Le Chant des Dunes [TOMBOLA]
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Le chant des dunes
An 300 Lune 9 semaine 2
Mariage de Valena et Nymor
La Grâcedieu était fébrile. Les murs vibraient des pas légers de la horde de domestiques qui circulaient les bras chargés et les visages drapés d’une appréhension dissimulant mal leur joie. Partout, les voix, les cris et les rires résonnaient, rebondissaient contre les murs blancs de la forteresse pour aller se perdre aux abords de la Sang-Vert avant de s’évaporer pour mourir dans le désert. Dans la clarté pâle du soir tombant, les étoiles encore timides n’osaient se montrer tandis que les rayons du soleil orange s’accrochaient toujours désespérément aux dunes et à la surface de l’eau miroitante. Les trois fleuves encerclant la demeure des Allyrion étaient baignés de flammes incandescences et aveuglantes.
Enfermée dans ses appartements, Valena n’avait pas eu le droit de jeter un coup d’œil dans les couloirs. Les gens de la forteresse avaient insisté pour s’occuper de toute l’organisation de l’événement, malgré ses réticences. Depuis qu’elle portait le titre du Soleil Noir, l’organisation et la planification de ses terres étaient devenues ses principales occupations, occupations auxquelles elle accordait toujours une importance primordiale. De ne pas être en capacité d’émettre son véto en cas de mésentente la perturbait. Elle avait cependant accepté la requête des intendants et des domestiques, désireux de prouver une fois encore leur loyauté sans faille envers la famille à la paume dorée.
Le château immaculé semblait se réveiller d’un long sommeil. Un sommeil troublé de cauchemars et de mauvais rêves. Un sommeil interrompu par des réveils brutaux et violent. Un sommeil morne placé sous le signe du deuil et du chagrin.
Voilà un an que Ryon Allyrion était mort. Un an que le fief était tombé entre les mains de sa fille aînée. Un an que la blessure de son trépas saignait, peinant à se refermer, les circonstances tragiques de sa disparation jouant pour beaucoup dans la difficulté de tourner définitivement la page. La lady faisait partie de ceux-ci. Encore aujourd’hui, elle n’oubliait pas. Elle n’oublierait pas. Elle se rappelait encore les mots d’un Orageux de passage à Lancehélion lors d’un tournoi donné par les Martell. Le Nord se souvient. Elle avait alors rit à cette réplique, amusée et légèrement dubitative. Le Nord se souvient, certes. Mais le Sud n’oublie jamais. Les affronts et les humiliations qu’avaient subi et continuaient de subir sa famille resteraient à jamais gravés dans sa mémoire. Les brûlures de son demi-frère. L’assassinat de son père. L’injustice du procès d’Harrenhal. L’hérésie de la Couronne du Sud face aux Sept. La mutilation de Daemon. L’étranglement de la Grâcedieu par les Martell. Le manque de soutien de la famille suzeraine. La rupture de ses fiançailles. L’incompétence éhontée de la Jeune Reine. La mort de sa Main, Aegor du Rouvre ainsi que la tentative d’assassinat sur Rhaenys Targaryen n’étaient que des réponses à ses prières. Une réponse qui prouvait bien le désir de l’Etranger de voir disparaitre les infâmes de Westeros. Son désir de venger les justes.
Oui, tant de choses avaient bouleversé sa vie et celles de ses frères depuis un an. Malheureusement, il semblait que la joie les avait reniés et les événements heureux étaient rares depuis douze lunes. Rares, voire inexistants.
« Vous devriez sourire pour votre mariage, lady Allyrion, » lui conseilla une suivante en s’acharnant à peigner une mèche noire. « C’est un jour heureux. »
Inconsciemment, en se remémorant cette année catastrophique, le visage de la dornienne s’était figé en un masque inexpressif et froid, à la bouche légèrement grimaçante.
Dans le miroir en face d’elle, elle observa la petite femme s’évertuer à faire tenir le filet d’or et de pierres précieuses rougeoyantes sur ses cheveux. La jeune femme n’avait jamais apprécié se parer et se sertir des plus beaux bijoux et des plus beaux vêtements pour scintiller comme un petit soleil ridicule et clinquant. Déjà petite fille, elle boudait lorsqu’il était question de réceptions et donc de longues séances d’habillement ennuyeuses et inconfortables. Aujourd’hui, elle n’avait malheureusement pas le choix et s’éclipser au milieu de la nuit pour retirer ses chaussures et ses colliers étaient prohibé. Elle se souvenait encore de comment, enfants, Daemon et elle allaient se cacher sous les tables pour y abandonner bracelets et étoffes trop volumineuses avec l’espoir que personne ne remarquerait leur disparition soudaine. Insouciants qu’ils étaient. Insouciants.
Son rictus figé se brisa quand la domestique s’exclama, une joie enfantine irradiant son visage, lorsque la couronne fut enfin accrochée. Un petit soupir fataliste et résigné s’échappa des lèvres de la future mariée. Comme elle en avait voulu à son père lorsqu’il l’avait fiancée sans la concerté avec un Jordayne ! Comme elle l’avait détesté ! Elle avait même menacé de s’enfuir. Et voilà qu’aujourd’hui, elle s’était déjà fiancée deux fois par elle-même. D’abord avec Quentyn Martell dans une optique de réchauffement des relations avec la famille suzeraines, relations mises à mal par le meurtre du Soleil Noir et le manque de réaction de Doran. Mais l’union avait été brisée par le Prince pour des raisons qui ne manquaient pas de faire enrager la jeune femme. Puis une alliance avait été entendue avec Nymor le Voi, dans un objectif purement politique. En effet, leurs intérêts étaient communs et cette raison suffisait à annihiler la mésentente cordiale que les années avaient instaurée entre les deux concernés. Si elle devait prodiguer à l’oncle de l’actuel Lord le Voi un titre, une certaine prestance sociale et le savoir inégalé de la Grâcedieu pour l’agriculture, lui se devait de remplir sa part du contrat. A savoir les terres du fief de son neveu à disposition des ingénieurs de la famille à la paume dorée ainsi qu’une porte ouverte sur le commerce. La conjugaison des deux fiefs aux sols riches en limon et en eau ne promettait qu’un avenir agricole et commercial certain. Mais également la naissance d’héritiers et d’héritières pour les Allyrion.
Valena était déterminée. Elle ne se fiancerait pas une quatrième fois. Et avec cette alliance, elle redressait sa maison. Pour de bon.
Une fois sa tenue enfilée et ajustée jusqu’à ce que le moindre de ses mouvements ne devienne une torture, les domestiques papillonnèrent autour d’elle pour effectuer les dernières retouches.
La robe n’était pas sobre, mais chargée n’était pas le bon terme non plus. D’un rouge sombre, presque noir, chaque pli était cousu d’or et de pierres alternant la froideur sombre de l’onyx et la fournaise brulante du rubis. Ses longues manches trainaient au sol tout comme l’arrière du drapé, si bien que de dos il était impossible de deviner quelle partie d la toilette appartenait aux manches ou au dos.
Solennelle. C’était exactement le terme pour définir l’unique fille de Ryon.
Lorsqu’enfin on lui permit de sortir de ses appartements, ce fut encerclée d’Asmar et d’une autre sentinelle, chacun arborant une pique dans la main droite et ayant revêtu les habits de circonstance. Du regard, elle salua chacun d’eux avant qu’ils ne l’escortent le long des couloirs où de long tapis beige avaient été tendus.
La forteresse était en liesse. La forteresse était vivante. Et de la même façon que la grimace était inconsciemment apparut sur son visage il y avait quelques minutes, un sourire discret ourla ses lèvres lorsqu’à son passage, chacune des gens la saluèrent bien bas. Cela avait été une de ses plus grandes craintes, lors de son retour à Dorne. La déception de son fief. Or, il n’en avait rien été et les malheurs des Allyrion avaient plus que jamais soudé l’ensemble de la Grâcedieu, des vassaux sous leurs ordres ainsi que des paysans, artisans et commerçants vivant sur leurs terres.
Décoré en circonstance, le grand hall avait revêtu ses plus belles couleurs. D’immenses tables d’ébènes avaient été dressées et les meilleures viandes ainsi que les meilleurs vins et fruits avaient été disposés au centre de chacune. L’hiver était clément avec Dorne et signait la saison des récoltes les plus abondantes depuis longtemps. Condamnés à ne pas pouvoir commercer, les Allyrion gardaient donc jalousement leurs productions agricoles et ne manquaient pas d’en jouir au risque de s’engraisser.
Familles vassales et aux nobles dorniens dont les Wyl, les Ferboys et les Uller s’accaparaient déjà des places tandis que les plus proches parents, amis et alliés de chacun des deux mariés étaient guidés dans le petit septuaire intimiste où l’ancien lord avait un jour reposé. Valena n’y était d’ailleurs pas retournée depuis.
Dans le septuaire, elle fut un instant surprise de constater l’absence de Nymor. Sa mère lui avait tant parlé de son mariage, de cette même pièce où l’attendait Ryon avant qu’ils ne s’unissent, que sa fille s’était attendue à voir son futur époux l’attendre patiemment, comme son père l’avait fait pour Deria il y avait des années. Or, elle se trouvait seule à attendre, face au septon, tournant le dos à sa génitrice, son oncle et tantes Ferboys et Wyl ainsi qu’à Daemon. Ryon n’était plus là. Cletus non plus. Cette seule pensée lui serra si fort la gorge qu’elle manqua de s’étouffer. Qu’auraient-ils fait ? Qu’auraient-ils dit ? Où se seraient-ils placés ? Son benjamin l’aurait-il encouragé à la dernière minute ? Les lèvres ne son père auraient-elles offertes un de leurs rares sourires ? Auraient-ils approuvé son choix ? Ses choix ? Le cadet de la Grâcedieu était-il au moins au courant de son mariage ? Avait-il reçu son corbeau ? Savait-il qu’en plus de cela, ses fiançailles avec Jynessa Noirmont étaient scellées ? Savait-il ? Sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte, ses doigts s’étaient mis à triturer les pans de ses manches trop longues jusqu’à en déchirer légèrement les perles brodées. Elle se reprit avec un toussotement et aplatit fermement ses paumes sur ses cuisses, s’obligeant à rester immobile. La dornienne glissa un regard derrière elle.
Leur mère, malgré sa présence, restait drapée de noir, ses cheveux et son visage pâle recouvert par un voile masquant ses yeux. Pleurait-elle ? Elle n’en avait aucune idée. Le bâtard de la Grâcedieu quant à lui restait et resterait désespérément muet. Elle en baissa les yeux.
Elle comprit enfin l’absence de son futur époux. Etant de rang supérieur au sien et puisqu’il adopterait son nom, elle était celle qui devait l’accueillir et lui ouvrir les portes de sa demeure. Elle mentirait en affirmant qu’aucune appréhension ne troublait son cœur. Après tout, elle ne connaissait que très peu Nymor et elle entendait encore la voix de son père lui ordonner de se tenir éloignée de cette bête à problèmes. Mais le Soleil Noir n’était plus là et Valena devait faire ses propres choix. Des choix en fonction des intérêts de son fief et de ses gens. En fonction de la Grâcedieu.
Enfin, dans un bruissement de tissus et de murmures, des pas masculins résonnèrent dans le petit septuaire tandis que le le Voi s’agenouillait à ses côtés. S’il ne se dérangea pas pour la dévisager, elle resta de marbre, imperturbable, ses yeux sombres levés vers le septon.
« Aujourd’hui, Valena Allyrion et Nymor le Voi sont unis par le mariage, marquant l’alliance des maisons Allyrion et le Voi dans le respect de la religion des Sept. »
La brune ne fit face à son désormais époux qu’à cet instant, alors qu’enfin elle se redressait sur ses jambes engourdies.
De presque dix ans son aîné, Nymor avait déjà de légères rides de rire qui creusaient le coin de ses paupières. Comme dans son souvenir, il arborait le même œil brun narquois et la même moue moqueuse qui l’avait convaincue de l’ignorer, lors de leur première rencontre. Ses mâchoires étaient dévorées par une barbe brune tandis que ses cheveux châtains tombaient en désordre sur son front. Sa peau, bien que plus pâle que la sienne, restait marquée des couleurs dorniennes.
Si son mari lui lança un regard interrogateur, presque avenant, Valena ne lui répondit que par son air sévère et ferme. Elle n’avait plus rien de l’adolescente trop confiante dont il s’était tant ri.
Pas de manteau déposé sur les épaules chez les dorniens, mais un échange de nourriture et de vin. L’homme n’offrait pas sa protection à sa faible femme, mais les époux s’assuraient un soutien mutuel en tant qu’égaux. Dans la coupe de fruits apportée par Asmar, ils décrochèrent un grain de raisin qu’ils vinrent déposer sur la langue de chacun avant d’échange leur coupe. La brune n’en pris que deux gorgées quand l’ancien le Voi avala la sienne d’une traite, lui offrant un grand sourire. Des perles rougeâtres glissaient le long de sa barbe et ornaient sa moustache. Aucun baiser ne fut échangé, les gestes charnels étant exclus du septuaire.
Précédés de leurs familles respectives, les époux ne s’embrassèrent que lors de leur retour triomphant dans le grand hall, sous les applaudissements et les cris de joie désinhibés des invités. Loin d’être une jeune fille en fleur, la brune ne rougit pas et n’offrit qu’un hochement de tête de remerciement aux personnes attablées. Dans un grand rire, Nymor leva les bras au ciel en jetant sa coupe au sol, profondément heureux. Être Lord. Voilà son aspiration depuis sa naissance. Il n’avait pas besoin de s’inquiéter pour la suite, du moins pas encore. En revanche, il restait tout à faire pour Valena.
Pourtant, l’ambiance festive et le son des cithares faisant vibrer l’air réussit à la dérider enfin tandis qu’elle se tournait vers son demi-frère et sa mère. Un événement heureux. C’était ce qu’ils avaient tous si longtemps attendu. Et voilà qu’enfin, la Valena chantait.
Voilà qu’enfin, la Grâcedieu chantait.
© DRACARYS
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