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Interlude - ft Manfred Flowers

Gerold Grafton
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Gerold Grafton

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Dans le matin rougeoyant, il s’était arrêté un instant pour écouter s’éveiller le bienveillant jardin de la demeure qui avait accueilli pour la soirée une somptueuse célébration. A l’issue d’une séduction acharnée, ils étaient parvenus à s’attacher les faveurs de la puissante maison des Fyllonnis, dont l’un des héritiers les avait conviés à “laver”, comme ils disaient, cet accord par un vin de leur cru, baigné et nourri par le soleil ardent de Myr. Un épreuve supplémentaire d’endurance, probablement. Quoi qu’il en fut, leurs divertissements concordèrent avec la fin de certaines récoltes et très vite, s’unirent à pléthore d’autres généreux banquets. A son habite, Gerold n’avait pas failli dans sa tâche, accompagnant  ses partenaires autant dans de féroces négociations que dans la fête.
Un plaqueminier de Lys, pressé et prodigue, laissait tomber un à un ses fruits ronds, gorgés aussitôt que mûrs, et qui entraînaient dans leur chute des guêpes tenaces. La nature aride laissait un sentiment de carence après la prodigalité verte du Val, mais ce qui poussait sur ces terres de sable et de pierre était d’une générosité particulière. Malgré les journées chaudes, les nuits étaient parfois agréablement grelottantes. Le froid exquis de l’ombre bleuie atteignait la peau chauffée par une nuit d’alcool et pinçait les oreilles. Plus haut, voguaient des voiles légères, des gazes mauves, et le rebord des toits vint se teindre d’un seul coup, d’un rose violent de mandarine. Gerold s’entendit lâcher un long soupir de quiétude. Il lui semblait n’avoir jamais été aussi libre qu’aujourd’hui, à l’apogée de son succès. Il avait largement devancé les craintes de son père, dont il avait éclipsé le règne à tous les égards ; il avait triomphé des critiques et des pièges, gagnant une place qu’il n’aurait jamais convoité en d’autres circonstances. Mais le Hardyng était un jeune homme volage et faible et sa fuite n’en était qu’une preuve supplémentaire. Le pouvoir était soit une question de volonté, soit de contrainte et alors que Gerold l’avait acquis par la contrainte de la nécessité, sa possession lui prodiguait un satisfaisant plaisir. Tel avait toujours été le goût de la réussite. Une réussite qui l’avait même libéré de son fief et permis un voyage à l’autre bout du monde – quelque chose qu’il avait toujours hardiment désiré.
Avait-il atteint la fin de ses peines ? Allait-il sentir mourir ici l’écho d’un jugement brutal ? Dans sa citée, étroite comme un berceau, il avait couché, pendant vingt-huit années, tous ses rêves d’enfant solitaire. Il lui semblait les voir dormir encore, voilés d’un brouillard couleur de lait, qui oscillait et coulait comme une onde. Derrière, la musique continuait à rouler ses triolets flûtés et dansants, s’abandonnant de plus en plus à une mélodie doucereuse propice au repos. Les éclats de rire et les conversations bruissaient comme un ruisseau intarissable. Gerold se retourna un instant pour contempler ses joues fiévreuses et ses lèvres que l’on trempait dans du vin au miel épicé. Là était la consécration ; non pas totalement dans l’acclamation d’un peuple, ou dans la reconnaissance d’un Roi, mais bien plus tard, dans une oasis de bonheur aussi éphémère qu’angoissant, lorsque plus rien ne faisait peur.
Sa coupe à la main, Gerold s’éclipsa telle une ombre le long des murs. S’ils avaient passé une bonne partie de la nuit ensemble, ils avaient fini par se dissoudre en petits groupes plus ou moins solitaires, et le descendant Fyllonnis s’était doucement désintéressé d’eux au profit d’une plantureuse créature, bien plus capable de satisfaire sa nuit que n’importe quel accord commercial juteux. Son regard caressa l’argent des Antaryon, pour une fois séparés, et avec qui il avait noué une complicité étrange, chacun à leur façon. Sa femme dormait déjà probablement, ou bien s’amusait-elle encore avec une insouciance qui aurait pesé entre les murs de Goëville. Oisif, au lieu de la réprimander, Gerold se satisfaisait de son enthousiasme, apaisé de la savoir encore capable de sa désinvolture joyeuse, dont elle avait été privée après la mort de son père, puis, coup sur coup meurtrie par des malheurs féminins.
Il sortit à l’orée du jardin, légèrement titubant et définitivement encore ivre. La rosée était froide au milieu de ces fleurs inconnues et chatoyantes. Il aurait voulu se baigner ses mains nues et ses jambes frissonnantes dans une herbe égale et profonde, vautrer sa fatigue au velours sec des mousses et des aiguilles de pin, cuire son repos sans pensée au soleil blanc du Val. Mais ici, il n’y avait que de la paille sèche et des écorces tranchantes. Il avait mal, mal partout ; mal délicieux d’un qu’on aurait roué de coups ou de caresses. Malgré l’heure matinale, l’ardeur musquée et traîtresse du vin sucré se propageait en chaleur naissante à l’ourlet des oreilles, en soif gourmande dans la gorge. Gerold prit appui contre une colonne tumultueusement peinturlurée de bacchantes nues, et prit une lente gorgée dans son verre jamais vide, toujours minutieusement resservi.
« Vous n’en avez pas marre d’être si bien rangé ? » demanda-t-il d’une voix curieusement claire.
Une ombre le suivait depuis un certain temps, encore plus assidue que son frère Marq, jadis exubérante mais avec l’âge et les épreuves assagie. Toujours quelques pas en retrait, partout où il allait, surtout ici. Gerold tendit vers lui sa figure dorée au vin, et pourtant aux yeux sans cesse lucides. Il ne se serait pas permis cette remarque, dite sur un ton aussi nonchalant, en d’autres circonstances, mais quelque chose sur son visage paraissait relâché, accessible, comme si une nuit d’ivresse et l’éloignement avait ouvert en lui la porte de l’impassibilité.
« Le seul danger ici pour moi c’est le vin et vous n’avez pas vraiment réussi à m’en prémunir donc… commença-t-il sur le ton de la fatalité lasse, je vous libère. Allez vous coucher ou… prenez un verre. »