"Hands of Gold" | Flashback | pv Tywin Lannister
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Hands of Gold
An 297 | Lune 2 | Semaine 4
Tywin Lannister&Daemon Sand
Un rugissement soudain fit vibrer les hautes tribunes. Sous le soleil d'or de midi, Castral Roc acclamait le champion d'une seule et même formidable voix. L'étalon bai de ce dernier broncha et feinta de côté, surpris par le bruit, dans un petit saut de cabris. L'animal fouilla, relevant sa queue à la manière d'une bannière de soie en un panache de crins aussi noirs que brillants, passant ses grands yeux inquiets sur le monde qui l'entourait. Sur le bouclier de son maître luisait la main dorée de la Grâcedieu. Abruti par la clameur, le cavalier levait un regard abasourdi vers la foule, ses iris pâles brûlés par le soleil ne lui permettant de ne distinguer rien d'autre qu'une masse ombreuse et mouvante sur les bancs. Il plaça sa main en visière mais cela n'y changea rien. Les rayons du jour frappaient son armure dornienne de lumière, jouant dans la cotte de maille et les écailles aux tons cuivrés. Ses yeux bleus cherchaient la silhouette de l'adversaire derrière lui, mais ils ne rencontrèrent que la poussière soulevée par la course et qui demeurait en suspens au dessus de la lice, faute de vent pour la porter au loin. Les sabots de son cheval frappaient le sol labouré par les coursiers qui les y avaient précédé. Tous étaient tombés. Ce ne fut qu'après quelques secondes emportées par son apathie passagère que Daemon réalisa pleinement qu'il était le dernier en selle.
A presque vingt ans, il était l'un des mercenaires à la réputation la plus sulfureuse du continent. Puisque sa bâtardise désinhibait souvent ses employeurs qui n'hésitaient guère à lui soumettre des requêtes dont la bassesse n'était, selon eux, pas digne d'un véritable chevalier. Jongler entre les valeurs chevaleresques et les besognes les plus avilissantes était sa croix. Ses succès, de ce fait, étaient rarement acclamés comme en ce jour. Cette fierté dénuée de honte ou d'amertume, le Sand la savourait pleinement comme un enfant, répondant au triomphe qu'on lui faisait en levant sa lance brisée vers le ciel au dessus d'eux avant de la jeter au sol. Dans son exaltation, il n'eut qu'un seul regret: que le Prince Oberyn ne fut pas là pour le voir victorieux.
Un large et fin sourire étirait finalement ses lèvres, tandis qu'une joie exaltée rosissait ses joues et faisait luire ses yeux bleus d'une lueur glorieuse. Ses talons effleurèrent les flancs de son cheval qui s'élança dans un galop serein. C'était la première fois. La première fois qu'il retrouvait les tonnerres d'applaudissements qui l'avaient accompagné durant ses premières joutes à Dorne, la première fois aussi qu'il était reconnu en dehors des frontières de la Principauté d'une manière si complète, si absolue. Lorsque, quelques foulées plus loin, il passa à côté de son dernier opposant, il ralentit l'allure. S'amusant de l'enthousiasme de la foule, il rejeta en arrière d'un geste négligeant de la main les crins alezans qui ornaient le cimier de son heaume et qui retombaient sur son épaule comme une fille l'aurait fait de sa chevelure. Cette espièglerie qui le prenait parfois sur la lice venait craqueler sa figure austère et profondément militaire d'une aura mutine. Son arrogance portait l'exotisme insolent des hommes de sa région, et sembla ravir la plupart des spectateurs, qui l'applaudirent de plus belle alors qu'il traversait la piste. Daemon s'appliqua cependant à maintenir son pur-sang au cou de cygne dans la lumière, profitant de ce moment plutôt que de se replier dans l'ombre pour longer les tribunes. Se sachant gracieux à cheval, un sourire satisfait ourlait ses lèvres lorsqu'il entendait scandé son surnom. Et peut-être sa véritable victoire se cachait en réalité dans ce "Bâtard" que l'on martelait non plus pour l'insulter à cet instant, mais pour le célébrer. Mis à part la coquetterie première qu'il avait offert au public, sa célébration demeurait plutôt sobre et Le brun se contentait de laisser le destrier étirer ses jambes avec élégance sur la piste.
Le jeune fils de Ryon avait triomphé. Enivré par les Hourra, la poitrine gonflée par la fierté, ses yeux faillirent ne pas rencontrer la silhouette menue qui tentait de ne pas se faire distancer par son coursier des sables. Agitant une main, le page tentait désespérement d'attirer son attention. Le visage rougeaud de la petite course qu'il avait effectué en flanquant avec plus ou moins de distance le destrier à la robe rouge, l'ouestrien avait la respiration sifflante lorsqu'il géignit d'une voix presque douloureuse:
"S...Ser... Arretez-vous, Ser...Ha..."
Le menton levé et le port altier, toute l'attention du Sand n'allait qu'aux tribunes qu'il saluait avec nonchalance. Il aurait bien continué ainsi plusieurs minutes lorsqu'il sentit soudain une main chaude et replète se poser sur son genou. Le Sand décocha un regard noir à son interlocuteur sans abaisser son bras pour autant. Sa jambe se crispa, décourageant le garçon de prolonger le contact qu'il avait entrepris. Ce dernier retira sa paume comme s'il l'eut posé par inadvertance sur un tas de braises. Le nez froncé par le dédain, Daemon releva à nouveau son visage vers ceux qui clamaient son nom, n'écoutant plus que d'une oreille distraite le son fluet qui sortait de la bouche de l'écuyer.
"Vous devez aller au pied..au pied de la Tribune du Lion" souffla-t-il à nouveau, dans une voix qui devait se forcer pour couvrir la rumeur des applaudissements. Une moue contrariée lui répondit. Il devait se justifier pour convaincre le jeune dornien d'obtempérer. Il se pressa donc de plus belle: "Votre récompense, Ser! On va vous la remettre."
Sous le heaume, les yeux du brun s'arrondirent avant de retrouver leur allure effilée, un éclat avide et curieux logé au fond de sa rétine alors qu'il consentait enfin à guider sa monture trottante vers la fameuse tribune. Son jeune compagnon poursuivit la route à ses côtés, comme accroché à sa botte. Enfin, il s'arreta. Naturellement droit sur sa selle, il n'y avait que la rigueur de son éducation dévote pour masquer quelque peu la nonchalance qui aurait tôt fait passer son attitude pour une insulte ouvertement adressée à la noble assistance. Enserrant son casque de ses deux mains, il entreprit de le retirer, se libérant enfin de l'odeur de métal. Même au coeur de la lice, le Sand pouvait humer, caché quelque part entre l'odeur du sable frappé par le soleil, la transpiration de son cheval et le bois des tribunes, le parfum des embruns. Alors qu'il cherchait des yeux des têtes connues sur les bancs, une curiosité d'enfant lui tenaillait l'esprit. Qu'avait-il gagné? S'il s'en était donné la peine sans doute aurait-il pu lire cette même interrogation dans les yeux des vaincus. Soudain, un intérêt commun attira l'attention de la foule, la poussant à un silence respectueux qui s'installa avec une discipline propre aux terres de l'Ouest. Suivant cette vague de concentration, Daemon observa avec intérêt la silhouette sombre qui se distinguait de la multitude.
Avec un ton qui préconisait la prudence comme si le dornien s’apprêtait à entrer dans une cage abritant un fauve le page lui conseilla dans un presque murmure: "Vous devriez mettre pied à terre, Ser. Je...Ah!" Un coup de tête brusque de la monture du chevalier avait fait sursauter le jeune garçon qui se décida finalement à se taire, sans pouvoir rien faire de plus, si ce n'était de lever les yeux vers
le profil dédaigneux du bâtard.
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An 297 - Lune 2 - Semaine 4
Daemon Sand & Tywin Lannister
La foule était en effervescence. Partout on acclamait, criait, applaudissait le vainqueur. Le tournoi avait mis en lumière nombre de jouteurs et chevaliers émérites. Les combats avaient été grandioses, à la hauteur de ce que le Vieux Lion avait espéré. Il n’était pas très enchanté par ce genre de divertissement et il ne l’a jamais été d’ailleurs. Avant la mort de Jaime, il les trouvait juste bon pour les jeunes filles en fleur, pouvant ainsi se pâmer d’admiration pour leur champion et favori et rêver de se retrouver dans leur bras une fois la nuit venue. Jaime ne faisait pas exception, car il avait souvent vu ces mêmes jeunes filles se presser vers lui dès que l’occasion se présentait, histoire de lui lancer un mot d’encouragement ou de félicitations, espérant naïvement que son fils se souviendrait d’elles et lui accorderait ses faveurs. Mais jamais une telle chose ne s’était produite, il y veillait personnellement. Son fils était un chevalier et, en tant que son héritier, il devait l’éduquer à assumer son futur rôle qui serait un jour le siens. Mais l’avenir en a décidé autrement et maintenant, depuis sa mort, nombre de choses ont changé…
Il n’avait plus ni assister ni donner de tournoi sur ses terres depuis sa mort. Cependant il sentait bien que ses gens commençaient à se morfondre dans le calme plat qui régnait sur les Terres de l’Ouest depuis le décès de Jaime. Il décida donc de remédier à la situation et, si son cœur ne sautait guère de joie à cette idée, il organisa un grand tournoi à Castral-Roc dont la récompense était un magnifique œuf de dragon ramené de lointaines contrées oubliées.
Les meilleurs jouteurs avaient été conviés et, chose exceptionnelle, le Vieux Lion avait également permis les inscriptions libres pour tout volontaire qui désirerait venir tenter sa chance. Les plus nobles représentants de l’Ouest vinrent assister et prendre part aux festivités. Certains chanceux eurent une place de choix dans la loge seigneuriale, aux côtés de Lord Tywin et de son frère, Ser Kevan, venu pour l’occasion avec sa femme, Lady Dorna, et son fils et héritier, Lancel Lannister. Lady Cersei et Lord Tyrion se trouvaient eux aussi dans la loge seigneuriale. A son habitude, Tyrion se trouvait assis sur son siège rehaussé, un verre de vin à la main. Cersei elle, faisait son possible pour ignorer son frère cadet et se concentrer sur le spectacle, lâchant de temps en temps un commentaire aux oreilles de son père. Elle était radieuse. Les hommes n’avaient d’yeux que pour elle et le Seigneur son Père, tandis que les femmes jalousaient sa beauté. Lord Tywin était vêtu d’un habit de brocard noir élégamment brodé de fils d’or, une broche d’or au motif du Lion Lannister fermant son col. Des bottes souples de cuir noir qui lui montaient presque jusqu’aux genoux et une cape rouge-bordeaux fermée et attachée de côté pour lui revenir sur l’épaule gauche parachevaient sa tenue, que son épée d’apparat qui ornait sa ceinture venait décorée.
Il avait assisté au tournoi calmement, applaudissant légèrement lorsqu’une parade était habilement menée, répondant aux commentaires de son frère ou de sa fille par des phrases simples, et saluant de temps à autre les nobles et leurs dames qui le remerciaient de son invitation et de ces jeux. Mais lorsque le vainqueur remporta le tournoi, il ne put s’empêcher d’applaudir plus fortement et fit même une chose à laquelle personne ne s’attendait. Il se leva et applaudit debout, reconnaissant ainsi les grandes qualités du vainqueur et lui faisant un très grand honneur, surtout venant de sa part. Lui debout, c’est toute la loge seigneuriale qui l’imita. A cet instant, Kevan, tout en applaudissant, se pencha légèrement vers lui, pour que son frère puisse l’entendre sans qu’il n’est trop à élever la voix pour couvrir le bruit de la foule :
Voilà qui était fort bien jouté. S’il est aussi habile au combat réel qu’aux joutes, ce Dornien aura un avenir des plus prometteurs.
En effet, répondit Tywin. Quel est son nom ?
Ser Daemon Sand, de la Grâcedieu.
Tywin se tourna, interloqué, vers son frère :
Un bâtard chevalier ? [Il émit un léger rire moqueur] Les Dorniens ont réellement des pratiques qui dépassent l’entendement. Qu’il approche.
Kevan hocha la tête et se tourna vers un garde qui alla transmettre le même message au page chargé de s’occuper de Ser Daemon. Ce dernier était tout occupé à savourer son moment de gloire et le page eut bien du mal à communiquer avec lui, visiblement. Pendant ce temps, Tywin réfléchissait. Tout bâtard qu’il était, il ne pouvait nier les grandes facultés et l’adresse au combat du jeune Dornien. Voilà un moment qu’il désirait avoir un garde personnel, quelqu’un de valeureux, loyal, adroit et non dénué d’intelligence pour le suivre dans ses déplacements, lui tenir lieu de garde et, même, en qui il pourrait confier des tâches qu’il ne sied guère à quelqu’un de son rang d’accomplir lui-même. Il avait d’abord songé aux Clegane, mais, malgré leur adresse au maniement des armes, Lord Tywin les estimait plus enclin aux tâches brutales et sanguinaires, plutôt qu’aux genres de mission qu’il désirait confier à cette personne-là. Il ne connaissait pas le jeune homme vainqueur du tournoi mais, s’il avait les qualités qu’il recherchait, peut-être lui donnerait-il sa chance…
Voyant que le bâtard-chevalier regardait dans la direction de sa tribune, le Vieux Lion fit un geste de la main, lui signifiant d’approcher. Il obtempéra, s’approchant à cheval, tandis que Tywin descendait d’un pas preste les marches de sa loge qui menait à l’estrade du vainqueur. Ser Kevan le suivait, à quelques pas derrière lui, portant la récompense promise au vainqueur posée sur un plateau d’or et recouverte d’un linceul rouge. A l’estrade, Lord Tywin attendait, les mains derrière le dos, son regard bleu teinté d’or fixé sur le jeune vainqueur de Dorne. Ce dernier, toujours à cheval, fut bientôt à sa hauteur. Alors Tywin leva les mains à destination de la foule pour réclamer le silence. Il se fit presque instantanément et seul le vent qui bruissait dans les arbres alentours, était la seule source de bruit, aussi légère soit-elle. Ce fut Ser Kevan qui parla le premier :
Mettez pied à terre, Ser.
Et tandis qu’il obtempérait et approchait à hauteur du Seigneur de Castral-Roc, Lord Tywin se mit à penser : « Voyons-voir à qui nous avons affaire ». Sans détacher ses yeux du jeune Dornien, il se tourna légèrement vers son frère et, tendant les mains, reçut des siennes la récompense promise au vainqueur. Puis, retirant le linceul rouge, il dévoila aux yeux de tous le prestigieux présent : un œuf de dragon rouge ombré de noir par endroit. Des murmures parcoururent la foule, à la vue de cet objet d’une telle rareté. C’est alors que la voix du Vieux Lion retentit, suffisamment forte pour se faire entendre de tous :
Au nom de la Maison Lannister et des Terres de l’Ouest, voici votre récompense, Ser Daemon Sand de la Grâcedieu. Un œuf de dragon. En ce jour, je le fais vôtre.
Puis il le tendit au jeune vainqueur avant d’applaudir à nouveau, suivit par le reste de l’assemblée. Enfin, avant de retourner à sa loge, il glissa à l’oreille du chevalier :
Savourez votre victoire, puis rejoignez-moi à ma loge.
Et il tourna les talons et regagna sa loge et le reste de sa famille, Ser Kevan l’imitant après avoir accordé un dernier signe de tête au vainqueur du tournoi.
Il n’avait plus ni assister ni donner de tournoi sur ses terres depuis sa mort. Cependant il sentait bien que ses gens commençaient à se morfondre dans le calme plat qui régnait sur les Terres de l’Ouest depuis le décès de Jaime. Il décida donc de remédier à la situation et, si son cœur ne sautait guère de joie à cette idée, il organisa un grand tournoi à Castral-Roc dont la récompense était un magnifique œuf de dragon ramené de lointaines contrées oubliées.
Les meilleurs jouteurs avaient été conviés et, chose exceptionnelle, le Vieux Lion avait également permis les inscriptions libres pour tout volontaire qui désirerait venir tenter sa chance. Les plus nobles représentants de l’Ouest vinrent assister et prendre part aux festivités. Certains chanceux eurent une place de choix dans la loge seigneuriale, aux côtés de Lord Tywin et de son frère, Ser Kevan, venu pour l’occasion avec sa femme, Lady Dorna, et son fils et héritier, Lancel Lannister. Lady Cersei et Lord Tyrion se trouvaient eux aussi dans la loge seigneuriale. A son habitude, Tyrion se trouvait assis sur son siège rehaussé, un verre de vin à la main. Cersei elle, faisait son possible pour ignorer son frère cadet et se concentrer sur le spectacle, lâchant de temps en temps un commentaire aux oreilles de son père. Elle était radieuse. Les hommes n’avaient d’yeux que pour elle et le Seigneur son Père, tandis que les femmes jalousaient sa beauté. Lord Tywin était vêtu d’un habit de brocard noir élégamment brodé de fils d’or, une broche d’or au motif du Lion Lannister fermant son col. Des bottes souples de cuir noir qui lui montaient presque jusqu’aux genoux et une cape rouge-bordeaux fermée et attachée de côté pour lui revenir sur l’épaule gauche parachevaient sa tenue, que son épée d’apparat qui ornait sa ceinture venait décorée.
Il avait assisté au tournoi calmement, applaudissant légèrement lorsqu’une parade était habilement menée, répondant aux commentaires de son frère ou de sa fille par des phrases simples, et saluant de temps à autre les nobles et leurs dames qui le remerciaient de son invitation et de ces jeux. Mais lorsque le vainqueur remporta le tournoi, il ne put s’empêcher d’applaudir plus fortement et fit même une chose à laquelle personne ne s’attendait. Il se leva et applaudit debout, reconnaissant ainsi les grandes qualités du vainqueur et lui faisant un très grand honneur, surtout venant de sa part. Lui debout, c’est toute la loge seigneuriale qui l’imita. A cet instant, Kevan, tout en applaudissant, se pencha légèrement vers lui, pour que son frère puisse l’entendre sans qu’il n’est trop à élever la voix pour couvrir le bruit de la foule :
Voilà qui était fort bien jouté. S’il est aussi habile au combat réel qu’aux joutes, ce Dornien aura un avenir des plus prometteurs.
En effet, répondit Tywin. Quel est son nom ?
Ser Daemon Sand, de la Grâcedieu.
Tywin se tourna, interloqué, vers son frère :
Un bâtard chevalier ? [Il émit un léger rire moqueur] Les Dorniens ont réellement des pratiques qui dépassent l’entendement. Qu’il approche.
Kevan hocha la tête et se tourna vers un garde qui alla transmettre le même message au page chargé de s’occuper de Ser Daemon. Ce dernier était tout occupé à savourer son moment de gloire et le page eut bien du mal à communiquer avec lui, visiblement. Pendant ce temps, Tywin réfléchissait. Tout bâtard qu’il était, il ne pouvait nier les grandes facultés et l’adresse au combat du jeune Dornien. Voilà un moment qu’il désirait avoir un garde personnel, quelqu’un de valeureux, loyal, adroit et non dénué d’intelligence pour le suivre dans ses déplacements, lui tenir lieu de garde et, même, en qui il pourrait confier des tâches qu’il ne sied guère à quelqu’un de son rang d’accomplir lui-même. Il avait d’abord songé aux Clegane, mais, malgré leur adresse au maniement des armes, Lord Tywin les estimait plus enclin aux tâches brutales et sanguinaires, plutôt qu’aux genres de mission qu’il désirait confier à cette personne-là. Il ne connaissait pas le jeune homme vainqueur du tournoi mais, s’il avait les qualités qu’il recherchait, peut-être lui donnerait-il sa chance…
Voyant que le bâtard-chevalier regardait dans la direction de sa tribune, le Vieux Lion fit un geste de la main, lui signifiant d’approcher. Il obtempéra, s’approchant à cheval, tandis que Tywin descendait d’un pas preste les marches de sa loge qui menait à l’estrade du vainqueur. Ser Kevan le suivait, à quelques pas derrière lui, portant la récompense promise au vainqueur posée sur un plateau d’or et recouverte d’un linceul rouge. A l’estrade, Lord Tywin attendait, les mains derrière le dos, son regard bleu teinté d’or fixé sur le jeune vainqueur de Dorne. Ce dernier, toujours à cheval, fut bientôt à sa hauteur. Alors Tywin leva les mains à destination de la foule pour réclamer le silence. Il se fit presque instantanément et seul le vent qui bruissait dans les arbres alentours, était la seule source de bruit, aussi légère soit-elle. Ce fut Ser Kevan qui parla le premier :
Mettez pied à terre, Ser.
Et tandis qu’il obtempérait et approchait à hauteur du Seigneur de Castral-Roc, Lord Tywin se mit à penser : « Voyons-voir à qui nous avons affaire ». Sans détacher ses yeux du jeune Dornien, il se tourna légèrement vers son frère et, tendant les mains, reçut des siennes la récompense promise au vainqueur. Puis, retirant le linceul rouge, il dévoila aux yeux de tous le prestigieux présent : un œuf de dragon rouge ombré de noir par endroit. Des murmures parcoururent la foule, à la vue de cet objet d’une telle rareté. C’est alors que la voix du Vieux Lion retentit, suffisamment forte pour se faire entendre de tous :
Au nom de la Maison Lannister et des Terres de l’Ouest, voici votre récompense, Ser Daemon Sand de la Grâcedieu. Un œuf de dragon. En ce jour, je le fais vôtre.
Puis il le tendit au jeune vainqueur avant d’applaudir à nouveau, suivit par le reste de l’assemblée. Enfin, avant de retourner à sa loge, il glissa à l’oreille du chevalier :
Savourez votre victoire, puis rejoignez-moi à ma loge.
Et il tourna les talons et regagna sa loge et le reste de sa famille, Ser Kevan l’imitant après avoir accordé un dernier signe de tête au vainqueur du tournoi.
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An 297 | Lune 2 | Semaine 4
Tywin Lannister&Daemon Sand
Perché sur sa monture à l'encolure tachée de sueur, Daemon n'avait d'yeux que pour l'homme qui venait à sa rencontre. Le souffle encore lourd de l'effort, il sentait les flancs de son cheval s'ouvrir et se resserrer en écho à sa propre respiration, encore fébrile de sa jeune gloire. C'était plus que ce qu'il n'avait jamais espéré, d'arracher une telle victoire sous le nez de tout ce sang bleu, sous le patronage de cet homme. C'était tant qu'il n'en éprouva que plus de fierté encore d'avoir traversé de si pénibles années pour fouler cette terre rougeâtre. Le vent se levait. Enfin.
Ne s’embarrassant pas d'effacer d'un coup de sa main la goutte de sueur qui coulait lentement sur son front brûlant, il jaugea d'un regard farouche celui dont on lui avait conté la légende. Un éclat de soleil vint transpercer la prunelle pâle qui le couvait d'un regard aussi intimidant que perçant. Tywin Lannister s'approchait, tout vêtu de brocard sombre, homme formidable s'il en était et dont l'âge n'altérait pas l'aura d'autorité sereine qu'il dégageait et à laquelle la foule répondit docilement. D'un seul geste, il réduisit au silence mille voix. Seul la brise de l'Ouest eut l'audace de chuchoter, et les bannières qui claquaient en se gorgeant de son souffle. Fasciné par le visage intransigeant du Lord Suzerain, le bâtard ne prit pas garde à celui qui s'avançait dans son ombre. Aussi, sa voix le surprit quelque peu, crispant ses épaules. Obtempérant après avoir jeté un nouveau regard vers le Lion, il rejeta sa jambe par dessus la croupe de son pur sang, sautant souplement à terre avec l'aisance de ceux qui passaient leur vie sur le dos d'un cheval. Tandis que ses bottes foulaient la poussière rougeâtre de la lice, il ne put se résoudre à détache ses yeux bleus de la silhouette du Lannister, bien que l'envie de jeter un regard vers le mystérieux plateau que portait le frère de celui-ci ne manqua pas de lui titiller l'esprit. La mine austère malgré la lueur qui habillait ses prunelles d'un éclat pétillant, le brun préférait se concentrer sur l'homme qui lui faisait face. Il l'avait vu se lever dans la grande tribune. Quelques dragons d'or seraient bien peu de chose comparé à cet honneur qui, il l'espérait, trouverait son chemin jusqu'aux oreilles d'une certaine infante, loin au Sud, dans une tour éclairée de soleil.
Ce fut dans un silence parfait que les mains du Lannister découvrirent le présent, si inestimable et si rare que Daemon mit quelques secondes à en comprendre la nature exacte. Le velours rouge glissa comme du sang, dévoilant une surface arrondie gravée d'un motif répétitif semblable à une cotte de maille. A la vue de l'objet, ses sourcils se froncèrent brièvement, et ce ne fut qu'au son rude de la voix du Lion ainsi qu'au murmure admiratif et envieux de la foule qui s'en suivit, qu'il comprit enfin ce qu'il tenait entre ses mains. Il en resta muet. Ses yeux s'ouvrirent, saisi d'une surprise teintée d'admiration. Tandis que ses doigts gantés redessinaient précautionneusement le relief des écailles d'amarante et d'ombre, un sourire fin ourla doucement ses lèvres. Il n'eut guère besoin de laisser s'échapper le hurlement victorieux qui brûlait sa gorge, trouvant un écho suffisant à ce qu'il ressentait dans les nouveaux applaudissements qui ébranlèrent les tribunes autour de lui. Il ne releva pas le regard en entendant le vieux Lion s'adresser à lui, ne pouvant se résoudre à détacher ses prunelles de cette relique des temps anciens qui se trouvait aujourd'hui en sa possession, à lui, le bâtard. Lorsqu'il leva finalement ses yeux, ce fut pour regarder le dos du Lannister s'éloigner, et il se contenta d'incliner humblement le menton à la salutation du frère de ce dernier, avec tant de questions lovées dans l'azur de ses prunelles que la foule dut lui réclamer une nouvelle célébration pour qu'il se rappela de célébrer sa propre victoire. Aux acclamations de la foule avide, il saisit l’œuf d'une main, le soulevant au dessus de sa tête pour l'offrir à la vue des spectateurs. Sur sa droite, il put apercevoir les mines déconfites ou affligées des opposants qu'il avait défait. Il demeura ainsi pendant près d'une minute, avant de finalement ramener sa main et sa pesante récompense contre son ventre, laissant les clameurs s'apaiser puis se retirer.
Rejoignant son destrier, il passa une main sur son chanfrein puis sur son encolure et sur ses jambes dans une gestuelle technique devenue naturelle, peinant cependant quelque peu puisque l'une de ses mains était accaparée par la pierre rougeoyante. Alors qu'il s'assurait que son étalon ne portait aucune séquelle de la joute, il apostropha le jeune page qui était toujours accroché à la bride du bai.
"Je n'ai pas d'écuyer." De son coude il souleva le quartier de la selle, desserrant d'une main la sangle pour libérer la poitrine comprimée de l'animal, il posa un regard froid et curieux sur le garçon. "Tu saurais t'occuper de lui?"le questionna-t-il tandis que le destrier de sables lâchait un long ronflement soulagé.
"Oui, Ser!" Scrutant quelques instants l'expression du jeune blond, il décida finalement de lui faire confiance. Le cheval était calme avec lui, et l'enfant semblait désireux de bien faire son travail. Il lui mit brusquement son heaume dans les mains."Il s'appelle Marwan. Tu trouveras mes affaires près des tentes des chevaliers du Val, à l'orée d'un bosquet de grands chênes." L'enfant blémit devant ces explications vagues. Il devrait cependant faire avec, le Sand n'ayant guère le pouvoir de se payer le luxe d'une tente affligée de son blason, et ce dernier se dirigeant déjà vers les tribunes d'un pas de grenadier. Daemon avait nettement plus confiance en son étalon pour guider le page plutôt que l'inverse à travers le labyrinthe de tissus puisque le bai ne manquerait pas de reconnaître les deux autres chevaux avec qui il partageait la route depuis quelques années maintenant.
Sous son bras gauche, posé contre sa hanche, l’œuf figé par les âges frottait doucement ses écailles de pierre contre le lin noir de son habit au rythme de sa démarche féline. Ni l'orgueil ni l'avarice ne le portait à un tel accaparement de l'objet, mais bien une méfiance qu'il avait apprise sur les chemins. Seul un fou, ou un homme doté de compagnons fiables, se serait risqué à laisser la précieuse récompense sans surveillance. Il aurait autrefois craint pour ses précieux chevaux, mais ils étaient si peu de chose aux yeux des plus cupides comparé à ce qui reposait désormais contre sa hanche. D'amis, il n'en comptait aucun sur ces terres. Quand à sa présence d'esprit, le Sand était bien trop pragmatique pour laisser son butin hors de sa vue. Grimpant les marches quatre à quatre, son armure d'écailles cuivrées tintant au rythme de son escalade, il dépassa quelques nobles qui attendaient l'opportunité de féliciter le patriarche Lannister pour ce tournoi somptueux. Le côté présomptueux de sa démarche attrapa ici où là quelques coups d'oeil courroucés ainsi que quelques remarques impatientes. Le Sand se contenta de passer d'un pas vif à côté d'eux, la mine fermée et les sourcils légèrement froncés, le regard assombri par la concentration. Il ne put s'empecher de remarquer que le bois des marches, pourtant éphémère, était le même que celui des petits tabourets sur lequel on l'avait fait s'asseoir pour apprendre à réciter les textes sacrés. Arrivé à hauteur des gardes prévenant toute intrusion dans la loge d'honneur, il se présenta avec une sobriété si peu raccord avec l'image que véhiculaient les rumeurs sur sa patrie que les soldats échangèrent un regard dubitatif. Respirant l'austérité propre à la pieuse Grâcedieu, que certains disaient même dévote, il y avait quelque chose d'inquiétant dans son silence, dont l'humilité semblait mettre plus mal à l'aise les hommes parés de l'armure au lion que ne l'aurait fait un comportement plus flamboyant, plus "dornien" sans doute. Son bras libre collé le long du corps, son dos était droit et son menton incliné. Son attitude disciplinée contrastait avec le fourmillement coloré des nobles qui se pressaient autour et derrière lui dans un bourdonnement joyeux. Le regard baissé, attendant modestement qu'on lui permit de pénétrer la loge du Lion, Daemon laissait patiemment les secondes passer, l'esprit toujours plus fourmillant d'attente, d'appréhension et de hâte mélées.
© DRACARYS
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An 297 | Lune 2 | Semaine 4
Daemon Sand & Tywin Lannister
Les deux Lions regagnèrent leur loge en silence. La même démarche, la même stature, le même port de tête, les deux frères se ressemblaient beaucoup. Seuls les cheveux, plus gris que blancs, et un léger sourire sur le visage de Kevan Lannister, le différenciait de l’austère visage de son aîné. Le chemin depuis l’estrade jusqu’à leur loge était certes court, mais Lord Tywin fut souvent interpellé par les nobliaux des tribunes et leurs dames. Ne pouvant passer sans les saluer, l’obligeant souvent à s’arrêter, contraignant Kevan à faire de même derrière lui, il mit plus de quinze minutes à regagner le calme apparent de la loge seigneuriale tandis que la foule acclamait le jeune vainqueur dornien. D’une manière distraite, il prit un morceau de poulet grillé qu’un serviteur lui tendait sur un plateau d’or et le mangea, son regard d’acier perdu dans la contemplation de la foule en liesse. Kevan le ramena à la réalité, après s’être également servit en nourriture et en vin pour eux deux :
De tous les participants, il est celui sur lequel je n’aurais pas parié de prime abord. Un Dornien qui plus est…
Il émit un léger ricanement moqueur et son frère aîné fut bien forcé de l’imiter. Kevan avait raison ; rien ne prédisposait ce Daemon Sand, un chevalier-bâtard de Dorne, à gagner ce tournoi face à d’autres chevaliers et jouteurs plus âgés et plus expérimentés, la plupart originaires de l’Ouest. Dans sa victoire, la chance n’avait joué aucun rôle. Ce sont ses capacités qui lui conférèrent la victoire. Le Vieux Lion était sûr que les perdants du tournoi devaient jalouser terriblement le vainqueur. Un œuf de dragon, chose rarissime et d’une valeur inestimable, se trouvait désormais en la possession d’un Dornien de la Grâcedieu. Lord Tywin ne considérait certes pas encore Dorne comme un territoire ennemi, mais peu s’en fallait pour que le Prince Doran et ses maisons nobles soient considérés comme tel. Une animosité semblable à une guerre froide s’était instaurée entre eux voilà plusieurs années. Comme le Prince Doran n’était pas homme à faire le premier pas pour se rapprocher de l’Ouest et comme Lord Tywin était bien trop fier pour s’abaisser à être l’auteur de cette démarche, les deux hommes, leurs maisons et l’ensemble de leurs territoires s’ignorent cordialement depuis. Le Vieux Lion ne pouvait qu’imaginer la frustration, la jalousie et même, chez certains, la colère que devaient ressentir les Chevaliers vaincus de l’Ouest.
Les deux frères mangèrent en silence alors que Ser Daemon Sand savourait encore sa victoire avec la foule. Lui tendant un verre de vin, Kevan reprit :
Que comptes-tu faire de lui ?, le questionna-t-il avant de boire une gorgée de vin.
Il connaissait son aîné décidément bien, car Lord Tywin avait effectivement une idée en tête, idée qui avait commencé à faire son chemin dans son esprit calculateur alors que Ser Daemon se trouvait encore à jouter. A son tour, il but une gorgée de vin, en goûta la robe en faisant claquer sa langue sur son palais puis répondit :
Si ce garçon a autant d’esprit que d’adresse au combat, j’envisage de l’engager à mon service.
Un garde personnel ?
Non pas un, mais « une ». A l’instar d’une certaine Garde Arc-en-Ciel ou d’une Garde Royale… S’il me convient et s’il accepte, il pourrait être le premier représentant de cette nouvelle unité…la plus prestigieuse de l’Ouest.
Kevan hocha la tête en silence, signe qu’il acquiesçait, avant d’objecter :
Il te faudra certainement acheter sa loyauté. En l’état il n’a aucune raison de rejoindre l’Ouest alors qu’Ouest et Dorne se détestent cordialement. Pourquoi préfèrerait-il se battre pour nous plutôt que pour les Martell ?
Nous ne savons rien de lui, c’est pourquoi je lui ai dit de me rejoindre pour parler. Quoi qu’il en soit, un bâtard fait chevalier pour je ne sais quelle raison ne pourra guère espérer plus que ce qu’il n’a déjà. Et si sa loyauté envers les Martell était vraiment solide, pourquoi serait-il venu participer à un tournoi dans l’Ouest ? Nos chevaliers ne se rendent pas à Dorne pour jouter et ils savent très bien pourquoi. Je veux en savoir plus sur lui avant de lui proposer quoi que ce soit.
A nouveau, Kevan acquiesça en silence avant de se retourner vers les nobles de l’Ouest et leur dame, venus remercier leur Suzerain pour ce tournoi grandiose. Tywin les remerciait tous avec un simple signe de tête sec et bref, de temps en temps accompagné d’un ou deux mots polis selon la personne qui s’adressait à lui. A ses côtés, Kevan préférait garder le silence, sauf lorsqu’on s’adressait directement à lui. Soudain, entre deux invités, un des gardes postés à l’entrée de la loge s’approcha des Lions et informa Lord Tywin que le vainqueur du tournoi se trouvait devant la loge et attendait d’être reçu. Le Vieux Lion lui fit savoir qu’il le recevrait en dernier, après avoir reçu le restant des nobles de l’Ouest qui attendaient pour le saluer.
Alors que le garde s’en retournait à son poste et allait transmettre l’information à Ser Daemon, Tywin dit à voix basse à son frère :
Ainsi pourrais-je juger de son degré de patience.
Plus d’une heure s’écoula jusqu’à ce qu’enfin Ser Daemon ne fasse son entrée dans la loge seigneuriale. Une fois devant le Vieux Lion, Kevan se leva et prit congé un instant :
Je vous laisse un moment, dit-il, avant de les saluer tous deux. Lord Tywin… Ser Daemon…
S’ils se tutoyaient volontiers en privé, en public, les deux frères Lannister se vouvoyaient et s’adressaient entre eux par leurs titres de noblesse. Lord Tywin but une dernière gorgée de vin, reposa le verre sur le petit plateau d’or à sa gauche et, assis droit dans son siège, contempla un moment le jeune homme qui se tenait devant lui, alors que Kevan quittait la loge, accompagné de Tyrion et de Cersei. S’il était fatigué du tournoi, l’ivresse de la victoire avait manifestement effacé toute trace de fatigue. Grand, fin et athlétique, il ne faisait aucun doute au Vieux Lion qu’il disposait de toutes les aptitudes physiques pour ce poste. Il finit par prendre la parole :
Vous paraissez habitués à ce genre de divertissement Ser, ou alors avez-vous déjà quelque expérience au combat réel ? Car se battre pour le spectacle et se battre pour sa vie, pour son Seigneur, est chose bien différente… Parlez-moi de vous, Ser, dîtes-moi ce qui a fait qu’un bâtard devienne chevalier et que ce même chevalier ne délaisse Dorne pour venir jouter sur les Terres de l’Ouest, car je suis sûr que vous êtes au courant de l’animosité présente entre les Martell et les Lannister… A moins que vous ne l’ignoriez et dans ce cas, vous êtes un imbécile ignorant… Qu’êtes vous, Ser Daemon ? Un Chevalier instruit ou un imbécile ignorant ?
De tous les participants, il est celui sur lequel je n’aurais pas parié de prime abord. Un Dornien qui plus est…
Il émit un léger ricanement moqueur et son frère aîné fut bien forcé de l’imiter. Kevan avait raison ; rien ne prédisposait ce Daemon Sand, un chevalier-bâtard de Dorne, à gagner ce tournoi face à d’autres chevaliers et jouteurs plus âgés et plus expérimentés, la plupart originaires de l’Ouest. Dans sa victoire, la chance n’avait joué aucun rôle. Ce sont ses capacités qui lui conférèrent la victoire. Le Vieux Lion était sûr que les perdants du tournoi devaient jalouser terriblement le vainqueur. Un œuf de dragon, chose rarissime et d’une valeur inestimable, se trouvait désormais en la possession d’un Dornien de la Grâcedieu. Lord Tywin ne considérait certes pas encore Dorne comme un territoire ennemi, mais peu s’en fallait pour que le Prince Doran et ses maisons nobles soient considérés comme tel. Une animosité semblable à une guerre froide s’était instaurée entre eux voilà plusieurs années. Comme le Prince Doran n’était pas homme à faire le premier pas pour se rapprocher de l’Ouest et comme Lord Tywin était bien trop fier pour s’abaisser à être l’auteur de cette démarche, les deux hommes, leurs maisons et l’ensemble de leurs territoires s’ignorent cordialement depuis. Le Vieux Lion ne pouvait qu’imaginer la frustration, la jalousie et même, chez certains, la colère que devaient ressentir les Chevaliers vaincus de l’Ouest.
Les deux frères mangèrent en silence alors que Ser Daemon Sand savourait encore sa victoire avec la foule. Lui tendant un verre de vin, Kevan reprit :
Que comptes-tu faire de lui ?, le questionna-t-il avant de boire une gorgée de vin.
Il connaissait son aîné décidément bien, car Lord Tywin avait effectivement une idée en tête, idée qui avait commencé à faire son chemin dans son esprit calculateur alors que Ser Daemon se trouvait encore à jouter. A son tour, il but une gorgée de vin, en goûta la robe en faisant claquer sa langue sur son palais puis répondit :
Si ce garçon a autant d’esprit que d’adresse au combat, j’envisage de l’engager à mon service.
Un garde personnel ?
Non pas un, mais « une ». A l’instar d’une certaine Garde Arc-en-Ciel ou d’une Garde Royale… S’il me convient et s’il accepte, il pourrait être le premier représentant de cette nouvelle unité…la plus prestigieuse de l’Ouest.
Kevan hocha la tête en silence, signe qu’il acquiesçait, avant d’objecter :
Il te faudra certainement acheter sa loyauté. En l’état il n’a aucune raison de rejoindre l’Ouest alors qu’Ouest et Dorne se détestent cordialement. Pourquoi préfèrerait-il se battre pour nous plutôt que pour les Martell ?
Nous ne savons rien de lui, c’est pourquoi je lui ai dit de me rejoindre pour parler. Quoi qu’il en soit, un bâtard fait chevalier pour je ne sais quelle raison ne pourra guère espérer plus que ce qu’il n’a déjà. Et si sa loyauté envers les Martell était vraiment solide, pourquoi serait-il venu participer à un tournoi dans l’Ouest ? Nos chevaliers ne se rendent pas à Dorne pour jouter et ils savent très bien pourquoi. Je veux en savoir plus sur lui avant de lui proposer quoi que ce soit.
A nouveau, Kevan acquiesça en silence avant de se retourner vers les nobles de l’Ouest et leur dame, venus remercier leur Suzerain pour ce tournoi grandiose. Tywin les remerciait tous avec un simple signe de tête sec et bref, de temps en temps accompagné d’un ou deux mots polis selon la personne qui s’adressait à lui. A ses côtés, Kevan préférait garder le silence, sauf lorsqu’on s’adressait directement à lui. Soudain, entre deux invités, un des gardes postés à l’entrée de la loge s’approcha des Lions et informa Lord Tywin que le vainqueur du tournoi se trouvait devant la loge et attendait d’être reçu. Le Vieux Lion lui fit savoir qu’il le recevrait en dernier, après avoir reçu le restant des nobles de l’Ouest qui attendaient pour le saluer.
Alors que le garde s’en retournait à son poste et allait transmettre l’information à Ser Daemon, Tywin dit à voix basse à son frère :
Ainsi pourrais-je juger de son degré de patience.
Plus d’une heure s’écoula jusqu’à ce qu’enfin Ser Daemon ne fasse son entrée dans la loge seigneuriale. Une fois devant le Vieux Lion, Kevan se leva et prit congé un instant :
Je vous laisse un moment, dit-il, avant de les saluer tous deux. Lord Tywin… Ser Daemon…
S’ils se tutoyaient volontiers en privé, en public, les deux frères Lannister se vouvoyaient et s’adressaient entre eux par leurs titres de noblesse. Lord Tywin but une dernière gorgée de vin, reposa le verre sur le petit plateau d’or à sa gauche et, assis droit dans son siège, contempla un moment le jeune homme qui se tenait devant lui, alors que Kevan quittait la loge, accompagné de Tyrion et de Cersei. S’il était fatigué du tournoi, l’ivresse de la victoire avait manifestement effacé toute trace de fatigue. Grand, fin et athlétique, il ne faisait aucun doute au Vieux Lion qu’il disposait de toutes les aptitudes physiques pour ce poste. Il finit par prendre la parole :
Vous paraissez habitués à ce genre de divertissement Ser, ou alors avez-vous déjà quelque expérience au combat réel ? Car se battre pour le spectacle et se battre pour sa vie, pour son Seigneur, est chose bien différente… Parlez-moi de vous, Ser, dîtes-moi ce qui a fait qu’un bâtard devienne chevalier et que ce même chevalier ne délaisse Dorne pour venir jouter sur les Terres de l’Ouest, car je suis sûr que vous êtes au courant de l’animosité présente entre les Martell et les Lannister… A moins que vous ne l’ignoriez et dans ce cas, vous êtes un imbécile ignorant… Qu’êtes vous, Ser Daemon ? Un Chevalier instruit ou un imbécile ignorant ?
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