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Les Larmes du Désert [Cletus&Daemon&Valena]

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Some saw the sun, some saw the smoke. Sometimes the wire must tense for the note. Caught in the fire, say oh, we’re about to explode. Carry your world, I’ll carry your world. Some far away, some search for gold, some dragon to slay. Heaven we hope is just up the road. Show me the way, Lord because I'm about to explode. Carry your world and all your hurt.
Cletus & Daemon & Valena



Les deux yeux noirs du Lord la fixaient. Profonds. Vides. Ridiculement peints. Il était évident que le mestre s’était appliqué. Les deux pierres grises étaient posées sur ses paupières closes et un pinceau fin les avait ornés d’un blanc immaculé rempli de deux prunelles et de deux pupilles sombres. Le regard mortuaire de Ryon Allyrion semblait suivre sa fille alors qu’elle pénétrait seule dans la salle isolée de la forteresse d’albâtre et qu’elle se rapprochait de lui à pas lents et mesurés. Valena avait envie d’arracher ses cailloux du corps et de les envoyer voler à travers la pièce. Pourtant, elle n’en fit rien et se contenta d’avancer, la bouche pincée et le menton haut. Elle voulait être digne. Elle voulait être fière. Mais malgré son port de tête altier, son visage fermé et sa longue robe noire austère, elle n’avait rien de la jeune femme majestueuse et indomptable qu’elle s’était imaginée être en devenant la Lady de la Grâcedieu.

La pièce n’était ni très large ni très grande, mais étonnamment haute. Sur le plafond s’entremêlaient des arabesques et des courbes complexes qui semblaient danser un ballet incessant et tumultueux. D’or et sang étaient les couleurs de ces danseuses sans visage qui toisaient d’en haut les corps inertes des précédents lord et ladies des Allyrion qui étaient passés de vie à trépas. Combien de traits macabres avaient-elles vus ? Combien d’yeux peints avaient-elles déjà regardés ? La jeune femme l’ignorait. Peut-être l’avait-elle su un jour, alors qu’un mestre ou une septa le lui avait appris lors d’un de ces interminables cours ennuyants et ennuyeux que son père l’obligeait à suivre. Comme elle avait détesté ces sessions d’histoire alors que le soleil frappait le désert et l’appelait à l’aventure ! Aujourd’hui, elle regrettait sa fougue naïve et enfantine. Aujourd’hui, elle aurait aimé savoir combien d’hommes et combien de femmes avaient été allongés ici avant son père. Avant elle lorsque la vie déciderait de la quitter à son tour.

À Dorne, les morts n’étaient pas traités de la même façon que dans les autres régions de Westeros. Après tout, la région désertique était connue pour sa culture excentrique en comparaison du reste des Couronnes. Les cadavres n’étaient ni enfermés dans des cryptes, ni veillés durant des nuits et des nuits, ni célébrés par des assemblées hystériques et en larmes. La pièce où reposait Ryon Allyrion était colorée et joyeuse, bien que plus solennel que le reste du château crayeux. Des voilages bordeaux volaient au vent qui s’engouffraient en sifflements brulants à travers les arches ouvertes. Avec eux, les souffles trainaient avec eux les odeurs légères et agréables du Fléau, de la Sang-Vert et du Voi où voguaient tranquillement les barques dirigées à la perche des orphelins qui ignoraient tout du sort tragique qu’était en train de vivre la maisonnée Allyrion. Les murs clairs reflétaient les lueurs orangeâtes du soleil qui décroissait à l’horizon, embrasant les dunes et les rivières sans faire de distinction. Valena adorait le crépuscule. L’astre s’évanouissant pour laisser place à la lune drainait avec lui sa lumière éclairant tout sans laisser de place aux mystères et aux soupirs. Pourtant, aujourd’hui, elle craignait la nuit qui l’attendait.

En raison des températures élevées au sud de Westeros, les veillées mortuaires ne duraient qu’une seule nuit. Les plus fanatiques avaient bien tentés de respecter les sept nuits à veiller les corps inertes, mais il avait été décrit que les odeurs nauséabondes s’échappant des macchabées après seulement deux nuits étaient insupportables. Une senteur d’encens lourde et suffocante baignait la pièce de lourdes fumées qui s’envolaient jusqu’aux arabesques pour les faire disparaître. Ce simple détail suffit à rassurer l’héritière. Elle n’aurait pas à supporter le parfum répugnant d’organes et de peau en décomposition. Elle ne voulait pas voir son père ainsi. Elle ne voulait pas avoir à s’en souvenir ainsi. Cela aurait été au dessus de ses forces. Forces qui semblaient l’abandonner à mesure qu’elle avançait.

La longue silhouette austère de l’ancien lord gisait sur une dalle aussi noire que la nuit dans laquelle se reflétaient les lumières vacillantes des sept bougies encerclant le septuaire. Drapé de noir, son corps immobile ne remuait plus depuis longtemps. Sa cage thoracique ne se soulevait plus. Ses épaules ne frémissaient plus lorsqu’une légère contrariété troublait les humeurs de Ryon Allyrion. Son visage n’était plus illuminé de cette teinte bronze si réconfortante et chaleureuse, malgré la froideur de ses traits. Il avait revêtu une couleur étrange et inhabituelle qui ressemblait plus à une boue insipide qu’aux rayons caressant le sable doré du désert. Ses doigts osseux étaient croisés sur son torse. Une bague noire avait été passée à son majeur. Valena la reconnut aussitôt. Le lord portait toujours l’anneau et elle ne l’avait jamais vu sans. Il aurait été étrange qu’il ne la porte pas. Même maintenant. Ainsi allongé, il aurait pu être endormi. Rien ne trahissait la mort, pas même la blessure qui lui avait arraché la vie et qui était invisible aux yeux de sa fille.

De penser au poignard qui avait tranché ses chairs arracha une grimace de rage à l’héritière. La tête de l’assassin ne l’avait pas soulagée. Les mots de la Reine du Sud ne l’avaient pas réconfortée non plus. En lisant une première fois la lettre, elle n’avait pas compris. En la lisant une seconde fois, elle était restée inerte, incapable d’accepter la vérité. Puis, après maintes et maintes relectures, ce n’était pas le désespoir qui l’avait envahi, mais une colère. Une colère pure et sourde qui s’était enflammée au creux de son ventre comme une trainée de poudre. Ses muscles s’étaient bandés, son cœur s’était serré et ses mâchoires s’étaient contractées. Elle s’était sentie dévorée jusque dans sa chair par cette ire qui l’effrayait autant qu’elle la dominait. Comment avait-elle fini par se calmer ? Elle n’en savait rien. Mais elle avait fini par le faire alors qu’elle avait croisé les regards de ses frères et de sa mère lorsque le corps était apparu dans la cour de la Grâcedieu.

Le déchainement violent de chagrin avait alors laissé place à une résignation furieuse, mais muette. Les ennemis ne cessaient de se dresser sur son chemin. Targaryen, Baratheon, Bief. Soit. Les choses étaient ainsi. Elle les écraserait tous un par un. Aujourd’hui, elle n’arrivait qu’à se contenter de cela, de cette haine vengeresse, pour éviter de penser au futur qui l’attendait. À un avenir sans son père.

Pourtant, alors qu’elle regardait le visage stoïque de celui qui l’avait un jour bercé, elle ne put s’empêcher de ressentir la terrible angoisse de l’enfant devenu orphelin. Elle s’était toujours considérée comme une adulte mature et responsable, ce qu’elle n’était évidemment pas. Des erreurs, elle en avait faites. Des écarts de conduite, des cris, des maladresses, malgré son aveuglement ridicule de petite fille promise à un avenir de lady héritière. Lui aurait-on demandé si elle était prête à reprendre la Grâcedieu il y avait un an, deux an, trois an, elle aurait répondu par l’affirmative, sans ciller, l’ombre d’un sourire jouant sur ses lèvres narquoises. Aujourd’hui, il ne restait plus rien de cette confiance ridicule si ce n’était le masque froid dont elle avait recouvert son visage. Car derrière son apparence austère, si semblable à celle de son géniteur, il lui semblait être en mille morceaux.

Terreur, colère, angoisse, incertitude, doutes, tristesse, amertume, désabusement, douleur et affliction se mélangeant dans son cœur et une bouillie hideuse qui risquait de l’annihiler. Elle faisait des efforts surhumains pour rester en un seul morceau et ne pas tomber en miettes. Redevenue fillette sotte et stupide, elle cherchait la main paternelle sans voir qu’elle était pourtant devant elle, immobile et froide. Où était donc l’homme qui l’avait toisé de si nombreuse fois, la grondant du regard sans ouvrir la bouche ? Où était l’homme qui l’avait de ni nombreuses fois rassurée lorsqu’elle était enfant et qu’elle craignant l’inconnu sans jamais oser demander de l’aide ? Où était l’homme qui la protégeait des malheurs de son ombre gigantesque et rassurante ? Où était le Soleil Noir qui brillait plus fort pour elle que n’importe quel autre homme sur terre ? Où était-il ? Où était-il ?!

La question tournait dans son esprit comme une phrase, une prière lancinante, alors qu’elle parvint enfin devant la dépouille de son père. Ses doigts effleurèrent le marbre obscur dont les veines grises étaient presque invisibles. Elle ne reconnaissait pas ce corps qui n’était définitivement pas son père. Ryon Allyrion était un homme grand et fin, aux rides marquées de sagesse et à la bouche fine qui, si elle n’était que rarement ornée d’un sourire, affichait cette aura de profonde bienveillance. Mais Valena ne voyait qu’une statue. Rien de plus qu’une statue. Et cela la terrorisait. Et elle fut prise d’un tel affolement qu’elle crut ne plus parvenir à respirer tandis que l’espace d’un instant, son corps se cassait en deux au-dessus de son père. Les sanglots furent si brusques et aigus qu’ils l’étranglèrent dans un gémissement allant du murmure au cri. Sa poitrine se serra et ses jambes se trouvèrent coupées. Pourtant, elle ne versa aucune larme.

Elle retrouva une contenance en quelques secondes et se redressa, pourtant toujours abasourdie. La lune montait dans le ciel, aussi blanche que la forteresse, signifiant l’entrée prochaine des frères de la nouvelle lady de la Grâcedieu.

« Pourquoi m’avez-vous laissée seule ? » demanda-t-elle d’une voix blanche.

Une teinte de reproche colorait ses intonations douloureuses. Elle ne trouva bien sur que les souffles plus frais de la nuit pour lui répondre.



  

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Les larmes du désert
La Grâcedieu



   
Valena Allyrion & Daemon Sand & Cletus Allyrion


Le temps était venu. D'un pas lent et mesuré, le cadet Allyrion avançait dans les couloirs baignés de la lumière du couchant, seul le son feutré de sa démarche venant troubler la quiétude des lieux. A l'extérieur des haut murs blancs de la demeure des Lords, la vie avait continué. Des abords de la Sang-Vert parvenaient les bruits du quotidien des paysans, des enfants, des hommes travaillant aux champs. Mais au sommet du python rocheux sur lequel reposait la forteresse immaculée, le temps s'était arrêté. Des jours durant, on y avait vécu dans l'attente pénible et douloureuse de ce moment. La peur d'affronter une dernière fois le visage du Soleil Noir avait ôté le sommeil au jeune écuyer, qui avait passé ses nuits à étudier des écrits qu'il connaissait déjà par coeur, et lorsque cela ne suffisait pas à l'empêcher de penser à ce jour qu'il redoutait de voir arriver, il errait sur les remparts. Le deuil allait commencer. Les pleurs et la colère des jours qui avaient suivis la terrible nouvelle allaient être remplacés par la difficile acceptation de cette perte, par la résignation face à ce coup du destin. De la dépouille de son père, il n'avait pour l'instant qu'entraperçu une silhouette dissimulée sous des voiles sombres, qui avait aussitôt disparu à l'intérieur de la demeure, afin que le corps y soit préparé par le mestre. En attendant de se rendre dans le septuaire, les Allyrions s'était séparés, allant chacun retrouver ses appartements, là où d'autres familles auraient attendu ensemble que vienne le moment du dernier adieu. Cette pudeur, ils la devaient sans doute à celui qu'ils pleuraient en ce jour. Aucun mot n'avait été échangé. Seul le déroulement inchangé des funérailles avaient dicté leurs actions, bien que ce fût la première fois pour les enfants de la Grâcedieu qu'ils enterraient un des leurs.

Le cadet Allyrion avait revêtu le noir, et ce sombre accoutrement avait étrangement pour lui plus un goût de nostalgie que de deuil, tant ces voiles obscurs étaient associés à l'image de leur défunt père. Le Soleil Noir avait fait sien cette couleur, et personne n'avait jamais osé le questionné sur ce choix qui ne l'avait jamais quitté. Mais dans l'esprit curieux de l'écuyer avait depuis longtemps mûrit l'hypothèse que cela fût pour l'oncle qu'ils n'avaient jamais connu que le patriarche Allyrion avait, tout au long de sa vie, porté le deuil, afin de ne jamais oublié que c'était avant tout pour ce frère qu'il assumait cette place de Lord de la Grâcedieu. Sur son chemin, Cletus ne croisa ni serviteurs ni garde, hormis celui qui gardait l'entrée de la salle où reposait le corps. Croisant le regard émeraude de ce dernier, Cletus s'arrêta, mais l'un comme l'autre ne trouvèrent les mots qu'ils auraient voulu se dire. Asmar, la Sentinelle, avait pour la première fois les yeux rougit de larmes, lui qui était connu pour être aussi sévère et détaché que les oiseaux de proie qui survolaient les dunes. Ce fût lui qui ouvrit la porte du septuaire au cadet, avec une rigidité toute militaire, derrière laquelle il espérait sans doute dissimuler sa peine.
En un instant l'écuyer se trouva submergé par le lourd parfum d'encens qui embaumait la pièce, la fumée des batonnets dessinant des volutes dans toute la pièce. Et dans ce brouillard de senteurs que filtraient les derniers rayons colorés du soleil, il vit la silhouette sombre de sa soeur qui lui tournait le dos, devinant derrière elle le corps allongé du Lord. Pourtant il n'avança pas vers elle. Pas de suite. Alors qu'il pensait s'effondrer en larmes, voilà qu'il n'arrivait plus à pleurer. Plus terrifiant encore, il ne ressentait ni la peur ni le dégoût qu'il avait tant craint de laisser éclater au pied de la dépouille de leur père. Avait-il déjà pleuré tout son chagrin? Ou bien la fatigue des dernières nuits sans sommeil l'empêchait-elle de réaliser que le moment était venu? Je dois le voir C'était un besoin, une nécessité qui résonnait dans sa tête. C'était inévitable, et indispensable pour qu'il puisse avancer, pour que lui et sa famille se tournent vers le futur qui se ferait sans la figure sévère du Soleil Noir. Ses pas le menèrent au centre du septuaire, où il prit place en face de sa soeur, et tous deux se faisaient face en silence, avec entre eux le corps sans vie de leur père. Le spectacle du visage marqué par la mort du défunt Lord était dur et cruel, tant les Dieux avaient déjà ôté de ses traits tout ce qui faisait autrefois de lui un homme charismatique et à l'aura bienveillante malgré sa gravité. Il ne le reconnaissait pas, et c'était une impression aussi étrange qu'il savait pertinemment que c'était bien son géniteur qui gisait là devant lui. Ce n'était plus lui. Le Soleil Noir était parti depuis longtemps, rejoindre ses prédécesseurs enterrés en ces lieux. Ce n'était qu'une coquille vide, une illusion, une image dont la vue pénible mais pourtant rassurante donnait la fausse impression qu'il était toujours là, quelque part. De la peau semblable à de la cire, aux mains pâles et osseuses qui reposaient sur sa poitrine, tout cela était tant dépourvu de la moindre étincelle de vie que l'esprit empirique du jeune Allyrion ne pouvait se résoudre à s'en attrister, et les souvenirs de ses derniers moment avec le Lord, il y avait des mois de cela, lui étaient infiniment plus douloureux que la vision de cette dépouille qui ne s'animerait plus jamais. Le vent faisait danser les voiles rouge sang aux fenêtre, et déjà le soir était là, l'astre de la nuit s'élevant dans le ciel et illuminant le désert d'une semblable blancheur que celle des murs à l'intérieur desquels son arrivée annonçait le début de la veillée.
Longtemps il contempla le visage aux regard de pierre, dont les pupilles noires n'avaient, malgré les efforts du mestre, rien de lueur sauvage et pleine de mystère des yeux sombres du Lord de la Grâcedieu. Relevant la tête, ses yeux en amande vinrent se poser sur le visage de sa soeur. Dès à présent c'était à elle seule que revenait la lourde tâche de succéder à leur père, elle était désormais la Lady de la Grâcedieu. Elle qui était d'habitude si pleine de fougue et d'arrogance comme leur mère, en ce jour ses traits avaient revêtus la même sévérité qu'ils lisaient autrefois sur le faciès du Soleil Noir. Plus que jamais, elle lui ressemblait.
     

         
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LES LARMES DU DESERT


Daemon Sand & Valena Allyrion & Cletus Allyrion



La nuit était enfin là. Dans le ciel qui embrassait la Grâcedieu, la lune était pleine, et le silence, total. Épais, vibrant, lourd de la tiédeur que le jour avait laissé derrière lui, c'était un silence presque irréel. Au dehors, il ne semblait n'y avoir plus aucune vie, et la respiration autrefois si ardente qui habitait la forteresse blanche n'était plus que l'ombre d'elle-même, semblable à la respiration calme d'un enfant qui dessine, et s'applique. Plus que jamais, le Sand se sentait lui-même redevenir cet enfant qu'il avait été, et qu'il n'avait au fond jamais cessé d'être; cet enfant qui avait cherché par tous les moyens l'approbation de son père, son attention, son estime. Et il avait fait tant d'erreurs en essayant...La brise timide souleva un instant les longs voiles qui avaient été accrochés aux arcades, et le seul froissement des tissus brisa presque éhontément le recueillement qui régnait dans la demeure, et qui n'était troublé que par le chant paisible des insectes. C'était la première fois qu'il le remarquait, ce silence parfait, et qu'il l'écoutait, alors qu'il traversait les couloirs interminables. Mais peut-être était-ce car il n'existait que pour cette nuit de veille.

Entre le garde et le mestre, Daemon se tenait suspendu entre ses deux soutiens, ses bras passés autour de leurs épaules. Sa silhouette était frêle et sa minceur nouvelle ainsi enveloppée dans ces vêtements noirs n'était pas sans rappeler un autre fantôme que l'on pleurerait ce soir, et uniquement ce soir puisque la tradition l'exigeait. Puisque Dorne, l'égoiste Dorne, ne consentirait jamais à leur donner plus de temps. Ses pas étaient lents, laborieux, bien que souvent à peine mimés tant la douleur l'entravait. Lui ceignant le flanc, son cimeterre, dont la lame claire luisait sur l'étoffe aile-de-corbeau de son habit, rebondissait régulièrement sur sa cuisse, non sans lui causer quelques peines lui aussi. Cette arme, c'était presque par instinct qu'il avait demandé à ce qu'on l'en équipa, dans ce fourreau de cuir d'un rouge si sombre qu'il en paraissait noir. Un instinct naturel et désespéré, écho de l'insupportable impuissance à laquelle il devrait faire face, de ce père qui avait été tué et qu'il n'aurait jamais pu sauver. Cette simple pensée lui serra la gorge et, sentant son malaise, ses deux aides s’arrêtèrent un instant, inquiétes. Ils laissèrent respirer le Sand pendant quelques instants, puis ils reprirent la route qui devait les mener au Septuaire sous l'impulsion du mestre qui ne souhaitait pas qu'il fut plus en retard qu'il ne l'était déjà. "Encore quelques pas, nous y sommes presque" semblait dire ce regard gris qu'il adressa aux yeux fatigués de Daemon. Tristes et pâles, telles semblaient être ces deux vitres bleutées qui donnaient sur l'âme du bâtard, et pourtant, aucune expression n'aurait pu plus mal traduire les sentiments qui hantaient son cœur amer que l'accablement que l'on pouvait y lire.

Quand enfin il pénétra la pièce, l'encens s'infiltra dans son masque, étouffant l'odeur du métal à laquelle il s'était pourtant habitué. Ses yeux se fermèrent l'espace d'un instant, alors qu'il cherchait sa respiration au travers de cette fumée inoffensive, mais qui n'en réveillait pas moins les sillons tracés dans ses poumons par celle qui avait failli emporter sa vie. Lorsque ses paupières s'ouvrirent à nouveau, il découvrit le Septuaire ainsi qu'il ne l'avait jamais vu. Il connaissait ces hauts murs, il se rappelait la voûte d'or et de sang et les voilages rougeoyants que l'on accrochait aux ouvertures. Pourtant, alors qu'Harian et le soldat l'avançaient vers le socle de pierre noire où reposait la dépouille du Lord, il n'en reconnut aucun, de ces recoins qui auraient dû lui être familiers. Il n'y avait que la lumière blanche de la lune, et l'obscurité qui semblait avoir dévoré les couleurs, les aspirant hors de leur vie ainsi qu'il en avait été de l'existence de leur père.  Debout autour du mort, se tenaient les silhouettes raides de son frère et de sa soeur, et  la lumière pâle qui tombait d'un puits de jour arrachaient à leurs corps des ombres élancées qui s'étiraient sur le sol. On aurait dit qu'elles voulaient fuir. Fuir cette réunion macabre, fuir cette réalité terrible et toutes les conséquences qu'elle engendrait déjà, naissance morne d'une vie nouvelle. Aussi discrètement que cela lui était possible, un jeune page apporta un siège de bois qu'il plaça au pied  de la dépouille, et où l'on assit précautionneusement le Sand. Une fois passé la légère agitation, une fois les craquements du meuble d'assise disparus, le mestre et les deux serviteurs quittèrent les lieux, et lorsqu'ils eurent refermé derrière eux la lourde porte, il n'y eut plus rien d'autre que le silence.
Ainsi installé dans le siège, droit et taciturne, Daemon regarda au travers des ouvertures de son masque de fer la vision qu'il pouvait avoir de ce spectacle qui lui semblait si loin, au travers de son déni, et de ce carcan qui lui donnait l'impression de regarder par une fenêtre une étrange pièce de théâtre où les acteurs mimaient ce mirage tant redouté. Pendant combien de temps garda-t-il le silence, ses mains gantées de noir refermées sur les accoudoirs d'acajou, le cimeterre posé sur ses genoux? Il ne le saurait sans doute jamais. Le temps n'était plus rien pour lui à présent qu'il se trouvait ici devant cette silhouette dont il ne pouvait voir qu'un angle peu flatteur. L'avait-on placé là car c'était là la place d'un fils illégitime? le Sand s'en moquait. Qu'ils l'eussent placé à l'autre bout de la pièce, contre un mur, qu'il n'aurait pas protester une seule seconde, ni émis la moindre contrariété. Il ne souhaitait pas voir la dépouille de son père. Ses yeux morts qui ne pouvaient le voir, Daemon savait qu'il ne pourrait pas les confronter, dans ce regard accusateur qu'il lui connaissait si bien et qu'il avait deviné être le sien lorsqu'il était parti des lunes auparavant. Et maintenant il était mort. Sans doute, comme le devinait son ainé, avait-il cette expression sévère toujours inscrite sur ses traits, même dans la mort. Amorphe, le Sand ne pouvait que contempler son echec. Se résigner était difficile, mais il saurait le faire. Accepter la mort était un obstacle qu'il avait déjà franchi, avec peine, mais il était prêt à faire son deuil. Accepter l'injustice, en revanche...voilà une épreuve que son coeur refusait de toutes ses forces.

Dans un frisson soudain intimidé, son propre regard rougi par les blessures préféra soudain fixer la pierre noire et lisse sur laquelle reposait le corps sans vie de Ryon; Polie avec tant de soin qu'il pouvait y voir de temps à autre le reflet du métal de son visage y déchirer des griffes de lueur pâle. Si la lumière de la nuit découvrait les mines graves et sombres de Valena et de Cletus, caressant doucement leur peau d'un éclat solennel et noble, elle découpait les reliefs du métal avec dureté. Et dans le silence ambiant, son souffle pénible résonnait d'une sinistre manière. Lorsque sa voix brisa le mutisme religieux qui s'était installé, elle était poussive mais suave, animée par un sentiment que l'on trouverait déplacé dans un tel endroit, dans un tel moment.

"J'imagine qu'on doit te féliciter...Ma Lady" Bien que chaleureuse et douce, sa voix n'en était pas moins morne, malgré le cynisme évident des ses mots et de son ton venimeux, à lui que l'on aurait pu deviner souriant sous son masque. Froid et moqueur, le bâtard n'était visiblement pas prêt à respecter ce moment solennel. Il y avait renoncé, même avant de pénétrer le sanctuaire aux hauts murs, qui les observaient, écrasants, comme des sentinelles blancs et sans visage. Il y avait trop de colère en lui pour qu'il se tût. Trop de rancoeur pour qu'il se contenta de rester assis-là, à simplement balancer les banalités pompeuses que l'on partageait habituellement autour des défunts. Bridés par l'obligation du protocole, par la peur d'en dire trop aussi. Mais encenser cet homme que tous trois savaient déjà presque irréprochable, aussi dur et sévère avait-il put-être, cela n'avait aucun intêret aux yeux de Daemon. Les compliments, il ne pouvait plus les entendre de toutes les manières, alors à quoi bon? Son coeur amer avait faim de toute autre chose.
Cletus et Valena avaient perdu un père, mais Daemon sentait pourtant-et sans doute égoistement- qu'il avait perdu bien plus, et il redécouvrait avec horreur cette angoisse qui l'avait tenu éveillé des nuits entières durant son enfance. Avec la mort du Lord, il lui semblait avoir perdu le seul point d'ancrage qui le retenait à cette famille, comme seul témoin et preuve à la fois de sa légitimité à en faire partie. Et il avait désormais la désagréable impression d'être suspendu dans le vide vertigineux de sa condition.



   
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Cletus & Daemon & Valena



Les pas discrets de Cletus se mêlèrent comme des soupirs au silence abyssal et mortuaire de la salle où reposait le Soleil Noir. Valena ne se retourna pas pour l’accueillir. Elle se contenta de rester figée, dos à lui, écoutant avec une fatalité stoïque son jeune frère avancer vers elle. La jeune femme serrait les dents. Elle avait besoin d’être seule. Rien qu’encore un peu. Ses yeux n’étaient pas rougis par les larmes et rien dans sa posture ne trahissait la seconde d’effarement qui lui avait saisi l’âme un instant auparavant. Cependant, son cadet la connaissait assez pour comprendre qu’elle n’allait pas bien. Et la dernière chose qu’elle souhaitait lui montrer aujourd’hui était son visage glacé, masquant les zébrures de douleur qu’elle renfermait. Il était encore si jeune. Il avait probablement grandi lors de son séjour en tout qu’écuyer chez les Ferboys, mais cela, l’héritière refusait de le voir. Elle s’obstinait encore à le percevoir comme cet enfant chétif et délicat qu’il lui fallait protéger à tout prix et contre tous. Dans les jeux auxquels elle s’était pliée pour le divertir alors qu’il n’était encore qu’un bambin blond potelé et attendrissant, elle était toujours celle qui tenait la lance pour éloigner les ennemis. Or, maintenant, elle se sentait démunie, bien incapable de cacher ses yeux bleus devant la dépouille de leur géniteur.

Quand elle avait reçu une lettre du Bief pour l’informant du décès de Lord Allyrion, elle n’était pas allée l’annoncer elle même à sa famille. Asmar avait été la victime de sa couardise et de sa faiblesse. Comme lorsque Daemon avait franchi les portes de la forteresse avec Nymeria et le Targaryen, à moitié mort et les chairs à vif, elle n’était pas allée à sa rencontre avant plusieurs longues semaines, préférant s’enfermer dans la salle de travail de leur père à remplir papiers et lettres qui auraient bien pu attendre. Se confronter à la détresse des autres et à sa propre impuissance la terrorisait. Et elle préférait repousser l’échéance plutôt que de foncer tête baissée, comme elle avait d’ordinaire l’habitude de le faire. Ses propres réactions la déstabilisaient. Elle avait l’impression de devenir quelqu’un d’autre. L’ombre d’elle même. Une poupée tremblante et fragile qu’elle haïssait. Et cela la terrorisait.

Son jeune frère prit place de l’autre côté du corps. Valena ne leva pas les yeux vers lui, préférant regarder le visage impassible du lord allongé. Elle préférait contempler ce néant sombre plutôt que de devoir affronter les traits de Cletus. Elle craignait ses réactions. Elle craignait de voir les émotions tordre ses lèvres. Elle craignait de voir les larmes rouler sur ces joues tendres qu’elle avait tant de fois embrassées.

Finalement, elle sentit son regard sur elle, mais fit mine, encore pour quelques minutes, de ne pas l’avoir remarqué. Qu’était-elle sensée faire ? Sensée lui dire ? Comment pouvait-elle le réconforter ? En avait-il seulement besoin ? Son égoïsme avait fait qu’elle ne s’était concentrée que sur sa propre affliction sans prendre en considération celle de ses frères ni encore même celle de sa mère. Elle se sentait seule à souffrir et ne voulait rien savoir de personne. Aussi, elle n’avait aucune idée de comment Cletus et Daemon prenaient la nouvelle. Elle ne leur avait pas adressé un mot leur de l’arrivée du cadavre. Elle n’avait vu que le visage déformé par la douleur et les larmes de Deria. Cela lui avait suffit. Elle avait alors détourné les yeux.

Son regard couleur de cendres se leva enfin vers son petit frère qu’elle ne parvint même pas à gratifier d’un pauvre sourire. Elle en était incapable. Ils restèrent à s’observer quelques secondes sans qu’aucun d’eux ne trouvent les mots justes, préférant peut-être la mélodie d’un silence de recueillement plutôt que celle de leurs voix disgracieuses rendues rauques et graves de sanglots sans larmes.

Le mutisme de la pièce fut cependant brisé par l’arrivée laborieuse de Daemon. Encore une fois, Valena ne se retourna pas. Elle l’entendit trébucher et se débattre avec les plis de ses vêtements de deuil alors qu’il était trainé vers eux par deux gardes et qu’un domestique se dépêchait d’apporter une chaise pour qu’il puisse s’asseoir. Chaque froissement, chaque bruissement retentissait comme un bruit de tonnerre dans la salle si paisible auparavant. Elle ferma les yeux et fronça douloureusement les sourcils. Depuis quand les choses étaient-elles ainsi ? Que s’était-il passé pour que cette famille en arrive là ? Autrefois retentissante de rires et de cris de vie, la forteresse de la Grâcedieu n’était maintenant pleine que de râles et de lamentations. De glissements de pieds brûlés et d’un corps infirme. Du silence effrayant d’une mort brutale.

Et d’une voix narquoise et sarcastique qui lui fit subitement tourner la tête vers Daemon qu’elle n’avait pas encore regardé. Difficile de deviner ce qu’il pensait et l’expression de son visage, caché derrière son imposant masque de fer. Elle préférait le regarder lui et son carcan sans émotion plutôt que d’observer Cletus. Cela était plus aisé pour elle. Pourtant l’intonation de ses accents et surtout la teneur de ses propos laissèrent un goût amer dans sa bouche. Sa provocation renvoyait à sa propre naïveté lorsqu’elle se rêvait déjà Lady Allyrion sans imaginer qu’un tel titre ne pourrait être le sien qu’après la mort de son géniteur. À quoi s’était-elle entendue alors ? À ce que leur père abdique pour lui laisser la place sans broncher ? Qu’il s’assiérait à ses côtés en temps que conseiller et non plus en temps que suzerain de la Grâcedieu ? Qu’il l’observait exécuter les tâches du quotidien et gérer les surprises désagréables du rôle de lady avec son calme serein et rassurant ? Oui, c’était ce qu’elle avait pensé durant de nombreuses années. Peut-être l’avait-elle même cru jusqu’à très récemment. Peut-être y croyait-elle même encore.

« Hé bien qu’attendez-vous ? Félicitez-moi. »

Sa demande était dure et autoritaire. Ses accents renvoyaient presque à ceux du Soleil Noir lui même lorsqu’il désirait se montrer sévère et intransigeant.

Elle aurait voulu remettre Daemon à sa place, lui ordonner de se taire et de respecter ce qu’il restait du temps qu’ils leur restaient avec leur père, mais elle savait que cela ne mènerait à rien. Leur demi-frère était encore trop plein de colère et de dégoût. Elle avait accepté cela lorsqu’elle lui avait promis de rester à ses côtés, peu importait le temps que prendrait son rétablissement.

Deria ne viendrait pas. Elle n’avait pas besoin de leur demander pour le deviner. Leur mère était encore abasourdie de chagrin pour oser les rejoindre et toiser froidement l’homme qu’elle avait tant aimé durant toutes ces années. Sa fille ainée ne lui en tint pas rigueur. Elle était capable de prendre ses propres décisions et si elle ne souhaitait pas veiller cette nuit la dépouille de son époux, la décision lui appartenait. Et Valena ne se sentait pas de taille à l’entendre gémir et pleurer. Elle n’avait jamais eu cette image d’elle et elle ne voulait pas l’avoir. Deria était une femme forte et fougueuse qui n’avait peur de rien et certainement pas de la mort. L’héritière voulait que les choses restent ainsi pour elle. Pour elle et pour ses frères.

« Agenouillez-vous, jurez moi fidélité sur vos lames et prosternez-vous également si vous vous en sentez l’envie. Puisque tout ceci semble te faire rire Daemon, allons jusqu’au bout de la farce. »

Elle regretta instantanément les mots qui avaient jailli de sa bouche. La jeune femme secoua la tête, désabusée, avant de poser les yeux sur son jeune frère. Un long soupir lui fit clore les paupières. Elle ne s’excusa pas, cependant. Elle n’était pas ici ni pour se battre avec son demi-frère, ni pour afficher un air belliqueux envers son petit frère et certainement pas pour manquer de respect au corps de son père. Voilà cependant qu’elle avait réussi tout ce qu’elle s’était refusée à faire jusqu’alors.


  

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Les larmes du désert
La Grâcedieu



   
Valena Allyrion & Daemon Sand & Cletus Allyrion


Le cadet Allyrion détacha son attention du visage du lord défunt, pour poser ses yeux bleus sur la silhouette sombre qui se tenait en face de lui, de l’autre côté du lit de marbre sur lequel reposait le corps. L’aura vibrante et tempétueuse de son ainée avait disparue, pour laisser la place à ce qui ne semblait plus n’être qu’une ombre. Où était-elle ? Qu’était-il advenu de la flamme qui embrasait la moindre émotion de sa sœur, et qu’il avait tant espéré revoir ? Son regard cherchant les prunelles noires qui semblaient le fuir, le jeune écuyer s’effrayait de la voir ainsi brisée, alors que lui-même n’arrivait pas à s’émouvoir de la vue de la dépouille de leur père. Sans doute était-ce trop. Trop de souffrance, trop de fatigue. Mais aussi trop d’incompréhension, d’injustice, et surement, bientôt, de colère. Ils n’étaient pas prèts. Lui n’était pas prêt. Valena non plus. Rien dans leur éducation, dans ce qu’ils avaient appris ou fait, ne les avaient préparé à cela. Et dans cette salle emplie du brouillard d’encens,  qui n’était éclairé que par quelques lampes, Cletus se rendait compte à quel point ils étaient perdus, combien ils avaient encore besoin de ce père qu’ils avaient tous craint et respecté. Enfin les yeux sombres de son ainée se levèrent, mais elle semblait aussi incapable que lui de trouver la moindre chose à dire. Mais qu’aurait-elle pu lui dire ? Qu’aurait-il pu lui dire ? Les deux Allyrions souffraient la même peine, et aucun mot bien choisi ne réussirait jamais à les soulager de ce deuil qu’ils commençaient tout juste. Le son des pas des hommes qui pénétrèrent le septuaire attira l’attention du cadet de la Grâcedieu, mais aussitôt que son regard tomba sur la silhouette de son frère, il se détourna, préférant à nouveau contempler en silence les yeux de pierre du père qu’ils pleuraient tous.
L’assourdissant silence que seul venait troubler la respiration difficile du Sand fût pourtant de courte durée, et d’une phrase, l’ancien chevalier vint briser la solennité de la veillée. Sans relever la tête, le jeune écuyer perçu l’immédiate réaction de leur sœur, mais malgré le ton provocateur et l’impertinence de Daemon, il ne se sentait pas la force d’affronter les pupilles bleues qui perçaient le masque de fer cachant son visage. Ses yeux qui trop souvent lorsqu’il les croisait, n’exprimaient rien d’autre à son égard que du mépris. Il n’avait pas besoin de cela aujourd’hui, car cette guerre silencieuse qui s’étirait sur les années lui semblait terriblement dérisoire, à côté de ce qu’ils affrontaient, tous les trois, aujourd’hui. Valena ne tarda pas à répondre à cette provocation dont leur frère devait avoir conscience de la puérile facilité. Comme une braise qui serait venue ranimer les flammes, elle s’engouffra sans se questionner dans la porte laissée grande ouverte par le blessé assis. Et bien que la conduite de l’un comme de l’autre n’était guère appropriée pour une nuit telle que celle-ci, Cletus remercia intérieurement Daemon de sa pique. Aussi venimeuse était-elle, au moins avait-elle réussi à sortir l’héritière de son mutisme, de cette inquiétant calme triste, qui lui avait fait redouter que leur sœur fût aussi brisée que leur mère, dont il doutait qu’elle réussirait à faire le deuil de son époux. Valena était toujours là, telle qu’il l’avait connue et telle qu’il la connaissait. Elle se tût, pourtant, après les avoir apostrophé tous deux, sa voix portant pour quelques instant la fougue qui l’habitait. La nuit commençait juste, et déjà, une dispute avait éclatée. La veillée qui aurait due être solennelle risquait de n’être que le tableau représentatif des liens houleux et tendres, mais surtout si inégaux qui les unissaient tous trois. Le cadet ne répondit pas à l’invective de la lady de la Grâcedieu. Il n’avait jamais réagi que par le silence et l’effacement face aux tempêtes que soulevaient de temps à autre ses ainés au sein de leur demeure. Sous les yeux du cadet Allyrion, le visage du Soleil Noir, dont la peau semblait plus grise encore à la lumières des lampes à huile, était creusé par les flammes que faisaient trembler la brise qui traversait la pièce. Témoin silencieux de cette veillée, le Lord défunt, autour duquel tous ses enfants s’étaient rassemblés, paraissait telle une statue. Détaché de la rixe verbale et brève de ses ainés, le jeune écuyer posa doucement sa main sur celles, croisées et crayeuses, de leur père. Sous sa paume, les doigts du lord étaient aussi froids que le métal des bagues qui les ornaient. Le temps et la mort avaient déjà fait leur œuvre, et la peau qui avait perdu toute souplesse, était semblable à un épais parchemin. Ce contact n’effraya pourtant pas Cletus, qui n’ôta pas sa main. Une douce chaleur était venue, sans qu’il s’y attende, réveiller en lui les souvenirs de sa plus tendre enfance. Ils avaient tout trois grandit entourés de la bienveillance et de l’ombre rassurante de cet homme, mais le respect qu’il inspirait n’avait presque pas laissé de place aux démonstrations d’affections qu’ont les autres pères pour leurs enfants. Aussi simple soit-il, ce geste était pourtant inédit, et il vint faire naître l’ombre d’un sourire empli de tristesse et de nostalgie sur le visage du fils cadet du Soleil Noir.  
« C’est la première fois que nous sommes tous les trois réunis dans une même pièce, pour autre chose que des repas. » Se fi-t-il la réflexion à voix basse, sans que ses yeux ne quittent les longues mains du Lord. Ils étaient tous si différents. Lui, Valena, et Daemon. La fratrie qu’ils formaient était loin de ressembler aux autres, tant leurs rapports avaient été en partie dictés par ce qui avait précédé leur naissance. Daemon était l’ainé. Valena, elle, était l’héritière. Malgré la concurrence qui avait rendu leur affection partagée aussi mouvante et dangereuse que le désert qui entourait la Grâcedieu, ils avaient grandis côte à côte, et étaient très certainement plus complices que Cletus pourrait jamais l’être avec l’un comme avec l’autre. Lui, cadet de cette famille, avait très tôt développé une tendresse réciproque avec sa sœur , mais les années qui les séparaient semblaient être telles un fossé que ni l’un ni l’autre n’avait pour l’instant été capable de franchir. Quant à sa relation à Daemon, le jeune écuyer n’avait jamais réussi à en faire naître ne serait-ce que le début d’une amitié, et jamais ils ne s’étaient parlés sans qu’il ne récolta des insultes ou du mépris. Aussi, en dehors du rituel des repas pris en famille, où la présence seule du lord suffisait à décourager les plus tempétueux des enfants Allyrions, cette fratrie désassortie ne s’était tout simplement jamais retrouvée ainsi rassemblée dans une même pièce. Le Soleil Noir les avait réunis, de nouveau, mais pour la dernière fois.

     

         
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LES LARMES DU DESERT





« Hé bien qu’attendez-vous ? Félicitez-moi. » Les mots de la Lady claquèrent comme un fouet au dessus du macchabée. Ils se répercutèrent sur les murs dépouillés, refusant le silence qui les entourait, les étouffait.
Si elle ne put le voir, cette réplique cinglante arracha un sourire mauvais à son demi-frère qui plissa un instant ses yeux rougis. Malgré la gravité du tableau dans lequel ils se retrouvaient coincés tous les trois, la réaction de Valena l'amusait d'une certaine façon, d'une satisfaction puérile qui n'en demeurait pas moins amère. Il avait réussi à la provoquer, et il en était simplement content.
Daemon et sa soeur s'étaient toujours disputés, à la moindre occasion, à la moindre chance de pouvoir se mesurer l'un à l'autre, ou simplement de se chamailler. Dans une insolente habitude, leurs piques survolaient le corps froid qui reposait entre eux sans aucune gène. Ce cadavre qui demeurait cette nuit, misérable représentant de tout ce qui les avait lié, mais aussi de tout ce qui les avait séparé. Et s'il savait que les mots qu'elle cracha ensuite étaient eux aussi fruits de leur chamaillerie, il senti son coeur se serrer à cet ordre  tandis qu'il comprenait qu'il refuserait d’y répondre, eut-il était sérieux et réel. Non, ployer le genou devant sa soeur lui semblait encore plus difficile que de se tenir debout, il s'en rendait bien compte. Son mutisme lourde de sens fut sa seule réponse.
A la suite de ses invectives, un nouveau silence vint les séparer. Il serait court, mais il fut assez long pour permettre aux pensées du bâtard de vagabonder autour du défunt. Son regard, qui semblait plus pétillant que ceux de son frère et de sa soeur, observa ce père qu’il n’avait jamais vraiment regardé, par respect, par crainte aussi. Maintenant qu’il était là, telle une statue de marbre habillée de noir, il lui était bien plus facile de contempler ce corps mince et sévère, même dans la mort. Les sombres vêtements de ses enfants si dissemblables entre eux ainsi que de sa personne, offraient une vision inédite d’unité dans cette fratrie déchirée par son seul orgueil et sa seule jalousie, il le savait. Et voilà qu’ils étaient tous trois devant le fait accompli, contemplant les ruines effondrées de ce pilier qui avait soutenu leurs existences.
Comme une évidence qui lui semblait plus proche que jamais et à laquelle il n’avait jamais songé, l’idée transperça son esprit, soudaine et inattendue, se présentant comme une vision claire comme le jour. Un jour, elle serait là. Allongée, et froide, avec deux pierres peintes de noir posées sur ses yeux refermés. Serait-il encore là pour la voir elle aussi, sur cette pierre sombre qui avait embrassé le corps de leurs ancêtres? Assombri, son esprit se referma, non sans laisser dans le sillage de ses pensées cette question qu’il se posait si souvent.

« C’est la première fois que nous sommes tous les trois réunis dans une même pièce, pour autre chose que des repas. »

Haussant un sourcil sous son carcan de métal, Daemon releva lentement l’aigue-marine de son regard vers le visage de leur cadet. Dans ses yeux, il n’y avait nulle trace de la lueur de complicité  qui avait fait briller ses pupilles alors qu’il provoquait sa soeur. Sous la frange de cils argentés, l’éclat était terni par la désertion de toute affection envers ce visage poupon et cette silhouette que l’âge et les évènements récents avaient rendu plus solide que la sienne.  Il lacha un soupir méprisant, étouffé en partie par son masque, mais qui résonna tout de même dans la pièce. Ouvertement moqueur face à la candeur de l’écuyer de Ferboys, il le fixa un moment, tandis que les doigts gantés et fins de sa main droite tapotaient négligemment les accoudoirs de son fauteuil.  La reconnaissance était absente des yeux du Sand, et il le regardait comme il l’eut fait d’un étranger dont il ne souhaitait qu’une chose: le départ prochain.
Cletus n'avait jamais été qu'un invité à leur table, sa table. Cet enfant né trop tard, insuffisamment côtoyé et -Daemon n'en doutait pas- certainement le maillon faible de leur fratrie. Pour lui, le voir aux repas était déjà trop, comme si ce rassemblement forcé ne faisait que mettre en exergue l’inutilité dont il avait affublé la naissance de ce petit frère, avant même d’avoir posé ses yeux sur lui. Et puisque cette phrase murmurée sonnait clairement comme un reproche déguisé aux oreilles du brûlé, son sang ne fit qu’un tour.
"Tu veux un calin, peut-être?"Les accents de sa voix étaient durs, cassants malgré la moquerie et l'apitoiement feint. S’il était un trait de leur père dont Daemon avait hérité, c’était bien son intransigeance impitoyable, quand bien même il en faisait un très mauvais usage. Il se redressa légèrement dans son assise, relevant sa tête et posant à nouveau un regard vague sur la silhouette du mort qui trônait entre eux, comme le rempart qu’il ne pouvait plus être pour brider les velléités de ses enfants.  "Tu pourrais bientôt avoir de quoi étancher ta soif d’affection, puisque, à ce que j’ai pu entendre, un enfant pourrait nous rejoindre sous peu entre ces murs. Ne désespère pas, Cletus. Peut-être que ce Sand-ci t’appréciera, lui. " Il avait laché ces derniers mots d’un ton si naturel qu’il aurait pu effrayer ou crisper quiconque d’autres qu’eux trois. Mais s’il était amer de l’avouer, c’était hélàs la triste vérité, et nul ne l’ignorait au sein de la forteresse blanche. Plus qu’un aspect que l’on souhaiterait modifier pour enfin atteindre ce tableau de famille parfaite que les Allyrions ne semblaient jamais devoir fournir, on s’était résigné face à l’inimité du bâtard pour son cadet. Daemon savait être le seul dans ce trio désassorti à éprouver des sentiments négatifs envers son demi-frère, mais aussi envers sa soeur et à les afficher souvent, plus pour s’affirmer devant le poids de leur nom que pour les blesser. La violence de ses mots n’étaient que le reflet de son coeur cruel, et que l’on avait si souvent entendu hurler ces derniers temps derrière ce masque impassible qui ne retenaient nullement les émotions du bâtard.  Il lui était impossible de prétendre. Jouer les double-jeux, les finauderies de la politique et de la diplomatie, simplement mentir parfois, tout cela lui échappait et jamais il ne s’était prétendu maître dans l’art de la dissimulation là où personne n’ignorait l’ambition qu’il portait depuis toujours comme un étendard devant sa soeur. Une ambition tuée dans l’oeuf, alors que la mort du Lord avait amené dans la tombe ses espoirs d’un jour porter le patronyme qu’il enviait tant et qu’elle avait consacré dans son funeste rôle Valena, Lady de la Grâcedieu. Aussi douloureux cela était-il pour le Sand de l’admettre, c’était ce qu’elle était désormais. Lady. Maitre et seigneur des terres de la Grâcedieu, de ses gens, de ses alentours.

"Quant à la farce...J’ai mieux rit devant sa lettre." Dit-il d’un ton plus doux et souriant. Mais le Sand ne rigolait pas le moins du monde.
Malgré le chemin de croix qu'il avait à peine entamé, malgré la volonté évidente de la principauté de poursuivre sa bonne entente avec la couronne du Sud, Daemon ne pouvait souffrir de voir cette reine du Sud et sa famille poursuivre ainsi leurs existences.  Dans quelques jours, le pli mystérieux qu'il avait écrit serait montré, lu au travers des six couronnes restantes. Evidemment, il n'avait pu l'écrire lui même, et il avait confié la rédaction à un jeune apprenti d'Harian, puisque sa propre main lui refusait l'art délicat de l'écriture et que le Mestre se serait aussitôt insurgé d'un tel texte. Qu'il fut maintenant au courant ne faisait ni chaud ni froid au Sand. Ces mots venimeux étaient parti le soir même où la mort du Lord leur avait été annoncée. Il était trop tard pour les effacer désormais. Il s’était laissé dévoré par les flammes pour sauver une amie, venger la mort de leur père prendrait bien plus de temps et de force, et cette lettre n’était qu’une infime partie de ce qu’il était prêt à faire. Dans ses yeux qui s’étaient soudain assombris et où se reflétaient la lueur des torches, on pouvait lire l’étrange éclat de la détermination d’un homme qui ne reculerait devant rien. Les coeurs orgueilleux ne s’attendrissaient pas, et ce ne serait pas la première fois que le bâtard rejetterait les ordres pour faire ce qui lui semblait juste ou, du moins, adequat.






   
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Some saw the sun, some saw the smoke. Sometimes the wire must tense for the note. Caught in the fire, say oh, we’re about to explode. Carry your world, I’ll carry your world. Some far away, some search for gold, some dragon to slay. Heaven we hope is just up the road. Show me the way, Lord because I'm about to explode. Carry your world and all your hurt.
Cletus & Daemon & Valena



Evidemment, ni Cletus ni Daemon n’obéit à ses paroles dures et pleines d’amertume. L’inverse aurait été étrange. Peut-être son jeune frère dans sa candeur et sa profonde gentillesse aurait osé une petite révérence, simplement pour lui signaler qu’il l’avait entendu et surtout, pour ne pas la vexer. Peut-être. En revanche, Daemon en aurait été bien incapable. Tant physiquement que mentalement. Son corps brisé, reposant comme une poupée cassée sur son fauteuil aurait eu bien du mal à se casser en deux pour lui témoigner son respect et son indéfectible loyauté. Loyauté dont Valena avait jusqu’à peu lourdement douté, lui prêtant des sentiments d’orgueil et d’ambition, jalousant sa place et son titre. Son demi-frère ne se serait jamais agenouillé. Ni devant elle, ni devant personne. De voir cette fierté farouche et si familière émaner de son être qu’elle avait vu si faible et chétif lors de son retour à la Grâcedieu la rassura. Certains aurait pu se sentir piqué et s’enflammer comme des torches arrosées d’huile et Valena en aurait été la chef de file. Mais les choses avaient changé. Son frère renouait petit à petit avec celui qu’il avait toujours été, muscles atrophiés et peau noircie ou pas.

Le cadet de la famille semblait aussi s’apaiser devant les mots de sa sœur ainée. Cette fois, la jeune femme laissa ses sourcils se froisser d’incompréhension. Qu’avait-elle fait qui mérite pareil sentiment chez son frère ? Elle l’observa serrer entre ses doigts les mains blafardes et inertes de leur père. Cette sensation devait être bien peu familière pour l’écuyer. Pour elle aussi, d’ailleurs. Les paumes de son petit frère lui firent pincer les lèvres. Elle s’était attendue à les voir encore blanches et tendres d’enfance. Son entrainement chez leurs cousins Ferboys les avaient rendues calleuses et plus larges. Il grandissait.

Contrairement à Cletus, elle n’osa pas effleurer la peau parcheminée de leur géniteur. Ce cadavre, bien qu’elle n’osa l’admettre, la terrorisait. Elle n’avait que très rarement senti le contact paternel. Elle ignorait tout de cette sensation d’une main protectrice sur son épaule et sur sa tête de petite fille. De ces longs bras fins autour d’elle lorsqu’elle avait peur, mais le taisait. Alors, elle repoussait encore cette émotion. Si elle ne l’avait pas connue de son vivant, elle ne voulait pas l’éprouver dans la mort. Son frère était beaucoup plus courageux qu’elle.

Les mots qu’il prononça la laissèrent un instant songeuse. Disait-il la vérité ? N’avaient-ils donc jamais réuni tous les trois autrement que pour partager des dîners ? Elle n’y avait jamais fait attention. Valena n’était guère du genre à s’attacher aux détails et était loin d’être la plus fine observatrice de la forteresse. En y repensant, elle se rendit compte que Cletus disait vrai. Elle adorait ses frères. Autant l’un que l’autre, bien que l’amour qu’elle leur portait était bien différent. Maternelle pour son cadet, elle redevenait une enfant fougueuse avec Daemon. Douce avec l’un, hargneuse avec l’autre. Pourtant, malgré tout, le Sand détestait le jeune Allyrion. Il n’y avait pas besoin d’être observatrice pour voir cela. La nouvelle Lady de la Grâcedieu l’avait bien remarqué, sans jamais leur faire ni remarque ni remontrance. S’ils avaient quelque chose à se dire, s’ils voulaient se battre ou s’expliquer, grand bien leur fasse. Elle n’interviendrait que si cela dégénérait. Pourtant, elle se rendit compte alors qu’elle était là, debout, à veiller leur défunt père en leur compagnie, que le songe d’une famille profondément unie aurait pu lui convenir. Elle avait toujours connu la demeure d’albâtre pleine de rires et de cris, de critiques et de piques, d’amour non dit et de sous-entendus. Et elle aimait cela. Mais les choses auraient-elles pu être autrement ? Comment cela se serait-il passé ? Elle y réfléchit, mais soudainement, l’idée la rebuta. La répugnait même. Cela ne leur ressemblait pas. Cela ne leur ressemblait en rien.

Le soupir mauvais de Daemon arracha son regard à l’observation de son petit frère pour le reporter sur son ainé. La tendresse qui avait serré son cœur quelques minutes auparavant disparu instantanément. Ses yeux lancèrent des éclairs, prévoyant sans l’ombre d’un doute la prochaine réplique acerbe du bâtard de la Grâcedieu. Car il parlerait. Elle en était persuadée. Il lui était impossible de se taire, de tenir sa langue, quelque soit la situation dans laquelle il se trouvait. Et le deuil, la veillée funèbre, n’échappait pas à la règle. La voix amère et sardonique du jeune homme finit de tuer l’accalmie dans l’âme de Valena et réveilla la tempête.

« Un câlin ? Pourquoi ne te lèves-tu pas pour lui en faire un dans ce cas ?! Allons, lèves toi ! » tempêta-t-elle en serrant les dents.

C’était bas et elle avait bien conscience d’être odieuse, mais elle était née ainsi et elle répondait à Daemon de la manière dont il le méritait. Elle s’était jurée de rester à ses côtés et de l’assister du mieux qu’elle pouvait à travers sa guérison. Mais il n’avait pas le droit de cracher ouvertement sur Cletus devant ses yeux. Devant les yeux de leur père, aussi clos et morts étaient-ils.

Son évocation du bâtard de Nymeria et de Rhaegar Targaryen renforça un peu plus sa colère retrouvée. Elle se déversa dans ses veines rouillées et endormies par le chagrin. Ses poings se serrèrent en imaginant l’enfant aux cheveux d’argents et à la peau olivâtre qui risquait de parcourir librement les couloirs de la Grâcedieu. La décision de Doran était compréhensible. Mais Valena n’était pas certaine de supporter ce bambin s’il venait à naître à Dorne.

« Nous n’avons pas besoin d’un deuxième Sand ici, » gronda-t-elle. « Nous avons déjà bien à faire avec un. Et Nymeria suivra son roi de pacotille en exil. Jamais elle ne nous laissera son bâtard. Encore heureux. »

Son ton masqua à peine la profonde rancœur qu’elle éprouvait envers la jeune femme. L’aspic avait toujours été un pilier dans sa vie. Sa confidente, sa camarade de jeux et sa plus proche amie. Mais depuis sa rencontre avec le dragon, elle avait changé. Elle était devenue aveugle, mauvaise et bornée. Egoïste. Peut-être l’avait-elle toujours été. Valena ne s’en était jamais souciée. Mais son frère avait été victime de ce couple ridicule entre la vipère et le saurien. De l’amour avant le devoir. Et cela, elle ne le lui pardonnerait jamais. Pire, elle avait eu le culot d’assister à la cérémonie funéraire juste avant la tombée de la nuit ! La Lady ne voulait pas la voir ici. Elle l’aurait bien chassé si elle n’avait pas été, à cet instant là, dévorée par le chagrin. Comment avait-elle osé ? Après tout ce qu’elle avait fait subir aux Allyrion ? L’ancien lord n’avait pas caché son hostilité lors de son dernier passage dans la forteresse immaculée. Il avait dénigré l’aspic et le dragon. Que croyait-elle ? Qu’en se montrant, elle se rachèterait aux yeux du Soleil Noir ? Elle avait peut-être cru être dans son bon droit en ignorait la Lady de la Grâcedieu. Peut-être s’était-elle cru légitime à être celle qui tournait le dos. Mais la fille de Ryon n’avait fait que défendre ce qui lui était cher. Elle n’éprouvait aucun remords à avoir agi de la sorte. Nymeria avait fait passer ses sentiments avant son devoir et avant son honneur ? Grand bien lui fasse ! Elle avait tout perdu et il ne faisait aucun doute qu’elle partirait en Essos avec son amant maudit et l’enfant qui grandissait dans son ventre. Elle espérait ne jamais la revoir.

Valena secoua la tête à l’évocation de la Reine du Sud. De rage, elle l’avait brulée après l’avoir lu et relu. N’avait-elle donc aucune autorité pour tenir ses sujets ? Comment l’un d’entre eux avait-il pu tuer un émissaire étranger juste devant ses yeux ? De quoi était donc faite cette Reine à moitié dragon et à moitié dornienne ? Le Bief avait-il corrompu son sang ?

Mais l’ire avait peu à peu laissé place à la réflexion sur ce sujet épineux. Les Allyrion comptaient déjà beaucoup trop d’ennemis. Baratheon, Targaryen, Bief… Rhaenys Targaryen pouvait-elle en être une nouvelle ? Et leur père n’était pas parti à sa rencontre dans cette optique… L’objectif était de renouer avec le Royaume du Sud par des liens commerciaux. Valena s’était longtemps opposée à l’indépendance de sa région. La poursuite des travaux de son père qu’elle avait autrefois tant méprisé pouvait se montrer salvateurs.

« Un corps et des excuses, » siffla-t-elle. « Voilà de biens maigres consolations. »

Elle serra les dents et sa langue devint pâteuse. Allait-elle vraiment supporter les mots qui allaient sortir de sa bouche ? Son regard se posa une fois encore sur la longue silhouette sombre de Ryon Allyrion.

« Mais pouvons-nous nous contenter d’autre chose ? Père voulait s’allier avec le Royaume du Sud. Il l’a payé de sa vie. Il voyait cependant plus loin que sa propre existence. Et je verrai plus loin que la mienne. »

Ses yeux sombres fixèrent les yeux bleus de ses frères, si semblables et si différents.

« On ne peut pardonner que l’impardonnable. Le temps me fera excuser la Reine du Sud. Je continuerai les travaux de notre père. »

La jeune femme leva le menton et affronta les visages de Cletus et Daemon. Déterminée, elle l’était. Fière et orgueilleuse également.

« Je ne demande pas votre soutien pour ceci. Je l’exige. »



  

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Les larmes du désert

La Grâcedieu



Valena & Daemon & Cletus

Les mots de Daemon furent aussi froids et durs que les seules fois où il s'adressait à lui. De sa voix étouffée par le carcan de métal suintait tout le mépris auquel il avait toujours eu droit, aussi injustifié que cruel et violent, pour l'enfant que Cletus avait été, et qu'il était encore, mais pour combien de temps? Lentement il ôta sa main qui jusque là reposait sur celles, inanimées et glaciales, de leur père, avant de se tourner vers celui qu'il avait jusqu'à présent choisit d'ignorer. De la paix qu'il avait espéré gagner en ne répondant pas à sa première provocation, il ne restait plus rien. Daemon avait balayé de l'ire qui ne le quittait plus depuis son accident, la vaine tentative d'apaisement du cadet Allyrion. L'espoir de vivre cette veillée dans le recueillement n'avait été qu'un songe bien trop serein et parfait pour devenir réalité dans la demeure des lords de la Grâcedieu. Et la nuit qu'il s'apprétaient à vivre ensemble dans le septuaire s'annonçait plus comme le règlement de comptes qu'ils n'avaient jamais eu que comme une veillée funèbre. Plus vive, sa soeur répondit sans attendre à l'impertinence de leur ainé, d'une manière qui, si elle était violente, ne reflétait sans doute pas le fond de ses pensées. C'était là la différence entre Valena et Daemon. Tous deux d'égal tempérament et fougue, il se distinguaient dans ce fait que si leurs paroles étaient remplies de venin, le Sand, lui, pensait chaque mot qu'il pouvait prononcer. Mais malgré l'intervention de la lady de la Grâcedieu, le blessé assis n'en avait pas finit, et Cletus avait bien conscience de lui servir de souffre-douleur sur lequel il passait son chagrin comme les frustrations qui l'habitaient depuis bien avant sa naissance. A ces provocations, un autre que lui n'aurait eu aucun scrupule à répondre, car la fine intelligence du dernier né Allyrion lui avait depuis longtemps apporté les réponses quand à l'origine de cette haine dont son frère le gratifiait depuis toujours. Il lui serait aisé de lui jeter à la figure, ne serait-ce que ce nom que Daemon désirait tant, ou même, l'attaquer sur ce que le feu lui avait ôté, cette gloire réduite en cendre pour laquelle il avait tant travaillé, bien qu'elle n'avait jamais été reconnue qu'au sein de la principauté, au vue de son statut de sang. Son regard bleu se posa sur le visage de fer, alors qu'il le dominait d'une hauteur que son frère ne pouvait plus atteindre sans l'aide du mestre ou d'un garde. Dans ses yeux il n'y avait ni colère ni peine, sinon un calme empreint d'un détachement dans lequel se traduisait toute la sagesse précoce du jeune écuyer.

"Cet enfant n'a pas à pâtir de notre colère, et la décision du Prince était juste et à la hauteur de ce que nous pouvions attendre de ce procès. Sa volonté de le voir grandir ici est non seulement une preuve que la loyauté des Allyrions a de la valeur aux yeux du prince de Lancehelion, mais aussi qu'il a suffisamment d'estime et de confiance en notre famille pour laisser à nos soins la descendance de son frère Oberyn."Se détachant du masque de métal qu'il toisait jusque là, Cletus se tourna ensuite vers son ainée."Cependant, je pense tout comme toi Valena, que Nymeria fera tout pour partir avant de donner naissance à cet enfant. Et seul le temps dira si oui ou non nous aurons cet enfant à charge. Je reste pourtant malgré tout convaincu, qu'une vie de Sand à Dorne vaut mille fois mieux qu'une vie de bâtard en Essos, et en particulier à Volantis." Son coeur se serra lorsqu'il prononça le nom de l'aspic, et pour ne pas se trahir, le cadet de la Grâcedieu préféra baisser les yeux vers la depouille du Lord. Trop occupé à soutenir leur mère affaiblie par le chagrin, il n'avait que tardivement remarqué la présence de la Sand à la cérémonie de l'après-midi. Et si sa venue avait il s'en doutait ravivée la colère de son frère et de sa soeur, elle l'avait pourtant apaisé, alors qu'il ne s'était pas encore fait à l'idée de ne plus revoir les traits de ce visage qui affolait son coeur à chaque fois qu'il le voyait. Plus que jamais, cette affection qu'il gardait secrète devait rester ignorée de ses ainés. Les yeux de pierre de leur père semblaient eux-même reprocher au cadet cet amour qui aurait déclenché la colère du Lord s'il en avait eu vent. Mais les sentiments ne se décident pas comme on peut décider d'une stratégie ou d'une alliance, et en cela, il n'y avait aucun homme dans la famille Allyrion qui pouvait contrevenir à cette règle impitoyable. Le sujet vint alors de la Reine du Sud, et de la lettre écrite de sa main, qui avait annoncé à Valena la mort du lord. Plus que les mots qui n'apaiseraient en rien la douleur causée par cette perte, il restait à accepter la pénible fatalité de cette mort si indigne de l'homme qu'était leur père. Il était mort loin de Dorne, pour Dorne. Pour une paix que les bieffois avaient jeté par cet assassinat à la figure de la principauté et de ses tempétueux habitants. Déjà ses oncles de Ferboys avaient rapporté une dangereuse recrue d'essence des guerillas que se faisaient les dorniens et leurs voisins du Bief dans les Montagne Rouges. Et alors qu'il s'attendait à ce que leur soeur s'emporta à nouveau, pour passer sa colère et sa peine sur la jeune Reine devant laquelle était mort leur père, se furent des paroles bien trop mesurées et sages pour qu'il ne leva pas les yeux vers elle.
Une autre Valena se tenait devant lui, laissant la place à la lady de la Grâcedieu. Elle n'était plus ni venimeuse ni emportée, mais grave et réfléchie. Et l'autorité de sa voix ne rappelait que trop la même façon de parler de celui autours duquel ils étaient rassemblés. Il était troublant de voir de voir ainsi surgir de cette soeur si tempétueuse des éclats de ce qu'était leur père. Et sans doute cela aurait arraché un sourire au Soleil Noir, lui qui avait travaillé à calmer le tempérament de son unique fille. Une lueur d'étonnement dans ses prunelles bleues, Cletus la regardait, alors que les yeux noirs de la brune avaient revêtus la lumière si particulière qui animaient autrefois le regard de leur père. En elle renaissait un Soleil Noir, qui rayonnerait plus ardemment encore que son prédécesseur. A son ordre, il n'eût ni besoin de répondre par des paroles ou par un geste, car son regard seul suffisait pour qu'elle sache qu'elle avait, désormais et pour toujours, son entière loyauté. Au fond de lui, la décision était déjà prise qu'aussitôt son écolage terminé, il reviendrait au désert qui l'avait vu naître, et qu'il demeurerait à ses côtés, à l'aider de ses connaissances ou de n'importe qu'elle manière qu'elle le lui demanderait. "Aucun ennemi ne passera." Plus que jamais, la devise de leur famille trouvait son sens dans l'avenir troublé de la principauté, et c'était à leur tour de l'appliquer, comme l'avait fait leur père avant eux. Mais cela ne pourrait se faire que si tout trois restaient unis, et en cela l'autorité de Valena serait très certainement le lien puissant qui garderait soudée la fratrie de la Grâcedieu. Il revenait désormais à leur soeur d'écrire l'Histoire de leur famille, et Cletus ne doutait pas que l'héritage qu'elle laisserait serait à la hauteur de la fierté qu'il éprouvait d'être son frère.

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Les larmes du desert

La Grâcedieu



Valena & Daemon & Cletus

Au dehors, un héron du fleuve perturba la quiétude de la nuit de son cri répétitif et lancinant. Daemon imagina sans peine et sans trop le vouloir le grand oiseau battre l'air de ses ailes engourdies, à la recherche de ses semblables endormis dans les roseaux, et qui étaient bien loin de la dispute qui était née au coeur du Septuaire. La réplique de sa soeur ne s'était pas faite attendre et avait refermé ses poings sur les accoudoirs de son fauteuil, alors qu'il lui lançait pour seule réponse un regard farouche et blessé. Ses aigues-marines, perçantes sous l'ombre du métal, la fixèrent l'espace d'un instant débordantes de reproches silencieux, avant de se détourner faute de pouvoir lui prouver le contraire ainsi qu'il l'aurait souhaité. Le Sand se souvenait encore du temps où il aurait bondi de ce même fauteuil, non pas pour embrasser son cadet, mais bien pour se jeter sur celle qui l'avait provoqué. Il l'avait cherché cependant, et assumait ses propres provocations et leurs conséquences, bien qu'il trouva la remarque de la lady aux yeux noirs profondément injuste et qu'il en garda un sentiment amer. Sous son masque encadré de voiles de nuit, le menton rentré et baissé, le bâtard regarda un bref instant la lame nue qui reposait sur ses jambes et ce tandis que sa soeur continuait de cracher sa bile. A ses paroles, il n'osa relever le regard vers elle tout de suite, comme s'il craignait de vérifier sur son visage la haine qui suintait de ses mots. Il se borna à fixer l'arme ouvragée et luisante. Non. Pensa-t-il, priant presque. C'est Rhaegar qu'elle déteste. Pas Nym. Pas son enfant. Dans une inspiration déchirée d'un léger râle, il se tourna vers elle. Et il la vit, cette rancune neuve inscrite sur ses traits et qui crispait sa mâchoire de colère. Le Sand la regarda, interdit. Ce fut, contre toute attente, la voix de Cletus qui vint expliquer à sa soeur ce que l'ainé muselé par son désarroi était incapable de dire, ni même de formuler dans son esprit. Jamais il n'aurait pu apaiser les propos qui restaient coincés dans sa gorge, ni les polir assez pour parvenir à tempérer leurs esprits ainsi que le firent les paroles de Cletus. Car s'il ne portait pas Rhaegar dans son cœur, voir sa sœur dénigrer avec tant de hargne l'aspic, allant même jusqu'à cracher son venin sur son enfant à naître, révulsait le cœur de Daemon. La fille d'Oberyn méritait les reproches dont elle était victime mais rien, pas même son comportement ridicule avec l'ancien roi, n'attribuait à sa soeur le droit de la hair de la sorte. Certes...Il y avait l'accident. Des conséquences, dont seul Daemon avait -somme toute très légèrement- pris la mesure ce qui, selon lui, lui réservait toute la rancune que l'on pouvait éprouver envers la Sand à la tresse noire. Mais ce qu'il voyait luire dans les yeux de Valena était plus fort qu'une simple rancune. C'était une ire qui durcissait affreusement les traits de sa cadette, la faisant paraître plus menaçante qu'elle ne l'avait jamais été malgré leurs nombreuses confrontations. Comme il détestait la voir ainsi, pensa-t-il tristement alors que ses épaules s’affaissaient légèrement.

La fascination inquiète qu'exerçait sur lui ce sentiment qui semblait construit pour résister au temps ne l’empêcha pourtant pas de tourner un regard intrigué à son frère lorsqu'il évoqua l'ancienne Volantis. Une interrogation muette qui ne dura qu'une seconde, aussitôt éteinte par la nouvelle prise de parole de l'héritière de Ryon Allyrion vers laquelle il ne se tourna pas, immobilisé par le refus de voir à nouveau son visage familier empreint de cette expression étrangère. S'il n'était pas déjà assis, prisonnier de son fauteuil d'acajou, sans doute aurait-il vacillé à la simple écoute de ce qu'elle dit alors. Le Sand sentit son coeur se serrer d'avantage et il inspira plus profondément, plus rapidement aussi, et même le masque n'arriva guère à dissimuler son malaise.  Son regard, lui, s'était vissé sur ce qu'il entrapercevait du visage du défunt. Il ne savait trop pourquoi ce réflexe avait fait porter ses yeux sur le Lord comme s'il attendait dans un accès d'innocence qu'il ne se releva soudain pour déclamer sèchement son propre avis qui aurait comme toujours mis un terme à la réunion.
Mais il ne se relèverait pas, et ses lèvres resteraient closes. Leur père ne viendrait pas contredire Valena, ainsi que la vengeance qui griffait l'âme du Sand comme une bête noire logée dans ses entrailles le désirait. Mais il savait au fond de lui que ce qui le terrifiait le plus, c'était de savoir que jamais le Lord ne s'y serait opposé. S'il ne lacha mot en écoutant le choix de sa soeur, tout son corps hurlait son désaccord. Son désarroi n'en fut que plus grand lorsque, d'un ton dont s'échappait une surprenante et haïssable maturité, Cletus fit part de son allégeance, laissant le brûlé pantois au milieu des deux enfants légitimes. Et s'il disait non maintenant, que se passerait-il? Il osait à peine l'imaginer. Lui qui s'était si souvent levé contre leur père, dérobé sous ses ordres, avait renaclé à lui obéir et s'était même évertué à le défier au vu et au su de toute la court de Dorne, lui l'orgueilleux ainé se retrouvait à la merci de sa propre soeur. Il n'avait guère le choix. Il inclina la tête dans un acquiescement discret.

Il aurait pu en éprouver de la fierté si son propre orgueil n'avait pas compris que ce qu'elle lui demandait était de se coucher et d'abandonner sa soif de représailles envers la Reine du Sud. Car il avait entendu dans les notes de sa voix qu'il connaissait si bien, tout ce que cela  coûtait à sa cadette en amour-propre que d'affirmer de telles choses pour la gloire de l'oeuvre de leur père. Un fardeau dont elle avait hérité et que Daemon, dans son inconstance et sa fragilité nouvelle, n'avait plus la force de lui envier. Si elle pouvait mettre de côté sa propre colère au service de la Grâcedieu, alors il ne pouvait que s'efforcer de lui faire honneur en bridant la sienne, tant bien que mal.

"Fût un temps où je t'aurais promis mon sabre". Déclara-t-il d'une voix apaisé mais amère." Je ne puis le faire aujourd'hui, mais il est quelque chose qui, je le crois, pourra nous aider à le remplacer à tes côtés."

Il tordit doucement son dos douloureux pour se tourner vers la porte, appuyant son coude droit sur l'accoudoir. Il héla le mestre. "Harian!' Trois secondes protocolaires passèrent avant que les battants ne s'entrouvrent, découvrant la silhouette perpétuellement vêtue de pâle du disciple de la Citadelle. Il affichait une expression trop détachée pour être crédible, lui qu'il était facile d'imaginer l'oreille collée a la serrure du Septuaire depuis le début de la veillée. Hariant inclina sa tête ornée d'une épaisse chevelure poivre et sel dans un respectueux salut adressé à la Lady avant de tourner un regard beaucoup moins commode vers son patient. " Amenez-le." Déclara simplement le bâtard. La sobriété de son ordre ne parut pas décontenancer le Mestre de la Grâcedieu qui pinça néanmoins ses lèvres et porta un regard soucieux vers les enfants légitimes de feu-Lord Ryon avant de sortir à grands pas. D'interminables secondes passèrent dès lors que même le bruit des sandales du mestre claquant sur le sol dallé eut complètement disparu. Le Sand, concentré, s'était muré dans le silence, troublant simplement l'apparente immobilité de sa silhouette du mouvement de sa respiration et de son souffle étouffé et amplifié par le carcan de métal qu'il portait. Soudain, les bruits de pas du mestre se firent à nouveau entendre dans le couloir derrière la porte entrouverte. Puis il y eut un juron, un craquement, et de nouveau le silence. Jusqu'à ce qu'une ombre ne se faufila dans un froissement d'ailes dans l'interstice des deux battants poursuivie de près par le mestre qui ne parvint hélàs pas à la rattraper. Voletant dans les ombres du Septuaire, le jeune dragon vint se poser brusquement sur l'avant bras de Daemon, ainsi qu'il avait pris l'habitude de le faire, imitant les faucons dont il partageait l'abri. La créature fourra aussitôt sa tête dans la main du Sand à la recherche de viande, n'y trouvant que le tissus du gant il se mit alors à pincer de ses crocs les doigts minces du bâtard tout en chuintant. Ce dernier se laissa faire, habitué à la hargne de l'animal et à ses caprices. Son regard bleuté se posa sur la patte gauche du dragon à laquelle pendait tristement les restes de ce qui avait été une lanière de cuir, devenue misérable, recroquevillée et noircie par les flammes.
Les claquements gutturaux qui s'échappaient de la gorge du reptile résonnaient dans le sanctuaire lorsqu'il releva presque timidement son regard vers sa soeur dans l'attente de sa réaction. Daemon sentait l'appréhension peser sur sa poitrine. Allait-elle prendre peur et ordonner que l'on abattit la bête? Allait-elle se moquer? Allait-elle seulement croire en la sincérité des espoirs qu'il plaçait dans la créature, quand bien même elle ne dépassait guère l'envergure des faucons sacres qui dormaient dans la volière? Il retenait presque son souffle. Un claquement se répercuta contre les murs lisses. Le saurien n'avait pas entendu la réaction de la maitresse des lieux et il avait prit son envol avant que son maitre n'ait put l'en empêcher pour aller se poser maladroitement sur la jambe du défunt en faisant claquer ses ailes noires. Il traina rapidement sa carcasse légère sur le corps, remontant jusqu'à l'abdomen du Lord, où il s'arrêta pour regarder les deux humains qu'il semblait avoir enfin remarqué. Herrissant ses piques tendues de cuir noir qui striaient son encolure, le dragon cracha un cri strident et agressif à l'adresse de l'un puis de l'autre, fouettant l'air de sa queue perlée de rouge.
"Non!" La voix ferme du bâtard ne parut pas avoir le moindre impact sur le reptile pourpre qui poursuivait ses menaces allègrement. Cependant, lorsque le Sand se redressa brusquement en voyant de la fumée sortir de la gueule de la créature, faisant grincer le bois du fauteuil contre le sol de pierre, cette dernière se tourna vers lui et referma à demi ses machoires, jaugeant le brûlé de ses yeux vermillons. Le chuintement qui sortit d'entre ses crocs était semblable au son que faisait une pierre à aiguiser dont on frottait la surface rude contre le fil d'une lame.

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Some saw the sun, some saw the smoke. Sometimes the wire must tense for the note. Caught in the fire, say oh, we’re about to explode. Carry your world, I’ll carry your world. Some far away, some search for gold, some dragon to slay. Heaven we hope is just up the road. Show me the way, Lord because I'm about to explode. Carry your world and all your hurt.
Cletus & Daemon & Valena



Cletus ne disait rien. Cletus se taisait. Face aux provocations de Daemon, sa bouche restait obstinément close. Comme toujours. Il ne faisait qu’encaisser les coups avec une humilité et une lassitude détachée qui donnait envie à Valena de s’approcher de lui pour le secouer. Elle aurait aimé qu’il s’affirme, qu’il ne se laisse pas marcher sur les pieds et qu’il rétorque à leur demi-frère. Il n’avait pas le droit de le traiter ainsi. Cependant, elle avait bien conscience que son mutisme face aux dénigrements du bâtard n’était en rien de l’intimidation ou de la crainte. Son jeune frère était beaucoup plus intelligent et mature que cela. Il avait assez d’esprit et de retenue pour ne pas lui hurler ses quatre vérités et envenimer la situation, ce que la nouvelle Lady réussissait à merveille. L’ignorance était la pire des violences et le cadet de Deria Allyrion était passé maître dans le maniement de cette arme. Sa sœur en revanche n’était même pas une débutante. Elle aperçut sans mal les yeux noirs et courroucés du brûlé qui ne put répondre que par un regard blessé et amer à ses propos. Étrangement, elle en éprouva une culpabilité nouvelle. Peut-être y était-elle allée trop fort. Mais elle n’était pas là pour ménager son demi-frère. Après tout, il ne ménageait pas Cletus. Éprouver de la pitié à son égard serait la pire des insultes. Il n’avait pas besoin d’être traité comme un enfant à qui on pardonne tout parce qu’il était incapable de marcher. Daemon, s’il n’en portait pas le nom, restait un Allyrion. Et elle refusait qu’on le traite autrement que comme tel, estropié ou non. Il ne guérirait que si on le traitait comme avant. Il n’avait pas besoin de douceur ou de regards apitoyés. De la compassion, tout au plus. De cela, la jeune femme en était persuadée.

Dans l’ambiance emplie d’amertume, se fut la voix calme et posée de Cletus qui brisa le silence nouvellement installé. Ses mots neutres et leur quiétude apaisante firent retomber d’un cran la colère de Valena, colère qui avait pris le pas sur le chagrin et qui le lui avait presque fait oublier. Elle fut rattrapée par sa propre tristesse. Celle d’avoir perdu pour toujours un père, mais également une amie chère que les différends avaient séparé. Son jeune frère avait raison, comme d’habitude. Et comme d’habitude elle avait laissé parler sa fougue et s’était emportée. Bien sûr qu’elle ne haïssait pas le bébé à naître de Nymeria et Rhaegar. Ce n’était qu’un enfant innocent qui n’avait pas à pâtir des erreurs de ses parents. Il n’y était pour rien et n’était certainement pas responsable de leurs mauvais choix. Elle secoua la tête et laissa s’échapper un long soupir las de ses lèvres à demi closes. Elle hocha légèrement la tête à ses propos. Ainsi, c’était à Volantis qu’elle irait. Qu’elle emmènerait toute sa petite famille bannie. Elle n’avait même pas daigné le lui dire. Mais enfin, cela s’expliquait par leurs nouvelles relations plus que tendues. Le sacrifice en valait-il vraiment la peine ? Elle n’en savait rien. Et ce n’était pas à elle de prendre cette décision. La jeune femme fronça cependant les sourcils quand dans la voix si stable et rassurante de Cletus elle entendit quelques tremolos qu’un étranger n’aurait certainement pas saisi. Mais elle connaissait assez son jeune frère pour connaître chacune de ses intonations et de ses expressions. Le départ ne Nymeria l’affectait-il autant ? En était-il si troublé ? Elle n’avait pas connaissance d’une quelconque amitié entre l’aspic et le dernier né de Ryon. Elle en devint immédiatement suspicieuse. Méfiante, elle l’avait toujours été et le moindre accroc réveillait en elle la nature soupçonneuse de sa personnalité. Il lui faudrait en discuter avec lui plus tard.

À sa demande de loyauté, Cletus leva le nez qu’il avait baissé vers le corps inerte de leur père. Elle reconnut dans ses iris si bleues le soutien indéfectible qu’il lui offrirait et la confiance qu’il lui accordait. De savoir que bientôt il serait à ses côtés pour l’épauler la fit pour la première fois de la nuitée sourire. Sourire qui atteignit même ses yeux qui jusque là était restés glacés de colère et d’accablement. La mention de la devise de leur famille la conforta dans sa décision. En revanche, le silence pesant de Daemon la fit sourciller. Elle tourna son visage dont le léger sourire avait disparu. Ne la soutiendrait-il pas ? Elle fut soudain envahie d’une grande crainte qui la gela jusqu’à l’os. Et si son demi-frère refusait ? Et s’il affichait son désaccord, comme il l’avait si souvent fait avec leur père ? Que devrait-elle faire ? L’accepter avec une fatalité abattue ? Se laisser voir comme une Lady faible qui ne fait que subir les caprices de son frère ainé ? L’ancien Lord avait assez de sagesse et l’estime qu’avait l’ensemble de Dorne à son égard pour laisser passer un enfant trop fier et trop envahissant. Il n’avait pas eu besoin de le tenir en laisse. Mais qu’en était-il d’elle ? Elle devait imposer le respect. Se montrer immédiatement fiable et inflexible. Que pourrait-elle dire à son frère s’il refusait son autorité ? Que pourrait-elle faire s’il se rebiffait ? Malgré tout, le soutien de ses frères étaient une choses dont elle ne pouvait pas se passer. Malgré ses grands airs, malgré son nouveau statut, elle comptait sur eux. Plus que de raison. Elle ne le montrait pas, mais il ne faisait aucun doute que sans eux à ses côtés, elle serait perdue. Elle avait besoin de se sentir légitime, aujourd’hui plus eu jamais. Et cela passait par l’acceptation de ses frères en premier lieu.

Enfin, Daemon acquiesça. Même si cela était discret, Valena en sentit un grand soulagement. Son visage se dérida et elle se retint de souffler. Tous deux comprenaient qu’elle ne prenait pas cette décision de bon cœur. Que cela lui coûtait, à elle aussi. Et la dernière chose qu’elle souhaitait était d’affronter cela toute seule. Elle s’était longtemps persuadée qu’elle n’avait besoin de personne, mais elle se rendait aujourd’hui à l’évidence. Elle s’était mentie depuis longtemps déjà.

Les mots énigmatiques du bâtard la firent froncer des sourcils. Imperturbable, elle le laissa appeler Harian qui arriva à la porte bien trop vite pour douter une seule seconde qu’il épiait leur conversation. La Lady ne lui en tenait pas rigueur. Il pouvait bien écouter de tout son saoul. Elle n’avait rien à cacher. Il la salua bien bas et elle lui rendit son salut sans un mot. Ses yeux se plissèrent. « Amenez-le ». De qui parlait-il ? Qui pouvait remplacer le sabre si affuté de Daemon Sand ?

« Je ne savais pas que tu étais friand de surprises… » dit-elle d’une voix soupçonneuse.

Les secondes s’égrainaient dans un silence de plomb. Les yeux d’encre de Valena ne quittaient pas la silhouette affaissée de son frère ainé qui s’était refermé sur lui même. Il n’y avait que sa respiration lourde et sifflante, résonnant contre le masque métallique pour résonner sans l’air. Il semblait soucieux. Il appréhendait. Cela ne fit que rendre la Lady plus nerveuse encore. Elle n’appréciait que très peu les surprises. Et son instinct lui murmurait que celle-ci ne disait rien qui vaille.

Puis, les pas du mestre se firent entendre. Suivis d’un long craquement et d’une voix étouffée. Dans un froissement d’ailes, une silhouette reptilienne se glissa dans l’embrasure de la porte. La jeune femme crut que Daemon lui faisait une mauvaise blague. Qu’il avait capturé un héron sur les berges de la Sang-Vert et qu’il le lui offrait comme synonyme d’un dernier affront. Pourtant, les écailles rutilantes et rougeoyantes de la bête n’avaient rien à voir avec le plumage immaculé d’un oiseau des rivières. Le mestre se jeta à la poursuite de la créature, mais resta aussi hébétée que la jeune femme lorsque le dragon se percha sur le bras du bâtard. Car c’était bel et bien un dragon. Une de ces créatures mystiques qui avaient disparu depuis des centaines et des centaines d’années. Valena n’hallucinait pas. Pourtant, elle devait bien en donner l’impression alors qu’elle le toisait, les yeux grands ouverts, picorer les doigts de son ainé. Du coin de l’œil, elle vit que son frère la toisait, cherchant son approbation comme elle l’avait fait quelques minutes auparavant. Mais elle ne pouvait pas détourner le regard du monstre qui battait des ailes et dont les mâchoires grinçaient de cris gutturaux.

Pétrifiée, elle l’observa s’envoler avec difficulté pour se poser sur le corps de leur père. Ses longues griffes s’accrochaient aux vêtements sombres drapant la silhouette. Le dragon sembla enfin les remarquer, elle et Cletus et il laissa échapper un long cri strident. Un nuage de fumée s’échappa d’entre ses dents. Sa taille et son poids n’avait rien de très imposant. Elle n’éprouvait pas de peur en regardant la bête tordre sa queue de colère. Mais elle était définitivement éberluée, n’arrivant pas à digérer la situation. Et le fait qu’il arpente le corps de leur défunt géniteur n’arrangeait pas la situation. Une crainte sourde résonna alors dans sa poitrine. Allait-il… allait-il profaner la dépouille ? Elle ne l’accepterait pas !

Son cri résonna en chœur avec celui de son frère. La bête détourna un instant son attention de la jeune femme et elle en profita pour tomber sur le cadavre, le protégeant de ses bras. Elle chassa le saurien d’un coup de coude brutal. Une gerbe de flamme répondit à son attaque et roussit les manches trop longues de sa robe de deuil ainsi que la peau nue de ses doigts. Elle glapit de douleur.

« Qu’est ce que cela signifie ?! » hurla-t-elle, folle de rage.

La bête finit par s’envoler pour regagner l’avant bras de son demi-frère, imitant à merveille les faucons de la Grâcedieu.

« Ne le laisse pas le toucher ! Ne le laisse pas le toucher ! » criait-elle, les bras toujours tendus au-dessus du corps paternel.

Qu’aurait dit leur père face à pareille apparition ? Qu’aurait-il fait ? L’adrénaline qui brûlait ses veines annihilait la douleur. Elle toisait son frère, furibonde. Elle avait énormément de questions, mais le plus important pour elle était d’abord de faire sortir cette créature du septuaire. Daemon s’était mis debout. Le dragon avait au moins un mérite, celle de faire se redresser son frère.

« Fais le sortir ! Immédiatement ! »

À quoi s’était-il attendu en l’introduisant ici ? À des cris de joie et des exclamations enjouées ? Elle ne se calmerait pas tant que la créature n’était pas hors de sa vue.



  

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Les larmes du désert

La Grâcedieu



Valena & Daemon & Cletus

Le long silence de leur frère fit un instant craindre à Cletus que l’unité ne fusse qu’un rêve impossible à rendre réel pour leur fratrie compliquée. Et bien que le blessé acquiesça finalement à l’ordre de celle qui serait désormais pour eux comme pour tout Dorne la Lady de la Grâcedieu, le cadet Allyrion savait que l’orgueil de ce dernier n’avait été que contraint de s’incliner ainsi devant leur sœur. Il n’y avait guère eut que ce masque et ses blessures pour l’avoir empêché de se dresser, une nouvelle fois devant la fierté de Valena. Le sourire de cette dernière à son égard l’avait réconforté, car c’était bien la première fois depuis son retour de Ferboys qu’il voyait son ainée sourire, même si ce ne fût qu’éphémère. Autour d’eux l’air de la pièce était de plus en plus lourd du parfum des encens qui brûlaient dans de petits brasiers, et l’air du soir ne suffisait pas à en dissiper la fumée épaisse. L’atmosphère était pesante, comme si l’aura du lord défunt occupait tout entier le septuaire de la Grâcedieu. La voix fatiguée et étouffée par le métal vint briser le silence presque apaisé qui s’était installé. Ses paroles restèrent comme en suspens, alors qu’il promettait de leur dévoiler quelque chose qui, selon lui, serait un atout à la hauteur de la fine lame qu’il était autrefois et qu’il ne serait peut-être jamais plus. Cletus tourna son regard vers l’entrée aux grandes portes de bois sculpté, alors que son frère appelait le mestre. Ce dernier, dont la présence n’était pas vraiment une surprise quand on savait la curiosité et son goût pour les conversations auxquelles il n’était pas invité, reparti pour aller chercher ce que le bâtard de la Grâcedieu lui demandait. Les sourcils légèrement froncés, le plus jeune des Allyrions avait le pressentiment que ce qui allait leur être présenté n’avait que peu de chance de, si ce n’est réjouir, sinon rassurer leur sœur.
Sa méfiance était fondée dans le simple fait que le vieux mestre semblait être dans une confidence qu’il n’aurait d’ordinaire pas hésité à partager avec le cadet. Et se voir ainsi privé de la confiance du disciple de Citadelle ne pouvait signifier que l’existence d’un secret qui n’avait peut-être rien de bon, quand on connaissait la nature ombrageuse de Daemon. Inquiet, il baissa son regard vers son ainé assis, mais ce dernier se bornait à rester immobile. Le silence persistait, et il eût à peine le temps de jeter un coup d’œil à la lady de la Grâcedieu que déjà, le retour du mestre était annoncé par le bruit de pas au-delà de la porte. Un bruit de battement d’ailes, plus lourd et irrégulier que celui des faucons qu’il connaissait bien, précéda l’entrée soudaine d’une masse sombre et rougeoyante dans la pièce. Et le saurien surgit des volutes de fumée d’encens pour aller se poser sur le bras de Daemon. Mais ce n’était pas un oiseau de proie qui venait de se percher sur l’avant-bras couvert de voiles sombres. C’était un dragon. De taille moindre, il n’était guère plus gros que les spécimens les plus imposants de la volière des lords de la Grâcedieu. Petit, il n’en était pas moins hargneux, comme le montrait la férocité avec laquelle il cherchait dans la main gantée de noir du bâtard la trace d’une récompense.

Le mestre était arrivé en courant derrière le reptile, et avait manqué de tomber sur le sol de marbre. A ce dernier, Cletus adressa un regard neutre, mais qui ne cachait rien de ce qu’il voyait comme une petite trahison vis-à-vis de lui-même. Mais c’était sans doute par péché d’orgueil que le vieil homme à la chevelure épaisse avait gardé pour lui ce secret qui avait des allures de mythe. La surprise était telle qu’Asmar, resté jusque-là à l’extérieur, se tenait à présent dans l’encadrement de l’une des portes que le mestre avait laissé ouverte. Les yeux verts et perçants de la sentinelle de la Grâcedieu ne quittait pas le saurien, alors que sa main était d’ors et déjà posée sur le pommeau de son sabre. Le cadet Allyrion restait sans voix devant la créature. Lui qui n’avait jamais cru aux dieux, et encore moins à la magie, voilà qu’elle se manifestait en chair et en écailles rouges sombres devant lui. Il lui fallut un peu de temps pour se faire à l’idée que c’était bel et bien un dragon qui se trouvait en ce moment même dans le septuaire de la Grâcedieu, alors que ce dernier s’était de nouveau envolé et était allé se poser sur le corps du Soleil Noir. La façon de se mouvoir de l’animal était à la fois ondulante et inquiétante, tandis qu’il s’avançait jusqu’aux mains croisées du défunt. Ne le quittant pas des yeux, Cletus croisa le regard rouge sang du reptile, après quoi le dragon sembla prêt à attaquer les deux enfants Allyrions qui n’étaient pas ses maîtres. Criant en chœur avec leur ainé qui s’était levé de son fauteuil d’acajou, Valena dégagea le saurien d’un coup de coude pour se jeter sur la dépouille de leur père, ce qui lui en coûta, puisque l’animal n’attendit pas pour souffler une flamme vengeresse sur le bras et la main de la lady. « Valena ! » La peau en partie brulée de la main de sa sœur sorti le cadet de l’état contemplatif et presque absent dans lequel l’avait plongé la vue de l’animal mythique. Elle était furieuse, et hurlait des ordres menaçants à leur ainé qu’était allé retrouver la créature infernale. « Mestre Harian ! » Il n’eut pas besoin d’en dire plus pour que l’homme, qui lui aussi portait le deuil, comprenne ce que l’on attendait de lui, et il se précipita en boitillant hors du Septuaire. Contournant le lit de marbre sur lequel reposait le corps du Lord, Cletus s’approcha de derrière sa sœur, saisissant ses deux bras pour la relever et mettre fin à ce contact avec la dépouille qu’elle regretterait d’avoir provoqué. Tenant toujours ses bras, il regarda un instant la blessure infligée par le dragon. Il savait mieux que quiconque qu’il serait malavisé de demander à son ainée de se calmer, car cela ne ferait qu’embraser plus encore son caractère tempétueux.  Il se tourna alors vers Daemon, dont le saurien aux écailles rouges et noires avait retrouvé son perchoir sur le bras de celui-ci. Il y avait bien trop de questions à poser sur l’origine de cet animal, comment le bâtard l’avait trouvé, quand, et surtout pourquoi avait-il fait de son existence un secret. A toutes ces questions Daemon se devait de répondre, et alors qu’il tenait toujours leur sœur contre lui, le cadet Allyrion lui offrait la possibilité d’y répondre sans craindre, du moins il le pensait, de voir la lady se jeter sur lui. Dans la grande entrée de la salle, la sentinelle aux yeux verts s’écarta pour laisser passer le mestre, qui était revenu accompagné d’un jeune serviteur, avec tout le nécessaire pour soigner rapidement la brulure dont souffrait la lady de la Grâcedieu. Après quoi Asmar descendit les quelques marches pour s’approcher, sa main toujours sur la poignée de son sabre, bien qu’il rechigna visiblement à devoir le dégainer dans le Septuaire. Le cadet, lui, avait plongé ses yeux dans ceux de son ainé. Peut-être pour la première fois, les deux frères regardaient, pour ainsi dire, dans la même direction, alors que l’ancien écuyer des Ferboys comprenait et partageait le même espoir que le bâtard plaçait dans la dangereuse créature.


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Les larmes du desert

La Grâcedieu



Valena & Daemon & Cletus

Tout s'était précipité. Bien trop vite, bien trop fort, le Septuaire s'était mué en champs de bataille en moins de temps qu'il n'en faut pour lâcher un soupir. La respiration où tout bascula pour le Sand, qui jusque là restait interdit, fut celle rouge rubis du reptile qui caressa de son ardeur les doigts fins de sa soeur. Le sanglot de Valena lui déchira le coeur. Il n'eut jamais tant peur de la créature que lorsque celle-ci revint en vociférant d'une voix d'égale fureur à celle de l'héritière pour se poser sur son bras. Sa gueule était entrouverte, et au fond de sa gorge brillait encore le brasier qui avait blessé sa cadette. Le souffle n'était pas éteint que sa sœur hurlait à plein poumons, qu'accouraient le mestre, son apprenti chargé de médecines, et que le fil du sabre du garde brillait, quelques pas derrière lui. Aux bruits de pas précipités se mêlèrent pour quelques instants les froissements des ailes noires. Secs, vibrants, comme du cuir fin que l'on frappait, ce n'était pas le froissement léger des plumes des oiseaux de proie, mais celui d'une créature destinée à grandir encore, et encore. Déjà, il reculait. Un pas en arrière qui failli le faire chanceler. L'étonnement et la désolation l'avaient tout à coup rendu docile, et il s’apprêtait à sortir le jeune dragon, ainsi qu'on l'exigeait de lui lorsqu'il croisa le regard de Cletus. Un éclat sévère de sa part répondu tout d'abord à l'encouragement qu'il ne comprit pas de suite; mais lorsque ce fut le cas, il se tourna à nouveau vers la Lady drapée de noir.
De tous les sentiments qu'il avait imaginé pouvoir prêter à sa soeur à la vue du dragon, il n'en avait oublié qu'un seul qui venait de lui exploser au visage comme des braises ardentes. La noirceur des yeux de Valena l'accusaient avec violence, pleins de colère. La colère. Il ne voyait plus que ça lorsqu'il la regardait. Autrefois, cette ire aurait alimenté la sienne, orgueilleuse, et il aurait crié, hurlé plus fort qu'elle jusqu'à ce que l'un d'eux ne se lasse ou que parut simplement au détour d'un couloir la longue silhouette de leur père.  Cette rage, il ne pouvait que la comprendre en soupesant la honte qui pressait son cœur à la simple pensée que l'animal avait été à deux doigts de profaner le corps de leur père. Le doute l'étreignait lorsque il sentit ses jambes trembler sous lui. Inévitablement, le moment vint pour lui de s'asseoir à nouveau. Aucune main cette fois pour venir l'aider dans son assise qui fut brutale, et austère, comme la présentation presque naive qu'il avait faite de la bête. Dans un froissement de tissus, le bâtard retrouva sa place, le regard dur et l'âme inquiète. Le désarroi de Valena le blessait et il lui semblait que ces mots qu'elle criait étaient autant adressés au dragon, qu'à lui même.

"Lady Valena, votre main..." Demanda alors, presque timidement, la voix chuchotante du mestre. Il lui tendit un linge pour l'y reposer. "Il me faut retirer le tissus de la plaie, avant que les fibres n'en infecte la plaie". Les chuintements furieux du dragon ricochaient en écho contre les murs blêmes, et son regard sanglant n'avait de cesse de jeter des regards défiants à la dame qui l'avait frappé. Harian haussa un sourcil pour relever un oeil vers le bâtard et sa créature. Il n'y avait que la pudeur que lui inspirait la rage inattendue de l'héritière pour ne pas se vanter de son rôle dans l'acquisition du dragon, aussi succin et symbolique eut-il été."Daemon, la Lady.."

"Ecoutera ce que j'ai à dire." Ferme et décidé, le ton du Sand était mue par la peur qui l'habitait désormais que dans sa colère, Valena ne lui arracha la bête aux écailles pourpres. C'était un secret, dangereux, qui avait un gout de flamme mais qui demeurait pourtant cher à son coeur qui n'avait eu pour rêver ces dernières semaines, que cette créature qui s'était échappée des livres d'histoire que leur lisait Harian, à tous les trois.
"Si tu laissais ton entêtement, pour une fois, respecte la veillée, respecte ton père!"Gronda entre ses dents le mestre tout en tapotant d'un linge trempée de vinaigre les doigts de la fille de Ryon. Il tremblait lui aussi. Proche comme il était, il ne pouvait que sentir la fureur de l'héritière, et de savoir son précieux trésor aux ailes noires menacé par une épée de Damoclès le rendait malade. D'ailleurs voilà que des perles de sueurs apparaissaient sur son front ridé tandis que sa silhouette penchée s'évertuait à soigner la blessure.

" Et que faudrait-il faire? Attendre? Combien de jours? J'ai attendu trop longtemps que le lord revienne et il n'est jamais venu pour m'entendre."Déclara alors sèchement le bâtard. Coinçant entre ses doigts une des pattes du dragon afin que le reptile s'occupa à grignoter le tissus de son gant plutôt qu'à proférer ses menaces envers sa soeur, il ficha à nouveau son regard dans le sien. Ecoute moi, la suppliait-il intérieurement. Il y avait un eclair de défi dans ses prunelles, mais aussi le désir profond de la rassurer ou sinon, de la convaincre. Aussitôt qu'il eut refermé son poing, les vociférations du dragon cessèrent, remplacés par le cliquetis métallique qui s'échappait de sa gorge. Il inspira, tentant tant bien que mal de rassembler ses esprits. Maintenant qu'il devait tout raconter, il se rendait compte qu'il n'en savait, en fin de compte, pas tant que cela a propos de cette histoire. Il pouvait tout leur conter dès lors que le dragon était apparu dans sa chambre, après s'être trainé du bureau  du Mestre. Pour ce qui précédait, il n'était plus sûr. " C'était il y a une lune, environ...Je crois... Des sentinelles de la garde ont intercepté une caravane de contrebandiers a proximité du fief lors d'une patrouille et..."
"Ce n'étaient que des brigands de l'orage, la moitié étaient morts de soif et deux de plus se sont éteints alors que les gardes les fouillaient." s'empressa de rajouter le mestre ignorant le regard courroucé du bâtard, dont le souffle laborieux ne lui permit pas de répliquer par dessus lui. Mais peut-être valait-il mieux le laisser conter lui, plutôt que le ton hésitant et faiblissant du bâtard."Des hommes dangereux cependant, qui transportaient toutes sortes de poisons qu'ils destinaient sans doute à la vente dans la basse ville de Lancehélion..." Il cacha bien que quelques uns de ses ingrédients rares avaient vite eut fait de trouver leur place sur ses propres étagères, et poursuivit." Et puis il y avait l'oeuf. Fossilisé, du moins, c'était ce que je croyais. Je comptais l'offrir à votre père, Feu Lord Ryon, Ma Lady." assura-t-il à la jeune femme en relevant son regard vers elle."Mais, un matin que je venais avec mes apprentis"Il montra d'un geste vague les deux jeunes garçons qui se tenaient autour de lui."je retrouvais mon bureau sens dessus dessous. La coquille était brisée, en esquilles noires et rouges sur le parterre." Les deux apprentis échangèrent un regard souriant et entendu en se rappelant de la rouste injustifiée dont ils avaient été la cible ce jour là, mais c'était un sourire nerveux, né de l'étonnement de la contemplation du véritable coupable, qui s’escrimait sur le bras du Sand."J'ai cru qu'on l'avait accidenté, jeté à terre... J'ai imaginé même...Les dorniens n'ont guère d'affection pour les trace du règne des Targaryen vous le savez, sans doute mieux que personne." dit-il d'une voix plus douce, sans trop oser avouer qu'il avait soupçonné chaque garde, et même la famille suzeraine d'être le provocateur de la chute."Jusqu'à ce que je ne rejoigne votre demi-frère pour changer ses pansements. Je l'ai trouvé lui, et le dragon. Ma Lady, je comprends votre réticence mais considerez d'abord ce que je vais vous dire puisque mon rôle est de vous conseiller. Ce dragon est jeune, capricieux, il est et sera difficile à dresser, je ne peux vous mentir là dessus. Mais je ne peux pas non plus vous cacher mon étonnement de voir qu'il semble, tant bien que mal, obéir à votre demi-frère". "tant bien que mal". Malgré sa bâtardise étaient les mots qu'il pensait en prononçant cette phrase. Daemon le perçu. S'il avait trop cotoyé le mestre ces derniers temps pour s'en étonner, il n'apprécia guère deviner dans sa voix une nuance qui disait clairement que, à défaut d'avoir obtenu obéissance auprès du Sand, la bête aurait été offerte aux Targaryens, qu'il cherissait  tant. "Votre père était un homme prudent, comme vous l'êtes aujourd'hui en exigeant son départ, mais il était aussi avisé. Cette créature qui vous parait imprévisible et envahissante aujourd'hui pourrait se révéler, demain, être le dernier rempart entre votre famille et vos ennemis."Termina-t-il d'un ton trainant, laissant en suspens la fin de sa tirade, alors qu'il avait à nouveau baissé son regard vers le pansement dont il avait entouré les doigts de la Lady. Avec le traitement de Daemon, il était passé maître dans l'art de guérir les brûlures.

Le brûlé n'avait guère bougé durant toute l'intervention du Mestre, ne relevant son bras gauche que pour repousser de temps à autre la tête reptilienne lorsque le dragon lui mordillait trop fort les doigts.  Ce dernier s'équilibrait de sa longue queue noire striée d'amarante dans ses jeux brutaux et vifs. Il lacha d'ailleurs dans les volutes d'encens, un jet rougeoyant de ses propres flammes, pour s'amuser, sans doute. Derrière lui, Daemon entendit Asmar faire un pas. Il reconnut le chant d'une lame que l'on dénude de son fourreau. L'aigue-marine de ses yeux croisa celles, plus pâles, de son demi-frère cadet, avant de rencontrer à nouveau les prunelles noires de fureur.
"Valena..."

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Some saw the sun, some saw the smoke. Sometimes the wire must tense for the note. Caught in the fire, say oh, we’re about to explode. Carry your world, I’ll carry your world. Some far away, some search for gold, some dragon to slay. Heaven we hope is just up the road. Show me the way, Lord because I'm about to explode. Carry your world and all your hurt.
Cletus & Daemon & Valena



Les oncles plantés dans le marbre de la table funéraire, ses bras, en dépit des brûlures, restaient obstinément tendus au-dessus de la dépouille paternelle qui gisait là, toujours inerte malgré l’agitation régnant dans la pièce enfumée des parfums d’encens et de souffre. Son regard noir était vissé sur le dragon qui battait des ailes, mécontent et furieux d’avoir ainsi été délogé. Ses yeux lançaient des éclairs tant au saurien qu’à son soi-disant maître qui restait debout, aussi hébété qu’elle lorsqu’elle avait découvert le serpent ailé. Que lui avait-il pris ? Apporter un dragon sur le cadavre de leur père ! L’histoire lui aurait été conté, elle en aurait ri de bon cœur tant elle lui aurait semblé absurde. Et pourtant, ce n’était pas une farce. La créature était belle et bien là, menaçante et grognant, accrochée au bras de son frère. Elle détestait l’air surpris et presque idiot qu’elle devinait que portait Daemon derrière sa protection de métal. Comment avait-il pu croire ne serait-ce qu’une seule seconde que tout se déroulerait bien ? N’avait-il pas pensé aux conséquences de ses actes ? Aux désastres que pouvaient provoquer cette créature dans le Septuaire ? En le promenant au-dessus du corps sans vie de leur père ? Une telle bête n’y voyait rien de plus que de la viande prête à être dévorée. Cette pensée arracha à Valena un haut-le-cœur qu’elle ne contint qu’en pinçant fermement ses lèvres. Elle était répugnée, en plus d’être folle de rage.

Son nom prononcé par la bouche de Cletus ne la fit pas bouger d’un pouce. Ce ne furent que ses bras serrés autour d’elle pour l’attirer loin du corps qui la firent reculer. Elle voulait se débattre car elle était toujours conscience de la menace qui rôdait, mais étonnamment son jeune frère était devenu aussi fort qu’elle, voire plus. Elle qui l’avait si longtemps dominé dans leurs jeux d’enfant, s’amusant à le porter sur son dos et à le torturer de chatouilles sans qu’il ne parvienne à se défendre se trouvait plus faible que son petit frère. Il avait donc appris durant son écuyage.

« Lâche-moi, Cletus. Lâche-moi ! » grogna-t-elle en tentant de se dégager.

Il la libéra finalement à l’approche de Mestre Harian qui était revenu, les bras chargés des onguents dont lui seul avait le secret. Derrière lui, la silhouette d’Asmar se dessina dans l’embrasure de la porte alors qu’il descendait les quelques marches menant au centre du Septuaire. La main sur la garde de son épée, il était prêt à sortir sa lame en cas de dérapage. Valena le fusilla du regard. Un dragon et maintenant un sabre lors de la veillée funêbre de son père dans le lieu sacré qui abritait son corps ? C’en était trop ! Comprenant sa fureur, il se ravisa, mais resta prudemment sur le qui-vive. Un bruit grinçant de chaise lui appris que Daemon s’était finalement rassis. Les yeux rivés sur ses mains brulées, elle ne voulait même plus le regarder.

Le Mestre lui demanda de présenter sa main et elle lui obéit à contrecœur. Elle n’avait jamais apprécié les pommades et les visites chez l’homme qui avait toujours eût pour habitude de suivre leur père comme son ombre. Sa mère avait souvent insisté, alors qu’elle n’était qu’une petite fille et que le moindre petit rhume lui chauffait la tête, pour qu’elle prenne les pâtes répugnantes et nauséabondes que préparaient Harian dans son atelier lugubre. Elle ne pouvait qu’imaginer le calvaire qu’avait dû vivre Daemon, blessé comme il l’était. Or, à cet instant précis, la souffrance de son demi-frère était le cadet de ses soucis.

« Ce n’est rien, » protesta-t-elle. « Et faites ce que vous avez à faire. »

Elle laissa l’adorateur des Sept remonter précautionneuses sa manche. Elle retint un gémissement alors que le tissu frotta un instant contre ses plaies. Il appliqua des cataplasmes sur les brûlures à vif et Valena ne put que profondément inspirer et serrer les mâchoires pour éviter de jurer. Le dragon continuait à persifler, ce qui n’arrangeait en rien la fébrilité nerveuse de la Lady.

Le ton dur et autoritaire de Daemon lui fit enfin lever la tête vers lui. Elle l’observa, la bouche bée. C’était la meilleure ! Il osait lui donner des ordres maintenant ? Elle était prête à rétorquer, mais le Mestre lui coupa l’herbe sous le pied. Elle ne l’en remerciait pas pour autant et fut vexée d’une telle prise de parole en son nom.

« Ne parlez plus jamais à mon frère sur ce ton, Harian. Je ne le tolèrerai plus ! » tempêta-t-elle avant que ses accents ne terminent dans les graves lorsque le linge vinaigré se pressa contre sa peau.

Elle ne prenait la défense de son ainé que parce que l’homme aux cheveux poivre et sel avait bafoué son autorité. La voix sèche du bâtard répondit aurait pu faire sourire sardoniquement Valena en d’autres circonstances. Avait-il besoin d’un câlin, lui aussi ? Elle sentait son regard suppliant, mais ne détourna pas les yeux de ses propres poings serrés. Il poursuivit son récit, mais il avait dans ses mots tant d’incertitudes et de maladresses qu’elle douta un instant que c’était bien Daemon qui parlait. Harian prit une nouvelle fois la parole. Il s’était mis en tête de conter l’histoire de sa découverte du dragon. Ou plutôt de son œuf. Ainsi, il s’était mis en tête de l’offrir à son père ? Un œuf de dragon fossilisé ? C’était grotesque ! Elle leva le nez vers lui. Ryon Allyrion avait toujours été un homme savant et s’intéressant aux mystères du passé… Mais qu’aurait-il fait d’écailles de pierre ? Elle ne l’interrompit cependant pas et il continua son monologue. Il tentait de lui démontrer les avantages d’avoir une telle créature sous les ordres de la famille. Il présentait ce qu’elle pourrait leur apporter dans le futur. Dans le futur, certes. Car dans le présent, présent dans la chambre sacrée, il n’était qu’une menace.

Il termina sa tirade et les pansements qui entouraient maintenant ses doigts. Elle avait toujours aussi mal, mais elle avait connu pires douleurs, comme cette fois où elle s’était ouvert le menton en chutant de cheval. Dans le nouveau silence, il n’y avait que l’entrechoquement des dents du saurien qui mordillait encore les mains de son frère ainsi que la voix de ce dernier, chuchotant son nom comme une prière. Elle inspira profondément.

« Êtes-vous tous devenus sourds ? » siffla-t-elle entre ses dents serrées. « Je ne veux pas voir cette créature dans le Septuaire ! Je ne veux pas que cette bête roussisse le corps de notre père comme elle m’a roussie les doigts ! Harian, occupez-vous-en donc puisque vous l’avez trouvé ! Hors de ma vue ! »

Elle attendit que le dragon disparaisse avant de toiser une dernière fois Asmar, lui signifiant sans un mot de fermer la marche. Il y avait trop d’agitation à son goût pour une veillée funèbre. Elle ne voulait que son père, ses frères et elle. Personne d’autre.

Lorsqu’enfin ils furent seuls, elle tourna son visage vers Daemon qu’elle n’avait pas regardé depuis le petit spectacle qu’il s’était plu à orchestrer.

« Pourquoi ne pas avoir parlé Daemon ? Pourquoi ne parler que maintenant ? T’imaginais-tu réellement que cela serait le bon moment ?! »

Elle tenta de calmer les battements de son cœur et s’obligea à contrôler sa respiration.

« Je me contrefiche de la fable d’Harian. Vous pourriez l’avoir trouvé dans la vase de la Sang-Vert que cela n’aurait pas eu plus d’incidence ! Je veux savoir pourquoi vous l’avez gardé ici sans avoir jugé bon d’avoir mon avis sur la question ! »

Elle laissa alors dévier son regard vers Cletus qui, comme elle, ne semblait au courant de rien. Y avait-il d’autres secrets qu’elle ignorait ? Lui cachait-on d’autres sombres vérités ? Elle faisait assez confiance en son jeune frère pour le savoir incapable de machinations dans son dos. Était-il le seul à qui elle puisse faire confiance ici ? Elle voulait également son opinion sur le sujet. Si ce n’était que d’elle, elle ferait tuer le dragon avant qu’il ne devienne un problème. Qu’il ne brûle troupeaux et bergers pour se nourrir. Qu’il ne sème le désordre dans le désert et aux abords des citées. Et qu’en étaient-ils des Martell ? Que diraient-il en découvrant le saurien ? Daemon avait-il pensé à tout cela ? Ou pensait-il qu’il le garderait caché dans son giron comme un enfant qui dissimulerait ses jouets sous son lit ?


  

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Les larmes du désert

La Grâcedieu



Valena & Daemon & Cletus

Le mestre arriva, et ce ne fut qu’à ce moment-là que le cadet lâcha enfin leur sœur, toujours aussi furieuse. Les colères de Valena n’étaient pas rares, mais elles étaient toujours spectaculaires, car elle avait hérité de la nature tempétueuse de leur mère Déria. Pourtant l’ire qui se lisait dans les prunelles sombres de la brune était loin de ressembler à ses éclats d’autrefois, et la lueur inquiétante qui faisait briller ses yeux effrayait presque Cletus. Il ne l’avait jamais vue ainsi, et le dangereux mélange des traits qu’elle tenait de leur père et de la née Ferboys prenait une forme qu’il ne s’attendait pas à voir si menaçante. Jamais dans ses souvenirs le Soleil Noir ne lui avait paru aussi terrifiant que la lady à cet instant, et la fureur de cette dernière éclipsait sans peine l’aura qui entourait autrefois le Lord, et qu’elle avait fait sienne d’une façon plus absolue. Il n’y avait pas à douter que la Lady de la Grâcedieu avait d’ores et déjà installé dans le cœur de ses frères la crainte de ses colères nouvelles, et leur feraient regretter les réprimandes sévères de celui qu’ils veillaient en ce jour. Le silence pesant avait désormais disparu, ainsi que le semblant de protocole qu’ils avaient pourtant tous respecté jusque-là. Les enfants Allyrions n’étaient plus seuls, autours de la dépouille, comme le rituel des Septs le demandait, et l’agitation faisait presque oublier la présence du mort sur le lit de marbre. Le mestre Harian n’était pas revenu seul, et avait trouvé bon de quémander la présence de deux jeunes garçons qui lui servaient d’ordinaire d’assistants. Les deux jeunes dorniens avaient autant leur place dans le Septuaire où reposait la longue silhouette noir de leur défunt Lord que la Sentinelle, mais à ce dernier Cletus ne pouvait reprocher de n’avoir écouté que son indéfectible volonté de suivre son devoir, et de protéger les enfants de l’homme qu’il avait servi pendant des années. D’ailleurs Asmar s’était contenté de rester en bas des marches de l’entrée, et n’osait guère dévoiler sa lame dans le lieu sacré.

Comme Daemon semblait pressé de révéler les détails de ce lourd secret à leur sœur, et en cela il le comprenait, car le saurien aurait tôt fait de se trouver décapiter s’il ne donnait pas d’explication à la lady vêtue de noir, le cadet de la Grâcedieu en profita pour observer plus en détail l’animal qui avait par sa seule présence détruit la gravité d’un recueillement qui s’achèverait à l’aube, si la situation n’empirait pas d’ici là. A pas silencieux, l’écuyer fit à nouveau le tour du lit de pierre pour reprendre sa place initiale. De là où il se trouvait, son regard pâle pouvait à loisir contempler le dragon qui avait retrouvé celui que le destin avait désigné pour être son maître. Il n’était pas plus gros qu’un oiseau de belle taille, pourtant si le reptile venait à continuer de vivre, on ne pouvait douter qu’il deviendrait une créature dont la vue seule saurait faire naître la peur chez des ennemis à venir. Le mestre coupa la parole au bâtard affaibli, pour présenter les faits d’une façon qui, il l’espérait surement, serait plus à même d’épargner aux deux amateurs de secrets une recrue d’essence de la fureur de la Dame de la Grâcedieu. Cletus écouta d’une oreille tout ce que l’homme servit à Valena non sans ponctuer ses propos d’excuses qui lui parurent peu convaincantes. La réaction de cette dernière ne se fit pas attendre, et elle chassa sans ménagement de sa voix muée par la colère tous ceux qui n’étaient que des intrus dans la chambre sacrée. Alors que le mestre poussait tant bien que mal le reptile vers la sortie avec l’aide de ses aides après l’avoir cueilli avec une lanière neuve dans les bras de Daemon, le cadet Allyrion traversa la pièce à grande enjambées, pour arrêter le vieil homme, au moment où celui-ci franchissait les grandes portes de bois ouvragé. « Mestre Harian ! » Il l’interpella à voix basse, mais dont la douceur ne faisait que rendre plus flagrante la froide autorité de ses mots. « Avant que vous ne partiez, laissez-moi vous rappeler le serment que vous avez fait à notre père bien avant que je ne naisse. Vous êtes ici porteur du même devoir envers les Lords de la Grâcedieu que n’importe quel soldat ou même serviteur. Et aujourd’hui vous avez failli à ce devoir. Par orgueil, par crainte, je ne saurais le dire mais le fait est là : Avant c’était à mon père que vous deviez votre dévouement et votre loyauté, désormais c’est à Valena qu’ils doivent revenir, et non pas à mon frère, ni à moi-même, seulement elle. Je ne peux que vous féliciter que votre secret n’ait pas été trahi du vivant du Lord, car vous auriez alors repris la route pour Villevieille. C’est un avertissement, mais aussi un conseil que je vous donne, à vous d’en faire, ou non, un usage respectable. » L’homme n’était pas préparé à se voir ainsi sermonner par son meilleur et plus docile élève, aussi c’est sans rien répondre, mais non sans un regard où l’on pouvait voir que l’arrogante confiance qu’il avait placé en le dernier né du Soleil Noir, qu’il s’en alla, les portes se refermant lourdement derrière lui. Les enfants du Soleil Noir étaient de nouveau seuls, mais cela n’avait pas pour autant ramené le calme dans le Septuaire. Du haut des marches où il se trouvait, la scène faisait peine à voir. Tous deux près du corps immobile de leur père, ses ainés se tenaient, l’une debout, et l’autre assis. Valena continuait de déverser sa colère sur leur frère, tandis que celui-ci restait dans son fauteuil, et semblait plus que jamais accablé par la tempête qu’il avait déclenchée sans le vouloir. La scène, pourtant, n’était que trop familière au cadet. Maintes fois il avait assisté à ces disputes, à ces affrontements qui toujours attiraient toute l’attention, tandis que lui disparaissait, trop discret et effacé pour exister pleinement, quand il devait vivre coincé entre ses deux âmes flamboyantes. Comme il croisait le regard de sa sœur, Cletus les rejoignit, s’arrêtant à leur hauteur, entre eux deux. Son regard se posa à peine sur le corps de leur père, car l’instant n’était déjà plus aux lamentations, mais bien à la discussion de la première grande décision que se devait de prendre la Dame de la Grâcedieu. « Je ne pense pas que Daemon ait pensé à mal en voulant nous dévoiler maintenant l’existence de cette créature. Bien qu’il aurait été souhaitable qu’il choisisse un autre moment pour cela. » Il croisa rapidement le regard du bâtard assis, avant de se tourner vers Valena. Son regard avait retrouvé la douceur qui illuminait ses prunelles bleues, alors que l’écuyer Ferboys espérait que ses paroles apaiseraient, ne serait-ce que pour un instant, la fureur qu’il lisait dans les yeux de sa sœur. « Je…je suis d’accord avec ce qu’il dit. On ne peut pas savoir ce que père aurait fait, mais comme nous connaissons tous son mépris pour les Targaryens, cette bête aurait sans doute perdu sa tête avant même que Daemon ne puisse s’expliquer. » Il marqua une pause, pendant laquelle il remit de l’ordre dans ses pensées. Le cadet s’était détourné de la lady pour à nouveau regarder leur frère qui demeurait assis. « Cette bête est dangereuse, et elle le sera de plus en plus à mesure qu’elle grandira. Personne ne sait s’il sera un jour possible de la dresser. Et peut-être qu’elle sera hors de contrôle dès lors que sa taille dépassera ce que nos forces pourront contenir. Cependant. Si les dires du mestre sur l’histoire de cette créature sont véridiques, qu’est-ce qui nous dis qu’il n’y a pas de ses semblables qui se trouvent dans le désert de Dorne, ou même dans tout Westeros ? Qui sait, s’ils existent, entre les mains de qui ces autres œufs tomberont ? Si nous ne pouvons nous voiler la face quant au fait que cet animal va assurément nous donner du fil à retordre, et plus surement encore, nous attirer les regards dont il sera l’objet de dangereuses convoitises, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre ce qui pourrait s’avérer être à l’avenir le dernier rempart pour protéger la Grâcedieu, mais aussi tout Dorne. »



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Les larmes du desert

La Grâcedieu



Valena & Daemon & Cletus

Le claquement que soufflèrent les battants de bois en se refermant résonna dans la chambre sacré comme un coup de tonnerre. Les volutes  d'encens furent balayées par le courant d'air et s'effilochèrent dans l'air avant de reprendre leur danse sinueuse à la lumière des torches. Puis il n'y eut plus que le silence, et la présence sévère des murs tout autour d'eux. Enfoncé dans le dossier dur de son fauteuil, le bâtard se morfondait, muet.
"Pour qui te prends tu?! Que croyais-tu faire?!" Aussi inattendus que hais, les souvenirs de cette voix qui l'avait si durement corrigé, accompagnée de la main aux doigts fins et bagués, martelaient son esprit en écho aux reproches de sa cadette. Dix ans étaient passés. Mais sa mémoire en portait encore les stigmates comme s'ils eussent datés d'hier, de cette après-midi où son père lui avait pour la première et dernière fois rappelé le statut dont sa naissance l'avait doté. Nerveux, il resserra ses doigts autour des accoudoirs. Il souffrait de sentir le regard dur de sa sœur sur lui qui avait baissé le menton mais pas ses yeux. Daemon savait que la brune ne l'accusait pas de sa bâtardise mais de son inconscience, de sa puérilité et, par dessus tout, de son inconséquence. Mais n'était-ce pas de cela aussi que feu le Lord l'incriminait, lorsque, imbu de sa célébrité croissante, il avait lancé son jeune cheval sur la lice contre celui d'un monstrueux cavalier qui avait crevé le poitrail de l'animal avec sa lance. Ou encore lorsque, fou d'amour et aveugle à tout doute, il avait demandé la main de la Princesse dans une audace que même les mieux nés de Dorne n'avaient jamais eu. Agir, et parader, cela le connaissait sommes toutes. Mais la prudence. Que savait-il de la prudence? Rien, apparemment.

Bien que le masque lui offrait un abri symbolique, derrière les traits d'acier, Daemon n'en menait pas large même s'il s'efforçait de faire paraître le contraire. Le Sand sentait que, d'une certaine manière, il avait désappointé Valena- et peut-être même Cletus aussi- en agissant ainsi, comme s'ils eussent attendu de lui une sagesse dont il n'avait jamais fait preuve. La faute lui incombait pourtant, et il ne pouvait leur mettre sur le dos. Mais que ces jours passés cloitré entre quatre murs l'eussent rendu plus sage, c'était trop invraisemblable, aussi plaisante l'idée put-elle paraitre. Le chevalier déchu déchiré par le feu qui rencontrait enfin dans son autarcie nouvelle le bon sens qu'on ne pensait jamais le voir atteindre. Oui, décidemment, l'idée était fort belle. Mais ce n'était qu'un conte qui mourrait avant d'avoir seulement émergé. La fierté du bâtard ne s'était pas éteinte avec les flammes en conséquence de quoi il avait subit sa rémission comme un enfant subit une punition. Aussi terrible sa situation pouvait-elle être, cette dernière ne lui avait point offert d'autre révélation que celle qu'il avait une âme trop altière pour qu'il ne pensa seulement à consentir à la travestir. Lorsque la douce voix de Cletus chercha à l'excuser, il ne trouva rien de mieux que de le remercier d'un regard assassin et d'un souffle rageur étouffé par le masque. Se tournant à nouveau vers l'héritière, il lui répondit, venimeux.

"Et quand aurais-je du vous en parler?"cracha-t-il, farouche, en la fusillant du regard. L'hesitation qui l'avait étreint lorsqu'il avait fallu s'expliquer était partie, laissant place à une expression fermée. Il était sur la défensive. Il ne criait pas mais sa voix était grave et elle vibrait. "Quand, dis moi?! Tu n'en avais que pour tes petits papiers, tous les jours! Et tu n'étais pas encore notre seigneur, l'aurais-tu oublié?"Mon seigneur. Cette pensée l'étranglait de jalousie et résonnait dans ses intonations débordantes de reproches, mais aussi d'une fierté pudique, masquée par l'amertume. Sa voix se fit plus douce, teintée de tristesse et de poison."C'était père que j'attendais. Et rien,  absolument rien ne m'obligeait à t'en parler jusqu'à ce que ta chère reine du Sud ne nous renvoie son cadavre." Voilà qui était dit. Si elle ne le soupçonnait pas encore, Valena pouvait désormais être certaine que son frère n'abandonnerait sans doute jamais l'ire qui l'opposait à la Targaryen, malgré ses ordres, malgré son commandement. Avait-elle eu vent déjà du pamphlet? Il l'ignorait."Tu exiges que je te révèle son existence et maintenant que je l'ai fait, tu me maudis! Allons, ne tardons plus maintenant que tout est dit, et dis moi le jour que tu préféreras pour lui tordre le cou, je te l’amènerais!"  Au dehors, la nuit suivait son court, respectant de manière plus solennelle la veillée que les propres enfants du Lord ne pourraient jamais le faire. Dans le silence étouffé de chaleur remontaient les chants des insectes nocturnes, qui fourmillaient sur les berges. La Sang-Vert était paisible, elle dormait. Rien n'aurait pu être plus contrastant avec la colère que le Sand sentait montait dans son coeur. Cette rage puérile d'avoir l'impression qu'on le traitait à nouveau comme l'enfant qu'il avait été et qu'il semblait demeurait toujours; ne fallait-il que le calme apaisant de Cletus pour lui donner l'impression d'être infantilisé, piétinant  son orgueil supportait mal ce genre de raillerie. Il s'était ridiculisé cette nuit, il le savait. Il avait voulu prouver qu'il était autre chose que cette silhouette moribonde qui hantait les couloirs, il avait voulu impressionner sans doute aussi, sa fratrie. L'échec avait été cuisant, la correction, encore plus.
Son souffle soulevait sa poitrine sous les voiles noirs qui drapaient son corps."Je le dresserais!" affirma-t-il à son frère d'une voix vibrante et sombre malgré sa respiration difficile. Comme il le haïssait à cet instant, comme il haïssait sa soeur, aussi. La remarque de son cadet sur la probable existence des semblables du dragon rouge fit briller une lueur intriguée dans son regard, qu'il ne tarda pas à planter à nouveau dans les prunelles d'ébène de sa soeur. " Tu veux l'abattre, fais-donc! Il t'a blessé et c'est ton droit de Lady que de prononcer la sentence." Il parlait d'une voix presque monotone, comme s'il énumérait une vérité à laquelle il ne croyait guère. L'aigue marine de ses yeux alla se planter un instant, défiante, dans les prunelles de glace de Cletus avant de revenir vers celles de leur soeur. Il la connaissait trop pour la soupçonner d'être envieuse de la créature, mais une voix mauvaise ne cessait pourtant de lui répéter ce mensonge dans son esprit échauffé.
" Aucun ennemi ne passera, ce sont bien nos mots n'est-ce pas? Mais prends garde à ce que tu pourrais perdre en lui coupant la tête..."
Le dragon rouge était dangereux et difficile. Il attaquait, il mordait, brûlait quand bon lui semblait et n'était guère friand de caresses. Ce n'était pas un animal auquel on s'attachait, et Daemon, à cet instant, ne croyait pas une seule seconde qu'il se lierait un jour de manière plus complice avec la créature qui ne craignait guère les hommes. Pourtant, sa possessivité le poussait à vouloir protéger, d'une certaine manière, cette bête qui pourrait, un jour menacer sa propre vie ou celles de sa fratrie. Son regard ne cillait pas, attendant impatiemment la sentence de la Lady de la Gracedieu. Ce premier acte en tant que suzeraine devait-il signer l'arrêt de mort du dragon, que le Sand était tout aussi déterminé à défendre férocement le reptile pourpre devant sa soeur, qu' à l'abattre un jour d'un coup de lance dans le coeur s'il venait à se révéler trop dangereux.

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