J'espère que vous serez heureux

Do you receive my gift ?

Castral Roc. Enfin, Ashter rentrait à la maison. Le château des Lannister n’était pas sa véritable maison mais elle était sa demeure depuis trois lunes (en réalité neuf lunes si on compte les six lunes passer à Corneilla puis à Bourgfaon). En tout cas, il était rentré dans l’Ouest avec la délégation. Les deux mariages étaient passés et Ashter n’y pensait plus. Durant le voyage du retour, il avait reçu une lettre de sa sœur. Le sujet de cette lettre l’inquiétait plus que tout autre chose. Son père était malade. Le patriarche avait alors décidé de dater le mariage durant la quatrième semaine de la prochaine lune. Ashter Yarwyck allait se marier avec Melleah Payne. Cela devenait une réalité après un an et cinq lunes de fiançailles. Ashter se dirigea vers les écuries pour y amener son cheval. Il le confia à un jeune écuyer et partit pour ses quartiers mais un visage bien connu retint son attention. Il aurait tellement voulu s’y préparer mais il semblerait que les Sept l’aient mis sur son chemin sans prévenir. Prenant une grande inspiration, il se passa un coup d’eau sur le visage et la rejoignit derrière l’écurie, surveillant les alentours, regardant si personne ne les voyait de là où ils se trouvaient désormais.

- Ser Ashter, c’est un plaisir de vous revoir… Je vous rends votre épée, j’en ai pris grand soin. Elle est comme neuve. Vous avez fait bon voyage ?

Il gardait ses distances, ne voulait pas trop s’approcher d’elle. La dernière fois, cela s’était fini en câlin improvisé. Ashter espérait tout de même qu’elle ne lui en veuille pas de ne pas lui avoir écrit depuis deux lunes au moins. Son attention fut attirée par l’épée qu’elle avait avec elle. Il s’agissait de celle de son frère, qu’il lui avait confié avant son départ. Sacha n’avait sûrement pas compris que c’était un cadeau. Inconsciemment, et toujours silencieux, il prit l’épée et la posa à côté de lui, sur le sol. Ses yeux se perdaient dans les siens et il ne savait quoi dire. Elle était toujours aussi belle et resplendissante. Ses pensées s’échappèrent et il repensa aux nombreux entraînements, aux signes qu’il essayait en vain de lui envoyer. Il l’aimait. C’était indéniable. Et il ne savait pas du tout comment lui dire ce qu’il voulait lui dire. Il y pensait depuis Corneilla et plus il y réfléchissait, plus il avait mal et ce rien qu’à l’idée de lui faire du mal à elle alors qu’il voulait son bien. Ashter était un bon chevalier. Il voulait le bonheur de Sacha mais il ne pouvait pas en faire partie tout comme elle ne pouvait pas faire partie du sien. Les dieux ne le permettraient pas. Jamais. Les conseils et paroles de Mychel Rougefort, Walda Lannister et Tavish Cafferren tournaient dans sa tête. Ils avaient eu tous les trois des mots justes et réconfortants. Walda plus que les autres puisqu’elle connaissait la femme qui faisait battre son cœur là où Mychel et Tavish ne connaissaient que l’histoire et non le nom de la jeune fille. Mais Ashter était seul, seul face à Sacha.

- Sacha… Je… euh.. oui, le voyage s’est bien passé malgré qu’il fut long. Et vous, avez-vous.. fait bon voyage ?

Ashter s’embrouillait. Il bégayait. Son regard devenait fuyant. La main sur le pommeau de Dent-de-Lion, il tentait de reprendre ses esprits. Il reporta son attention sur Sacha et sentit son visage rougir. Quelle honte ! Il n’y arriverait sûrement pas… pas tout de suite en tout cas. Et puis, en y réfléchissant, ils avaient le droit de discuter. Après tout, elle était venue lui rendre l’épée de son frère. Lui, de son côté, pouvait très bien lui demander de ses nouvelles, des nouvelles de Castral Roc. Soudain, une idée lui vint en tête. Il s’éclaircit la gorge et reprit plus assurément dans un petit rire.

- Pardonnez-moi. Le voyage m’a quelque peu épuisé. Comment allez-vous, Sacha ? Avez-vous bien reçu mon cadeau pour votre anniversaire ? C’était la lune passée, je ne me suis pas trompé j’espère.. ?

- Il n’y a pas de mal. Bien, je vous remercie, les dernières lunes ont été riches en émotion. Nan, vous ne vous êtes pas trompé. C’est… la première fois qu’on m’offre un tel cadeau et qu’on se souvienne de mon anniversaire. Même si j’avoue que j’ai un peu râlé en découvrant que mon autre scelle avait disparu. Mais… celle que vous m’avez offert est vraiment magnifique… Et vous vous êtes souvenue que je vous avais parlé de la période de fleuraison des pommiers et que j’adorais ça… Je pensais pas… que… je… Merci… Ça m’a vraiment beaucoup touché… Plus que ce que j’arrive à l’exprimer.

Sacha semblait déroutée. Ashter l’était aussi. La selle gravée lui avait plu, cela ne faisait aucun doute. Mais ce cadeau qui se voulait être pour son anniversaire allait dans quelques minutes se transformer en cadeau d’adieu. Depuis son départ, Ashter n’eut de cesse de ressasser toute cette histoire dans sa tête. Sacha. Cette femme qui l’avait touché en plein cœur. Et alors que ses sentiments grandissaient, ses doutes faisaient de même en parallèle. Arrivé à Corneilla, écrivant des lettres à Sacha mais également à Beren et de temps à autre à sa sœur, les doutes d’Ashter s’intensifièrent. Même si Mychel Rougefort fut fort réconfortant ainsi que les mots de Walda, les doutes persistèrent encore plus en arrivant à Bourgfaon. Il ne pouvait pas l’aimer. Il ne pouvait pas se marier avec. Il ne pouvait pas passer plus de temps avec elle qu’avec sa fiancée qui deviendrait bientôt sa femme. Cela était impensable, immoral et risquait de déshonorer les Yarwyck, les Payne, leur alliance. Ashter s’était perdu dans les méandres de ses doutes. Et lorsque la lettre de sa sœur lui parvint, ce fut encore pire. Son père était malade. Il avait déjà planifié son départ pour Bulwark. Et il avait bien fait puisque son mariage avait désormais une date. Cela devenait donc concret et Ashter s’était résolu à renoncer à Sacha.

- … Je… Ser Ashter… Merci… vraiment du fond du cœur pour tout… Je le mérite pas…

Ashter avait oublié comment Sacha pouvait être quand elle était gênée. Il sourit à sa timidité mais intérieurement il n’était pas serein. Elle semblait différente d’avant son départ et Ashter pensa alors qu’elle avait probablement accepté le fait de ressentir quelque chose pour lui. C’était visible, dans ses yeux, son comportement, ses rougeurs sur le visage. De son côté, le chevalier ouestrien se laissait consumer par sa culpabilité. Il devait lui dire avant qu’elle ne s’accroche plus que de raison. Mais ce qu’Ashter ne savait pas c’est qu’il était trop tard. Pour lui. Pour elle. Pour eux. Ils étaient l’un à l’autre et la « rupture » sera des plus cruelles pour eux deux. Gardant une certaine distance, Ashter brisa le silence qui s’installait et qui rendait l’atmosphère lourde.

- Vous le méritez, Sacha. C’était votre anniversaire et je… je voulais vous faire plaisir…

C’est à ce moment qu’il pensa au collier. Quel idiot ! Il avait acheté un collier pour Sacha. Il voulait lui offrir à son retour mais ça, c’était avant que ses doutes ne l’emportent, avant que la nouvelle de la maladie de son père ne vienne effacer toutes ses pensées envers Sacha. Ashter ne voyait plus que ses responsabilités, son devoir d’héritier. Il serra fort le pommeau de son épée. Il tentait de garder l’air assuré, il ne voulait pas que la jeune fille voie son désarroi, pas même dans ses yeux. Il lui sourit une nouvelle fois lorsque leurs regards se croisèrent. Elle avait un si beau regard, il était difficile d’y résister, d’y renoncer.

- Mais parlez-moi de vous. Ne vous ayant pas envoyé de lettre ces dernières lunes, et vous m’en voyez navré, je ne sais donc pas ce que vous avez pu faire. Vous avez continué vos entraînements je présume ? J’espère ne pas vous avoir causé trop de problèmes avec mes lettres.. ?

Ashter devait lui dire… Mais comment ? Il savait qu’il ne pourrait pas tenir la promesse qu’il s’était faite. Il ne lui voulait aucun mal, ne voulait pas qu’elle souffre et pourtant, il était sur le point de lui briser le coeur

Tandis que Sacha répondait à sa question, Ashter était dans ses pensées. Les secondes devinrent des minutes. Les minutes devinrent des heures. Le temps ralentissait. Ashter imaginait sa vie. Ses vies. Dans la première, il avait choisi Sacha. Il se voyait fuir l’Ouest avec elle, une vie de fuyards, une vie avec des lendemains incertains, une vie… non, ce n’était pas une vie. La seconde, il n’avait pas choisi. Il s’était marié avec Melleah, vivait sa vie de mari et seigneur tout en voyant Sacha en secret. Comment pourrait-il faire ça ? Il déshonorerait Melleah à qui il aurait fait le vœu de l’aimer et la protéger. Il déshonorerait sa famille en se comportant de la sorte. Il déshonorerait Sacha en la traitant ainsi, la femme de l’ombre, l’amour interdit. Et si Cersei était amenée à le savoir. Elle finirait par le savoir. Tout se sait un jour à Westeros. Ashter était un chevalier honorable, honnête avec ses défauts. Alors venait à lui une troisième voie. Choisir Melleah. Choisir la femme qu’il devait épouser, une dame qu’on avait choisie pour lui car tel devait être son devoir. Il se voyait alors avec Melleah, loin de Sacha, loin de cet amour qu’il savait interdit. C’était dans cette voie qui, semble-t-il, il était plus heureux car dans celle-ci, il était honnête et accomplissait son devoir de chevalier, d’héritier et de futur seigneur. Pendant des lunes, il s’était repassé tous les choix qui s’offraient à lui. Le doute l’avait habité. Cela lui faisait mal mais il arrivait toujours à la même conclusion : il devait renoncer à Sacha une fois pour toutes.

- Parlez-moi un peu de l’orage s’il vous plaît. Je n’y suis jamais allé et comment avez-vous trouvé le Conflans ? Vous avez aimé ? Mes frères n’ont pas été… trop turbulents ? Les connaissant… Ils ont peut-être dû vous faire tourner en bourrique et poser plein de questions… Et ils ont dû vous parler d’anecdotes quand on était môme.

La discussion s’en allait loin de là où Ashter voulait l’amener. Il était difficile pour lui de lui dire ses véritables pensées. Il était certes plus facile de parler du Conflans ou de l’Orage. Des mariages. De ses frères. Des trajets épuisants. Le chevalier ouestrien baissa le regard. Comment pourrait-il lui dire ? Puis, il lui vint soudain une réflexion. Pourquoi lui dire ? Peut-être pouvait-il tout simplement ne pas donner suite. La selle gravée était un cadeau d’un ami à une amie. Les entraînements n’étaient que des entraînements. Il pourrait très bien refouler ses sentiments, porter ce fardeau seul. Ne rien dire. Ne rien faire. La distance pouvait très bien être fixé entre Sacha et lui. Cersei, Meliodas ou encore Kevan s’y attèleraient volontiers. Ashter ne ferait que leur bonheur. Il s’éloignerait. Mais s’il s’éloigne, elle se demanderait pourquoi. Elle se dirait sans doute qu’elle a fait quelque chose de mal. Et puis du côté de Melleah, maintenant qu’il s’est avoué ses sentiments, il se devait de lui dire que son cœur avait été pris. Il lui ferait du mal en disant cela, remettant en cause ce mariage entre leurs deux familles. Non vraiment, Ashter était au plus mal. Il aurait souhaité un énième mariage au-delà du Mur ou à Essos ou assez loin de l’Ouest pour ne plus y retourner. Disparaître. Cela pourrait régler le problème. Cela ferait sûrement du mal à certaines personnes mais il n’aurait pas à choisir. Sacha continuerait sa vie auprès de Cersei. Melleah se trouverait un autre mari, un qu’elle mériterait.

- Le Conflans est magnifique, j’ai pu faire de beaux dessins. Vos frères sont si adorables. Ce sont des enfants, ils sont forcément turbulents mais ça a été…

Ashter fit une pause. Ses pensées se bousculaient, tout était dans le désordre. Tout se mélangeait. Il restait bien à distance de Sacha. Il ne voulait pas se rapprocher. Il ne voulait pas la prendre dans ses bras. Il ne devait pas la prendre dans ses bras. Il ne devait pas l’embrasser. Il n’oserait pas. Même s’il en avait envie, il ne le ferait pas. Pourquoi avait-il fallu qu’il tombe amoureux d’elle ? Il savait que c’était interdit. À la seconde où il avait posé les yeux sur elle, il savait que c’était interdit. IDIOT ! Le voilà maintenant dans de beaux draps. Il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Et plongé dans ses pensées, à chaque nouvelle question, deux autres se rajoutaient. Son cerveau n’en pouvait plus. Ashter n’en pouvait plus. Il en avait mal au crâne. Il fronça les yeux et se massa la tempe. Il ne faisait plus attention à Sacha, il était enfermé dans ses questions, ses pensées. Il commença alors à marmonner. Il aurait pu se faire passer pour un fou. Il commença alors à regarder à droite, à gauche si personne ne les voyait, commença à faire les cent pas en marmonnant.

- Je… Je… Je ne peux pas… C’est pas bien… C’est interdit…

Il s’arrêta alors et son regard croisa celui de Sacha. Il s’était laissé consumer par ses doutes, ses questionnements. Ashter faisait face à Sacha qui devait se demander ce qu’il lui arrivait. Le jeune chevalier lui faisait face et plus aucun son ne sortit de sa bouche comme si un fil invisible avait scellé ses lèvres. Il se trouvait bien bête et ne savait plus dire, quoi faire. Là, maintenant, tout de suite, il aurait bien aimé être sous cet arbre, à Bulwark, qui lui servait de refuge quand il voulait se retrouver seul, loin de tout et de tout le monde, surtout loin des problèmes.

Elle avait compris. Ashter le voyait, le sentait. Elle avait très bien compris le but de cette entrevue. Le chevalier ne savait plus où se mettre, ni quoi lui dire. Il fallait qu’il renonce à elle, c’était inévitable. Il ne pouvait pas être avec elle. Les lois l’interdisaient. Il était l’héritier, il ne pouvait pas épouser une roturière. Et quand bien même il aurait été le cadet – sa place à sa naissance – ou le benjamin, il restait un noble et ne pouvait pas épouser une roturière. Il se recula, son regard ne quittant pas celui de Sacha. Son cœur se fendait, voyant dans le regard de celle qu’il aimait, qu’elle était aussi détruite que lui. Et pourtant, elle se montra digne, gardant son chagrin pour elle. Sacha était comme ça. Elle ne montrait pas ses sentiments, gardait tout pour elle, surtout devant Ashter. Le chevalier en était conscient et c’est l’une des raisons pour laquelle il l’aimait.

- Sacha…

- Vous allez vous marier Ser Ashter, je suis qu’une merde des rues. Cela serait trop déshonorant pour vous… De continuer à me fréquenter… J’ai apprécié passer du temps avec vous… Mais c’est impossible et… cela nous causerait, vous causerait, beaucoup trop d’ennui. J’espère que vous serez heureux. Je prierais pour cela.

Les mots de Sacha résonnèrent dans sa tête. Des mots précis ressortirent comme « déshonorant », « impossible », « ennui ». Et la phrase « J’espère que vous serez heureux » lui porta un coup au cœur, il en recula d’un pas. Il refoula ses larmes. Pourquoi pleurait-il ? Sacha n’était qu’une fille comme une autre, une fille qu’il ne méritait pas, une fille qu’il n’avait pas à aimer. Il serra sa main sur le pommeau de son épée, il forçait et sentait sa main lui faire mal. Il devait tenir. C’était de toute manière inévitable. Cela devait se passer ainsi. C’était mieux pour tous les deux. Mais il ne voulait pas qu’elle parte maintenant. Il ne voulait pas que ça se termine ainsi. Et pourtant, c’était ce qu’il y avait de mieux à faire. Renoncer. Renoncer à cet amour interdit.

- Je vous remercie Ser Ashter…

- Sacha… attendez…

- Au revoir.

Et Sacha partit, laissant Ashter seul, seul avec ses doutes, sa rage, sa colère. Il sentait que c’était monté au moment où elle est partie. Il ne s’attendait pas à cela. Il dégaina son épée et frappa de toute ses forcés le premier arbre qui se trouva sur son chemin. S’il ne s’était pas arrêté après six ou sept coups, il aurait bien fini par l’abattre. Il avait laissé ses larmes s’échapper. Il avait mal. Il avait honte. Il était soulagé. Pleins de sentiments se mélangeaient en lui. Mais désormais, il fallait se relever, continuer sa vie. Dans une lune, il allait se marier à Melleah. Melleah… La pauvre, si elle savait. Ashter se demandait s’il ne devait pas lui dire, qu’une autre femme avait volé son cœur. Elle devait le savoir. Après tout, c’était son droit. Et c’était le devoir d’Ashter d’être honnête et franc avec la femme qu’il devait épouser. Il se laissa alors tomber sur les genoux, plantant son épée dans le sol. Il était désemparé et aurait bien aimé partir loin, très loin. Après quelques minutes, il essuya son visage, se releva, rengaine son épée et repartit comme si de rien n’était. Le chevalier acceptait ce renoncement. Son cœur ne l’acceptait pas mais sa conscience si. Parce qu’il était l’héritier de Weslar Yarwyck, parce qu’il était un noble chevalier de l’Ouest, Ashter devait accomplir son devoir et renoncer à Sacha, renoncer à cet amour interdit. Il ramassa alors l’épée de son frère et se rendit dans sa chambre sans passer par le terrain d’entraînement. Le lendemain, un bal masqué a lieu pour le retour de Lord Tywin à Castral Roc, Ashter devait s’y préparer gardant son esprit tourmenté occupé. Cependant, le renoncement n’était pas si facile que ça et Ashter allait s’en rendre compte plus vite qu’il ne l’aurait imaginé.

À suivre…