Out of the Shadows (Robb)

Le suzerain ne pouvait, décemment, voler la vedette à ses hôtes, pendant cette chasse.  

Les Whitehill qui peuplaient ces terres au nord du Bois-Aux-Loups étaient de ces nordiens, fiers et revêches, qu’il valait mieux ne point trop piquer. Du genre hargneux et revendicateurs, ils se montraient aussi accueillants qu’il leur était possible de l’être à l’occasion de ce mariage, arrangé bien des années plus tôt par l’intermède du suzerain, invité d’honneur à la table du Seigneur. En effet, Robb Stark avait été bien décidé à étouffer dans l’œuf une énième dispute entre la Maison de Hautpoint et celle de Mont-de-Fer, éternellement rivales à cause du bois de ferrugier cultivé et commercé sur ces terres fertiles. Aux premières années de la trêve qu’avait sonné Port-Réal avec le Val désormais viséryien, Robb avait porté son regard sur la région dont il était le protecteur, qu’il ne voulait pas voir se déchirer. Au sortir de la guerre et de l’Hiver, les familles du Nord avaient jalousement protégé leurs denrées, et leur sources et ressources financières. Alors évidemment, si l’on se trouvait si proche géographiquement d’un rival commercial, à un moment crucial comme l’étaient toujours les étés dans le Nord, les risques d’échauffourées augmentaient considérablement. Prévenu par Lord Glover, dont les Forestier étaient les vassaux, le suzerain était ainsi intervenu. Il avait préconisé aux Whitehill de porter leur regard vers les nouvelles mines Bolton qui nécessitaient un intermède commerçant dans l’ouest de la région. La Maison d’Hautpoint était ainsi le parfait point-relais, et ils pouvaient par cet intermède diversifier leurs sources de revenu. Par ailleurs, l’assemblée réunie par Lord Glover à Motte-la-Forêt avait voulu terminer d’entériner cette affaire en pointant que l’héritier du Seigneur Whitehill n’était pas encore fiancé, tandis qu’une jeune Forestier n’était, elle, pas encore promise. Le Seigneur Stark avait applaudi face à cette idée – ou était-ce lui, qui l’avait suggérée ? Toujours était-il que, près de cinq ans plus tard, le Jeune Loup était bienheureux de pouvoir clore cette affaire en acceptant l’invitation du Seigneur Whitehill à venir célébrer le mariage de son fils.

Restait que, pour ne point froisser son hôte, qui organisait une chasse dans le Bois-Aux-Loups, Robb Stark ne pouvait décemment pas partir en tête du cortège. Il avait un bel arc, et ses qualités d’archer étaient indéniables. Sur sa ceinture était accrochée une dague ouvragée, vouée à porter le coup fatal à l’animal qu’il abattrait, pour ne point le laisser souffrir trop longtemps. Il avait choisi une belle jument gris perle, trapue et forte comme on les aimait dans le Nord, pour parcourir les lieues qu’ils écumeraient, en groupe, dans la dense forêt de ferrugier. Pour tout cela, toutefois, on ne tiendrait pas rigueur au suzerain ; tous les hommes avaient sorti leur plus bel attirail et leurs plus fières montures. Le Seigneur de Winterfell avait toutefois avec lui une arme qui lui donnait un avantage bien trop considérable, dans toute cette affaire : son loup. A côté de sa jument, en effet, et quasiment à la même hauteur de garrot, marchait Vent Gris.

Les Whitehill, les Glover, les Forestier et tous les autres invités étaient bien sûr venus à cette chasse avec leurs chiens. Il leur fallait une meute entière, toutefois, pour espérer talonner le sombreloup dans cet exercice de style. Robb ne voulait pas leur rendre la tâche trop difficile, et leur voler sous le nez tout le gibier qu’ils espéraient pouvoir ramener fièrement à la table du banquet. Tirant sur la bouche de sa jument, alors, et soufflant à sa bête de rester à ses côtés, il ralentit l’allure pour laisser passer devant lui les hommes, Seigneurs et gamins, sans trop plus fanfaronner qu’il ne l’avait déjà fait, débarquant au matin de cette chasse avec Vent-Gris. Il les retrouverait bien assez tôt, équilibrant les rations en laissant son loup faire le travail à sa place. Pendant longtemps, le Stark avait prouvé sa valeur comme suzerain en faisant ouvrage de sa force. Il le faisait maintenant en sachant quand il devait être sur la retenue. Cette occasion comptait parmi ces moments-là.

On ne pourrait effacer tout à fait, en revanche, le large sourire, presque narquois, du visage du suzerain. Il était trop heureux de retrouver le Nord et ses fonctions, et s’il fallait l’avouer, d’échapper un instant à l’ambiance morose qu’il avait trouvée à Winterfell quand il y était rentré après ces lunes de fête à Port-Réal. Quand il aperçut alors, derrière-lui, le Seigneur Karstark, il ne pu s’empêcher de laisser s’agrandir ce sourire et de talonner Gibbeuse dans sa direction. Lord Harrion était un bougre de fort bonne compagnie – ne lui en déplaise – que Robb jugeait voir trop peu souvent. C’est que Karhold n’était ni des plus proches, ni des plus hospitalières. Ainsi, les deux hommes se croisaient peu, ce mariage était ainsi l’occasion parfaite pour le Stark de retrouver son cousin éloigné, dont la mine semblait au moins aussi taciturne qu’à l’ordinaire. Ça ne le fit que plus sourire : Robb Stark était de ceux qui aimaient les défis. « Monseigneur ! » s’exclama-t-il gaiement alors qu’il s’approchait du bonhomme, faisant fi des convention de chuchotis qui régnaient dans ces chasses. On l’a dit, Robb Stark ne craignait pas la honte de ne devoir ramener à sa femme que la queue d’un lapin, faute de mieux. Kylis Stark mangerait du cerf, ce soir, tué par son époux – ou par le loup de celui-ci, mais quelle différence, quand le blason et l’homme se confondaient parfois ? « Comment avez-vous trouvé la cérémonie, hier ? Votre belle-sœur était charmante, sous le Barral. »

Un père ne pouvait choisir de favori parmi ses enfants, n’est-ce pas ? Et un suzerain ? Pouvait-il avouer préférer un vassal à un autre ?

Ce qui était bien certain, en tous cas, c’est qu’avec ce mariage à Hautpoint, Robb Stark avait joué au père de famille, mécontent de ses gamins qui se disputaient un bout de bois. Un bois de ferrugier, certes, à l’heure où tout le Nord dépensait sans compter pour passer l’hiver au chaud entre des murs solides, mais tout de même. On ne pouvait continuer la comparaison plus loin, puisque n’étant pas issu de la famille des dragons, Robb ne pouvait marier ses enfants pour éviter une guerre civile, mais il n’était pas mécontent d’avoir poussé les Whitehill et les Forestier vers cette heureuse issue. Sans aucun doute deviendrait-il un de ces vieillards qui, au mariage d’un arrière-petit-fils, profiterait de sa large panse pour y faire reposer sa coupe, et de l’assemblée réunie pour vanter ses heures de gloire sur le champ de bataille, volant la vedette aux jeunes mariés. Robb n’était pas encore grand-père, toutefois, et on a dit qu’il tentait de ne pas faire de l’ombre aux Whitehill.

Nous sommes rendus, ainsi, à observer notre suzerain tenter de calmer les ardeurs de sa jeune jument, en plus des siennes et de celles de son loup, pour entretenir une conversation avec un vassal, disons-le platement, qu’il préfère aux teigneux Whitehill. Vous ne le répèterez pas, n’est-ce pas ? Certes, Harrion Karstark n’avait ni la fantaisie d’un Roger Ryswell, ni la prestance d’un Lard Jon, ni le dragon d’une Wynafryd Manderly, mais il était au suzerain un allié précieux qui payait toujours ses rentes à temps. N’était-ce pas là une grande qualité ?

Le Seigneur de Karhold s’étonnait de savoir son suzerain amateur de mariage. Cela fit sourire le Stark, qui pouvait facilement admettre être, de toutes les façons, un amateur de bonnes choses : « c’est une belle invitation que nous a adressé le Seigneur de Hautpoint, non ? Cette chasse nous offrira un beau banquet, et vous savez, je suis pour la paix des ménages, mais aussi celle des voisins ! » Robb n’était pas idiot : il avait fallu tirer les Whitehill et les Forestier par l’oreille pour les pousser à accepter cette alliance, et il avait dû y ajouter quelques manigances personnelles, poussant pour que la famille de Hautpoint participe à l’exploitation minière des terres Bolton, laissant ainsi la place aux Forestier de poursuivre l’exploitation du ferrugier sans être trop empêchés par la cupidité des Whitehill. Les avantages se comptaient de tous les côtés, toutefois, ce dont le Seigneur Stark se félicitait. Il n’avait pas oublié, d’ailleurs, la part qu’avait prise Lord Harrion dans cette affaire, puisque bien peu de temps après la rencontre dans le Bois-Aux-Loups, il avait suivi son suzerain dans son effort d’apaisement en proposant aux Whitehill une alliance matrimoniale avec un garçon de sa propre maison. Il soulignait, justement, être entouré à l’occasion de ce mariage d’une famille plus qu’étendue. « Comment se porte votre cousin, d’ailleurs ? rebondit Robb, qui se demandait si le Theodan Karstark, qu’il avait croisé un peu plus tôt dans la journée, était bien un cousin. Il fallait avouer qu’avec la lignée de Karhold, que Robb avait bien peu l’occasion de croiser, il était parfois difficile de suivre les arbres généalogiques. Son épouse doit être bienheureuse de retrouver les siens, le temps de ce voyage ? » Il marqua une pause, juste le temps de resserrer les rênes de Gibbeuse, qui semblait prête à accélérer le pas. « La vôtre aussi, d’ailleurs ! » ajouta-t-il, puisque que Lady Karstark s’était un jour appelé Lady Forestier.

L’heure était manifestement aux investigations familiales, puisqu’Harrion lui demanda comment se portait Lyarra. Le souvenir de leur dernière discussion lui revint en tête : deux ans plus tôt, bientôt trois, d’ailleurs, Robb avait perdu son premier fils, et avait partagé cette information avec le Seigneur de Karhold au cours d’une discussion qui avait eu lieu dans la crypte de Winterfell, lieu de toutes les intimités, manifestement. Tout cela semblait loin et proche à la fois, après la perte, encore récente dans l’esprit du Stark, d’un deuxième garçon Stark. La mort d’Othor, toutefois, n’était pas le dernier deuil dans lequel devait se plonger le suzerain, puisqu’avec elle venait la décision, souhaitée par Kylis, de ne plus engager de nouvelle grossesse. Pour la bonne santé de sa suzeraine, victime de rêves verts et de fièvres qui mettaient son corps en péril, Robb faisait une croix sur l’espoir d’avoir, un jour, un fils pour hériter de son nom. C’en était suivi de multiples discussions, parmi lesquelles une sur Lyarra, qui, âgée de cinq ans désormais, allait devoir être mieux investie par son père comme son héritière. La petite était très peu concernée par la vie de la maisonnée et bien plus parce ce qu’il se passait en dehors de celle-ci, prise de passion plus par les animaux et autres créatures de la nature que par ses enseignements. Si elle devait hériter de Winterfell, toutefois, elle devait apprendre de son père et ainsi, le suivre là où il allait : « Lyarra est de nature curieuse, je gagerais alors que oui. Je compte sur ces sorties pour lui permettre connaître les vassaux de son père, à commencer par leur nom. Elle s’amuse déjà à reconnaitre leur blason, elle connaîtra bientôt tous leurs visages. » On entendait, dans la voix du suzerain, un air de fierté. Il aimait ses filles, il s’appliquerait à faire de Lyarra une bonne héritière pour le Nord ; il aurait aimé, toutefois, pouvoir donner le nom de son père à un fils. « J’ai vu que vous aviez amené votre fils, vous aussi. Je serai ravi de rencontrer le jeune héritier de Karhold, vous viendrez me le présenter ? Quel âge a-t-il, maintenant ? » Le suzerain songea, d'un air nostalgique, qu'Harrion Karstark avait d'ailleurs choisi, pour son garçon, un très beau prénom.