Notre ultime chance ☾ Feat Elias

Mon ultime chance. Des lunes que cette phrase hantait la moindre de ses pensées, qu'elle planait inlassablement au-dessus de son mariage. Trois petits mots qui n'avaient que peu d'importance aux yeux de son époux, mais qui était pour elle, une réelle nécessité. Dès que son regard croisait son reflet, qu'elle pouvait observer ses courbes ronde dans un miroir ou que, par inadvertance, ses mains frôlaient son ventre, elle les prononçaient à voix basses, comme pour se persuader que cette nouvelle grossesse justifiait ses actions. Tout n'était que plaidoyer à présent, des longs instants où elle se défendait avec des arguments qui lui semblaient être des plus solides, ignorant alors ceux de son époux, mortifié, inquiet. D'aucuns pourrait dire que le couple se trouvait dans une impasse, chacun se retranchant de leurs côtés, persuadés du bien-fondé de leurs résolutions. L'on dira d'ailleurs que c'était pour cette raison que la Dame de La Baëre se montrait aussi discrète sur cette nouvelle grossesse. Pour la toute première fois, Selyse adoptait des robes trop amples pour sa fine silhouette, elle limitait ses déplacements aux stricts minimums, s'isolant presque dans ses appartements privés. Si pour les domestiques ce comportement était dû aux disputes du couple, il n'en était rien pour l'ancienne Houëtt. Elle justifiait sa prudence par un excès de précaution, rien de plus. Sa fausse-couche l'avait marqué plus qu'elle ne l'aurait souhaité, alors elle se promit de rester, cette fois, plus raisonnable, mais cette dissimulation n'était nullement dû à la perte d'un enfant, bien qu'elle s'était persuadé du contraire. Non, c'était la culpabilité. Elle sentait continuellement le regard de son époux se poser sur elle, accusateur, blessé et cela lui était devenu insupportable.

« Tu es mon ultime chance », murmurait-elle à son nombril. Selyse n'était pas sotte, elle savait pertinemment que si elle ne perdait pas la vie durant cet accouchement et que cet enfant s'avérait être une autre fille, Elias ne l'approcherait plus jamais. Il mettrait un point d'honneur à ignorer ses appels à la luxure et jamais, il ne partagera de nouveau sa couche. Pourtant, ce fils, elle l'attendait depuis tant d'années. Les lois sur l'héritage avaient évolué, mais pas ses désirs. L'épouse Dunn voulait porter un garçon dans ses entrailles, elle souhaitait ardemment offrir un fils à sa maison, même si cela importait peu à son époux. Cet homme si heureux d'être père d'autant de filles, ce soldat qui ne ressemblait à aucun autre seigneur l'agaçait profondément. Car Elias était si prompt à aimer les filles qui s'extirpaient en hurlant de son entre-jambe se distinguait de trop des autres. Il était loin d'être un homme conventionnel, de ceux qui se fondent dans la masse, qui se plie à la norme. Très loin de son idéal. Pourtant, Selyse savait qu'elle avait eu énormément de chance d'être l'épouse d'un tel homme, mais elle restait continuellement influencée par la frustration d'une mère qui n'avait enfanté que des filles et de la colère d'un père de n'avoir obtenu aucun fils.

Cette idée était obsédante, trop pour qu'elle puisse trouver le sommeil. Plus ce ventre meurtris par les grossesses successives s'arrondissaient, plus la jeune femme arpentait les couloirs de la Baëre. Elle n'était pas femme à prier une quelconque divinité, mais durant ses déambulations nocturnes, elle aurait aimé avoir la foi en quelque chose, en une divinité qui pourrait la protéger durant sa délivrance. Après tout, la Dunn avait entendu des récits bien étonnant, alors pourquoi pas pensa-t-elle. L'inquiétude d'Elias avait fini par la contaminer. Selyse craignait qu'il l'ait maudite en imaginant le pire. Qu'elle mettrait au monde une fillette, mais que cette fois, elle n'y survivrait pas. Comme sa précédente épouse, comme cette femme qu'il avait ardemment aimé et qu'il avait perdue. L'insulaire ne savait pas exactement à quel moment il l'avait infecté avec sa peur, c'était comme si elle avait toujours été là, mais qu'elle était endormit. Recouverte par cette envie implacable.

« Mestre Hermiott », sa voix était voilés par une nouvelle douleur irradiante. Ce soir-là, comme toute celle qui précédait cette nuit, Selyse déambulait dans le couloir. Mais elle était différente des autres nuit. Elle avait subi suffisamment d'accouchement pour reconnaître les signes. Son corps se préparait à expulser ce nouvel enfant. « Mestre Hermiott, vous êtes là ? », avec une délicatesse qui ne lui ressemblait pas, elle cogna quelques coups contre la porte de sa chambre. Lorsqu'il ouvrit enfin, l'homme qui était à peine plus âgé que son époux observa la jeune femme avec un regard d'agacement. Une fois encore, elle n'en faisait qu'à sa tête pensa-t-il. « Les contractions sont très rapprochées à présent, j'ai patienté environ deux heures... », une salve de douleur la plia en deux, coupant sa phrase, « Mestre Hermiott, je compte sur vous. Je refuse qu'il ait raison ». Il était suffisamment réveillé maintenant, sa voix était encore enrouée par le sommeil, mais son cerveau était en pleine ébullition, « un domestique aurait très bien pu venir me quérir ma Dame », « Pour qu'elle aille prévenir mon mari, hors de question ». Selyse ignorait alors qu'une domestique l'avait entendu étouffer un cri de douleur, qu'elle avait accouru auprès d'Elias et qu'il était en chemin.

L'an 310, lune 1 | La Baëre. Made by Neon Demon

Il tenait l'enfant dans ses bras, sa tête posé contre son torse, les yeux clos. La petite Ayla avait eu besoin de réconfort et c'était vers son père qu'elle s'était tourné. Malgré son endormissement, il n'avait pas eu le courage d'aller la coucher dans son lit, ses yeux regardaient la nuit tombés. Le terme était si proche et il craignait cet instant fatidique, trop de mauvais souvenirs lui revenait en mémoire. Le vieux chevalier avait tellement perdu lors de la quatrième grossesse de Cyrenna. Elle s'était éteinte l'ayant laissé seule pour élever leurs quatre filles et il ne pouvait s'ôter cette idée de la tête qu'il arrive de même à Selyse. L'amour était différent pour ses deux épouses, mais il ne voyait pas son avenir sans l'ancienne Houëtt. Elle était la dernière tempête de la Baëre depuis la mort de Lowa et le départ de Mylena. Tous avaient besoin d'elle et elle l'avait trahi. Elias n'avait plus été le même depuis qu'il avait appris cette nouvelle grossesse, plus distant et pourtant toujours en surveillance constante. Elle était son amie la plus proche, il lui avait bien expliqué ne plus vouloir d'autres enfants, mais elle avait user de supercherie pour obtenir ce qu'elle voulait. Il ne comprenait pas cette décision de mettre sa vie en danger, ne le faisait-il pas assez lui-même. Elias se sentait impuissant face à cette situation. 

Il décida enfin de bouger, Tempête se leva et vint suivre son maître d'un pas lourd. Déposant délicatement la petite fille dans son lit, il lui embrassa le front et la recouvrit de ses couvertures. Elle avait beau ne pas être sa fille biologique, il ne faisait aucune différence. Cette enfant méritait d'avoir un père comme toute enfant. Un jour, sûrement, apprendrait-elle la vérité, mais cela serait la décision de Maïanne, non la sienne. Puis, comme à son habitude, il alla voir dans chaque chambre, si tout allait bien. Elles étaient sa fierté, sa plus grande réussite et les plus grandes l'avaient quittée, sauf Arwyn, mais celle-ci s'était rendu au tournoi de Port-réal avec son époux et fils. Sa famille était comblée et pourtant, pour Selyse, il manquait toujours une personne, un fils ! Depuis, le temps, elle aurait dû comprendre qu'il n'était bon qu'à avoir des filles et ce n'était pas une malédiction. Elias était certain que les femmes apporteraient beaucoup plus sur cette terre que les hommes. 

Il était prêt à se rendre dans son bureau, lieu où il avait fait installer un lit d'appoint, quand une servante vint à l'interpeller pour lui annoncer la nouvelle. Sa première réaction fut de se figer. L'image de Cyrenna s'imposait dans son esprit, il se souvint de sa fatigue, de sa joie de voir un enfant qui ressemblait à son époux, de sa certitude qu'il s'agissait d'un fils. Heureuse de lui avoir offert sa vie pour cet honneur qu'il n'avait pas plus demandé à sa première épouse, puis de son regard clos, de l'odeur de sang et de son corps qui était devenu si froid. Il hésita quelques secondes, mais abandonner Selyse lui était impossible. Quelle fut sa surprise de la trouver debout, près des appartements du Mestre. Sans rien dire et ni lui laisser le choix. Il attrapa son épouse et la prit dans ses bras pour la diriger vers leur chambre. Son regard se plaquait droit devant lui et il gardait le silence. Poussant la porte de la chambre avec le pied, il posa délicatement son épouse sur le lit et était bien décidé à rester planter là. Personne ne pourrait lui faire quitter cette chambre, tous s'effaraient autour d'eux et face à la douleur de son épouse vint finalement à lui prendre la main. Il avait peur, si peur de la perdre. Il était en colère, tellement en colère contre elle, mais elle était sa Selyse et il voulait qu'elle lui prouve qu'il s'était trompé, qu'elle n'était pas Cyrenna, qu'elle ne les abandonnerait pas. 

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À cet instant précis, les mains crispées sur ses cuisses engourdies, elle ne pensait ni à la douleur qui pulsait dans l'ensemble de son corps, ni au regard noir de son époux, mais à cette colère sourde qui vibrait en elle. Elle émanait de chacun de ses pores et la brûlait de l'intérieur tant elle bouillonnait de rage. Ce n'était pas la première fois que Selyse se sentait trahie par l'un de ses domestiques. Mais là, c'était trop ! Quelqu'un l'avait dénoncé auprès de son mari. Quelqu'un allait payer cet affront. La dame de La Baëre avait choisi de laisser Elias dans l'ignorance, c'était sa décision et elle s'y était douloureusement tenue. En vertu de quel droit un simple serviteur se permettait-il de dénoncer sa maîtresse ? Au lieu d'être confortablement installé dans son salon douillet, elle était descendue jusqu'au tréfonds du château pour réveiller discrètement le mestre Hermiott. Elle avait été silencieuse durant tout le chemin, lorsqu'une douleur horrible irradiait le bas de son ventre elle se mordait profondément la main pour s'empêcher de hurler. Il lui était difficile d'accepter qu'elle avait subit tout ceci pour rien. Surtout lorsqu'elle sentait cette souffrance vive pulser dans sa main gauche. Cette main à la peau parfaite était entaillée par une profonde morsure que la jeune femme s'était infligée. Planter ses dents dans le tissu de sa robe aurait été une idée plus saine, mais l'esprit de Selyse était focalisée sur la réussite de son plan, uniquement sur ceci. Un supplice pour un autre, elle avait accepté ce compromis, jusqu'à présent...

Sans même un regard, muré dans un silence orageux, Elias attira son épouse vers lui. La douleur empira lorsqu'il la prit dans ses bras, mais elle était reconnaissante de ne pas être obligée à remonter les marches des grands escaliers. Accrochée à lui comme une étoile de mer cramponné à son rocher, la Dunn gémissait en continu. Le souffle coupé par les contractions qui la terrassait de nouveau, elle ne fit aucunement attention au chemin qu'il emprunta pour rejoindre sa chambre. Elle crut voir pendant un instant le portrait sinistre de Lowa, à l'encadrement peint à la feuille d'or, mais c'était impossible. Ce tableau était suspendu à l'opposé de la chambre de la jeune femme. Dans son agonie, Selyse prit ceci pour un signe. Sa mort prochaine. Lowa, par la vision de cette peinture, était un présage de grand malheur. Elle en était certaine. Et tout ceci était la faute d'Elias, lui qui l'avait maudit par son inquiétude constante, il l'avait guidé vers le trépas.

Ce supplice foudroyant lui était détestablement familier. Malgré les années, elle ne l'avait pas oublié. Cette douleur prenait racine dans son ventre déformé et se diffusait, tel du lierre qui envahissait les façades de son château. L'ensemble de son corps était parcouru de spams déroutants. Elle serrait les dents devant cette nouvelle intensité déchirante qui la consumait de l'intérieur. Pour la première fois de la nuit, elle se mit à hurler. Un beuglement peu glorieux certes, mais aucune femme ne pouvait être gracieuse dans une telle situation, aucune personne ne pouvait brailler avec délicatesse lorsque son corps est écartelé. « Pourquoi ça fait toujours aussi mal ? », articula-t-elle avec une difficulté telle qu'elle n'était pas certaine que le mestre Hermiott l'est entendu, « trois enfants, j'ai eu trois... enfants, pourquoi ça fait t'jours aussi mal ». Rien de tout ceci n'était juste. « Vous les hommes, charlatan, saltimbanque... », une crampe la terrassa de nouveau, l'empêchant de terminer sa phrase. La Dunn sentait un liquide poisseux et chaud se déverser entre ses jambes, elle détestait se sentir à ce point sale et vulnérable.

Ses contractions étaient si intenses, si rapprochées que la jeune femme n’avait aucun répit pour reprendre son souffle. Elle éclata d'agonie, mais Selyse tenait bon. Elle y était presque, elle le sentait à l'intérieur de son corps. Une ultime contraction et... La délivrance. L'ancienne Houëtt vit le mestre Hermiott s'agiter entre ses jambes transpirantes et disparaître sur le côté. Elle se tordit dans tous les sens pour continuer à observer cet enfant qui braillait de toutes ses forces, mais cette position lui était désagréable. Elle s'écrasa mollement sur ses oreillers avec un râle de frustration. « Je ne m'excuserais pas d'avoir tenté à nouveau d'avoir... », il n'y avait aucune affection dans sa voix, seulement de la froideur, « je vais bien, va voir le bébé et dit moi... ». Son regard suivait la trajectoire de son époux. Elle attendait avec impatience la réponse qu'elle attendait tant, mais lui, prenait tout son temps... « ELIAS DIT MOI », elle hurlait presque. Il pouvait la punir de toutes les façons, mais pas de cette manière. Il était lent, trop lent pour lui annoncer, si oui ou non, elle avait réussi là où sa première épouse avait échoué. Allait-elle avoir ce fils qu'elle attend tant ?  

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Impuissant, face à cette douleur, il n'était pas courant qu'un homme se trouve auprès de son épouse, lors de l'accouchement. Elias était bien décidé à ne pas suivre les convenances, une caractéristique qui lui correspondait bien lui et sa famille, mais face au cri de douleur, à la déformation du visage de Selyse lors des contractions, il ne savait quoi faire. Elias, pourtant, se tenait là, prêt à être près d'elle, si le pire venait d'arriver. Pessimiste depuis le début face à cette nouvelle grossesse. Aucune parole ne sortait de sa bouche, se plaçant près de sa deuxième épouse pour ne pas gêner le Mestre et les servantes, mais aussi pour soutenir cette traîtresse. Il n'oubliait pas la trahison de Selyse, mais personne ne méritait de souffrir ainsi, seule.

Il ne savait quoi répondre à sa question, et de toute manière, le seigneur Dunn avait bien l'impression qu'elle interrogeait le Mestre Hermiott. Mais il leva les yeux au ciel face à son accusation, c'était elle qui avait eu l'idée d'une nouvelle grossesse en sachant bien la douleur qui allait venir pour pouvoir faire sortir l'enfant. Mais il était préférable pour lui, de garder cette infirmation. Préférant la voir déverser sa colère sur le Mestre que lui-même. Le supplice lui parut durer une éternité, mais l'attente était moins importante quand restant à l'extérieur de la chambre. Il n'y avait rien de pire que de ne pas voir ce qu'il se passait.

Le dernier cri de Selyse se mélangea à des pleurs plus stridents. Le nouveau Dunn venait d'apparaître et comme le reste de sa famille, il apprendrait que de l'ombre naît notre lumière. Observant de loin le nouveau-né, il tourna rapidement le regard vers son épouse, voulant s'assurer qu'elle allait bien. Durant quelques secondes, l'image d'une Cyrenna mourante prit place, mais là dans le lit conjugal, Selyse n'avait pas le même visage blème...

« Je ne m'excuserais pas d'avoir tenté à nouveau d'avoir... je vais bien, va voir le bébé et dit moi... ».

...Ni même l'amour sans condition de sa première épouse, cela était certain ! Jamais, elle aurait osé lui parler ainsi, mais il était rassuré, elle semblait être véritablement elle-même. Face à son regard de froideur, son visage devint lui-même plus sombre. Quelle satanée bonne femme ! Pensa-t-il. Mais il obéissait à la lady et se dirigeait vers leur dernier enfant ! Quand la servante le vit approcher, elle ouvrit le lange pour lui montrer le sexe de l'enfant !

« ELIAS DIT MOI »

Le hurlement de Selyse ne brisa pas son choc face à ce qu'il voyait. Elias n'arrivait pas à le croire, cela était impossible. Stupéfait, il croisa le regard de la servante qui souriait, se souvenant très bien de la même servante qui ne souriait pas à la naissance de nombreuses filles. Finalement, il murmura dans sa barbe comme pour se convaincre lui-même qu'il ne rêvait pas !

- C'est un fils....

Refermant le lange de son enfant, il le prit dans ses bras. Comme à chacun de ses enfants, Elias ne pouvait s'empêcher de l'aimer immédiatement, il était parfait, mais une crainte submergeait comment élever une fils ?! S'approchant de son épouse, il ne put réprimander sa colère enfouie depuis trop longtemps.

- Tu as mis ta vie en danger et pourquoi faire ? Donner un héritier mâle à la maison Dunn ! Tu es contente de toi ?

L'enfant ne vint même pas à réagir, face à son père qui venait de grogner. S'approchant de son épouse, il déposa doucement l'enfant dans ses bras et ajouta d'un ton qui ne donnait aucune chance à la négociation :

- Nous allons le nommer Lowen !

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La Dame de la Baërre avait vécu cette grossesse comme un véritable privilège. Chaque moment, chaque sensation, chaque mouvement de son enfant à naître était une source de joie démesurée. Loin d’éprouver cette honte qu’elle aurait dû normalement ressentir, elle avait profité de sa condition à l’abri des regards. Seule. Dans ses appartements ou dans son bureau, elle allait et venait, ses courbes rondes dissimulées par des tissus vaporeux. Par moments, elle avait l’impression de ressentir une faible et insignifiante culpabilité, mais qu’elle arrivait à balayer d’un revers de main. Au début. Plus son ventre prenait de l’ampleur, plus cette sensation de béatitude et cette fierté de porter à nouveau la vie se tarissait. Selyse en avait donc conclut que son mari l’avait maudite… Il lui avait transmis sa peur et avait fini par la convaincre qu’elle allait, à son tour, perdre la vie en la donnant. Alors elle l'avait maudite à son tour, lui lançant des regards mauvais lorsqu'elle le croisait, l'ignorant et haussant les sourcils lorsqu'il s'adressait aux domestiques.

L’entièreté de son corps était encore parcourue par de légers spams. Les mains appuyées de chaque côté de son corps mutilé, elle tentait en vain de s’asseoir. Ses bras étaient ankylosés, engourdit par le temps passé à expulser sa dernière chance de ses entrailles. Elle avait mal et se sentait épuisée, mais Selyse s’interdisait de fermer les yeux, elle refusait de sombrer dans le sommeil. Elle voulait voir cet enfant, savoir si la mission qu’elle s’était donnée avait réussi. À cet instant précis, elle se fichait éperdument de son apparence, s’il arborait sa chevelure ou celle d’Elias, s’il avait ses traits ou les siens, tout ce qu’elle souhaitait, c’était d’entendre les trois mots. Mots qu’elle crut entendre, mais sans certitude. Elle avait tant voulu les entendre qu’elle aurait très bien pu les imaginer…  

- Qu'avez-vous dit ? Elle articulait avec difficulté tant la douleur pulsait dans le bas de son corps, sa chaire encore à vif.  

N’arrivant pas à se relever seule, elle fit un signe de tête à ses domestiques qui se pressèrent autour d’elle. Avec une délicatesse attendue, elles disposèrent plusieurs coussins derrière son dos, les larmes aux yeux. Mais l’ancienne Houëtt n’avait fait attention ni à leurs émotivités, ni à leurs gestes affectueux, elle avait seulement senti l’une d’elle arranger sa chevelure poisseuse. Elle avait rassemblé l’ensemble de ses cheveux en une tresse grossière, ignorant son seigneur qui sermonnait son épouse pour sa décision en apportant l’enfant tant attendu. Elias était en colère, durant toute sa grossesse, il avait opté pour le silence, préférant se cacher plutôt que de hurler contre cette femme qui l’avait trahi.  

- Tu as mis ta vie en danger et pourquoi faire ? Donner un héritier mâle à la maison Dunn ! Tu es contente de toi ?
- J’ai réussi ?

Ses yeux se perlaient de larmes, envahit d’une émotion qu’elle n’avait jamais ressentie jusqu’alors. La joie qu’elle ressentait en entendant les cris de ses nouveaux nés était toujours teintée de déception. Ce goût amer restait des jours durant, jusqu’à ce qu’elle tombe de nouveaux enceintes et qu’elle vive de nouveau un échec. Zélie était la seule qui avait une réelle importance à ses yeux, son portrait caché, elle était sa première enfant. Bien sûr, elle avait de l’affection pour Dorcas et Nissa, mais elles restaient les enfants de rechanges. Mais malgré tout l’amour porté à son aîné, ce n’était rien comparé à ce qu’elle ressentait pour ce fils qu’elle n’avait pas encore porté dans ses bras. Pour ce Lowen… Sa pensée s’arrêta durant un instant. Lowen ?

- Et pour quelle raison saugrenue j’accepterais que mon héritier porte le nom de votre mère ? Vous ne souhaitiez pas un autre enfant et maintenant vous vous appropriez le droit de nommer mon fils.

La Dunn avait entendu la puissance de cette voix qui n’appelait aucun refus, mais il avait épousé une femme qui savait pertinemment utiliser la sienne. Elle ne gagnerait sans doute pas ce combat, mais il lui était important de verbaliser son mécontentement. Il avait osé la sermonner devant les domestiques et à présent, il imposait son choix. Goujat !

Dans ses bras engourdis, Selyse observa son petit garçon qui luttait contre le sommeil. Elle avait ressenti le besoin de voir de ses propres yeux qu’il en était bien un. Elias avait déjà menti une fois, protégeant une épouse qui était morte en déguisant la vérité. Mais cet enfant était bien un garçon. Elle avait réellement réussi à mettre un garçon, plein de vie, au monde. Maintenant, alors qu'elle tenait son nouveau-né dans ses bras, elle ressentait un amour aussi profond qu'inattendu. La vie avait pris un nouveau sens, illuminée par les promesses de l'avenir. En pensant à ce succès, elle pensa à la première épouse Dunn et cela lui rappelait la malédiction de leur mari.

- Je me sens plutôt bien, dit-elle incrédule en berçant l’enfant, j’ai terriblement mal, je serais ravi de pouvoir prendre un bain et boire une quantité d’eau impossible, mais… Je ne me sens pas mourante..

Selyse quitta pour la première fois le visage potelé de son fils pour regarder son époux. La jeune femme avait toujours su qu’elle n’était pas le grand amour d’Elias. Elle n’était qu’une remplaçante. Pourtant, elle s’était faite à cette réalité, acceptant qu’elle ne vive pas la grande histoire d’amour que son père lui avait promis. Pas la femme de sa vie, mais une réelle amie avec qu’il pouvait partager complicité et dispute explosive. Finalement… Elias avait épousé l’image parfaite de sa mère.  

- À quel moment votre épouse est-elle décédée ? Parce que… Je vais bien.

Parce que sa défunte épouse était le reflet parfait de la dame respectueuse et délicate, Selyse était celle de la noblesse sans cœur, ignorant les fragilités des autres.

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Ayant déposé l'enfant dans les bras de sa deuxième épouse, il n'en revenait toujours pas, un fils ! Un fils ! Il avait un fils, lui, qui n'avait jamais cherché à avoir un autre enfant, se retrouvait père d'un fils ! C'était l'inconnue pour lui, père de tant de filles ! Elias n'avait même pas imaginé une seconde qu'un enfant de sexe masculin viendrait de naître, tellement absorbée par la potentielle perte de Selyse, tout comme Cyrenna. De créer de nouvelles orphelines de mère. Cette crainte n'avait pour l'instant pas disparu, mais il était stupéfait, il avait un fils ! Sans réfléchir davantage, il le nomma, comme si cela était une évidence, Lowen. Celle qui manquait tant en cette demeure avait elle aussi un héritier. L'expression du visage de sa mère lui vint à l'esprit, tout comme beaucoup de ses enfants, Lowen semblait avoir pris les traits de sa mère, mais il n'en restait pas moins un Dunn !

- Et pour quelle raison saugrenue j’accepterais que mon héritier porte le nom de votre mère ? Vous ne souhaitiez pas un autre enfant et maintenant vous vous appropriez le droit de nommer mon fils.

Ces paroles vint encore plus à l'agacer. Elle était insupportable, et même un accouchement ne la rendait pas plus docile. Une véritable épine dans le pied. Alors toute en l'observant vérifier le sexe de leur enfant, il répondit :

- J'ai gagné ce droit en te supportant ! Cela sera un honneur pour ton fils de se nommer Lowen !

Il lui donnait cette victoire de le nommer son fils. En soit, elle n'avait pas tort, Elias pour protéger Selyse avait décidé de ne plus concevoir d'enfant, son épouse l'avait piègé, et même si, cette trahison avait eu l'effet escompté, à savoir la naissance d'un enfant mâle, il n'en restait pas moins que sans lui, Lowen n'existerait pas. Le Dunn nommerait l'enfant comme il le souhaiterait et il lui laissait par concession le terme mon fils.

- Je me sens plutôt bien,j’ai terriblement mal, je serais ravi de pouvoir prendre un bain et boire une quantité d’eau impossible, mais… Je ne me sens pas mourante..

Au terme bain, le Mestre fit le signe à Elias que cela lui serait impossible. N'osant pas le dire à haute voix pour ne pas offusquer la maîtresse des lieux. Mais le seigneur n'avait pas besoin de l'avis d'Hermiott pour savoir qu'elle allait bien, son humeur le prouvait.

- À quel moment votre épouse est-elle décédée ? Parce que… Je vais bien.

Qu'il lui était cruel, en cet instant, de lui rappeler ce moment ! Cette scène était imprimée dans son esprit, l'expression du visage de son grand amour se vidant de ses derniers souffles de vies, l'odeur du sang qui enivrait la pièce, l'espérance dans son regard d'avoir donné un fils à son époux, le mensonge de sa mère pour que celle-ci meurt en paix.

- Cyrenna...

Il était incapable de répondre davantage, ce n'était qu'un murmure, que penserait Cyrenna de tout cela ? Soufflant un grand coup, désespéré par son propre mauvais caractère, il ajouta :

- Si tu vas bien, je peux aller présenter Lowen aux restes de la famille.

Il se préparait à tendre les bras pour saisir l'enfant, mais se ravisa. C'était la victoire de Selyse et il la connaissait bien qu'assez pour savoir qu'elle aimerait triompher de ce moment. Présenter elle-même le nouvel héritier de la Baëre.

- Ou bien veux tu qu'ils viennent te rendre visite ?

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