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[FB] Ode aux chemins tortueux. (Avec Clifford Swann.)

Aemma Massey
La dame de nacre

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Ode aux chemins tortueux.
Route de la Rose | An 298, lune 6, semaine 4.

Aemma n’avait jamais connu l’été et se serait bien passée de le connaître.


La Route de la Rose s’offrait à nouveau à eux, serpentant entre les champs chargés de récoltes, d’arbres fruitiers aux branches prêtes à rompre tant elles étaient chargées de fruits ou encore les vignobles aux teintes mêlant le vert, le gris, le mauve et le blanc. A leur arrivée, la jeune Massey s’était émerveillée de ce spectacle. De ces feuilles et de ces herbes qui se mouvaient comme pourvues d’une vie propre. De toutes ces personnes qui empruntaient le même chemin qu’eux dans un brouhaha des plus joyeux. Tout comme Port-Réal, Villevieille était le centre d’un monde miniature où il faisait bon de se presser pour ne manquer l’affaire qui pourrait faire sa richesse… ou causer sa déchéance.


Mais à présent, la chaleur l’accablait plus qu’à leur arrivée. La poussière collait à sa peau, à ses vêtements. La jeune fille était certaine qu’elle avait avalé assez de sable pour en faire un joli château ! L’été était là et il leur faisait bien savoir. La chaude saison n’arrangeait en rien les douleurs qui irradiaient dans ses cuisses et dans ses jambes, la faute à cette chevauchée qui ne lui avait laissé que peu de repos. Leur séjour à Villevieille n’avait pas été suffisant pour lui permettre de recouvrer davantage d’énergie. Le repos n’avait pas été au rendez-vous. Au-delà de quelques affaires qui requerraient leur présence, ou tout du moins celle de Justin, Aemma avait fait en sorte de passer autant de temps que possible avec Armond. Ils avaient visité quelques endroits de la cité, s’émerveillant de sa grandeur, de tout ce qu’il était possible d’y trouver. Ils avaient discuté de tout leur saoul. Ils avaient pleuré, aussi.


Et ils s’étaient quittés.


Aemma serra les dents à cette pensée, rabattant légèrement son chapeau de paille sur son visage. Elle ne tenait pas à griller, en plus de coller comme un crapaud. Ou plutôt une grenouille. Oui, elle préférait les grenouilles. Elle arrivait parfois à en attraper, pour Armond. Ils ne leur faisait jamais de mal, non ! C’était juste pour les observer et le simple fait de les attraper était une récompense suffisante pour Aemma. Elle se faisait toujours gronder, lorsqu’elle revenait avec le bas de sa robe tout tâché de vase et d’eau trouble. Armond aussi, mais moins fort. Elle n’avait jamais su pourquoi et s’en fichait, au fond. Tout cela n’avait plus d’importance. Elle ne chasserait plus les grenouilles pour Armond, désormais…


Ils ne liraient plus ensemble. Elle ne l’emmènerait plus au port sans que personne ne s’en aperçoive. Elle ne sentirait plus jamais son poids sur son épaule, alors qu’elle l’aidait à claudiquer. Ils n’étudieraient plus ensemble. Ne mangeraient plus ensemble. Ne navigueraient plus ensemble.  Ne jouerait plus du luth ou du carillon pour lui. Ne feraient plus rien ensemble. Les mains d’Aemma se resserrèrent sur ses rênes, faisant renâcler sa monture. Celle qui avait appartenu à Armond la suivait, paisiblement, portant désormais leurs bagages et autres bardas. Elle avait tenu à la guider et Justin n’avait pu s’y opposer. Il s’était contenté de hocher la tête, lui avait tendu la longe supplémentaire et s’en était retourné à son propre cheval, indiquant au reste de leur petite troupe qu’il était temps d’y aller.


Elle avait suivi en silence. Dans un silence qu’on ne lui connaissait pas, à Danse-des-Pierres. La Tornade s’était comme muée en courant d’air. Une toute petite brise, pour ne pas dire un murmure. Gawen, l’un de leurs gardes, lui avait tenu compagnie un moment. Il n’avait pas cherché à lui faire la conversation, se contentant de lui faire relever la tête de temps en temps en lui montrant tel ou tel détail, tel ou tel paysage qui pourrait la sortir de sa morosité. Aemma l’avait remercié d’une voix étranglée. Il n’y avait rien eu de plus. Gawen se trouvait toujours dans son sillage, ayant abandonné l’idée d’être à sa hauteur, respectant sa volonté de rester seule un moment. Seule avec ses pensées, avec ses souvenirs aussi.


Je t’écrirai ! Je te dirai tout de Villevieille, de ce que j’étudie, de ce que j’apprends ! Tu as le droit de lire tout ce que tu veux, non ? Alors personne n’y verra d’inconvénient !. Telle était la promesse d’Armond. Déjà grandement attristée, presque au bord de ces larmes qui ne l’avaient jamais réellement quittée, Aemma avait vivement acquiescé, l’avait serré fort contre elle avant de le laisser partir, à regret. Elle n’avait même pas réussi à formuler autre chose qu’un vague « Au revoir ». Lui dire qu’elle l’aimait, aussi. Elle n’avait rien pu dire de plus… Armond avait disparu, appuyé contre un Mestre de leur connaissance. Pour lui, Aemma n’avait eu qu’un regard implorant, lui demandant de veiller sur son jumeau maintenant qu’elle ne pouvait plus le faire elle-même…


« Si seulement nous étions nés plus tôt… murmura Aemma. Juste un peu plus tôt... »


Peut-être que les choses auraient été différentes. Ou peut-être pas. Au fond, cela n’avait plus d’importance à présent. La jeune fille se sentait comme… comme vidée. Triste mais désormais incapable de pleurer. Elle se laissait bercer par les cahots de sa monture. Fort heureusement, il s’agissait-là d’une bête docile qui ne semblait pas se formaliser de ce poids presque mort qu’elle portait. Les yeux mi-clos, son chapeau toujours incliné, Aemma se laissait guider plus qu’elle ne guidait. Son seul réconfort était le fait qu’ils repasseraient par Sacrelieu afin de s’y reposer avant de poursuivre leur route. Alors, peut-être pourrait-elle dormir un peu, pour de vrai.


Une autre personne se mit à sa hauteur. Quelque peu surprise, Aemma sortit de sa léthargie, se saisissant maladroitement de son chapeau pour le remettre sur son crâne. Ses prunelles céruléennes se posèrent sur la personne qui se tenait désormais à sa droite. Clifford Swann. La jeune fille avait été surprise lorsque l’homme avait proposé de les accompagner jusqu’à Villevieille. Agréablement surprise, à dire vrai. Elle souhaitait encore échanger avec lui sur bien des points et aurait regretté de ne pouvoir le faire que par lettre. Ce voyage était une occasion inespérée de mener son idée à exécution ! Hélas, à cet instant, la jeune Massey n’avait ni la volonté, ni la force, de mener de front une telle conversation. Elle adressa néanmoins un sourire poli, quoique pâle, à celui qui avait été leur guide et leur invité ces derniers jours.


« Ser Clifford. salua tout aussi poliment la jeune Massey. Je crains n’avoir pas eu le temps de réfléchir à notre précédente conversation, veuillez m’en excuser... »


A dire vrai, Aemma ne se souvenait plus réellement sur quoi leur discussion précédente portait. Un fait qui la tracassait quelque peu. Elle avait fort bonne mémoire et cela l’aurait agacée en d’autres circonstances, de ne pas parvenir à mettre des mots sur ses pensées. Sans doute était-elle trop fatiguée ou attristée pour cela.


« Désolée, je ne serais guère de bonne compagnie aujourd’hui. sa voix se brisa dans un curieux rire. Je me ferais un plaisir de vous écouter, cependant. Avez-vous trouvé ce que vous désiriez à Villevieille ? »


L’une des raisons de la présence du Swann dans leur petite troupe était sa volonté de régler quelques affaires à Villevieille, ou encore de se procurer quelques ouvrages à sa convenance. Aemma lui avait peut-être déjà posée cette question. Si tel était le cas, la Massey espérait que leur ancien hôte ne lui en tiendrait pas rigueur. Discuter un peu lui ferait du bien, oui. Sur un sujet banal pour commencer. Après tout, ils avaient encore plusieurs journées de route devant eux. Peut-être qu’elle irait mieux demain. Peut-être.

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Ode aux chemins tortueux.
Route de la Rose | An 298, lune 6, semaine 4.

Clifford regrettait déjà Villevieille. A l’intérieur des terres, sur la route du retour, l’air était mauvais et les tombereaux de poussière lui asphyxiait la gorge et les poumons, qu’il avait toujours eu fragile. Enfant facilement malade, il avait un peu meilleure santé adulte, mais il ne serait jamais une force de la nature, contrairement à son frère. Néanmoins, il ne regrettait pas le voyage. L’été était certes de plomb, mais revoir la mer et la Citadelle lui avait fait du bien. Beaucoup de bien. A présent, il avait hâte de retrouver Alyce et de rentrer à la maison. Le trajet était cependant lent, la route de la Rose s’étirant lentement devant eux, grouillante de monde, avec ses entrelats entre vergers et vignes. Son regard s’arrêta un moment sur des paysans faisant paitre leurs vaches sur le bord de la route. Les hommes et leurs animaux, songea-t-il, amusé, voyant le soin qu’ils y mettaient. Ou les animaux et leurs hommes. Cela sonnait comme le début d’un poème. Par réflexe, il chercha la tablette de cire qui l’accompagnait toujours pour noter cette réflexion, oubliant qu’il était à cheval, et manqua d’en verser. « Oh, oh, oh la ! » Avec le peu de dignité qui lui restait, il parvint à rester assis, s’attirant le regard curieux de ses comparses, à qui il fit signe que tout allait bien avec un froncement de sourcil aussi contrarié que sa fierté était froissée. Cliff n’avait jamais été un très grand cavalier, laissant cela à sa femme ou à son frère. Les chevaux lui faisaient en réalité résolument peur – on ne sait pas ce que ces bêtes ont dans la tête, avait-il expliqué un jour à lord Sarmion, son grand père, qui avait eu un rire aussi amusé que résigné – et il avait toujours eu le vertige. Si ça n’avait tenu qu’à lui - ou s'il avait eu moins de fierté - il aurait fait tout le chemin à pied. Ou du moins, si la route n’avait pas été aussi longue…Justin Massey s'était amicalement moqué de lui à aller, remarquant qu'il n'était pas fait pour une vie de campagne. Cliff avait eu la bonne grâce de s'en amuser : cicérone passait encore, mais la guerre ne l'avait jamais intéressé. A d'autres, avait-t-il déclaré, pourquoi préférer la route au confort des châteaux ?

Néanmoins, ses râleries concernant la route, les pavés, le cheval, et tout le reste, ne durèrent pas. Tous l’avaient regardé manquer de chuter, sauf la jeune Aemma, qui ne paraissait même pas s’en être aperçu. Cela lui valut un coup d’œil inquiet de Swann, qui cheminait derrière elle. De nature observatrice, Cliff avait bien vu que cela n’allait pas depuis leur départ de Villevieille, et cela lui faisait de la peine. Il avait laissé durer, cherchant comment aborder les choses. Il aurait voulu pouvoir consoler la jeune femme, parce qu’il aimait bien Aemma, comme ses frères d’ailleurs, mais surtout elle. Il n’avait pas de fille, mais il se reconnaissait un peu en elle, et elle aurait pu l’être. Il rencontrait toujours avec curiosité les nouveaux venus de passage à Sacrelieu, cherchant à voir ce qu’ils pourraient lui apprendre du monde. Aemma Massey avait été une bonne surprise : il s’était reconnu en elle, plus jeune, rêvant d’un destin plus grand que celui dans lequel on l’enfermait. Au grand amusement d’Alyce, leurs conversations s’étaient mises à durer des heures. Il semblait à Clifford qu’il avait quelque chose à transmettre, ici. Alors, saisissant le prétexte des affaires, il avait proposé aux Massey de les accompagner à Villevieille. Il avait raconté la Citadelle, l’apprentissage des mestres, tout ce qui lui venait, pour que le destin de son frère lui semble moins inconnu et la séparation moins douloureuse. Cliff doutait d’y être tout à fait parvenu. Peut être parce qu’il avait vécu son passage à la Citadelle comme une libération. Mais tout aussi étrange que cela puisse paraitre, il croyait pouvoir comparer cela à la douleur de l’exil qu’il avait ressenti lorsque son père l’avait envoyé comme écuyer à Ville-en-Pleurs. Là, son frère, et surtout sa sœur lui avait manqué. Jeyne lui manquait encore, d’ailleurs…il faudrait qu’il passe à Mielbois, à un moment. Mais il comprenait, là, ce déchirement.

« Ce n’est pas grave, nous la reprendrons plus tard. » Déclara-t-il avec bienveillance. Les aventures d’Alyn de Carène ne lui semblaient pas un sujet urgent pour l’heure, comparé à l’état d’Aemma. Il n’y avait plus aucune superbe chez elle, à cette instant, et le rire aux allures de sanglot qu’elle eut lui donna envie de lui taper gentiment sur l’épaule. Il s’abstint cependant, comprenant bien qu’elle ne désirait pas qu’on s’y attarde, ou plutôt qu’on la force à s’y attarder. Cela viendrait de la petite Massey elle-même, se dit Clifford, ou cela ne viendrait pas. « Je vous en prie, je peux aisément comprendre. » Il inclina gentiment la tête sans en dire plus, acceptant tacitement de parler d’un sujet léger en évitant la principale cause de désarroi de la jeune femme. A défaut de bien pouvoir la consoler, il pouvait effectivement essayer de la distraire, sinon de la faire rire, et c’est à cela qu’il décida de s’employer : « Oh oui. L’archimestre Perestan est toujours de bon conseil. Il m’a donné une piste intéressante concernant les ouvrages d’ingénierie que je cherchais. » En réalité, Cliff avait aussi pour projet de rencontrer un ou deux contact parmi les mestres qui acceptaient de copier pour lui les exemplaires des travaux du chevalier de Castellion pour les diffuser. Cela, il ne pouvait pas le dire à Aemma, quoiqu’il eut volontairement laissé en apparence ses écrits sous pseudonyme dans la bibliothèque, à Sacrelieu. Au vu de certaines conversations qu’ils avaient eu, il avait jugé que cela pourrait l’intéresser et il attendait des questions à cet égard. « On trouve toujours ce qu’on veut à Villevieille, même ce que l’on n’y cherche pas…et ce que l’on ne savait pas y chercher. » Avec un rire, il ajouta en manière de plaisanterie : « De l’air, essentiellement, dans mon cas. Et il commence déjà à me manquer. » Avec regret, il pensa au quai du port où se situait leur auberge, à Villevieille. Lui revinrent les tempêtes de Pierheaume, ensuite, et puis Ville-en-Pleurs et son château dominant la baie, ensuite. C’était le seul inconvénient qu’il trouvait à Sacrelieu : la mer, malgré le fleuve, était fort loin, pour lui.  « Je suis un enfant des ports, malgré tout. Ils me manquent toujours un peu. Voilà une chose que nous avons en commun. Je serais curieux de découvrir Danse-des-Pierres, un jour. » Commenta-t-il plaisamment, songeant qu’un jour, il faudrait qu’il convainque Alyce d’aller faire un tour rendre visite aux Massey. Peut être à l’occasion d’une visite à Sa Sainteté Naera.

Il étendit ensuite la main vers les collines à l’horizon, plissant les yeux face au soleil qui leur brulait la peau et se reflétait sur le blanc sableux de la route  :« Nous serons demain à Hautjardin. Que diriez vous de remonter jusqu’à Sacrelieu par la Mander ensuite ? Nous gagnerions un peu de temps sur le trajet retour, et cela nous épargnera la chaleur de la route…C’est une jolie perspective, aussi. Nous pourrons emmener les chevaux. » Parler de la mer lui avait donné cette idée, qu’il décida de prolonger par une invitation. « D’ailleurs, lady Alyce m’a écrit lors que nous étions à Villevieille. Elle voudrait savoir si vous souhaitez rester un peu à Sacrelieu avant de repartir. Si cela vous plait, ainsi qu’à Justin, vous êtes les bienvenus. Je crois que cela vous ferait du bien à tous de prendre un peu de repos avant de rentrer à Danse-des-Pierres. Et ma bibliothèque reste à votre disposition, si vous le souhaitez. Je ne sais pas s’il y a encore des ouvrages qui vous intéressent et que vous n’ayez pas eu le temps de lire, en dehors des miens ? Comment avance la lecture de celui que je vous ai prêté, d’ailleurs ? » La finesse de l’amour venait de paraitre, et Aemma était l’une de ses premières lectrices. Il était curieux d’avoir son avis sur la question.

Il ne lui proposa pas directement de parler. Mais la porte était ouverte. Lui, après tout, ne parlait jamais de Gulian ou de sa famille, jamais de la séparation, jamais de leur père, rien. Il n’aurait pas trouvé les mots pour expliquer et dire sa peine, chose rare, chez Clifford Swann. Il voulait juste qu’on le laisse pleurer en paix – larmes qui n’étaient jamais venues, par ailleurs. Alors non, il n’en voudrait pas à la jeune femme si elle ne disait rien ou si elle l’envoyait bouler. Mais il pensait savoir ce que la jeune Massey ressentait, ou du moins à peu près. Tendre la main, offrir un silence bienveillant et prêt à l’écoute, ou prêt à être meublé de nouveau si besoin était, c’était le moins qu’il pouvait faire.

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Aemma n’était ni aveugle, ni idiote. En d’autres circonstances, elle aurait détesté être traitée de la sorte. Elle n’avait jamais apprécié la douceur, les cajoleries, qu’on donnait bien volontiers aux jeunes filles. Et pourtant, la bienveillance de l’Orageois la toucha. La gorge toujours nouée, la jeune  Massey haussa doucement la tête, le remerciant pour sa compréhension à son égard. Alyn Velaryon était l’un de ses ancêtres par sa mère. Débattre à son sujet aurait été un plaisir, en temps normal. Armond aussi, aurait grandement apprécié cela. C’était avec lui qu’elle aurait voulu discuter et lui-seul, une pensée qu’il lui coûtait d’avoir alors que Clifford, son frère et leurs hommes faisaient de leur mieux pour qu’elle se sente à son aise.


« Vous m’en voyez heureuse. assura Aemma avec le peu d’énergie qui pouvait lui rester. J’aurai aimé faire de pareilles découvertes. Armond… Armond devra les faire à ma place, j’imagine. La Massey avait haussé les épaules, débitée. La mer commençait à me manquer aussi. Avec ces murailles, il m’était même impossible de la sentir et je ne pourrais considérer ce quai où nous avons vécu comme l’océan. Ou alors, son odeur était bien cachée par tout le reste. Si je n’ai rien trouvé que je ne pouvais chercher en arrivant, même Port-Réal ne pourrait se targuer d’héberger autant de merveilles. »


Aemma peinait à rassembler ses pensées. Durant plusieurs jours, elle avait vagabondé avec Armond dans tous les endroits de Villevieille qui pouvait bien leur venir à l’esprit. Elle se souvenait d’avoir vu bien des choses, certaines venant sans doute de l’autre bout du monde connu. Sa soif de curiosité en avait été étanchée pour plusieurs lunes, alors que la source de son chagrin n’en était que plus grande encore… S’il lui tardait de revenir à Danse-des-Pierres, le silence qui s’en suivrait l’inquiétait plus que tout. Armond avait toujours été là. Elle avait vécu pour lui, d’une certaine manière. L’idée de vivre seule dans toute cette cohue que pouvait être Danse-des-Pierres la terrifiait presque.


« Vous seriez le bienvenu, vous comme Lady Alyce. Ces mots lui étaient venus naturellement, bien que peu assurés. Notre port est fort modeste mais il a la vertu d’être bien protégé des vents et des tempêtes. C’est sans doute le plus important. Aemma s’était tut, déglutissant difficilement, tentant de retrouver le contrôle de ses paroles. Je n’ai encore jamais vu Hautjardin… Est-ce aussi imposant et plaisant que les livres le sous-entendent ? Ou la réalité dépasse-t-elle la fiction ? »


L’idée de poser le pied sur un navire avait rendu quelques couleurs à la jeune fille. A l’instar de bien des Massey, elle avait très tôt eu droit à son baptême de mer. A défaut de savoir naviguer, elle faisait une passagère digne de ce nom, ne craignant plus le mal de mer, le vent ou les flots. Elle était une assez bonne nageuse et imaginait déjà le bien que pourrait leur faire la fraîcheur de la Mander durant ce voyage. Il serait toujours temps d’en parler à Justin à leur prochaine halte. L’idée de raccourcir leur trajet ne le laisserait pas indifférent, Aemma en avait la certitude. Si son frère voyageait beaucoup, il n’en restait pas moins attaché à leur foyer et ne manquait pas d’y revenir au plus vite dès que l’occasion se présentait.


« Ce serait fort plaisant. La chaleur et la poussière sont nos pires ennemies actuellement, je ne peux que je vous rejoindre à ce sujet. Si cela continue, c’est une statue d’argile que vous devrez transporter en lieu et place de ma personne je le crains. Aemma esquissa un petit sourire. Lady Alyce est une très bonne hôtesse. Je suis heureuse d’avoir pu faire sa rencontre, de même que la vôtre. Mais tout cela, vous le savez déjà. Si mon frère n’y voit aucun inconvénient, ce serait un plaisir pour nous tous de profiter encore un peu de votre hospitalité. Pour le reste… Vous savez que je trouve toujours quelque chose à lire pour peu qu’on m’en laisse le temps. »


Prendre quelques jours de repos à Sacrelieu était une idée des plus séduisantes. Il leur faudrait en discuter avec Justin, bien que la chose se tenait. Cela leur permettrait de ménager leurs chevaux. Il n’était pas toujours aisé de les faire voyager autrement que sur la terre ferme. Et de se ménager également. Aemma avait l’impression que si elle ne foulait pas rapidement le sol de ses propres pieds, elle finirait par marcher en crabe à force de se trouver juchée sur un cheval ! Une telle situation n’aurait pas manqué de faire rire Armond. Le faire rire, elle avait toujours réussi. C’était même un domaine dans lequel elle excellait… Comme pour tromper sa tristesse, et alors que Clifford l’interrogeait sur ses récentes lectures, la jeune Massey glissa sa main dans l’un des sacs qui se trouvait attaché à l’arrière de sa selle. Elle avait pris le soin de mettre l’ouvrage en haut de ses affaires, afin de le retrouver plus aisément pour le lire.


« Le voilà. Aemma passa délicatement sa main sur la couverture. Je vous avoue ne pas avoir eu le temps de le terminer, les derniers jours ont été… Ils ont été ce qu’ils sont. La jeune fille éluda sa propre phrase, tournant les feuillets avec une grande douceur. Je compte régler tout cela prochainement. Le premiers tiers s’est révélé être des plus prometteurs, il me tarde de découvrir la suite. J’ai toujours pensé que la poésie était aux hommes ce qu’est le vent dans les feuilles ou les pépiements d’oiseaux pour la Nature. Quelque chose que seules les personnes les plus patientes peuvent apprécier. Une sorte de secret même pour les personnes qui sauraient lire. »


Aemma s’était à nouveau tut, laissant filer les feuillets entre ses doigts. Ils étaient légèrement rugueux. Le livre était encore jeune. Elle était peut-être l’une des premières à l’ouvrir, à le parcourir.


« … Et j’espère être capable de comprendre tous les secrets de cet ouvrage. » reprit-elle, avec un regain de volonté.

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Clifford Swann était de l’avis que tous ceux qui errent ne sont pas perdus. Le destin, selon lui, était à l’image de Villevieille : on y trouvait parfois des merveilles que l’on imaginait pas. Et l’on empruntait pas toujours les chemins que l’on voulait, sans doute, mais on finissait par prendre ceux dont on avait besoin. Lui ne s’était jamais imaginé vivre ainsi. Enfant il se rêvait chevalier comme son frère et finalement il rêvait peut-être encore de chevaucher aux côtés de Gulian. Il voulait voyager. Il voulait vivre des aventures. Mais il avait très vite renoncé à ce rêve. Enfant de faible constitution, sa vie avait basculé dans les livres et s’était passé, aux commencements, dans les murs des châteaux. Oh, Cliff avait voyagé. Et sa vie était certainement aventureuse. Mais rien ne s’était vraiment passé comme prévu – peut-être est-ce cela que Manfred, son père, lui reprochait ? de n’être pas le fils qu’il attendait ? qui savait ? Cependant, ce qui était certain, c’est que Swan ne regrettait pas la vie qu’il menait à présent. Il était bien plus heureux ainsi avec Alyce. L’aurait-il imaginé ? Sans doute pas. C’est le hasard qui avait fait les choses.

Peut-être, pour en revenir à Aemma Massey, en irait-il de même ? Il l’espérait en tout cas. Bien sûr, cette leçon là, on ne la comprenait que plus tard, bien plus tard. On la découvrait seul, aussi. Ainsi, il n’appartenait pas à Clifford de révéler ce secret. Le chevalier de Castellion voulait bien gager, de toute manière, que Aemma ne la croirait pas. On se remettait sans doute d’être séparé de ses proches. L’être humain s’adaptait à tout, Cliff le savait depuis longtemps ; l’oubli de ses propres souffrances était comparable à une incroyable forme de résilience, extrêmement puissante, comme par instinct de survie. Mais elle avait quoi…douze ans ? treize ans, peut-être ? Oui, sans doute, se dit-il en lui jetant un regard en coin depuis sa monture. A son âge, où l’on commençait à se définir, il savait bien que tout paraissait énorme et insurmontable. Et qui était-il pour juger du chagrin d’une enfant ? Personne. Après tout, leur époque et leurs mœurs y étaient suffisamment indifférent : on décidait du destin des jeunes comme des pions, précisément parce qu’on s’en était remis soit même, en songeant aux alliances et à donner un destin – ce qui ne partait pas forcément d’une mauvaise intention – à ceux-ci, mais pas tellement à ce qu’ils voulaient. Clifford s’en souviendrait, des années plus tard, au moment de négocier à son tour un écuyage pour son fils ainé, Orryn.

En attendant, à entendre la voix d’Aemma se briser, il comprit que de toute façon, il valait mieux ne pas insister. Avec indulgence, il décida de faire comme s’il n’avait rien entendu dans son évocation de Danse des Pierres – il aurait le temps de revenir sur le sujet – et poursuivit son rôle de guide en commentant : « C’est sans doute l’un des plus beaux châteaux qu’il m’ait été donné de voir, oui. Les jardins sont sans égal. Même le Donjon Rouge ne rivalise pas. Et la Mander est un très beau fleuve. » A condition qu’on aime ce style là. Cliff ne détestait pas le Bief et il avait appris à aimer Sacrelieu et aujourd’hui. Mais tout cela lui semblait bien…sophistiqué. Paradoxal, pour le poète qu’il était ? Non pas ! On aurait dit que d’ingénieux paysagistes et architectes avaient figé une bonne fois pour toute ce que devait être un paysage d’abondance et l’idéal de ce que devrait être le château d’un suzerain. Mais cela manquait d’imagination, de liberté…de sauvagerie, en un mot ! On pouvait trouver les Marches, d’où Swann venaient, inhospitalières, mais avec leurs plaines balayées par les vents et leurs montagnes déchiquetées et rougeâtres, on s’y imaginait toujours quelques aventures, parce que vierges de toute conquête humaine et que l’homme, précisément, ne les avait pas encore domestiqués. Les châteaux mêmes s’ancraient dans la pierre, y disparaissaient en somme. Et quoique Cliff ne dédaigna jamais le confort, il aimait encore plus rêver.

Néanmoins, Sacrelieu, qu’il avait appris à aimer pour ceux qui s’y trouvaient – et cette promenade sur la Mander – constituaient d’idéales distractions aux malheureux de la jeune femme. Et le chevalier, à vrai dire, ne disait pas non à l’idée de raccourcir le voyage. « Nous voilà de bien piètres cavaliers. Je crois que j’en suis au même point de vous, et cette bête là commence de plus à se méfier de moi. » Car évidemment, cela ne pouvait pas être lui qui craignait le cheval, pourtant fort placide, qui tirait son chemin, impavide, sur la route. « Ne le dites pas encore trop fort à votre frère, cela dit, sinon ser Justin va bien encore me redemander comment j’ai pu devenir chevalier ! » Cliff pouffa, peu regardant là-dessus. La vie l’avait entrainé par hasard à Lestival ; il n’aurait jamais été adoubé sinon. Rien de honteux ; il n’avait pas démérité. Mais rien de vraiment logique non plus. En attendant, heureux que Aemma accepte, il hocha la tête avec bonhommie : « Bon, c’est entendu dans ce cas. J’écrirais à lady Alyce ce soir si votre frère est d’accord. Cela lui fera plaisir. Vous n’êtes pas la seule à qui cette rencontre a plu. Je dois dire que je suis heureux de pouvoir vous compter, vous et vos frères, parmi les Massey, et que nous serons honorés de toute invitation à Danse-des-Pierres, à charge de revanche, bien évidemment. Il vous faudra revenir. » Et il le pensait sincèrement. Souvent, Cliff s’inquiétait de l’avenir de la jeune génération : trouver sur son chemin des gens qui lisaient, qui réfléchissaient, qui avaient un parcours atypique, et surtout la même haine que lui de tous les bigots, lui donnaient de l’espoir.

Et justement, voilà que la conversation s’orientait sur la poésie et sur son livre. Comme il lui semblait voir Aemma s’animer à cette mention, Swann décida de poursuivre la conversation sur ce terrain distrayant, alors qu’elle lui montrait le livre qu’elle avait emmené avec elle. Il sourit avec amusement, se reconnaissant dans cette manie. Au grand désespoir de Alyce, les livres étaient souvent accompagnés d’instruments de musique, bagage que Cliff avait négligé cette fois, se disant que la musique ne serait pas forcément bienvenue – les bardes devaient savoir où ils se trouveraient ou non d’utilité.  Pensif, il prit un peu de temps pour réfléchir sur ce qu’était son art et la réponse à donner à la couronnienne : « Oui, c’est assez vrai. Pourtant, il n’est de plus sûr moyen de dire et figer ce qui traverse honnêtement les hommes. S’il s’agit d’une langue indéchiffrable, elle n’est peut être qu’un artifice qui pour jeter la lumière, en ombre portée, sur ce qui nous agite de manière universelle. » C’était ainsi que Cliff concevait l’idée d’être poète. Jamais il n’était aussi sincère, aussi bon, aussi altruiste et désintéressé, que lorsqu’il écrivait. Alors, il prenait un panache qu’il n’avait pas forcément en tant que noble ou chevalier, comme lorsqu’il se mit à réciter l’une de ses propres pièces : « Écoutez-moi, voici l’oracle/Je fais une chanson tant qu’il est encore temps/Compagnons, donnez-moi encor un luth ou une vielle/Et je vous promets que la fin sera une étincelle/Car un jour je ferai des miracles/Un jour je dévalerai des torrents… » Le tout fut suivi d’un clin d’œil à Aemma. « C’est la deuxième partie du livre, si jamais vous vous demandiez. Je suis assez fier de ce passage là, je dois l’avouer… » Voilà qui correspondait plus à leurs conversations habituelles : elles l’entrainaient loin, et il trouvait, avec étonnement, la jeune fille étonnamment mature pour son âge lorsqu’on touchait aux livres.

Ronchonnant à cause du manque de confort de sa scelle, Cliff ajouta : « Mais tout ceci manque, précisément, de luth et de vielle. Je ferai mieux à Sacrelieu. » Et puis, comme pris d’une illumination : « Avez-vous déjà songé à écrire, Aemma ? Tous les grands lecteurs que je connais finissent par rêver d’écrire. Je prends le pari que vous ne dérogerez pas à la règle. Vous verrez, vous penserez à moi à l’heure où vous vous y mettrez. »

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Ode aux chemins tortueux.
Route de la Rose | An 298, lune 6, semaine 4.

Tout lui rappelait Armond. Absolument tout.


En quittant Villevieille, la petite Massey s’en rendait compte plus que jamais. Elle avait l’impression d’enterrer une partie de sa propre personne, de sa propre âme. Son jumeau lui avait promis de lui écrire et Aemma savait qu’il ne manquerait pas à sa parole. Mais que se passerait-il lorsqu’il aurait forgé assez de maillons pour devenir un Mestre digne de ce nom ? Quand il abandonnerait son nom, leur nom, pour un ailleurs ? Pour une famille qui pouvait bien se trouver dans le Nord ou même à Dorne ? Pourrait-il encore lui écrire ? Se l’autoriserait-il ? Leur sœur Elinda était en cela tenue par des interdits totalement différents. Aemma n’avait pas oublié cette leçon. Pour qui est assez puissant, les règles ne sauraient s’appliquer de la même façon. Et on ne tergiversait pas avec les volontés d’une Sainteté ou de sa protégé, toutes femmes qu’elles soient.


Peut-être bien qu’elle avait enterré son frère, après tout.


Et que sa voix ne lui parviendrait plus que d’outre-tombe, entre deux feuillets portés par le vent ou par un quelconque messager. Sa voix… Et si elle finissait par oublier sa voix ? Ou les traits de son visage ? De triste, Aemma devint presque terrorisée. Armond et elle étaient ce que Mestre Bartimos appelait des faux jumeaux. Ils ne se ressemblaient pas vraiment, pas du tout à dire vrai.Si elle avait hérité de la chevelure argentée de sa mère, Armond avait les mêmes cheveux blonds pâles que leur frère Justin et que leur père. Ses yeux étaient bleus, ceux de son frère verts. Elle ne saurait peut-être jamais ce à quoi il ressemblerait une fois devenu homme. Comme figée de peine, Aemma se contenta de hocher vaguement la tête lorsque Clifford lui mentionna la magnificence d’Hautjardin. En d’autres circonstances, la jeune Massey lui aurait demandé davantage de détails. Son esprit, encore malléable, était cependant pris en tenailles par ses doutes et ses craintes.


« Et dire que mes ancêtres ont chevauché des dragons… maugréa Aemma, en levant les yeux au ciel comme si elle espérait apercevoir l’un d’eux. Si je ne suis pas capable des quelques prouesses équestres, je crains de leur faire honte. N’ayez crainte, votre secret sera bien gardé avec moi. Mon cher frère serait bien capable de rire de moi aussi. »


Un sourire sincère, quoique pâle, avait étiré ses lèvres à cette mention. Plus jeune, elle avait rêvé de ces dragons mythiques qui avaient accompagné ses bisaïeux et bien d’autres générations avant eux. Elle ne s’était jamais imaginée dragonnière cependant. Ses rêveries, son oncle Gormon les avait alimentées en lui parlant de ces mages valyriens capables des plus grandes prouesses. Daenys la Rêveuse aurait pu être de ce nombre, peut-être ? Toujours est-il que le constat restait le même. Là où certains enfants de son lignage rêvaient de dragons, Aemma s’était imaginée mage, tentant maladroitement de créer des philtres à grands coups d’eau de mer, de mauvaises herbes et d’épluchures de légumes et de fruits. Lorsque sa mère l’avait appris, la petite fille qu’elle était avait été sérieusement réprimandée et elle en gardait encore aujourd’hui un souvenir glacé. Il n’y avait eu que sa grand-mère pour lui confier que, dans sa propre famille, quelques personnes se tardaient de lire les flammes devant les autels dédiés au R’hllor.


« Prenez garde à vos paroles, Ser. répliqua Aemma, amusée cette fois. Je pourrais vous prendre au mot et ne plus quitter jamais Sacrelieu. »


La demeure des Graceford lui avait plu, c’était un fait indéniable. Aemma avait compris pourquoi Sa Sainteté Naera avait pris tant de plaisir à sa vie dans le Bief. Il fallait avouer que Sacrelieu revêtait les atours d’une sorte de petit paradis, si toutefois paradis il existait. La petite Massey savait qu’elle prendrait plaisir à y retourner, même d’ici quelques années. Qui plus est, cela lui permettrait de revoir Hereward, une idée qui ne la laissait pas insensible il est vrai. A cette pensée, la jeune fille aux cheveux d’argent sentit le feu lui monter aux joues. Un feu qu’elle dissimula bon gré mal gré en se saisissant de son outre pour se désaltérer. Il n’en resta pas moins que les propos du Swann lui parvinrent. Aussi les soupesa-t-elle quelques minutes, silencieusement. Elle comprenait, oui. Du moins, c’est ce qu’il lui paraissait. Les années lui donneraient tort, tant elle avait à apprendre. Et pourtant, il lui semblait comprendre à cet instant.


Alors que Clifford se prêtait au jeu de la déclamation, Aemma se surprit à tapoter en rythme sur le pommeau de sa selle. Elle avait toujours eu l’oreille musicale, c’était un fait. Aussi, c’est tout naturellement que la jeune fille se pencha en direction de ses fontes, attrapant instinctivement le petit luth qu’elle avait emporté avec elle. Si la petite Massey avait hésité un temps à agir de la sorte, le fait qu’il s’agisse-là de son dernier voyage avec Armond avait rendu la présence de l’instrument plus que nécessaire. Après avoir délicatement pincé les cordes pour s’assurer que l’ensemble était toujours suffisamment accordé, Aemma se mit à jouer sur le rythme donné par les rimes. Pour l’avoir vu en compagnie d’autres artistes, la petite tornade espérait que ces quelques accords conviendraient au Ser Cygne.


« La deuxième partie ? répéta Aemma, malicieuse sans pour autant cesser de jouer. Si tel est le cas, il me faudra me dépêcher. Il me tarde de connaître la suite ! Lire et jouer en même temps est complexe mais avec un trépied improvisé, je pense en être capable. »


Naturellement, ses mains tissaient une nouvelle mélopée, bien différente de la précédente. Celle-ci, c’était sa grand-mère Vysela qui la lui avait enseignée. Une petite mélodie de Pentos qu’Aemma aurait trouvée parfaite pour déambuler dans les jardins ombragées dans la Cité Libre et profiter des fruits qu’il était possible d’y trouver. Ou dans la petite serre familiale qui reproduisait cet environnement modestement. Sa grand-mère aimait y passer du temps et c’était d’ailleurs lors de l’une de ces après-midis florales qu’Aemma avait appris à jouer cet air, bien heureuse de pouvoir se séparer des douces complaintes adressées aux Sept que le reste de sa famille tentait de lui inculquer.


« Je ne vous cache pas que mon luth me manque. Mon vrai luth. Celui-ci est bien petit, il lui manquerait quelques cordes et un peu de résonance pour me permettre de jouer tout ce qui je souhaite. J’espère cependant pouvoir ravir les oreilles de notre équipée malgré tout. »


Jouer ainsi lui occupait l’esprit en plus des phalanges. Bien qu’accoutumée à la petitesse de son instrument, et au fait qu’il ne lui était plus réellement adapté en termes de taille, ses doigts manquèrent de peu de s’emmêler. Elle ? Écrire ? Aemma ne put s’empêcher de jeter un regard lourd en direction de l’Orageois. Se jouait-il d’elle ? Non, elle n’en avait pas l’impression. Au contraire, les traits du Swann semblaient s’être illuminés d’un coup d’un seul à cette idée. Et à dire vrai, la petite Massey fut prise de vertiges à ce dessein.


« Moi ? sa voix s’étrangla plus qu’elle ne l’aurait souhaité. Je suis une fille, une femme bientôt, Ser. Les femmes n’écrivent pas. Ou alors, elles se cachent bien de l’ébruiter. Composer des mélodies est une chose. Écrire des vers ou un conte, c’est autre chose. »


Et pourtant, la graine était plantée. Aemma ne s’en rendait pas compte mais toute idée naissait de la sorte. D’une parole, d’un mot, d’une mélodie qui trouvait refuge dans une parcelle d’un esprit vif, prêt à l’accueillir et à la voir grandir petit à petit pour devenir une jeune pousse puis un arbre vigoureux.


« Les femmes prennent les armes, pas l’épée. D’aucuns diraient qu’elles ne prennent pas plus la plume. Et à dire vrai, sans pour autant leur donner raison car cela me peine grandement, je ne saurais quoi laisser couler sur mes feuillets. »


Albin Massey, qui fut le Maître des Lois du Vieux Roi, avait toujours été l’un de ses modèles. A chaque fois qu’elle ouvrait un livre relatant les lois de leur royaume, elle avait une petite pensée pour lui, espérant lui ressembler un jour. Bien que disgracieux et marqué par une boiterie et une bosse sur le dos, son esprit était acéré et sa langue l’était tout autant. Armond lui ressemblait, Aemma en était persuadée. Son frère finirait Mestre, là où Albin avait eu une toute autre destinée. Et elle dans tout ça ? Ressemblait-elle aussi à cet ancêtre lointain ? Elle voulait le croire, bien que de telles prédispositions pour une personne telle qu’elle risquait de lui poser bien des soucis comme le remarquait parfois son oncle Gormon…

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ஃ The rain that comes. All of the love that was left behind is gone. When the Riverman runs. Find me the girl who electrified the storm. In a little while she'll be gone ஃ
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