Chante, chante petit oiseau, au creux de ma main

Chante, chante petit oiseau, au creux de ma main @Grayce Bonfrère & Harren Kenning

Au large de Grand Wyk, sur le navire d'Harren Kenning, An 303 Lune 2 Semaine 2

La jeune femme n’en avait pas cru ses yeux. Elle n’aurait pas dû voir ça, non, jamais. De l’autre côté du Détroit, de là d’où elle venait, ce genre de relations était très mal vu. Interdites, on pouvait être enfermé à vie ou même être mis à mort pour pareil acte. Zyria s’était empressé de détourner le regard de l’étreinte qu’elle avait vu entre ces deux femmes mais c’était trop tard. Elle en avait vu suffisamment pour en avoir l’âme tourmentée et le cœur retourné, d’autant plus que, si la femme blonde lui était inconnue, l’autre en revanche…Snöfrid Harloi, celle qui plaisait tant à son maître quoique ces derniers temps, il semble s’en être écarté. La curiosité la tourmentait mais elle savait qu’elle perdrait plus qu’elle ne gagnerait à se montrer trop curieuse devant le Kenning. Cependant, peut-être la scène qu’elle venait de voir jouerait-elle en sa faveur ? Elle se hâta de ramasser son second panier d’osier et de s’en retourner à Nuéclairs. Elle fut malmenée par le vent sur sa route ; un peu moins au fur et à mesure qu’elle s’enfonçait dans les terres de l’île d’Harloi, où le fief des Kenning se trouvait. Elle entra par la porte réservée aux serfs, posa ses paniers dans la cuisine, retira sa cape et dégagea son front des quelques mèches de cheveux sombres qui s’y étaient collés sous l’effet du vent et de l’humidité. Croisant un serf, elle lui demanda où se trouvait son maître et celui-ci lui répondit qu’il se trouvait dans la forge, à aiguiser ses haches. Zyria le remercia et s’y dirigea, le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine.

Une vague de chaleur la frappa en plein visage lorsqu’elle entra. Harren leva un instant les yeux de son enclume puis, en voyant que ce n’était que sa femme-sel, il se désintéressa d’elle et ne se donna pas même la peine de la saluer. Zyria prit son courage à deux mains et s’approcha de lui :

Maître ? fit-elle d’une petite voix.

Mmh, fut tout ce qu’Harren répondit, trop occupé à contempler le tranchant de sa hache.

J’ai vu quelque chose aujourd’hui…Je n’aurais pas dû voir ça, je crois…

Quoi ? T’as vu quoi à la fin ?! la pressa-t-il, passablement énervé de tant de mystère.

Zyria déglutit difficilement puis lâcha d’un trait : J’ai vu Dame Snöfrid embrasser une autre femme.

Harren s’arrêta dans son geste et leva enfin les yeux vers sa conquête ramenée d’Essos. Zyria gardait les yeux fixés sur le sol et les mains jointes devant elle. Tendue, elle craignait les conséquences qu’une telle révélation aurait sur elle. Cependant, ce n’était pas elle qui devait avoir peur, mais bien ce couple abject qui réveillait ses plus viles pulsions. Il jeta sa hache sur le plan de travail et le bruit fit sursauter Zyria.

Viens, dit-il en tendant sa main droite.

Zyria s’exécuta et approcha, glissant sa main dans la sienne.

T’as bien fait d’me l’dire, rajouta-t-il en souriant. T’as vraiment, vraiment, bien fait.

Il lui rendit sa main et prit appui sur le plan de travail pour se lever. Zyria s’empressa de lui approcher sa béquille de fer en disant :

C’est tabou là d’où je viens. Tabou. Interdit.

T’sais quoi ? Pour une fois, j’suis bin d’accord avec tes coutumes.

Qu’allez-vous faire ? se sentit-elle le courage de demander. Mais elle en avait déjà trop demandé vu la façon dont il lui répondit :

Qu’est-ce ça peut t’foutre c’que j’vais faire…Et il quitta la forge de sa démarche instable.


Plusieurs jours avaient passé depuis que Zyria avait rapporté ce qu’elle avait vu mais Harren n’était pas resté les bras croisés à s’imaginer la scène. Il avait monté un plan visant à apprendre à Grayce ce qu’il en coûte de s’adonner à pareils sentiments sur les Iles de Fer, qui plus est lorsque l’autre femme n'est autre que celle qu’il avait eu longtemps dans son lit et qui l’avait récemment éconduit. Il savait qu’il s’agissait d’une femme, il connaissait même son nom, révélé par Snöfrid elle-même. Mais jusqu’aux dires de Zyria, cela restait une chose abstraite et hors de sa compréhension pour lui. Là, les savoirs se montrer leurs sentiments au grand jour, même si elles avaient pris leurs précautions pour éviter les regards indiscrets…Non, s’en était trop et plutôt que de s’attaquer directement à Snöfrid, il eut envie de la faire souffrir en s’en prenant à celle qu’elle dit tant aimer. Il mandata ses hommes les plus compétents pour la tâche, à savoir, capturer Grayce Bonfrère le plus discrètement possible et la ramener sur son navire, afin qu’il puisse prétexter avoir eu besoin d’elle et de ses services pour des réparations imprévues sur Le Foudroyant. Etant donné qu’elle avait déjà travaillé sur son navire, ainsi que sur celui de son oncle, cela ne soulèverait guère de questions si tant est que son séjour à bord ne s’éternise pas trop…deux lunes au plus. Mais c’était largement suffisant pour Harren afin de lui apprendre ce qu’il en coûte de chasser sur son territoire, qui plus est en étant une femme.

Son navire mouillait au large des côtes de Grand Wyk, non loin de l’endroit où travaillait régulièrement Grayce. Ses gars étaient revenus de leur mission avec son butin quoiqu’ils lui fassent clairement savoir à quel point la gueuse s’était débattue. Je vais la dresser comme elle aurait dût l’être dès le départ se plut-il à penser. Ils la jetèrent à genoux devant lui sans ménagement et lui retirèrent son bandeau mais pas le bâillon qui l’empêchait de parler. Un peu hagarde, elle regarda autour d’elle pour voir où elle se trouvait avant de rencontrer sa béquille puis de le voir lui, tout sourire, qui l’observait en retour :

Chante, chante petit oiseau, au creux de ma main @Grayce Bonfrère & Harren Kenning

Au large de Grand Wyk, sur le navire d'Harren Kenning, An 303 Lune 2 Semaine 2

La main droite d’Harren fusa si vite sur la joue de Grayce que le geste, quoiqu’attendu de la part de ses hommes, les surprit malgré tout par sa rapidité. Le dos de sa main et de ses doigts vinrent laisser une belle trace rouge sur la joue de l’effrontée qui tenait apparemment bien peu à sa vie pour se montrer si insolente alors qu’elle se trouvait sur le navire le moins fréquentable de toute la flotte des Iles de Fer. Entourée d’hommes au passif aussi trouble que sordide, tous prompts à la violence à l’instar de leur capitaine, Grayce n’avait alors rien trouvé de mieux que de s’attaquer au physique, synonyme de honte, du Kenning. Il se pencha en avant, le souffle fort par la colère et le dégoût qu’elle lui inspirait, et enserra son menton entre deux de ses doigts :

Cause-moi encore comme ça et j’t’arrache c’qui t’serre à causer..Et j’prendrai pas l’temps d’chauffer la lame à blanc. Mais vas-y ! Joues encore à la plus maline avec moi. J’attends qu’ça. Ça fait un sacré moment qu’on a plus vu l’sang couler sur l’Foudroyant pas vrai les gars ??!!

De grands cris approbateurs lui répondirent. L’un d’entre eux, trop excité par cette idée, dégaina un canif rouillé et s’approcha de Grayce mais Harren le repoussa, posa la pointe de fer de sa béquille contre son torse :

Nan nan nan…Elle est à moi. Mais son pti séjour chez nous peut bien s’passer ou mal s’passer. T’en dit quoi Bonfrère ? Tu veux qu’ça s’passe bien et qu’on t’ramène à terre entière ou mal et on s’fera un plaisir d’éparpiller des ptis morceaux de Grayce partout, surtout là où j’sais que Snöfrid va ?

Chante, chante petit oiseau, au creux de ma main @Grayce Bonfrère & Harren Kenning

Au large de Grand Wyk, sur le navire d'Harren Kenning, An 303 Lune 2 Semaine 2

C’que j’veux à Snöfrid hein ? dit-il en se redressant et en reniflant bruyamment. C’te chienne…

Harren laissa son regard vagabonder sur les parois de bois de la cale du navire et sur les visages qui ou le regardaient lui ou la silhouette blonde à genoux devant lui.

Tu veux qu’j’te dise Bonfrère, c’est à cause d’elle qu’t’est là, à cause d’elle que moi, j’dois être comme ça avec toi et à cause d’elle…dit-il en se penchant à nouveau vers Grayce, qu’tu vas passer un p’tit moment ici. Parce que tu vois, j’ai appris d’sa bouche à elle, que vous deux, vous êtes pas normales. OUI MESSIEURS ! cria-t-il en se redressant et en s’approchant de son équipage. Snöfrid Harloi et Grayce Bonfrère s’aiment, lâcha-t-il d’une voix soudain atrocement douce et suave, déclenchant autour de lui des rires, des commentaires salaces ou encore des crachats dégoûtés. Harren fit le tour de son équipage en hochant la tête et en répétant à voix basse ces quelques mots qui qualifiaient la relation qu’il jugeait contre-nature entre les deux femmes. Puis il revint vers Grayce, posa sa main droite dans ses cheveux et les caressa comme s’il caressait le pelage d’un chien avant de se saisir d’une poignée de cheveux et de lever le bras, obligeant Grayce à relever la tête sous le tiraillement exercé sur son cuir chevelu. Toujours dans son dos, Harren la maintint ainsi, à mi-chemin entre la position debout et la position agenouillée. Il rapprocha alors son visage de son oreille gauche et murmura :

Snöfrid est à moi. Si t’étais un homme, j’t’aurais déjà tranché ta queue et tu s’rais obligé t’accroupir pour pisser. Mais comme t’en as pas, tu vas rester ici, dans cette cale et tous les deux, on va s’amuser un peu. Oh t’inquiète pas, quand tu m’ennuieras trop, on t’redépos’ra à terre, entière. Mais pour l’moment, ces quat’ murs là-bas, dit-il en faisant pivoter la tête de Grayce de sa main, toujours fermement accrochée dans ses cheveux, c’est ta nouvelle piaule.

Et il l’y traina par les cheveux, l’y jeta et referma la porte à clé derrière lui dans un grand rire avant de proposer à ses hommes de vider un de leur dernier fût de bière qu’ils avaient sur le navire.

Chante, chante petit oiseau, au creux de ma main

Je me tendis à l’insulte contre Snöfrid, mais je gardais un visage neutre, les poings serraient, je mourrais d’envie de le frapper, de lui éclater cette face, de lui briser les deux genoux… Le voir souffrir et gémir ! Mais j’allais devoir me contenir pour l’instant. À cause d’elle ? Snöfrid n’avait rien fait. Je sentis les ongles de mes doigts entailler ma chaire, je sentis le sang sur mes doigts. Et ce connard savait. Je restais de marbre à son accusation, qui était véridique. Je serrais plus fort les poings à la réaction de ses gars. Qu’est-ce que j’en avais à foutre d’eux ? Ce n’était que des… je n’avais pas les mots, mais Noyé sait à quel point je les maudissais tous. J’inspirais profondément pour essayer de rester calme et ne pas foncer dans le tas.

Ses doigts dans mes cheveux me crispèrent et je serrais plus fort mes doigts, je restais le visage figé malgré la douleur, le tuant du regard, encore et encore. J’eus un ricanement à sa remarque.

« Snöfrid appartient à personne… Ni à toi, ni à moi… »

Il allait me garder ?! Et… merde ! Je ruais quand il me redressa, essayant de lui donner un coup de tête. Si je lui faisais mal au pire… je préférais crever que de le laisser me toucher. Je me débattis, mais malgré tout il me jeta dans cet espèce de cellule de bois. Je roulais au sol avant de me redresser, la porte se claqua et je jugerais. Mon regard navigua entre les quatre murs de bois. Ne te précipite pas Grayce, ne te précipite pas ! Surtout pas ça serait la pire des choses. Je m’assis à même le sol pour observer autour de moi en serrant toujours mes doigts dans ma chair. Je regardais avec attention. Le bois était solide, je le connaissais pas trop mal… Je ne pourrais pas le détruire à coup de pieds et surtout pas les mains attachées dans le dos… Je fermais les yeux… Gwendys… Tu saurais qu’il y a un problème. Tu le sauras… Gwendys… Tout ira bien, j’espère… Snöfrid… Ma capitaine… Cache-toi… Cache-toi, je ne veux pas qu’il t’attrape. Je fermais les yeux en essayant de me calmer un peu… Je sentais que j’allais déguster. Et pas qu’un peu.

Codage par Libella sur Graphiorum