New soul

C'était un garçon, l'enfant et la mère se portaient bien. L'annonce de l'accouchement de Rhaenys avait été laconique, mais accueillie avec soulagement par la Lannister. Chaque grossesse était évidemment une bénédiction mais elle comportait son lot de risques et Myrielle, qui avait enterré une fille qui n'avait jamais poussé son premier cri, les connaissait aussi bien que toutes les autres femmes. A l'occasion de son passage à Port Réal, elle savait qu'elle ne pourrait partir sans avoir revu sa princesse et  amie, ni  sans l'avoir félicitée et rencontré ce petit être.

Se savoir artisane de cette revanche du couple Cressey sur le destin la remplissait d'une joie et d'une fierté indescriptible. Myrielle avait attendu quelques jours toutefois, car elle n'était pas seule à vouloir féliciter la jeune mère de sang royal et elle savait combien le repos et la tranquillité sont les meilleurs alliés de la maternité. Sa demande de visite acceptée, Myrielle s'était rendue à l'heure convenue devant la porte des appartements de la princesse. Un parcours bien connu, presque un rituel autrefois. Elle contempla avec une pointe de nostalgie les motifs qui en ornaient le bois précieux en attendant que l'on vienne lui ouvrir, songeant combien tout autour -le monde, la Cour, le Roi, leurs propres destinées- avait changé depuis ce temps. La porte s'ouvrit sur un visage juvénile qui s'effaça pour la laisser entrer et la née Lannister pénétra à sa suite.

En s'avançant, elle constata que son cadeau pour l'enfant l'avait précédée et elle sourit en voyant le dragon à bascule reposer fièrement sur le sol des appartements de Rhaenys.  Dès l'annonce du tournoi du jeune roi Aerion et de son passage prochain dans la capitale, elle avait fait commander à un ébéniste réputé de Port Réal cet ouvrage unique pour l'enfant à naître de la princesse et de son ancienne épée-lige, réalisé sur mesure, à partir d'un croquis de sa propre main. Myrielle n'avait pas un talent particulier dans ce domaine, mais le dessin faisait partie des rudiments de son éducation et elle voulait que le produit fini soit en tous points conforme à l'idée qu'elle s'en faisait. Elle avait laissé à l'artisan le soin du choix de ses matériaux et, enchâssées dans le bois sombre luisant, les écailles rehaussées de métaux précieux jouaient avec les rayons du soleil qui parvenaient à se frayer un chemin dans la pièce. Que l'enfant soit un mâle ou bien une fille lui était inconnu à l'époque de sa commande, mais qu'importe, un Dragon reste un Dragon.

En suivant la dame qui lui ouvrait le chemin jusqu'à la princesse, la Lannister pouvait entendre de petits grognements annonciateurs de faim que la maternité de ses trois enfants lui avaient appris à reconnaître entre tous. C'est la mère qu'elle aperçut d'abord et à laquelle elle adressa une révérence selon les usages longuement pratiqués autrefois quand elle séjournait à la Cour. Elle lui trouva les traits tirés et le teint bien pâle gardant en souvenir le hâle naturel qu'elle tenait de sa mère dornienne. La scène était touchante -même pour une Lannister- et elle s'avança pour joindre sa main à celle de sa Princesse. Un geste peu protocolaire mais emplit d'affection. Le geste d'une mère à une autre, d'une femme à une autre. Une amie, une alliée. Elle souffla, la voix teintée d'émotion:

"Vous êtes rayonnante, Altesse..."

Cela n'était pas de la vaine flatterie. Oui, fatiguée, Rhaenys semblait l'être, mais plus encore la maternité et le bonheur lui allaient à ravir.