Gégé is in da place :v/

Depuis des siècles Dorne souffre de l’image peu flatteuse que le tempérament sanguin de son peuple avait fait naître dans l’imagination du reste de Westeros. Des hommes aux mœurs légères, aux traditions et à la culture trop différentes pour qu’elles n’aient simplement été acceptées par ceux qui demeuraient plus prompt à juger plutôt que de chercher à comprendre. Car de tous les défauts que l’on reprocha aux dorniens, leurs vices, leur violence, la sournoiserie qu’on leur prêtait volontiers, rares parmi ces  accusateurs en eussent été suffisamment dépourvus pour pouvoir prétendre égaler en noblesse d’âme et de cœur les hommes qui portèrent le titre d’Epée du Matin. De cet honneur recherché par tous les chevaliers portant le nom de Dayne, seuls trois noms d’hommes ayant détenu la légendaire épée apparaissaient dans les archives de l’ancestrale bibliothèque des Lords des Météores. Trois hommes, trois époques différentes, dans lesquelles chacun d’eux fut un exemple de ce que les Sept attendaient des âmes mortelles sur lesquelles ils veillaient. Aube, la lame mythique, forgée du cœur d’une étoile, avait ainsi plus connu la froideur du mur de pierre blanche de la demeure des Dayne que la tiédeur du sang d’un ennemi, et de nouveau elle reposait au-dessus de l’imposante cheminée des Météores, attendant qu’un nouvel homme se montra digne de la porter à son tour. Une épée qui prenait la poussière. Une lame unique et précieuse sur laquelle reposait tout le prestige de la maison au blason d’étoile. Quinze années. Quinze épouvantablement, désespérément longues et ennuyeuses années pour l’enfant qui avait autrefois vu la lame retrouver son piédestal. Le temps de toute une vie, et l’épée demeurait sur le mur au même titre que les tapisseries qui l’y encadraient. Du gâchis, pour celui qui ne cessait de clamer qu’il avait depuis longtemps démontré qu’il n’y avait pas d'autre Dayne vivant pouvant égaler son talent aux armes, et qu’à Dorne rares étaient ceux qui pourraient se prétendre capables de le surpasser dans cet art. Cette épée, il la voulait depuis longtemps, désormais il l’exigeait.

Dans la chambre où flottait paresseusement la fumée de l’encens qui brûlait dans un coin, et dont le parfum lourd et suave imprégnait chaque drap et chaque tenture depuis que l’occupant des lieux avait voulu donner un air plus dornien aux appartements qu’il occupait. Avachi dans un fauteuil, dans une position à l’impertinente nonchalance, le pied de sa jambe reposant sur l’accoudoir se balançant négligemment, le chevalier avait posé ses yeux qui semblaient faussement noirs sur le fourreau qui avait été jeté sur son lit défait, et l’épée qu’il contenait. Nombreux hommes eussent considéré la lame qu’il traitait avec si peu de soin comme le plus précieux des trésors. Personne ne savait comment cette arme s’était retrouvée entre les mains ingrates du plus honni des Dayne, et force était de constater que ce mystère lui plaisait trop pour qu’il leva un jour le voile sur ce secret. Secret, menteur, ambitieux, tels étaient les qualificatifs peu flatteurs qu’on lui attribuait, il n’avait pourtant jamais démenti ce que les rumeurs portaient de sa personne aux oreilles des inconnus. Chacun ayant connaissance du nom de Sombrastre savait qu’il n’était guère prudent de lui servir en personne cette description que l’on faisait de lui, car il était aussi calculateur que prompt aux colères les plus violentes, et trop souvent son orgueil avait parlé pour lui. Gerold Dayne était son nom. Et bien qu’à la tête de sa maison malgré son jeune âge, jamais on ne l’appellerait « lord ». Car les Dayne de Haut-Hermitage n’étaient que chevaliers, quand leurs cousins étaient nobles de sang. L’injustice qu’il voyait dans cette situation avait nourri sa rancœur envers les Dayne des Météores, et ce depuis l’enfance, quand il portait un regard aussi admiratif que déjà terriblement envieux sur feu Arthur Dayne. C’était là le seul homme qu’il avait jamais considéré comme un rival, et la mort tragique de ce dernier l’avait laissé aussi satisfait de voir ce trop noble personnage s’ôter de la route qu’il s’était tracée que frustré de ne pouvoir un jour faire lui-même tomber de ses mains l’épée mythique dont il avait été le dernier porteur. L’enfant avide avait grandi, sans jamais se détacher des sombres aspects de son âme, les cultivant même, dans l’unique but de surpasser celui qui avait donné sa vie pour Rhaegar Targaryen. Combien avaient parlé sur lui, combien l’avaient condamné en messes-basses à ne jamais parvenir à démontrer autant de noblesse de cœur et de droiture d’esprit que cet homme qu’il jalousait encore. De son écuyage, il n’avait guère tiré profit que pour parvenir à un indubitable talent pour les arts chevaleresque, sans jamais avoir envisagé son apprentissage comme l’occasion rêvée de changer, enfin, l’image d’enfant cruel et indéchiffrable qu’il s’était déjà forgée. Ses mœurs légères n’auraient eu aucun mal à être acceptées si seulement son libertinage avait été motivé par le désir de la chair, et non pas comme il apparut très vite, par la réalisation de ses ambitions dévorantes. Sa réputation faîte depuis longtemps, il avait tenté en vain d’approcher la Princesse de Dorne, c’était sans compter sur la prudence du père de cette dernière, ni sur son amant d’alors, qui avaient gardé hors de sa portée la précieuse et séduisante fille du Prince de Dorne. Une frustration dont il s’était vengé quelques années plus tard, en séduisant celui qui l’avait alors empêché d’arriver à ses fins, avant de mettre lui-même un terme à cette relation aussi courte que violente. Une humiliation pour le bâtard de la Grâcedieu, une victoire pour le Dayne, qui se régalait d’autant plus désormais de voir le désarroi du Sand face aux fiançailles de son amante avec Viserys Targaryen.

Se redressant, le chevalier posa ses coudes sur ses genoux, en même temps qu’il se penchait vers les flammes dansant dans l’âtre. Le feu  qui crépitait venait éclairer ses yeux aux reflets violets, et sur lesquels tombaient des mèches d’argent. Qui saurait jamais ce que sa venue à Port-Real dans l’escorte de l’ambassadrice de Dorne signifiait vraiment ? Quel dessein nourrissait-il, lui qui semblait jusque-là si attaché à sa quête du titre d’Epée du Matin ? Les chevaliers qui avaient ouï-dire de sa réputation avaient craint que le scandale n’eût pas tardé dès lors que sa chevelure pâle ceint d’une unique mèche noire avait été remarquée parmi les dorniens accompagnant la fille de la Vipère Rouge. Mais les lunes étaient passées, et Sombrastre n’avait pas confirmé les inquiétudes que sa présence suscitait, du moins pas encore, ainsi que le disaient les mauvaises langues sur son passage. Dans les couloirs du Donjon Rouge, son attitude calme et sereine inquiétait davantage que s’il eut fait démonstration de ce que chacun attendait d’un dornien digne de ce nom. Mais cette colère qui faisait perpétuellement briller ses yeux ne s’était guère manifestée que par quelques piques cyniques et venimeuses dont avaient souffert ceux qui avaient vu dans cette quiétude du Dayne l’occasion de se frotter à lui. Un poison, c’était ainsi que le désignait le frère du Prince de Dorne, et sans doute était-ce là la plus exacte façon de définir celui qui portait le surnom de Sombrastre.