Le chant des épées et les murmures des fleurs

Ils se rapprochaient. Le chant des épées résonnaient dans le couloir au point qu’il noyait le bruit de leurs pas. Encore un détour et ils devraient être là. Prudence en était à peu près sûr : il connaissait le chemin pour l’avoir demandé mais il ne s’y était encore jamais rendu.

C’est pour ça qu’il était plutôt heureux de ne pas y aller seul aujourd’hui.

Le jeune Celtigar releva les yeux vers son frère et accéléra un peu le pas. Aenor Celtigar. Sir Aenor Celtigar, depuis qu’il avait été adoubé, avançait d’un pas décidé. Lui savait très bien où il allait, en revanche. Il avait dû s’entraîner des centaines de fois là-bas, pendant son long séjour à Port-Réal. Ses longs cheveux d’argents paraissaient flotter derrière lui, à peine perturbés par la lanière du cache-oeil.

“Si tu veux m’accompagner, essaie d’avoir un peu plus d’entrain, Prudence.”

Depuis qu’il l’avait retrouvé, Aenor avait ce ton-là. Moqueur. Un peu cynique. Ce n’était pas méchant, mais c’était très différent du petit garçon que Prudence avait connu avant de quitter la Citadelle. Mais ça lui allait bien. Aenor respirait l’assurance et la confiance en lui, à l’opposé de son petit frère.

“J’ai de l’entrain. Je me suis laissé distraire par le bruit.” expliqua le jeune homme en rattrapant son frère.
“Tu sais que ce sera pire une fois sur le terrain. Tu ne peux pas te laisser distraire en t’entraînant.”
“Je ne viens pas m’entraîner moi. Je vais juste regarder.”

Aenor leva son oeil unique au ciel, mais il avait un sourire en coin. Il avait été surpris d’entendre son petit frère proposer de l’accompagner sur le terrain d’entraînement, mais c’était l’un des rares moments qu’ils passaient ensemble depuis leurs retrouvailles. Celles-ci s’étaient faites au tournoi et elles avaient été aussi émouvantes que Prudence les avait imaginés. Derrière son air cynique, il était sûr qu’Aenor était content de le revoir.

Il l’espérait en tout cas.

Enfin, ils sortirent à l’air libre, sur la terrasse qui surplombait le terrain d’entraînement. Ils devaient faire deux bien étranges figures. Deux silhouettes aux cheveux argentés, mais qui ne pouvaient pas être plus différentes. Aenor était le modèle du guerrier, grand et assuré, revêtu de son gambison sombre, agrémenté du blason Celtigar. Il ne s’était pas préoccupé de ce qu’il allait porter ce matin puisqu’il allait enfiler son armure pour s’entraîner. C’était une figure noire qui toisait déjà les quelques occupants de la cour, y trouvant déjà sa place. Derrière lui, Prudence avait l’attitude d’une ombre hésitante. En revanche, il était difficile à manquer, vêtu tout d’ocre et de nacre. Comme il était au Donjon Rouge ce matin, il avait enfilé sa plus belle tenue. Et comme il faisait un peu froid de bon matin, il avait aussi glissé ses épaules sous une légère cape d’un rouge éclatant où quelques crabes se baladaient, brodés de fils d’or.

“C’est grand.” s’extasia le jeune homme en découvrant l’endroit.
“Heureusement. Avec tous les chevaliers qui ont débarqués pour le tournoi, je craignais de ne plus avoir de place.”

Sous sa cape, et sous son bras, Prudence amenait aussi un petit panier. Aenor l’avait interrogé à ce sujet mais il avait refusé de donner la moindre explication à son grand frère.

“Je vais m’habiller. Et j’ai quelques personnes à aller voir. Tu n’as pas peur de t’ennuyer avant de me voir combattre ?” fit brusquement Aenor en se retournant vers Prudence.

Il le toisait de son oeil unique. Prudence avait toujours un peu de mal à maintenir son regard. Le cache-oeil le perturbait mais aussi l’intensité de cette bille violette solitaire. Elle lui paraissait plus sombre que ne l’était ses yeux à lui, alors que dans ses souvenirs d’enfance, il avait le même regard que son frère.

“Oh non. Je vais me débrouiller.” répondit-il après un moment d’hésitation. “Tu sais où s’entraîne les soldats Lannister ?”

Aenor haussa un sourcil. Il hésita un moment, mais décida qu’il ne servait à rien de poser des questions.

“Par là.” lâcha-t-il en pointant un coin du terrain. “Tu peux prendre cet escalier.”
“Merci Aenor ! Je te retrouve plus tard. Bon entraînement !”

Là-dessus, et sur un dernier haussement de sourcil de la part de son frère, Prudence fit quelques pas hésitants dans l’escalier. Autour de lui, le chant des épées résonnaient comme jamais, mêlant l’acier des lames émoussés avec le bois des épées d’entraînement pour écuyers et enfants. Le Donjon Rouge n’avait pas encore perdu tous ses visiteurs et nombreux étaient les chevaliers venus pour le tournoi qui n’interrompaient par leurs entraînements pour autant. Plusieurs groupes étaient répartis dans la cour, mais Prudence n’avait d’yeux que pour les capes rouges qu’il aperçut enfin. Ici et là, il voyait le Lion d’or des Lannister.

Je suis au bon endroit.

Il accéléra le pas pour les dernières marches, sa cape flottant derrière lui, et il posa enfin le pied dans la cour. Quelques têtes se tournèrent dans sa direction, sans comprendre ce qu’il venait faire là. Prudence n’y fit pas attention, scannant les environs à la recherche d’une silhouette en particulier. Il n’était pas le seul à venir observer l’entraînement de toute façon : plusieurs courtisans et courtisanes surveillaient tel ou tel groupe, en fonction de leurs affiliation ou de leurs intérêt. Le Celtigar ne tarda pas à trouver celle qu’il cherchait, occupée à échanger quelques passes d’armes avec un soldat qui devait appartenir à la famille Lannister aussi. Le jeune homme longea le mur prudemment pour approcher sans les déranger, à la recherche d’un bon point de vue sur le petit duel.