Because You're My Brother, And Therefore One Half Of Me ❀ Loras Tyrell
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Because You're My Brother, And Therefore One Half Of Me
An 298 | Lune 11
Loras & Margaery
L'Union de la Rose avec le Lion était de toutes les bouches. La délégation Lannister, présidée de lord Tywin en personne, avait franchi les portes de Hautjardin en grande pompe, et les fiançailles entre Loras et Cersei Lannister - de seize années son ainée ! - avaient été annoncées, et fêtées avec les honneurs dûs. On avait dressé un grand buffet sur les berges de la Mander, et largué de minuscules embarcations sur lesquelles flottaient de petites sculptures faites de roche et de fleurs pour symboliser les deux familles. On avait bu, on avait dansé et chanté à la gloire des futurs époux, et planté de grands arbres fruitiers comme c'était la tradition chaque fois qu'un enfant Tyrell écrivait une nouvelle page de son histoire. Autour d'elle, les jeunes gens de Hautjardin n'étaient que liesse et bonheur ; pourtant, de l'autre côté de la salle des fêtes, tandis que les fiancés étaient auréolés de vivas, Margaery observait l'étrange couple et ne pouvait que constater ce qui était, hélas, prévisible : les principaux intéressés étaient, à part égales, les seuls que ce projet n'enchantait pas. Et l'euphémisme était grand !
« C'est bien la première fois que le Chevalier Aux Fleurs n'a rien de chevaleresque... » observa tranquillement la voix piquante à sa droite. Trônant dans sa chaise comme la véritable "Reine des Epines" qu'elle était, Olenna Tyrell venait de commenter la scène étrange qui venait de se produire sous leurs yeux : d'un geste rageur, Loras avait brusquement quitté la table d'honneur pour se précipiter au dehors. Le petit rire dédaigneux de sa grand-mère arracha un pincement au cœur de la jeune fille qui, d'une voix douloureuse, rétorqua : « Avouez, Grand-Mère, que la situation ne lui est pas enviable ! Fallait-il vraiment que cela tombe sur lui ? » « Et sur qui voulais-tu que cela tombe ? Willos ? Il est le futur de cette maison, je n'allais pas lui donner une demi vieille qui risque de ne lui donner qu'une fille morte-née ! » « Grand-Mère ! Cersei est... » « Vieille. L'alliance avec les Lannister leur est vitale autant qu'elle est déplaisante pour nous. C'est assez bien illustré, non ? » C'en était trop. D'un geste qu'elle espérait doux, Margeary se leva, salua Olenna et quitta la salle des fêtes, non sans un signe de tête à l'égard de Cersei. Leurs regards se croisèrent ; et ce qu'y vit Margeary lui fit froid dans le dos. S'excusant auprès de son père qui voulait la faire danser avec un gentilhomme Florent, la jeune fille prit la porte dans laquelle Loras s'était engouffré quelques minutes plus tôt et, lorsqu'elle fut certaine de ne pas être suivie, ramassa ses jupes et se mit à courir dans les couloirs. Avec certitude, il s'était réfugié dans une des tours délaissées du château, où la légère brise biefoise se faisait plus forte et plus froide qu'à l'accoutumée. Une piètre imitation des vents qui secouaient Accalmie, et qui avaient le don de calmer les ardeurs de son frère lorsqu'il entrait dans ses mauvais tourbillons. Solitaire, Loras se défoulait souvent sur un morceau de bois, voir sur une colonne de pierres ; mais ce soir, Margaery ne pouvait pas le laisser seul. Elle savait qu'il avait besoin de déverser ses aigreurs, et qu'elle était la seule à laquelle il accepterait de se confier.
Lorsqu'elle trouva enfin l'entrée de la tour, elle entendait déjà les conséquences de la rage de son frère et son cœur se serra. S'ils se ressemblaient beaucoup physiquement, Loras n'était pas doté de la même capacité pragmatique que sa benjamine, ce qui rendait cette affaire pour lui insupportable. Elle ne voulait même pas imaginer combien il devait souffrir, d'autant plus que son cœur était ailleurs. Il le lui avait confié quelques Lunes auparavant, alors qu'il avait bu beaucoup plus que de raison à l'annonce de ce projet de fiançailles. Déjà, Margaery avait craint un sursaut ; gravissant les marches quatre à quatre, la jeune fille comprenait à présent qu'elle avait mal évalué les risques. D'ailleurs, lorsqu'elle arriva enfin au sommet, elle trouva la porte fermée. Derrière, les cris de Loras étaient plus forts que jamais et d'un geste vif, elle tambourina sur le mauvais bois de toute la force de ses petites mains. « Loras ! Ouvre, c'est moi ! » Le vacarme cessa, mais la porte ne s'était pas ouverte. Elle se rendait compte qu'elle avait crié pour se faire entendre, et posa une main sur sa bouche, surprise par sa propre violence. S'approchant de la serrure, elle posa ses lèvres dessus et implora, plus bas : « Ouvre, Loras. Parle moi... je ne supporte pas de te voir dans cet état. S'il te plait, ouvre moi... »
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An 298 | Lune 11
Loras & Margaery
Ils semblaient si insouciants à travers leurs rires contagieux. Pourtant, ils n’en avaient pas le droit. Pourquoi pouvaient-ils se réjouir de ce qui lui rongeait les tripes, petit ver d’angoisse ? Leurs sourires s’agrippaient à lui tels de petits porc-épic. ne le quittaient jamais même lorsqu’il fermait les yeux. Estampés sur le canevas noir de son regard éteint, ils lui rappelaient que nous ne pouvions pas fuir si facilement ce qui se trouvait tout juste devant nous. L’atmosphère du Bief lui sembla soudainement plus lourde et plus chaude. Non pas cette chaleur agréable qui aimait notre peau comme les bras d’un être cher, mais celle qui nous écrasait. D’où pensaient-ils pouvoir jouer autour de lui une pièce dont le rôle qu’on lui avait attribué était misérable et aliénant ? Hautjardin était toujours aussi belle, animée par ces festivités qu’il aimait tant, habituellement. Elle l’engloutissait, forte, de cette illusion de liberté et de protection. Sa maison laissait se dessiner sur elle une mascarade qui le méprisait. Chaque mot d’encouragement, chaque belle parole, sonnait à ses oreilles comme une moquerie de mauvais goût. La bulle qui l’enveloppait de plus en plus, au même rythme que la céphalée qui ceignait son crâne, estompait le monde qui évoluait autour de lui. Aucun mot ne franchit la bouche de Loras et aucun regard ne s’adressa à qui que ce soit lorsqu’il se leva brusquement de table. Sa main tremblante s’empara de sa coupe dorée et, les lèvres pincées, il quitta l’assemblée d’un pas rapide et décidé. Il n’avait plus à faire ici. Les iris perplexes qui s’étaient posés momentanément sur lui l’avaient quitté. Il sentait la joie gluante s’agglutiner à nouveau à sa peau. Elle le dégoûtait. Il voulut se retourner et obliger chacun d’entre eux, un doigt au creux de leur gorge, à vomir ce bonheur intolérable. Qu’ils éprouvent ce qu’il ressentait vraiment, ce qui se cachait sous ce sourire faux qu’il avait porté ces dernières heures.
Les effluves floraux caressaient son nez comme le vent le fit à sa nuque. Loras aimait cette nature colorée qui animait ses sens, mais elle ne lui était d’aucun réconfort. Le plus vite il s’éloignerait de ces gens, mieux il se porterait. Il sentait l’étau se resserrer autour de lui, son cœur cogner violement contre les parois de son squelette. S’il avait fait de son mieux pour conserver son calme lorsqu’il se trouvait à la table, plus il s’approchait du château, plus son regard se faisait fuyant et ses sens à fleur de peau. Lorsque Willos s’introduit dans son champ de vision, l’adolescent longea le mur pour ne pas qu’il le remarque. Jouant au sourd, il ignorait les gens qui l’interpellaient, interloqués par son pas rapide qui trahissait son chamboulement. Le biefois s’engouffrât dans le château, laissant derrière lui les festivités et les fleurs. Il prit l’escalier dans le couloir de gauche et en monta les degrés deux par deux, le souffle court et l’estomac serré. Alors qu’il sentit une boule d’il-ne-savait-quoi se lover au creux de son larynx, le garçon courut ce qu’il lui restait à monter, poussa la porte de bois et la claqua derrière lui. Le dos collé contre cette barrière entre lui et le monde, il avala d’une traite le liquide amer qui reposait encore dans la coupe qu’il laissa tomber au sol.
La Rose dorée mêla ses doigts au creux de ses boucles, tirât sur celles-ci comme pour s’agripper à lui-même. Il ne voulait pas se perdre. Il savait qu’il n’était pas le maître de ses émotions, qu’elles prenaient toujours le dessus et qu’elles le noyaient. Elles l’étouffaient, il suffoquait sous leur poids. Lorsqu’il leva les yeux dans l’espoir de trouver de l’aide, il ne vit que sa solitude. Sa voix si douce éclata en un cri qui se mélangea aux exclamations de joies qui pénétraient indiscrètement par la fenêtre. Sa gorge se serra et son ventre se tordit. Ses mains, qui n’étaient pas assez fortes, lâchèrent ses cheveux. Il serra les poings si fort que ses ongles percèrent la peau pâle de ses paumes. On ne lui avait jamais appris à contrôler ses émotions. Il n’avait pas de filtre. À six ans, nous l’avions balancé au sein d’une famille qui ne tournait pas toujours bien rond. Il ne savait pas comment enterrer tout cela au fond de lui. Instinctivement, l’adolescent se mit à taper sur tout ce qu’il pouvait. Ses jointures s’égratignèrent contre la pierre froide de ses murs, mais c’était à travers la douleur qu’il se sentait le plus vivant. Il souhaitait avoir la force d’un buffle pour les détruire, pour se défaire de cet emprisonnement qu’il s’imposait quand tout glissait entre ses doigts et qu’il perdait le contrôle. Et il cria à nouveau. Il ne se souciait pas des parcelles de son qui pouvaient parvenir aux oreilles des ingrats sous sa fenêtre. Il n’était pas mieux qu’un enfant : tout ce qui croisait ses mains ne restait pas en place. Si le chaos envahissait ses esprits, il fallait qu’il se matérialise. Soudain, il s’immobilisa lorsqu’une voix douce qu’il connaissait trop bien se faufila dans ses oreilles et réchauffa son cœur. Lentement, sa colère fit place à une tristesse qui le paralysa et l’empêcha de répondre immédiatement à la perle qui se trouvait de l’autre côté de la porte à sa princesse.
Il ne pleurait pas. Dans l’Orage, l’éducation que nous lui avions donnée était stricte : les hommes ne versaient pas de larmes. Ils n’avaient que le droit d’avoir la gorge serrée et, parfois, de cacher leur visage contre leur oreiller que l’amertume rendait aussi inconfortable que de la paille. Respirer l’odeur familière de leurs draps pour se rassurer ; s’y allonger, figé comme à une civière. Loras s’était réfugié au creux de son lit, le dos contre la tête de celui-ci. L’oreiller qu’il serrait contre lui le protégeait de la réaction de sa sœur. Au fond de lui, il savait qu’elle ne le jugerait pas, mais il était dans un état où la rationalité n’existait pas. Il avait le regard perdu d’un enfant et la gorge enrouée d’avoir trop crié. La voix de Margaery résonna à nouveau et Loras leva la tête vers la porte qu’il n’avait pas verrouillée « Tu peux entrer, Margaery… » marmonna-t-il, mais suffisamment fort pour que sa petite sœur puisse l’entendre. Il déglutit le peu de salive qu’il lui restait, mais elle ne passa par où elle aurait dû. Surpris, le visage du Tyrell s’empourprât et il toussa pour essayer de la faire passer. Il râcla sa gorge désormais plus douloureuse, mais il ne s’étouffait plus.
Loras leva à nouveau ses prunelles d’ambre vers la porte qui venait de s’ouvrir. Un fin sourire peu motivé souleva les coins de ses lèvres. Il n’avait pas envie de le faire, mais il ne voulait pas qu’elle s’inquiète trop. Il détestait lorsqu’elle le voyait dans cet état. Cela abîmait l’image du grand-frère parfait qu’il tentait de projeter, de celui seul qui pouvait la protéger contre ce monde trop brusque. Il ne voulait pas qu’elle le voit comme celui qui montait sur ses grands chevaux dès qu’un obstacle émotif se dressait devant lui, même s’il était probablement déjà trop tard. Pourtant, il baissa le regard et fixa ses pieds. « Je ne veux pas qu’elle dorme dans ce lit. » Sa voix s’échappa en un soupir. « Il ne lui appartient pas. » Enfin, ce n’était que des futilités qui n’étaient clairement pas à la source de ses émotions excessives – d’autant plus qu’ils n’étaient pas encore mariés –, mais les petits mots pouvaient dire de grandes choses. Il rêvait de gravir les échelons, mais nous avions tué ses rêves dans l’œuf en lui offrant une quasi-momie. Il avait besoin d’ouvrir son cœur à Margaery, il avait besoin de ses oreilles et de ses bras. De sa voix et de son amour. Sa silhouette repliée sur elle-même était caressée par le soleil tiède de la fin d’après-midi, par le vent qui soufflait contre sa nuque tendue et sa mâchoire serrée. Loras déposa son oreiller sur ses genoux et enfouit visage au creux des plumes. Encore et toujours, la musique et les voix joyeuses s’heurtèrent aux murs de sa chambre en une vibration qui lui semblait tragique.
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An 298 | Lune 11
Loras & Margaery
Après de longues minutes qui lui avaient semblées interminables, il lui permettait d'entrer. Elle qui avait cru la porte fermée se rendait compte qu'il s'agissait simplement d'un mystère conjuré par la pierre qui à certains endroits, suintaient d'eau - la Mander avait dû s'évaporer avec la chaleur des derniers jours - et l'âge du bois de la porte qui demandait sérieusement réparation. Aussi, elle poussa sur le mécanisme qui, après une légère résistance, lui livra passage. D'un pas décidé, elle entra dans la pièce pour refermer immédiatement la porte : inutile qu'un visiteur impromptu, du reste sans doute envoyé par leur père ou leurs frères, s’immisce dans la confession. Ce qu'elle vit alors lui fendit le cœur : à l'extrémité de la pièce, qui n'était déjà pas très grande, la pauvre silhouette de Loras gisait plus qu'elle ne se tenait en son centre. Ses cheveux lui barraient le visage où elle ne voyait pas de larmes et pourtant, il avait dû faire quelque chose pour que cela lui empourpra à ce point le visage. Lorsque finalement il daigna lever les yeux vers elle, Margaery cru qu'on lui arrachait une part d'elle-même : il semblait perdu, à la dérive, et du même coup honteux et misérable.
Revêche, seul défense qu'il semblait encore trouver à son comportement, il cracha son dépit à l'encontre de sa fiancée, à laquelle il n'accordait ni nom, ni couche. Pour toute réponse, et espérant être moins dure qu'il n'y paraissait, Margaery rétorqua : « Pour l'instant, personne ne dort avec personne. Nous n'en sommes pas encore là... » Elle s'avança vers lui, tendant une main ouverte et chaude dans laquelle il pourrait glisser la sienne. Le reste de son corps suivrait naturellement, comme un enfant malheureux retrouve le giron maternel, un navire à la dérive son port d'attache, une brindille le feu de cheminée. Elle le laisserait venir à son rythme, comme à chaque fois qu'il essayait, pendant un temps, de se montrer fort. Elle lui avait pourtant répété de nombreuses fois qu'elle n'en avait cure et qu'entre eux, elle préféraient lui être une présence réconfortante plutôt que le prétexte à un masque. Loras avait été mal bien avant ce soir, et il était temps à présent pour lui de se confier. Il savait que jamais elle ne trahirai sa confiance, et qu'elle aurait toujours pour lui une oreille attentive et un conseil avisé. Car une fois l'explosion de tristesse passée, il lui faudrait bien reprendre le dur chemin de la réalité. Mais tout devait venir en son temps : d'abord la confession, ensuite l'action. « Viens... » murmura-t-elle tout bas, comme on tente d'amadouer un animal blessé, et trop craintif pour penser ses plaies. Prudemment, elle mangea les quelques mètres qui les séparaient et, avec une délicatesse infinie, posa une main sur la couronne de ses cheveux bouclés. Un geste doux, apaisant, présent. Seuls deux êtres liés par une connaissance aveugle l'un de l'autre pouvaient ressentir ce qu'elle éprouvait à l'instant. Et cela avait toujours été ainsi : dès qu'il avait mal, elle avait mal. L'année qui les séparait semblait avoir été une fantaisie des Dieux car en vérité, ils étaient les deux faces d'une même pièce. « Assieds-toi... Allez... » lui intima-t-elle alors, passant sa main libre sous l'un de ses bras et doucement, le força à se laisser aller contre les draps froids du lit.
Ils restèrent ainsi assis durant de longue minutes, sans qu'aucun ne dise un mot. Du reste, ce n'était pas à elle de parler. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était l'écouter, lui laisser la possibilité d'extraire de son cœur et de son âme meurtrie toute la bile accumulée durant les dernières semaines. Elle revoyait encore, comme figé dans le marbre, à l'annonce paternelle. Tous avaient été réunis autour de lui : Willos avec sa mauvaise jambe, Garlan au bras de son épouse, lui-même et Margaery, dans l'ombre de sa grand-mère. Les deux femmes venaient tout juste d'apprécier une tasse de thé dans les jardins lorsqu'un page leur annonçait que lord Tyrell souhaitait sa famille auprès de lui. Elle se souvenait bien avoir harcelé Olenna de question sur le chemin mais comme à son habitude, la Reine des Epines ne pipait mot lorsqu'elle l'avait décidé. Pas même sa petite fille, son joyau, sa "plus belle réussite" comme elle l'aimait à l'appeler, ne pourrait en tirer quoi que ce soit lorsqu'elle gardait le silence. « Ton père t'expliquera ! » L'explication était tombée quelques minutes plus tard, et Margaery avait instinctivement cherché le regard de son frère : inexpressif, si ce n'était glacé. Et voilà où cette annonce l'avait mené : reclus, prostré dans un coin du château, à devoir cacher à tous son malheur, pour le bien de la famille.
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An 298 | Lune 11
Loras & Margaery
Le nez blottit au creux de son oreiller, les bras entourant ses genoux si fragiles – tremblant, il craignait de s’effondrer s’il se levait à nouveau –, Loras inspira. Expira. Et il recommença, ainsi de suite. Sa sœur n’était pas encore à côté de lui, mais il sentait sa présence douce et rassurante, son parfum fleurit qui voguait jusqu’à lui, allumaient ses sens comme la vue d’une mère qui suffisait à apaiser un bébé qui pleurait. S’il semblait raffermir son calme qui avait malencontreusement déraillé, ce n’était qu’en extérieur. Ses pensées étaient encore, au fond de sa tête, une tornade dévastatrice qui déchiquetait à l’instant toutes les jolies pensées qui tentaient de faire leur chemin jusqu’aux plus sombres. Sa respiration était inconstante et sifflante contre son oreiller, se faufilant au travers d’une gorge serrée que l’orgueil empêchait de se laisser aller en couinements de détresse. Ses yeux se fermèrent, avalant le blanc du coussin et le filet de lumière qui l’agaçait. Même après quelques secondes, il restait, au fond de ses oreilles, des bribes de la voix douce de sa princesse. Elle était comme le vent qui caressait la mer, à Accalmie : calmante et rassurante, enveloppante comme une couverture de laine. Devant ses yeux fermés, au rythme de ses respirations, il imaginait les plumes de son oreiller s’échapper et virevolter autour de lui comme les canards qui les portaient avant ; tombant au sol et se relevant au même rythme qu’un battement de cœur. Malgré l’angoisse que les mots vrais et rationnels de sa sœur n’avaient pas su éteindre, l’adolescent hocha la tête. Sans vouloir l’admettre, il savait qu’elle avait raison. Son cœur se calma, battait désormais moins fort, mais il n’arrivait pas à chasser de sa tête l’anticipation, la nuit qui suivrait son mariage, cet acte humiliant que nous le forcerons à accomplir. Timidement, il leva la tête et observa à nouveau la seule femme – hormis sa mère – qu’il aimait autant. Sa main comme une corde qui l’empêchait de tomber plus bas qu’il ne l’était déjà. Ses lèvres pincées s’entrouvrirent, mais ne laissèrent s’échapper qu’un gémissement plaintif qui illustrait sa détresse qu’il ne sentait plus le besoin de cacher ; ses mots étaient morts au fond de sa gorge sèche.
La Rose dorée ne semblait pas pressée. Il savait que Margaery ne partirait pas en le laissant seul avec son mal. Qu’elle ouvrirait son cœur en le laissant y plonger comme dans un grand lac d’amour et de compassion. Ils avaient toujours été là l’un pour l’autre, dans les joies et les colères leurs cœurs battaient en harmonie ; même lorsqu’il était encore à Accalmie, ses pensées le ramenaient vers elle, ombre dansante sur la scène de ses souvenirs. Mollement, il laissa son oreiller glisser sur ses genoux. Il l’observa jusqu’à ce qu’elle touche ses pieds. D’un geste, il la chassa de ses orteils. Au fond de ses yeux régnait une lueur qui rappelait qu’il n’était qu’un enfant, qu’à seize ans sa carapace ne s’était pas encore fendue ; qu’il vivait dans l’illusion d’être un adulte presque accomplit. Il ne l’avait pas vue s’avancer jusqu’à lui, mais lorsque sa main tendre se fondit à ses boucles son cœur manqua un battement et il voulut se blottir immédiatement au creux de ses bras chauds, se laisser bercer affectueusement. Ses yeux d’ambre se levèrent vers elle, l’implorant de le protéger du monde. S’il s’était mis dans la tête que son devoir – et son devoir à lui seul – était de la protéger, il ne pouvait pas nier que c’était quelque chose qu’ils faisaient mutuellement. Depuis leur naissance, chacun d’eux s’appuyait sur l’autre. Elle était si belle, sa sœur. En la regardant, ses yeux devinrent humides et son regard sincèrement triste. Ses prunelles plongées dans les siennes, son corps tendu sous l’angoisse se détendit. Il ne faisait plus preuve de résistance physique et lorsqu’elle passa son bras sous le sien pour l’inciter à la suivre, il le fit instinctivement. Ses dents mordirent sa lèvre inférieure et ses traits d’anges s’étaient arrondis en une moue de chiot battu. Cette âme précieuse qui s’emmêlait à la sienne en une fusion quasi-parfaite lui donnait le droit de ne pas être fort, de ne pas se forcer à être un homme modèle. Il pouvait être lui-même ; blessé et immature. Dès lors, Loras se laissa couler sur les draps de son lit, les froissant entre ses longs doigts crispés. La joue tout contre le matelas, Loras ferma les yeux et resta silencieux. Elle ne le forcerait pas à parler. Elle le laisserait prendre son temps, comme elle l’avait toujours fait. Elle était plus douce que lui. Les jambes repliées, en position quasiment fœtale, il cherchait tout de même un contact physique avec sa sœur. Même s’il était étendu, dos à elle, il ne décolla pas son dos de ses jambes. La chaleur de Margaery le rassurait. Lorsqu’il réussit à rassembler tous les mots qu’il voulait dire, tous les sentiments qu’il devait exprimer, ses ongles cessèrent de pincer les draps et il se retourna sans se redresser. Comme lorsqu’il était enfant, Loras posa sa tête sur les genoux de la jeune femme.
« Ce n’est pas la première fois qu’on me propose des fiançailles… » Soupira-t-il. Des images de jeunes filles nobles du Bief, et même de l’Orage, surgissaient de sa mémoire. Il ne les aurait jamais aimées comme il pouvait aimer un homme, mais elles étaient jeunes et une amitié aurait pu naître entre eux ; c’était déjà mieux que rien. « Tu sais, j’ai toujours pu refuser avant, Papa et Mamie n’ont jamais rien dit, mais maintenant je ne peux pas… Je n’ai pas le droit ; le Lannister ne le laisserait jamais passer. Pourquoi ne l’ont-ils pas fiancée à Willos ? Elle est vieille ! » L’air boudeur revenu à son visage. Sur le coup, perdu au fond de ses sentiments égoïstes, Loras avait oublié les fiançailles de Willos à la jeune princesse Targaryen ; un honneur pour la famille. Il ferma les yeux, inspira doucement et remonta ses genoux contre lui. Une main vagabonde attrapa une mèche des cheveux bruns de sa sœur. Calmement, il l’entortilla autour de son index. Il se souvenait de lorsqu’ils étaient enfants. Quand il venait en visite lorsqu’il était encore à Accalmie, parfois, il aimait lui faire des couronnes de fleurs et les déposer sur sa tête, lui dire qu’elle était la Reine. Sa Reine. Il la trouvait jolie dans ses robes pâles, le sourire remontant ses joues rondes. Il aimait la regarder danser et se dire que personne d’autre n’avait une sœur pareille. « J’ai peur, Margaery… » Marmonna-t-il d’une voix presque sourde. Ses mots se coincèrent dans sa gorge, mais parvinrent à en sortir, tordus comme de vieilles fourchettes. « J’ai peur de ne plus jamais le revoir, qu’il ne m’aime plus. » Son doigt abandonna les cheveux délicats et sa main tomba mollement sur la jupe de sa sœur qu’il tritura distraitement. Il aimait la texture du tissu sous ses doigts, qu’il soit de la robe de sa sœur ou du drap de son lit, la douceur le rassurait. « J’ai peur de ne pas être capable d’accomplir mon devoir et d’en subir les conséquences… » Il ne savait pas si cela se serait mieux passé avec une femme plus jeune ; peut-être aurait-il pu trouver une solution qui aurait contenté les deux partis. Mais Cersei semblait si malcommode, si peu ouverte à ce qui évoluait autour d’elle. Il n’avait pas eu une bonne première impression de cette femme. « Je n’ai pas envie que le futur arrive. » Sa voix, soudainement, se fit toute petite comme celle d’un enfant. Il ne se sentait pas prêt à assumer ses futures responsabilités, à être un adulte. Tout pour lui, en ce moment, n’était qu’un jeu qui commençait à déchanter abruptement.
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