qu'il les énonçait : Oui. J'ose espérer offrir de la gloire au blason de ma famille. Je doute que mon père participe encore au tournois même s'il serait sans doute un excellent bretteur. Vous serez présente à Accalmie ? demanda-t-il.

Le cygne noir imaginait déjà les étendues de sable, le galop de sa monture et les armes qui s'entrechoquaient avec violence. Il en souriait de contentement. Les tournois lui manquaient quand il n'avait l'occasion de jouter. Bien moins dangereux que la guerre, il lui offrait les gerbes d'applaudissement qui remplissait son coeur si vide de toute vie. Après tout, si les femmes l'aimaient, il n'en demeurait pas moins seul. Ne restait que Silvana, cette seule qui jamais ne lui avait tourné le dos sans qu'il ne comprenne pourquoi. pourquoi elle restait avec lui, lui si dangereux et lunatique, si enclin à la colère froide des Desdaings.  Mais non, elle était là.

Le regard du chevalier se portait jusqu'à la beauté des environs, la douce fraicheur qui remontait des jardins, les oiseaux qui piaillaient  joyeusement, inconscient du caractère éphémère de leur vie. Comme si le monde ne changerait jamais, la nature laissait son emprunte sur le monde d'une manière bien plus forte que les hommes ne le feraient jamais. On disait qu'elle reprenait toujours ses droits.

Ce serait un honneur de vous offrir mes couleurs votre Altesse.

Les lèvres d'Alessander se tendirent sur un sourire un rien charmeur, plutôt canaille, faisant naitre sur son visage cette fossette qu'il avait hérité de son père, seule trace réelle de son affiliation avec le suzerain du Conflans. Seule trace empêchant les rumeurs de bâtardise sur son nom. Le cygne noir ressemblait tant à sa mère.